Fiction: Le Miroir (ou Comment l'on m'enseigna le pouvoir des petites choses)

Cela fait maintenant deux ans que Naruto et Sasuke sont morts. J'ai continué à vivre seule, comme une petite bille roulant à peu près n'importe où. Si j'avais su que tous ces maux ne tenaient qu'à un petit détail !
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Soba-yashi (Féminin), le 02/08/2010
J'avais posté une première version de cette fiction sous le nom de "On" est un con", mais elle ne me satisfaisait pas. Voici donc après tant de temps, la version définitive.



Chapitre 1: Le Miroir (ou Comment l'on m'enseigna le pouvoir des petites choses)



Il a neigé, aujourd'hui. De petits flocons gelés se sont posés sur les ruines de ma ville natale. Idem sur la tombe des deux meilleurs amis que je n'aie jamais eus.

Enfin, « tombe »... Le mot est bien pompeux. C'est juste leurs noms gravés à la va-vite – et mal orthographiés, en plus de ça – sur de gros cailloux irréguliers. Je vous jure que si je trouvais l'ouvrier qui a fait ça, je le réduirais en charpie à mains nues. Comme ça, pour le plaisir. Ca me rend malade de savoir que ce sagouin a été payé pour graver trois traits même pas droits sur une caillasse moche. Je l'aurais fait, moi, si j'avais eu le temps. Si j'avais eu le temps.

Je souris, et un goût amer me titille les papilles. Je n'ai jamais le temps pour rien. Et pourtant, je m'ennuie. C'est dingue, ça, non ? Fichue fonction de mes deux – que je ne possède même pas, car étant du sexe féminin. Si j'avais su que ce boulot se résumait à passer derrière une bande d'ingrats impotents et incontinents, je n'aurais jamais fait medic-nin. Que de désillusions...Et pourtant, j'ai comme l'impression de n'en être qu'au début.

Lasse de regarder par la fenêtre, je ferme à clef ma boîte à gamberger et tente de me remettre au travail.

Allez, ma grande, on se motive. On prend ses petites mains et on écrit une jolie lettre au gentil monsieur du village d'à côté qui connaît tout plein de techniques intéressantes pour nous.

On va leur montrer, à eux tous, de quel bois on se chauffe.



Ca doit faire une bonne minute que je suis figée dans cette posture studieuse.

Studieuse... Quelle blague.

Concrètement, j'ai juste débouché un stylo plume – qui m'a d'ailleurs coûté les yeux de la tête – puis je me suis penchée sur une feuille de bristol blanc.

Et j'en suis restée là.

Rien ne me vient à l'esprit, pas même un « Je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments les plus blablabla ». Hé, mais c'est pas mal, ça.

Je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments les plus

Les plus quoi ? Désespérés ? Désabusés ? Désarmés ?

Mettons distingués, c'est plus seyant dans ce contexte-là. Voilà. Et maintenant, il ne manque plus qu'à pondre le corps de la lettre.



Alors que je m'applique à gribouiller une signature tarabiscotée au bas de le lettre, un pigeon voyageur entre brusquement par une fenêtre restée entr'ouverte et fonce sur mon bureau, telle la Formule 1 en pôle-position. Un craquement sonore se fait entendre, et le pauvre pigeon rend l'âme.

Argh... C'est répugnant. Je sens mon estomac se contracter, et, prise de nausées, je me lève et titube jusqu'à la fenêtre. Là, je m'évente comme Marie-Antoinette ne l'a jamais fait, et ce, tenez-vous bien, sans éventail.

Je sens que je reprends le contrôle de la situation – enfin, façon de parler. Je referme la fenêtre et m'en retourne à mon message (rapport au pigeon voyageur ! hé oui, il faut suivre). Je détache lentement le papier enroulé à la patte de l'animal, en m'appliquant tout particulièrement à ne pas regarder la pauvre bête. Puis je déroule le papier et lis la missive rédigée en grande hâte, comme en témoigne son écriture quasi-hiéroglyphique :

« Ma chérie,

C'en est fait, je me marie ! Kiba et moi comptons passer devant l'Hokage dans les plus brefs délais, tu sais à quel point nos pater familias sont à cheval sur leurs traditions...
Trouve-toi un bout de temps pour venir me voir, qu'on prenne un thé ensemble. Et ne me sors pas ta sempiternelle excuse du surplus de boulot, Shika m'a appris qu'en ce moment tu n'étais sur rien de précis.

