Fiction: Portsall (terminée)

Il y a trois choses que Tayuya déteste par-dessus tout : le froid, le bruit, les gens. Lorsqu'elle se retrouve contrainte de s'ajouter à un groupe d'ados à problèmes pour un stage de voile, c'est donc un peu comme si on lui avançait son apocalypse personnelle sur un plateau d'argent. [ Attention, mise à jour du 1er chapitre pas encore validée par les modérateurs, d'où incohérences ! ]
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NeN (Masculin), le 19/05/2014




Chapitre 8: Les ouvertures inattendues



Dressé au bord du toit, Gaara contemplait la mer sans bouger, son écharpe claquant au vent. La brise lui apportait les senteurs chaudes d'une terre gorgée de soleil toute la journée durant, associant les parfums des plantes et l'humidité du soir. Sous ses pieds, les conversations résonnaient faiblement, filtrant à travers les planches inégales du toit.

— T'es pas à l'aise ici, avait soudain dit une voix derrière lui.

Il avait reconnu Naruto, mais avait quand même jeté un coup d'œil par-dessus son épaule. L'autre s'était avancé, regardant à son tour le paysage nocturne qui s'étendait devant eux.

— J'te comprends. C'est un monde tellement différent de celui qu'on connaît. Alors c'est normal que tu saches plus trop où t'en es.

Gaara n'avait pas répondu. Ce type, il ne comprenait pas pourquoi il dégageait une telle chaleur. Il ne comprenait pas pourquoi il disait des choses aussi étranges. Il ne comprenait pas pourquoi il avait pris la peine de venir le retrouver sur ce toit qu'il pensait être suffisamment à l'écart pour être ignoré.

— Ça sent bon, avait murmuré Naruto pour lui-même en humant l'air tiède.

Il s'était assis sur les planches et avait croisé les bras sur ses genoux. Puis il avait dit, comme s'il avait déjà deviné ce qui se dessinait dans ses pensées depuis qu'il était monté là :

— Bon courage pour la suite.

Alors Gaara avait compris qu'il le laissait partir.



— Il y a un certain nombre d'automatismes à acquérir lorsqu'on navigue à bord d'un bateau, leur enseignait Asuma alors qu’ils faisaient voile vers un point indéterminé de la côte.

Ils étaient tous en cirés et harnachés dans leurs gilets en dépit du soleil radieux. Loin derrière eux, le HSM Adventure suivait à faible allure.

— Tout d'abord, les règles de sécurité. Les gilets que vous portez comportent un numéro que nous avons relevés ce matin et associé à vos noms. C'est une mesure qui permet de reconnaître vos corps s'il advient que vous tombez à l'eau et qu'on ne vous retrouve que trop tard.

— Et moi qui me disais que ce mono était plus rassurant que Gai, marmonna Kiba.

Ino se mit à glousser, s'attirant un regard désapprobateur de la part de Sakura qui écoutait attentivement la leçon du jour. Asuma poursuivait :

— …Il est donc bien évidemment essentiel que vous mettiez toujours le même gilet. Ensuite, les harnais sont obligatoires. Je ne veux voir personne sur le pont sans être attaché. Vous devez veiller à ne jamais gêner la manœuvre ; d'une manière générale, ceux qui n'ont rien à faire sont assis dans le cockpit.

— M'sieur, pourquoi on n'a que vous comme mono alors que les autres, ils en ont trois ? l'interrompit Naruto en levant la main.

— Ils ont plus de place sur leur bateau. Le relevé météo est également impératif : chaque matin, un bulletin officiel est diffusé sur une longueur d'onde commune, il faut le noter dans le cahier prévu à cet effet.

— Et m'sieur, pourquoi on a un nom trop craignos ?

— C'est celui d'un grand navire de croisière. Autre point important : le froid. Vous devez absolument vous couvrir même si le temps vous paraît clément, car le vent à bord d'un bateau est continu et être frigorifié vous empêche d'être aussi opérationnels que si…

— Mais m'sieur, j'vois pas le rapport. Enfin quoi, ce voilier n'est même pas rouge…

— Tu vas la fermer, oui ? s'emporta Sasuke en jetant un regard noir à Naruto. Ce type essaye de nous expliquer comment survivre sur ce truc !

