Fiction: Portsall (terminée)

Il y a trois choses que Tayuya déteste par-dessus tout : le froid, le bruit, les gens. Lorsqu'elle se retrouve contrainte de s'ajouter à un groupe d'ados à problèmes pour un stage de voile, c'est donc un peu comme si on lui avançait son apocalypse personnelle sur un plateau d'argent. [ Attention, mise à jour du 1er chapitre pas encore validée par les modérateurs, d'où incohérences ! ]
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NeN (Masculin), le 18/05/2014




Chapitre 6: D'une brise légère



— Hey, Naruto. La vue est canon d'ici, hein ?

Il avait détourné la tête avec un grognement, peu enclin à supporter un nouveau sermon moralisateur, mais Tenten s'était laissée tomber à côté de lui en soupirant d'aise et s'était s'étirée avant de lui adresser un grand sourire.

— Dis, j'me souviens plus de c'que t'avais dit à ce sujet, mais tu viens d'où déjà ? avait-elle alors demandé, les bras toujours tendus au-dessus de sa tête.

— J'ai jamais rien dit à ce sujet, avait bougonné Naruto.

Elle avait rigolé, fait craquer ses épaules et baissé les bras pour mieux s'étendre sur les tuiles. Elle était aussi à l'aise au sommet de ce toit qu'au beau milieu d'une plage.

— Et alors, tu viens d'où ?

Il lui avait jeté un nouveau coup d'œil, encore méfiant de la voir lui adresser la parole comme si de rien n'était. Les gens qui ne jugeaient pas les autres, il avait toujours trouvé ça bizarre.

— En ce moment, du côté de Rennes, avait-il finalement répondu.

— Pourquoi en ce moment ?

— On déménage beaucoup. Mes parents aiment bouger.

— C'est étonnant, avait fait remarquer Tenten.

Naruto avait haussé les épaules et desserré un peu ses bras croisés.

— Pour la petite histoire, c'est à cause de ma mère, avait-il alors raconté sans vraiment savoir pourquoi. Depuis que sa famille a éclaté et qu'elle a perdu ses attaches géographiques, elle se sent plus nulle part chez elle. Du coup, elle et mon père voyagent en permanence.

— Alors tu es un enfant de la route, avait rigolé Tenten.

La poésie du propos avait arraché un sourire à Naruto, chassant un peu plus loin l'amertume de sa dispute.

— Tu crois pas si bien dire. Je suis né dans un avion longue course, juste au-dessus de l'Antarctique.

— Cool, avait sifflé Tenten.

Il y avait eu un silence tranquille ensuite, traversé par une bourrasque chargée d'air chaud, puis Tenten avait repris :

— Tu sais, moi aussi je viens de loin. J'vais te révéler un truc…

— Quoi, que t'es adoptée ?

Un second coup de vent était venu s'engouffrer dans la bouche grande ouverte de la jeune fille. A sa gauche, Naruto ricanait.

— S'cuse-moi, mais ça se voit à trois kilomètres. Et puis, "je sais ce que ça fait de ne pas avoir de famille"…

— T'as écouté notre conversation ! Ça se fait trop pas !

— Je passais juste. De toute façon, entre ton physique et ta dégaine, j'aurais deviné quand même. Donc tu viens d'où ?

— T'as qu'à deviner, puisque t'es si malin, avait rétorqué Tenten, vexée.

— Je suis mauvais aux devinettes. Indonésie ? Vietnam ? Corée du nord ?

— Chine.

— Ni hao, avait alors fait Naruto en plissant les yeux.

Tenten s'était mise à rire.

— T'as un accent trop moisi.



Tayuya ferma le robinet et leva la tête face au miroir.

Ses cheveux fraîchement lavés gouttaient doucement autour de son visage. Leur couleur avait changé sous l'effet du soleil, le fauve s'éclaircissait par endroit pour laisser de grandes traînées dorées au milieu du flot rougeoyant.

Tayuya s’approcha encore de la glace : le coup de bôme reçu au début de la semaine avait fait sur son front un bleu impressionnant qui ne s’estompait pas. Sa main brûlée ne lui faisait plus mal mais conservait encore quelques cloques blanches et sa paume comptait les nombreux accros de ses blessures successives.

Encore dix jours de stage, caclula-t-elle tout en détaillant les gerçures laissées par le soleil sur ses lèvres livides. A quoi allait-elle ressembler, à la fin ?

Récupérant sa serviette mouillée qui pendait sur le haut de la douche, Tayuya ouvrit la porte de la salle de bain sans un bruit. Sur la mezzanine, toutes les filles dormaient et elle ne comptait pas les déranger.

Elle descendit précautionneusement les escaliers et sortit du hangar en enfilant son pull. Le soleil venait de se lever et brillait timidement dans le ciel dégagé, la mer était tranquille et pas un signe de vie ne provenait de la maison de granit. Instant de plénitude.

Un goéland passa en vol plané au-dessus du hangar, puis disparut par-dessus la cime des pins en criant. Le regard de Tayuya, attiré par le mouvement du volatile, accrocha la silhouette sombre assise sur le toit de leur dortoir : Gaara, comme chaque matin. Ce type passait plus de temps là-haut que dans son lit.

Tayuya s’éloigna vers le rivage et chercha un rocher suffisamment grand et plat pour pouvoir s’y étendre sans risquer de se retrouver à l’eau. Un quart d’heure plus tard, elle était presque assoupie sur le granit, bercée pas le clapotis des vagues et le bruit de la brise dans les arbres, quand une ombre vint couvrir son visage. Tayuya entrouvrit un oeil : Kiba lui souriait de toute sa hauteur, debout devant sa tête.

— Casse-toi de mon soleil, dit-elle.

— Bonjour à toi aussi, ma belle, répliqua l'autre perturbateur.