Je t'embrasse fort, et j'espère te faire parvenir un petit bout de mon euphorie par ce message – car je sais que tu en as besoin, et NE LE NIE PAS.

Ino »



Rhâ. Elle a réussi à m'arracher un petit sourire, cette maline. Et Shikamaru, quelle balance !

Mais je ne peux pas m'empêcher de penser, à cet instant-là : « Et encore une. » Quasiment toutes mes copines et les filles de ma promotion se sont déjà casées ou mariées. Toutes sauf moi et quelques autres cas à part. En même temps, j'ai perdu tous mes prétendants dans une seule et même bataille.

Enfin, si on peu nommer ça une bataille ; l'expression « bain de sang » serait bien mieux appropriée. Cette fichue Grande Guerre. Après tout le mal que nous nous étions donnés pour maintenir la paix.



Cela fait deux ans. Deux ans que c'est passé et je n'arrive toujours pas à m'y résigner. « Me résigner à quoi ? », me demanderez-vous. Eh bien... Me résigner à ne plus jamais les revoir sourire ; me résigner à ne plus jamais voir la colère éclairer leurs prunelles. Et me résigner à ne plus jamais pouvoir leur parler, leur demander pourquoi, leur taper dessus de toutes mes forces...



Tout mon cœur brisé, saccagé, dévasté en l'espace de quelques heures.


Et tout ça pour un tas de ruines, en plus. Car c'est ce que Konoha est devenue, il faut voir la vérité en face. Un gros amas de blocs de pierre et de fils électriques emmêlés à l'infini.

Je sens mes yeux me piquer.

Ah, merde, pas maintenant. Je secoue la main devant mon nez d'un geste agacé. Je devrais m'obliger à faire à autre chose que de gratter les croûtes de mes plaies encore douloureuses. Allez, pense à autre chose, ma fille. Tiens, as-tu déjà remarqué que les murs de ton bureau étaient fichtrement fascinants ?

Les seuls objets qui rompent la monotonie de la peinture acrylique couleur vomi de nourrisson sont un petit tableau – un dessin de Sai, je ne sais même pas ce qu'il fait là – et un vieux miroir piqueté ayant appartenu à ma grand-mère.

Je me penche vers ledit miroir. J'y vois une petite nana aux yeux verts et aux cheveux roses, me regardant de ses grands yeux sans éclat. Je fronce les sourcils et lui tire la langue. Non mais, c'est quoi ces manières de fixer les gens comme ça. Elle me rend la pareille, et je me retourne, faisant face à mon bureau.

Beurk. J'avais oublié cette saleté de pigeon. C'est vraiment dégoûtant, les trucs morts.

Oh, et ça empeste, nom d'un chien galeux ! Vite, vite, hors de mon bureau.

Fronçant le nez, je prends deux feuilles de papier froissées, et tente tant bien que mal de choper le pigeon tout en protégeant mes mains avec ces gants de fortune. Là. Ca y est.

Maintenant, dépêchons de le jeter par la fenêtre.

Ah ! (jette le columbidé par l'ouverture.)

Ouf. Voilà qui est fait. Je précipite les deux feuilles imprégnées de pigeon mort dans la poubelle la plus proche, puis croise les bras en soupirant.

Où en étais-je, déjà ?

Ah, oui. La lettre pour le larbin de là-bas. Je retourne m'asseoir devant le billet inachevé. Le regard perdu sur la surface lisse de la feuille de papier, je dessine des cercles invisibles du bout de mon stylo plume hors de prix.



J'ai enfin trouvé quelque chose d'intelligent à écrire que la porte s'ouvre, laissant entrer Ayako Nakagawa, remplaçante de la regrettée Shizune-san à l'administration.

« Eh bien, Haruno-san », rit-elle, « A chaque fois que j'entre dans votre bureau, je vous vois toujours penchée sur de la paperasse. Vous n'en avez pas marre ? »

Je souris. Quelle gentille petite naïve.