Asuma soupira et reprit :

— Aujourd’hui, il n’y a pas beaucoup de vent mais la mer est plutôt agitée. Il faut savoir barrer en fonction des vagues tout en veillant à ne jamais dégonfler la voile. A propos de voile, on va hisser le gennaker. Tayuya et Sasuke, venez avec moi à l’avant et n’oubliez pas de vous attacher au filin de sécurité. Sakura, tu restes à la barre.

— On va hisser quoi ? dit Tayuya qui n’était pas sûre d’avoir bien compris alors qu’elle accrochait son mousqueton derrière celui de Sasuke.

— Le gennaker, répéta le jeune homme. La grande voile toute légère, elle marche bien quand y'a pas assez de vent.

— Comment tu sais tout ça ? s’étonna Tayuya avec méfiance.

— J’ai écouté les cours de Kurenai.

— Oh.

Gréer le gennaker se révéla étonnamment simple. On attachait un truc par-ci, on clipsait un machin par-là puis hop, on envoyait. Et là, la voile s’ouvrait tout d’un coup comme se formait une bulle de savon : c’était magique.

— J’aime bien cette voile, constata Tayuya en regardant cette grande virgule immaculée qui se dessinait sur le ciel.

— Bon, l'objectif du jour est de vous familiariser avec le bateau, lança Asuma alors qu'ils se rassemblaient à nouveau dans le cockpit. Nous allons profiter du temps calme pour gréer toutes les voiles les unes après les autres, il y en a un certain nombre, alors soyez attentifs à ce que vous faites…

— Genre pas comme ça ? demanda Ino en pointant du doigt le foc du HMS Adventure qui s'écroulait au milieu des cris de l'équipage.

De ce qu'ils en entendirent, Kankurô et Tenten l'avaient monté à l'envers et c'était la galère pour le faire revenir à bord.

— Non, pas comme ça, confirma Asuma.

— ... Confondre le point d'amure avec le point de drisse, non mais vraiment !

— Vous nous avez toujours pas dit c'que c'était, un point d'amure !

Les hurlements se perdirent dans le vent lorsque Sakura lofa un peu et ils se détournèrent de la pagaille d'à-côté pour revenir dans le calme du Big Red Boat.

— Vous avez l'avantage de ne pas avoir Gai à bord, alors je compte sur vous pour que ça roule, prévint Asuma. Je vais sortir les focs I et II, il me faut deux premiers volontaires à l'avant.

— On a deux focs ? s'enthousiasma Naruto qui s'était déjà levé. On va pouvoir commencer un élevage !

La faiblesse du jeu de mot fit lever les yeux au ciel à Sakura et Sasuke qui échangèrent ensuite un regard consterné. C'était bizarre de les avoir sur le même bateau, se dit Tayuya en se levant pour rejoindre Naruto à l'avant. Pourvu qu'ils se soient calmés, ou l'un d'entre eux ne tarderait pas à finir par-dessus bord.

La première journée se passa pourtant sans accident, hormis l'emmêlement de l'écoute de foc et la perte de la sandale gauche d'Ino. Asuma ne réussit guère à la consoler en affirmant que de toute façon, il valait mieux porter des chaussures fermées sur un bateau, et il fallut que Kiba fasse des siennes avec le spinnaker pour qu'elle quitte enfin son air boudeur.

— Le point d'amure, c'est celui du bas, Kiba ! gueula Asuma alors qu'il avait hissé la voile à l'envers. Affale et recommence !

Le spi était une immense voile d'un bleu vif taillée dans une toile légère qui crissait sous leurs doigts. Elle s'envolait facilement et ses points d'écoute devaient être installés à l'extérieur des haubans ; tout ça faisait de son gréement une galère sans nom et se fut sans surprise que Kiba se trompa une nouvelle fois.

— Et allez, soupira Asuma en voyant le spi s'élever à l'horizontale. Après un tour complet, il va bien finir par le mettre à l'endroit…

— T'es mauvais, Kiba ! rigolait Naruto depuis le cockpit.

— J't'emmerde !

Ino rigolait tellement qu'elle ne vit pas que Sakura était venue s'asseoir à côté d'elle en entortillant une mèche de cheveux autour de son doigt.

— Dis, tu crois qu'il va revenir, Gaara ?

— Hein ? Qu'est-ce que tu veux que j'en sache ?

— On a prévenu la police, leur dit Asuma. Ils nous tiendront au courant et Anko est toujours à la base au cas où il rentrerait là-bas.

— Mais pourquoi il est parti ?

— Mais j'en sais rien ! répéta Ino que les questions énervait. Qu'est-ce que tu connais de lui, hein ? T'avais à peine retenu son nom avant qu'il se barre !

— Ça te fait rien de savoir qu'il peut lui arriver n'importe quoi ? s'emporta Sakura en s'empourprant. Il a que quatorze ans, après tout !

— Du calme, intervint Asuma. On va le retrouver.

— Ou pas, fit Naruto qui avait arrêté de charrier Kiba pour suivre la conversation.

Ils se tournèrent vers lui avec méfiance :

— Qu'est-ce que t'en sais ?

— A mon avis, on le reverra que s'il le décide, fit-il en haussant les épaules.

Il y eut un silence pendant lequel Kiba hissa enfin correctement le spi et s'offusqua de ne pas être applaudi, puis Sasuke se leva pour prendre sa place à l'avant. Calée contre le bastingage arrière avec Shikamaru, Tayuya se renfonça dans les plis de son ciré en se disant que ce crétin de Naruto en savait plus qu'il n'en laissait paraître.

— On va essayer le tourmentin, ensuite ! disait Asuma. C'est une petite voile de tempête qui ne nous servira pas, j'espère…

— Moi aussi, commenta Shikamaru en aparté.

____


Ils retrouvèrent les autres dans le port de Plouguerneau en fin d'après-midi. Après avoir passé une écluse pour la première fois de leur vie, ils s'amarrèrent en couple avec le HMS Adventure et enlevèrent enfin leurs cirés avant de découvrir l'incongru spectacle de Gai et Kakashi attachés par la cheville avec un torchon.

— Ils ont pas arrêté de se chamailler, expliqua Tenten en secouant la tête. On a dû prendre les grands moyens.

— C'est pas un peu dangereux à bord d'un bateau ? fit discrètement remarquer Asuma.

— On a attendu d'être au port…

Comme il faisait beau, les moniteurs décidèrent de dîner tous ensemble et ils s'installèrent comme un essaim de mouettes sur le roof du HSM Adventure. Avoir passé une journée loin des uns des autres provoqua un dédoublement du débit sonore et les conversations s'entrecroisèrent avec vivacité par-dessus les têtes, alternant faits divers et premières impressions.

Le repas s'acheva sur la conclusion que quand même, c'était vachement chouette de faire de la vraie voile, puis Shikamaru se dévoua pour faire la vaisselle et accompagna Temari et Kankurô jusqu'au robinet installé sur le ponton d'à-côté. A peine furent-ils agenouillés, une éponge dans la main, que le jet d'eau leur explosa entre les doigts et les aspergea des pieds à la tête.

— Bon sang de…

— Il faut un tuyau pour les utiliser, les informa un vacancier qui passait, un seau à la main.

— Okay, merci…

Ils échangèrent un regard exaspéré, chacun ayant la flemme totale de faire l'aller-retour jusqu'à l'un des bateaux pour revenir avec l'outil nécessaire, puis Shikamaru se risqua à rouvrir le robinet en s'y prenant avec plus de délicatesse. Un filet d'eau s'écoula normalement et ils se résolurent à se satisfaire de ce faible débit.

Les assiettes défilèrent rapidement et ils ne firent tomber qu'une fourchette entre les rainures des planches du ponton. Shikamaru regarda le couvert disparaître dans les profondeurs du port en scintillant comme un poisson argenté sans parvenir à se sentir coupable. Il s'embarrassait rarement de soucis aussi bassement matériels que la perte d'une fourchette.