Ah ! Enfin dehors.
Je peux maintenant respirer l'air frais et froid de l'hiver, saturé d'odeurs que j'assimile à la chaux et au béton.

Tout est en reconstruction. Et tous les bâtiments que l'on reconstruit sont d'une laideur sans égale, ça ne fait pas un pli. Après tout, la mission du gouvernement est de « construire des logements pour tous », et non pas de « beaux logements pour tous ». Cela va de soi.

Ma maison, par chance, est restée en grande partie debout. Bon, mon balcon a été arraché et tout le pan ouest ravagé, mais tout de même. J'ai eu un sacré coup de chance.
Disons, du point de vue matériel.



Je m'avance vers le perron, et je distingue la haute silhouette des échafaudages, du côté du mur cassé. Pas un bruit. Les ouvriers doivent déjà être rentrés.
Je fronce les sourcils, inquiète. J'espère qu'ils ont regardé de temps en temps si Maman allait bien.
Ma mère, suite au décès de mon père, a contracté une forme précoce d'Alzheimer. Pour le moment, elle se souvient encore de moi, mais elle régresse à une vitesse affolante. Elle redevient une enfant. On échange nos casquettes, en gros. J'ai une boule dans le ventre. Dieu, faites que tout aille bien... J'ouvre doucement la porte et appelle :

« Maman ? Maman ?! »

Un bruit de chausson traîné sur le sol me fait implicitement savoir où elle se trouve. Dans le salon, je la trouve comme d'habitude, avachie dans un fauteuil, près de la télé. Sauf que ce soir, la télé est éteinte.

« Maman ? »

Ma voix tremble comme un vibrato de la Castafiore.
Ma mère émet un son guttural et tourne la tête vers moi.
Quelle idiote je fais ! Elle s'est tout simplement endormie. Je ricane, soudain honteuse de ma frayeur. C'est vraiment du n'importe quoi.



Tout à coup, la crise de larmes que j'ai repoussée tout à l'heure m'assaillit de nouveau.
Je la laisse faire. J'en ai trop marre.
Je pleure. Ces mots sont affreusement vains, alors je les répète pour ceux qui n'auraient pas compris : je pleure.
Pas des trucs genre larmes de crocodile, plutôt genre de tyrannosaure.
Et la totale, en plus. Tremblements incontrôlables et incontrôlés, petits gémissements de chihuahua étranglé et morve au nez façon Morvan Gaye. 1
Je lâche la clef que je tenais encore dans ma main et m'effondre par terre.
La tête dans les mains, j'ânonne des « Pourquoi, pourquoi, pourquoi... »

Si un jour on m'avait dit que tout ça me tomberait comme ça dessus, je peux vous dire que je me serais drôlement marrée. Mais l'heure n'est pas à la marrade. Je sens mes dernières larmes en réserve couler sur mes joues trempées de leurs congénères, renifle une dernière fois, puis je me relève courageusement. Je me mouche aussi silencieusement que possible pour ne pas réveiller Maman – ce qui est totalement illogique, vu le vacarme que je viens de faire – quitte ma blouse, puis je me glisse dans la cuisine.
Dans le réfrigérateur, un reste de tempura industrielle, une tomate et un pot de natto se battent en duel. Ca promet pour ce soir. Surtout qu'à présent, je ne peux plus sentir l'odeur des ramen sans me mettre à pleurer comme une madeleine. Je me pince les lèvres. Bon, eh bien je crois que je vais me faire du riz avec du natto. Pour changer un peu.



Je viens de ranger mon bol sur l'égouttoir, quand j'entends un faible et enroué :

« Sakura ?
- Qu'il y a-t-il, maman ? Demande-je.

Elle grogne.

- Je me doutais bien que c'était toi. Ton père ne faisait jamais autant de bruit. »

Ah... Sympathique, le coup de poignard dans le dos. Merci, maman. Non seulement elle perd la boule, mais en plus elle devient méchante...
Je secoue la tête, tentant de chasser toute pensée de mon crâne. Si c'est pour retourner le couteau dans la plaie, d'autres que moi s'en chargeront à merveille.

« J'ai faim », maugrée ma mère.