— Terminé, souffla Kankurô lorsqu'ils eurent rincé le dernier gobelet.

Shikamaru se détourna de la fourchette noyée et son regard tomba soudain sur une portion de peau brune striée de cicatrices blanches. Il eut un mouvement de recul : déjà Kankurô lâchait le pan de t-shirt qu'il avait utilisé pour essuyer son visage éclaboussé et s'affairait à entasser la vaisselle propre dans le seau, mais à côté de lui, Temari avait intercepté son regard et le fixait d'un air alerte.

Shikamaru se mura dans un silence prudent. Il se doutait bien que le même lien devait relier ces cicatrices au débardeur qu'elle avait refusé d'enlever quelques jours plus tôt et il n'avait pas l'intention de forcer la confidence, mais Temari resta en retrait avec lui lorsque Kankurô repartit vers le bateau et il prit ça pour une ouverture inattendue.

— Temari ? demanda-t-il alors en restant assis sur le ponton. C'était quoi, ces marques ?

Elle se mordit la lèvre, le regard à nouveau perdu là-bas, au désert du Thar.

— C'est… c'était un accident.

— C'était Gaara, pas vrai ?

Elle secoua la tête.

— Non. Non, pour Kankurô, c'était un accident. Ça, c'est Gaara.

Shikamaru sursauta quand elle souleva soudain son t-shirt et dévoila son dos. Le soleil se réfléchit sur sa peau mate, accentuant les boursouflures d'une longue plaie qui barrait ses omoplates. Devenu muet devant l'horreur inspirée par la profondeur de l'entaille, Shikamaru sentit son cœur rater un battement. La blessure avait visiblement plusieurs années, mais elle devait avoir mis du temps à cicatriser.

Il ne savait pas pourquoi Temari lui révélait sans prévenir ce qu'elle avait si soigneusement évité de montrer depuis le début du stage. Il ignorait si c'était une façon de l'autoriser à poser des questions, et il en avait en stock. Pourquoi t'a-t-il fait ça ? Pourquoi ce n'était pas un accident ? Pourquoi Kankurô a été blessé lui aussi ? Est-ce que c'est pour ça que vous avez peur de lui, que vous avez peur de Gaara ?

Mais il ne demanda rien. A la place, il posa sa main sur le dos nu de Temari qui tressaillit.

— Tu es douce, dit simplement Shikamaru.

Ils restèrent un instant ainsi, immobiles, puis il retira ses doigts et remit lui-même le t-shirt en place. Temari se redressa sans un mot. L'atmosphère s'était soudain imprégnée de calme, un parfum si léger qu'il leur semblait que le moindre geste un peu brusque suffirait à le dissiper. Alors ils restèrent sans bouger l'un à côté de l'autre, appréciant en silence la chaleur des derniers rayons de soleil sur leurs visages.

____


Tayuya profita d'être à terre pour aller squatter une bite d'amarrage et y fumer tranquille. Elle contourna les moniteurs qui discutaient autour d'une carte de la côte étalée sur le ponton et y jeta un œil au passage : des lignes la parcouraient dans tous les sens, visiblement déterminées à tracer l'itinéraire des jours à venir. Tayuya avisa un trait qui filait jusqu'en Angleterre et s'éloigna avec un regard méfiant envers Gai qui gesticulait, un crayon à la main.

Sur le quai, il y avait déjà Naruto, Tenten et Hinata qui étaient visiblement occupés à fabriquer une ligne de pêche avec un bout de nylon et une épingle à nourrice tordue. Tayuya alla s'installer sur la bite d'amarrage et les écouta bavarder tout en sortant son paquet de tabac.

— M…Mais il manque un poids, le hameçon ne s'enfoncera jamais dans l'eau…

— Merde, c'est vrai ! Attends, je vais trouver un caillou.

— Je me demande ce qu'on peut attraper avec ça. Peut-être des crabes !