Pour la quarante-douzième fois de la journée, je soupire profondément ; puis je m'empare du reste de tempura pour le faire réchauffer.

*

Ce matin, je ne trouve pas ma blouse. Je ne sais pas où je l'ai fichue, mais elle est rudement bien cachée. Ah ! La voilà. Oh oui, par terre dans l'entrée, c'est une excellente place pour une blouse censée être aussi propre qu'une aiguille stérile. Si la couronne de la « Reine des imbéciles » est retrouvée, merci de me contacter, elle est ma propriété personnelle. Bref. En route.

Je tourne dans mon couloir, quand je vois Ayako sortir de mon bureau et en refermer la porte. Qu'est-ce qu'elle trafiquait ? Je la salue d'un pâle sourire, qu'elle me rend – un tantinet plus pétillant, ceci dit. Quand je pense qu'elle aussi a perdu sa famille et ses amis, il y a deux ans... Comment a-t-elle fait pour passer à autre chose ? Je dois franchement avouer que j'aimerais bien qu'elle me donne son truc. C'est ce que je lui avais dit, l'autre jour à la cantine. Elle m'avait regardé d'un air mystérieux et m'avait répondu :

« Vous le trouverez vous-même, mon « truc ». Croyez-moi. »

Sauf que je ne l'ai toujours pas trouvé. Mais ne comptez pas sur moi pour aller lui demander des indices. J'ai passé l'âge des chasses au trésor.

J'entre dans mon bureau, pose mes affaires et m'assieds sur mon fauteuil de ministre. Encore une tonne de papiers à remplir, toujours pour les mêmes patients. La routine, quoi.

Je signe la énième feuille de ma montagne de paperasse, puis lève le chef en me tenant la nuque, étouffant un gémissement. Ce boulot me rendra dingue avant même que j'aie l'âge de l'être. J'effectue des ronds avec ma tête, dans l'espoir de détendre mes tendons tendus. Ah... Ca va un peu mieux. Je regarde face à moi, et m'aperçois que quelque chose n'est pas à sa place. Le miroir... Où est-il ? A la place de celui-ci, se trouve le dessin de Sai. Je me retourne prestement, et me retrouve nez à nez avec mon propre reflet, qui me regarde d'un œil médusé. Mon regard fait la navette entre le dessin et le miroir. Qu'est-ce que c'est que ce bazar ? Je deviens déjà tarée, ça ne peut être que ça.

Tremblant légèrement, j'endosse ma blouse et sors de mon bureau, direction la machine à café.

Le liquide brûlant est projeté dans le gobelet en plastique, puis un « bip ! » long et agaçant m'informe que le breuvage est prêt. Je le saisis, puis souffle dessus. Pas sûr que ce truc-là m'aidera à aller mieux, mais j'ai besoin de quelque chose dans le ventre. Au-dehors, le ciel est d'une teinte gris fer à en faire pleurer un clown. Les arbres n'ont plus une seule feuille et sont recouverts de givre. Rien qu'à regarder la cour de l'hôpital ensevelie sous un épais tapis de neige, ça me donne des frissons. Je trempe timidement mes lèvres dans mon café maintenant à température buvable, puis en avale une grande lampée. Une vague de chaleur parcourt mon corps. Ça fait du bien.

« Haruno-san ?

Je me retourne et demande à Ayako ce qu'il se passe.

- C'est votre amie, Ino Yamanaka-Inuzuka. Elle me harcèle depuis une semaine pour vous voir ; je ne peux plus continuer à dire que vous êtes occupée...

Je soupire. Après tout, si elle s'est déplacée exprès pour moi par ce froid...

- Dis-lui de venir dans mon bureau, s'il te plaît ».

Je fais semblant de lire un papier quand Ino entre.

« Toc toc ? fait-elle, passant la tête par l'ouverture.
- Tu peux entrer, tu sais ! je remarque, narquoise.
- Ecoute, avec toi on ne sait jamais, rétorque-t-elle en fermant la porte derrière elle. Alors ! Comment va mon gros front adoré ? »

Grmbl...

*

Vers sept heures du soir, en rangeant mes affaires, je me surprends à chantonner un air. Le fait de voir Ino m'aurait-il tant fait plaisir que ça ?

On s'est balancé des ignominies à la figure, mais on en a ri cette fois-ci. Et honnêtement, quelle farce ! Deux amies soudées comme une paire de cerises, arrêter de se parler à cause d'un garçon qui ne s'intéressait à aucune de nous deux, de toutes façons... On a rarement vu plus stupide. On s'est remémorées avec une sorte de nostalgie moqueuse notre enfance, notre passage en équipes de Genin, le premier concours Chûnin... Puis on a parlé du mariage d'Ino. Je me suis platement excusée de ne pas y avoir assisté – pareillement voire plus étonnant que la chansonnette – mais elle m'a fait remarquer que c'était moi la première punie, puisque je n'avais pas pris part à la petite fête qui s'était ensuivi. On a parlé de Sai, puis de Kiba. Elle m'a dit qu'elle n'avait jamais rencontré quelqu'un de pareil. Je cite : « Même Sasuke ne me faisait pas cet effet-là ». Chapeau bas.



Sur le chemin du retour, je me souviens qu'il n'y a plus rien à manger ce soir, et entre dans un petit combini sur la Grand-rue. Eh, mais je le connais, lui ! C'est...

« Shikamaru ? »

L'intéressé lève la tête des packs d'œufs qu'il était en train de regarder, deux points d'interrogation dans les yeux.

« Sakura ! S'exclame-t-il, légèrement surpris. Ça fait un bail, dis-moi. Tu vas bien ?
- Comme ci comme ça, fais-je en agitant la main. Et toi ? Il paraît que tu dis à Ino quand je travaille ou pas ?

L'air un peu vexé, il fourre ses mains dans ses poches et marmonne :

- Ça fait une semaine qu'à chaque fois qu'elle veut venir te voir, Nakagawa lui dit que tu es sur une affaire urgente. C'était sur moi qu'elle passait ses nerfs. Et tu sais à quel point elle est galère quand elle n'a pas ce qu'elle veut...
- Hm, fais-je, pas convaincue. Enfin, c'est pas grave. On s'est vues, aujourd'hui.

Un demi-sourire étire un coin de sa bouche.

- Et je suis prêt à parier que vous vous êtes crêpé le chignon comme vous savez si bien faire.
- Même pas ! Ca faisait tellement longtemps qu'on s'était pas vues qu'on avait un tas de trucs à se raconter. Et toi, alors ?
- Ben moi, Temari compte emménager chez moi la semaine prochaine. Elle a prévenu une société de déménageurs, et tout... Je sens qu'elle va foutre le bazar dans ma salle de bains.

Je souris, et continue :

- Bah écoute, c'est le revers de la médaille. Et au fait, t'habites où, toi, maintenant ?
- Juste là, fait-il en indiquant le plafond. J'en avais marre de ma mère.
- T'inquiète, bientôt t'auras Temari-san pour la remplacer.
- Galèèèère... »

*

Mâchonnant un cube de tofu gorgé de miso, je repense à cette semaine. C'est dingue à dire, mais le fait de ne plus voir ma face de fantôme à longueur de journée me fait du bien. A la place, je vois le dessin de Sai. Parfois, je lève un œil dessus. J'ai l'impression qu'il me surveille. Ou plutôt qu'ils me surveillent, car ce sont bien Naruto et Sasuke qui y sont représentés. L'exactitude des traits et du mouvement est à couper le souffle. A croire qu'ils ont élu domicile dans cette toile, faute d'avoir un corps. Je pose mon menton dans ma main, et les regarde tour à tour. Ils me manquent. Je leur souris ; avant de me rappeler que je fais risette à un tableau. Un peu vexée de m'être laissée piéger aussi facilement, je m'en retourne à mes papiers. Mais je sens que la blessure, sans pour autant disparaître, est en train de guérir doucement.

Maman nourrie et collée devant la télé, j'enfile ma blouse en sifflotant. Je m'arrête un instant, et jette un coup d'œil à une écharpe accrochée à une patère. Elle a appartenu à Sasuke, et je n'avais jamais osé la mettre. Mais il fait tellement froid que je surmonte ma peur et l'enroule autour de mon cou. « Aux grands maux les grands remèdes », n'est-ce pas ? Et c'est moins pire que ce que je pensais : son odeur a (presque) disparu.