— Il faut un panier pour ça, non ?

— Est-ce que vous pensez qu'on pourra les manger ?

— Désolée de casser votre délire, mais ce port est plein de saloperies, intervint Tayuya depuis son poste. Si par miracle vous attrapez un truc, ça m'étonnerait qu'il soit bouffable.

— Silence, oiseau de mauvais augure, lui jeta Naruto en agitant la main dans sa direction. Le pessimisme n'a pas sa place dans notre grand projet.

— Euh… Elle a peut-être raison, Naruto…

Mais il n'écoutait pas, occupé à faire descendre leur ligne le long du quai. Ce ne fut qu'après avoir attendu pendant cinq minutes avec enthousiasme que Tenten réalisa soudain :

— Attends, on n'a pas mit d'appât !

Tayuya les regarda remonter la ligne en catastrophe d'un air blasé. Ils étaient pires que des gamins qu'on emmenaient pour la première fois au bord de la mer.

Elle tendit pourtant le cou avec curiosité lorsque Naruto se mit à glapir un peu plus tard : avaient-ils vraiment attrapé quelque chose ? Puis ils ramenèrent sur le quai une vieille chaussette bourrée d'algues et Tenten fut la première à rire :

— J't'avais dit qu'on prendrait rien avec un carambar.

— Ok, on réessaye avec ce Pépito !

Des gamins, se répéta Tayuya en hochant la tête.

____


Asuma adressa un dernier signe d'au revoir à Kurenai et referma le capot avant de se retourner vers son équipage rassemblé autour de la table dépliée. La nuit les avait ramené au creux de leurs habitacles respectifs et il était temps de commencer à envisager aller dormir.

— Très bien, pour demain ! commença Asuma afin d'attirer l'attention des jeunes qui discutaient en battant un jeu de carte. Nous partirons juste avant la pleine mer pour ne pas rater l'éclusage, c'est-à-dire vers six heures. Qui est volontaire pour manœuvrer ?

Sachant qu'elle serait de toute façon réveillée à cette heure-là, Tayuya leva le bras et fut aussitôt imitée par une Ino toute émoustillée. Elles allèrent se coucher avant les autres, les laissant organiser leur partie de tarot entre eux, et furent réveillées sept heures plus tard par le ciré d'Asuma qui leur dégoulina dessus.

— Courage, les filles, c'est l'heure. Couvrez-vous bien, il bruine et il fait froid.

— Voilà ce qui s'appelle un réveil motivant, couina Ino qui se redressa en position assise au prix d'un effort phénoménal.

Elles enfilèrent tous leurs pulls les uns sur les autres avant de s’harnacher dans leurs salopettes de ciré puis dans leurs vestes. La couleur du ciel les saisit alors qu'elles montaient la descente en enfilant leurs gilets de sauvetage : la nuit était partie sans pour autant laisser place au jour, peignant l'horizon d'un étrange gris bleuté dans lequel perçait encore la lueur de deux étoiles.

Le crachin glacial qui les accueillit dans le cockpit les fit refermer leurs cols à double tour. Elles manoeuvrèrent sans bruit dans le port endormi, s'étonnant de voir autant résonner le simple crissement de la coque contre ses défense ou la chute d'une écoute sur la surface calme du plan d'eau. Le bruit du moteur leur sembla si puissant qu'elles furent persuadées de réveiller toute la ville.

— Prêtes pour l'amarrage dans l'écluse ? leur demandait déjà Asuma en barrant le long des bateaux alignés contre les pontons. N'oubliez pas, il suffit de passer l'amarre derrière les chaînes de manière à accompagner le mouvement de descente lorsque l'eau entrera…

— Ouais ouais…

— Et le HMS Adventure, il part pas ? s'étonna Ino en jetant un regard en direction du voilier qui somnolait.

— J'en sais rien et on s'en fout. On les retrouvera demain.

Ils furent bientôt solidement installés contre les hautes parois du sas. La silhouette froissée de l'éclusier passa rapidement sur le petit pont métallique qui surmontait les portes côté mer, leur adressant un vague signe de la main au passage, puis fondit sur la roue d'ouverture. Les battants se refermèrent derrière eux, l'eau se vida en face et dès que le niveau du sas fut stabilisé avec celui de la mer à l'extérieure, les portes s'ouvrirent.

L'éclusier leur adressa un signe d'au revoir, engoncé dans son ciré jaune et une casquette de marin bleue. Ino lui répondit jusqu'à ce que l'intensité de la bruine l'incite à se réfugier à l'abri du cockpit.

— Bien, fit Asuma en jetant un œil derrière lui. On va hisser la grand-voile puis le foc II. Fermez bien vos manches et mettez des gants, tout va glisser ce matin.

Effectivement, elles dérapèrent plus d'une fois au cours des trois heures qui suivirent. Le crachin se muait par intermittence en une pluie fine et glacée qui les frigorifia jusqu'aux os et le vent qui forcissait au fur et à mesure qu'ils se dégageaient de la protection de la côte acheva de les faire claquer des dents.

Les autres émergèrent vers neuf heures, encore secs dans leurs cirés tout juste enfilés, et l'animation grimpa soudain dans le cockpit. Sakura avait eu la bonne initiative de faire du café, mais Tayuya renversa le sien sur le pont en voulant éviter la bôme qui faisait mine de virer de bord et laissa échapper un chapelet de jurons colorés.

— Tayuya, Ino, rentrez dormir un coup.

Mais Tayuya n'écoutait pas et Ino secoua ses longs cheveux raidis par le sel :

— C'est bon, ça va.

Elle reporta son attention sur la discussion qui faisait rage dans le trio assis sur le banc d'en face. D'une manière ou d'une autre, ils en étaient venus à parler de Sasuke et comme à chaque fois, le sujet ne passait pas sans étincelles.

— Et tu t'entendais bien avec ton frère ?

— A ton avis, crétin !

— J'en sais rien ! J'ai jamais eu de frère !

— Oh, enfant unique. Ça explique des choses.

— Et, euh, Sasuke… Il avait quel âge quand il est mort ?

Regard glacial. Sakura n'avait vraiment aucun tact. Elle sentit le malaise et ne sut pas comment s'en sortir, mais Ino sauva les meubles en lançant :

— C'est un peu déprimant de parler de tout ça, sérieux. Y'à l'avenir, aussi ! Tu veux faire quoi plus tard, Sasuke ?

— Y'en a que pour lui, râla Naruto.

La fin de sa phrase fut perdue dans un éternuement impressionnant et ils se tournèrent tous à nouveau vers Ino. Asuma lança une seconde fois :

— Va te mettre au sec. Les autres peuvent prendre la relève.

— Attendez, je borde la voile, elle faseille…

Une heure passa encore, puis le regard d'Asuma retomba sur la jeune fille qui s'était recroquevillée contre le garde-corps et ordonna d'une voix sans appel :

— Ino. Rentre.

Cette fois, l'adolescente ne contesta pas et lâcha le chandelier pour traverser le carré en titubant. Elle avait à peine disparu dans la descente que Tayuya se cogna violemment le coude contre un winch en bordant le foc.

— Putain sa race !

— Tayuya, vas-y aussi.

Kiba lui prit l'écoute des mains et elle s'engouffra à son tour à l'intérieur. L'atmosphère tiède et sèche de la cabine la prit au corps : elle eut l'impression de plonger dans une baignoire d'eau chaude.

Assise sur la couchette avant, Ino se déshabillait en pleurant de fatigue. Son ciré et sa salopette échouèrent en tas luisant sur le plancher et elle se pelotonna dans son duvet sans prendre la peine d'enfiler un pantalon. Tayuya enleva les couches successives de ses vêtements jusqu'à ce qu'elle arrive à ceux qui étaient restés secs et l'imita ; elle s'endormit en quelques secondes.

L'immobilité soudaine du bateau la réveilla plus tard. Sans avoir la moindre idée de l'heure qu'il pouvait être, elle jeta un œil au duvet vide d'Ino à sa droite et s'extirpa du sien.