J'arrive dans mon couloir, quand je croise de nouveau Ayako – je me demande ce qu'elle fiche toujours ici quand j'arrive, mon bureau est la dernière pièce du bâtiment. Je la salue d'un sourire et d'un hochement de tête, qu'elle me rend, l'air... victorieux ? Puis elle me dit :

« Vous voyez, Haruno-san, vous l'avez trouvé, mon « truc ».
- Pardon ? Demande-je, étonnée.
- Bon, alors tout du moins, vous l'avez touché du doigt. Ne le lâchez plus, à présent. »

Et elle s'en va, sautillant presque d'allégresse. Euh, oui. D'accord.

*

« Un jour de congé ?
- Oui, Ayako, j'en aurais vraiment besoin. Ce serait possible ?
- Tout à fait, Haruno-san. Je préviendrai vos patients.
- Ils vont râler, préviens-je.
- Eh bien ils râleront, conclue-t-elle. Reposez-vous bien. »

Me voilà devant l'hideux caillou qui sert de sépulture à Naruto. Sasuke doit être par là-bas – je ne comprends d'ailleurs pas pourquoi ils l'ont enterré, il est censé être un renégat. Toujours est-il que ce semblant de tombe me fout les nerfs en boule. Je pose le bol de ramen au naruto2 que j'avais amené, puis retourne au village, faire une demande à l'administration pour construire moi-même une stèle pour mes deux abrutis préférés. Je suis leur meilleur médecin, ils me doivent bien ça.

*

Je passe ma main sur mon front et contemple mon chef-d'œuvre. Bon, le mot est un peu fort, mais ce sera toujours mieux que l'espèce de croûte qu'ils avaient jusque là.

Sur un bloc de pierre soigneusement lissé, sont gravés leurs deux prénoms en hiragana. J'aurais voulu les écrire en kanji, mais je crois que Naruto n'en avait pas ; je ne voulais donc pas le « rabaisser » par rapport à Sasuke, je sais qu'il aurait détesté ça.
J'hésite un petit instant, puis m'empare à nouveau de mon petit burin et grave timidement au-dessus de leurs noms : « A la mémoire de mes deux meilleurs amis, les plus grands ninjas de Konoha. »

Puis je signe Sakura Haruno. Et si certaines personnes ne sont pas contentes, elles iront se faire peindre en vert.

J'ai demandé à les faire exhumer, afin de les enterrer ensemble sur le terrain d'entraînement numéro sept. D'après ce qu'on m'a dit, il ne restait plus que leurs os ; mais j'ai quand même tenu à ne pas être là. Je bien crois que je me serais sentie mal.

Et maintenant, je suis là, devant la stèle qui m'a valu plusieurs ampoules sur mes petites mains. Je ne regrette rien. Je souris sous les quelques larmes qui coulent encore. Le poids qui oppressait ma poitrine jusque là a disparu. Pour la première fois depuis bien longtemps, je me sens vraiment heureuse.

« On y va ? » Me demande gentiment Ino, en me prenant doucement la main.

Je renifle une dernière fois, et hoche la tête. Je lève le regard vers le visage soucieux de mon amie, et lui souris, l'air de dire « Ne tire donc pas cette tête-là ». Elle sourit à son tour, et nous retournons chez elle, où Kiba, Sai, Shikamaru et Temari nous attendent pour un petit dîner entre « anciens ». Vivement qu'on y arrive, je suis congelée.

*

Finalement, j'ai compris ce qu'Ayako essayait de me dire. Quelque chose du genre « Arrête donc de passer tes journées à regarder ton spectre dans le blanc de l'œil, et bats-toi plutôt pour la mémoire des tiens ! ». Et pour cela, je crois que je lui en serai longtemps reconnaissante. D'ailleurs, j'ai laissé entendre à ma supérieure qu'il était fort dommage de laisser une jeune femme tellement douée croupir à l'administration...



[1] : adaptation douteuse du nom de Marvin Gaye, célèbre chanteur américain de soul music.
[2] : au Japon, lorsque l'on rend visite à un défunt, on ne dépose pas de fleurs, mais de la nourriture, en général son plat préféré.




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