Le soleil tombait doucement à l'extérieur, éclaboussant d'une lueur dorée la crique dans laquelle ils avaient jeté l'ancre. Le reste de l'équipage finissait de dîner, sereinement assis dans le cockpit. La furie atmosphérique du matin même semblait n'être qu'un lointain souvenir. Asuma profita de la réunion de tout son équipage pour faire un point :

— Il y a un élément de sécurité élémentaire dont je ne vous ai pas parlé, c'est la gestion de la fatigue. Même si vous ne vous en rendez pas compte, le mouvement permanent et le froid vous épuisent très vite à bord. Il est essentiel d'apprendre à connaître vos limites. Dans ces moments-là, il faut absolument aller vous reposer : un simple cycle de vingt minutes vous permet de récupérer quatre-vingt pour cent de vos capacités…

Tayuya refusa d'un signe de tête le bol de pâtes qu'on lui tendait et alla grimper sur le roof. Les autres rassemblaient la vaisselle sale en discutant, l'éclat sonore de leurs voix rebondissant à la surface de l'eau comme des ricochets colorés ; quelqu'un parla de chocolat chaud, quelqu'un d'autre évoqua un jeu, puis Asuma parla de jeter un œil à la navigation du lendemain et quémanda une carte.

Indifférent à la soirée qui se poursuivait, Kiba vint rejoindre Tayuya sur le roof et s'installa près d'elle alors qu'elle finissait de rouler une cigarette entre ses doigts recouverts de pansements.

— Son frère a vraiment été accusé d'avoir tué son meilleur ami ? demanda-t-il sans préambule.

— Ouais.

— Comment tu le sais ?

— Suffit de lire la presse.

— Ouais, mais ça s'est passé y'à longtemps.

Son rictus désabusé mit Kiba mal à l'aise. Il interrogea encore :

— Alors il s'appelait Itachi ?

— Ouais… Il s'appelait Itachi.

Il y eut un silence pendant lequel elle alluma la cigarette qu'elle avait coincée entre ses lèvres gercées. Le vent la força à s'y prendre à plusieurs fois, mais insista avec patience jusqu'à ce qu'un filet de fumée vienne flotter devant son visage. Kiba récupéra le briquet qu'elle avait reposé sur le capot et l'alluma distraitement.

— Et alors ? demanda-t-il en observant la petite flamme se faire souffler par une bourrasque. Il l'avait vraiment tué ?

Elle lui jeta un drôle de regard, puis expira un long nuage de fumée bleue avant de répondre :

— A ton avis ?

— Et lui, comment il est mort ?

— Balle perdue.

— Par qui ?

— Les flics.

Kiba ouvrit la bouche sous l'effet de la compréhension. Les paroles de Naruto prenaient enfin tout leur sens : Il est mort parce qu'il a déconné et tu sais quoi ? C'est pas de la faute de mon père. C'est de la faute des Uchiha.

Bien sûr, tous les policiers n'étaient pas des Uchiha, mais Kiba se doutait bien que dans les faits, ça revenait au même. Il réalisait seulement maintenant ce que devait supporter Sasuke au quotidien et ne s'étonna plus de le voir si corrosif.

On devenait dingue avec moins que ça.

— Qu'est-ce qu'il s'était passé ?

Tayuya poussa un soupir exaspéré, mais il attendit attentivement qu'elle se résigne à poursuivre l'histoire. Et c'est ce qu'elle fit.

— Il faisait des casses avec son gang. L'un d'eux a mal tourné.

— Il avait un gang ?

— Ouais, la Lune Rouge, il s'appelait.

— Mais qui le dirigeait ? Qui en faisait partie ?

Dérangée par les souvenirs qui remontaient à la surface de son esprit comme des bulles d'air dans un lac calme, Tayuya trépigna sur place.

— Ceux qui en faisaient partie… c'étaient rien que des gamins.

— Comment tu sais tout ça ?

— J't'ai dit. La presse.

Kiba lui glissa un regard en coin. Il savait qu'elle mentait.

— Okay, je propose un échange d'informations, déclara-t-il alors en changeant d'angle d'attaque. Je te dis un truc sur moi, tu me dis un truc sur toi.

— C'est ça, va crever.

Il se renfrogna, réfléchit, essaya une nouvelle fois :

— Okay, échange d'informations. Je te dis un truc sur toi, tu me dis un truc sur moi.

La modification des règles l'interpella.

— Hein ?

— Je commence. T'as l'air d'être tout le temps crevée, mais en fait t'es une lève-tôt.

Tayuya resta un instant désarçonnée, puis reprit ses moyens devant la lueur de défi qui crépitait dans les yeux bruns.

— T'as l'air d'être tout le temps en forme, mais en fait t'as encore besoin de tes huit heures de sommeil par nuit, envoya-t-elle en retour.

Il se mit à rire.

— Ouais, c'est pas faux. Alors, euh… T'as appris à te battre quelque part. C'est pas de l'impro.

— Tu cherches en permanence de quoi combler le vide du départ de ton père. Tu t'en es jamais remis.

Il accusa le coup. Tayuya sut qu'il commençait à comprendre qu'elle pourrait assez facilement le prendre à son propre jeu.

— Tu… Tu te fais tout le temps mal parce que tu t'en fous de ton corps. Tu l'utilises comme un outil.

— T'as grandi dans l'ombre de ta sœur. Tu pourras jamais l'égaler et tu le sais.

Cette fois, un éclair de colère passa dans son regard. Mais Tayuya ne cilla pas : c'est le jeu, gueule de clown. C'est toi qui l'as proposé. On se fait mal, celui qui fait pleurer l'autre a gagné. Allez, à toi.

— Tu fais confiance à personne. Mais t'aimerais.

— T'utilises les autres pour te sentir exister. T'en es complètement dépendant.

— T'as peur du vide.

— T'as peur du silence.

Ils s'interrompirent un instant, le souffle court, mais il était trop tard pour faire marche arrière. Alors Kiba poursuivit :

— Tu fais partie de la Lune Rouge, toi aussi.

Elle sursauta et pour la première fois depuis le début du jeu, elle rectifia :

— J'en faisais partie.

Un sourire s'étira sur les lèvres de Kiba. Il avait enfin réussi à grimper cette marche.

— T'as quitté le groupe ?

Tayuya fit machinalement craquer ses jointures.

— Non.

— Mais alors, qu'est-ce qu'il s'est passé ?

— Le gang a été dissolu.

Kiba resta silencieux un moment, puis un détail l'interpella :

— C'était quand, ça ?

— Y'à six ans.

— Mais t'avais quel âge pour traîner dans les rues comme ça ?

Elle lui lança le regard le plus percutant de tous ceux qu'il avait déjà reçu, un regard intensément chargé d'un mélange de mépris et de commisération. Puis elle répondit :

— Y'à pas d'âge pour se perdre.

Il se sentit plus naïf que jamais, alors il tendit la main. Elle le repoussa.

— Comment t'as connu la Lune Rouge ? demanda-t-il avec un calme inhabituel.

Elle secoua la tête comme pour se réveiller. Non, bien tenté. Il ne l'aurait pas comme ça.

— Je comprends pas, avoua-t-elle enfin. Qu'est-ce que ça peut bien te foutre, ma vie ?

Kiba haussa les épaules, répondit quelque chose d'inintelligible. Depuis le cockpit, Shikamaru et Ino écoutaient la conversation depuis le début sans s'être faits repérer. L'intimité à bord d'un voilier, c'était un peu comme chercher le chauffage dans un réfrigérateur.

— Dis, fit alors Ino à voix basse. Et si c'était Kiba, le renard ? Et si au lieu de vouloir apprivoiser, il voulait se faire apprivoiser ?

— Oui… Je me demande.

Parce qu'après tout, c'était écrit comme ça, dans le bouquin. Quelque chose comme :

Le renard se tut et regarda longtemps le petit prince :

— S'il te plaît... apprivoise-moi ! dit-il.






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