Il s'assit comme s'il y avait été invité et caressa la tête de son chien qui le suivait. La bestiole se frotta un instant contre sa jambe, puis jugea intelligent de venir japper dans les oreilles de Tayuya qui venait seulement de refermer son œil.

— Putain, dégage, le clebs…

— C'est notre dernier jour de voile légère, fit Kiba d'un air absent.

— Et qu'est-ce que tu veux que j'en ai à foutre ?

C'était la deuxième fois qu'il venait la faire chier alors qu'elle espérait profiter d'un instant de calme avant le déferlement de la journée. Ce type devait avoir été spécialement conçu pour lui pourrir la vie.

— Et ta famille ?

— Quoi, ma famille ?

— Ben… Comment sont tes parents, si t'as des frères et sœurs…

Tayuya souleva le bras qui lui protégeait le visage du soleil et regarda Kiba d’un œil méfiant.

— Le jour où ça te regardera, j'te ferais signe.

Il s’énerva aussi soudainement qu'il avait amené le sujet :

— C’est pas non plus complètement indiscret de demander à quelqu’un ses origines ! On sait tous que Sakura, Ino et Shikamaru sont des enfants uniques, que la mère de Sasuke est femme au foyer, que c'est la merde chez les Hyûga depuis le divorce de leurs parents et que le père de Naruto est un type génial ! Y'a que toi qu’as rien raconté hier, au dîner !

— Faux, répliqua Tayuya. Les Sabaku ont rien lâché non plus.

— Ouais mais eux, c'est des cas !

Tayuya se redressa, faisant tomber Akamaru sur ses genoux.

— Et on sait toujours pas c'est quoi son blème, à Gaara, continua-t-elle. Parce qu’il a un truc, ce type.

— Il est juste renfermé, non ?

— Il a pas décroché un mot du stage et il passe ses nuits perché en haut d'un toit, p't'être bien dans les deux sens du terme. Si c'est ça, être renfermé, ça relève du soin en hôpital psychiatrique.

L'observation inattendue eut le mérite de fermer sa grande gueule à ce petit crétin. Il reporta un regard suspicieux sur le paysage alors que son chien se mettait à aboyer comme un dingue, jusqu'à ce que Kiba lui-même s'impatiente :

— C’est bon, Akamaru, ferme-la !

L'autre clébard redoubla d'éloquence, parfaitement indifférent aux injonctions répétées que lui lança son maître qui ne savait décidément même pas se faire respecter par un animal.

— T'imagine pas à quel point ça fait pitié de voir quelqu’un se disputer avec son chien, lui dit alors Tayuya.

— On s'en fout, protesta Kiba en se détournant d'Akamaru. Moi, je trouve que vous vous ressemblez, Gaara et toi.

— Qu'est-ce que tu chies encore ?

— Vous êtes tous les deux des asociaux de première et vous faites comme si le monde entier vous concernait pas. Mais en fait, vous êtes justes méga farouches, chacun à votre manière. Et on voit que ça vient de loin. C'est quoi, ton histoire, Tayu ?

— Ne m'appelle pas comme ça.

Il se pencha vers elle, posant la main sur le granit pour se rapprocher.

— Dis-moi, insista-t-il d'une voix basse qui lui donnait l'air sérieux. D'où tu viens ? De qui tu viens ? Qu'est-ce qu'il s'est passé dans ta vie pour que tu sois comme ça ?

— Tu vas la claper où faut que je le fasse moi-même ? s'emporta Tayuya en bondissant soudain sur ses pieds.

A sa grande irritation, il se mit à rire comme si elle venait de lui raconter la blague du siècle. Elle pensa d'abord à lui envoyer son poing dans la gueule, mais choisit plutôt de saisir Akamaru par la peau du cou et le suspendre au-dessus de l’eau.

— J’te préviens, je le lâche !

Cela ne parut pas impressionner Kiba le moins du monde.

— J’vais t’apprendre un truc, chérie : les chiens savent nager !

— OK, fit Tayuya en reposant la bestiole.

Elle attrapa alors l'autre imbécile par le devant de son blouson et le balança à la flotte, pour la deuxième fois du stage – chacun son tour, pas vrai ? Une gerbe d’écume jaillit à l’endroit où il était tombé et sa tête réapparut quelques secondes plus tard :

— Aaaah, espèce de… Elle est gelée !

— Ou s’rait le plaisir sinon ?

Il se hissa péniblement sur le granit puis se redressa devant elle d'un air féroce. Pas impressionnée pour deux sous, Tayuya leva le menton.

— Quoi, tu veux te battre ?

— Arrête de faire genre, ricana-t-il. Tu crois que tu m'fais peur, avec tes petits poings ?

Ses petits poings se resserrèrent en deux masses compactes qui fusèrent soudain en direction de ses côtes. Il ralentit le geste de justesse et voulut la repousser, mais elle l'esquiva et percuta son ventre du coude.

Il n'était pas sûr d'avoir bien compris l'évolution de la situation, mais il dût bien admettre qu'ils étaient finalement en train de se battre lorsqu'elle tordit le bras qu'il avait jeté entre eux. Il n'hésita plus à la frapper quand ses jointures s'enfoncèrent à nouveau dans son flanc et attrapa son poignet ; déjà elle lui faisait lâcher prise d'un revers de main et fondait à nouveau sur lui comme un bloc dur et agressif.

Ses coups étaient secs, précis, maîtrisés. Rien à voir avec sa lutte instinctive. Il était plus grand, plus fort et plus massif, et pourtant il avait l'impression de chercher à atteindre une violente bourrasque qui lui glissait entre les doigts.

Il comprit brutalement qu'elle dominait déjà ce combat. Elle s'était glissée dès le début sur une dimension de mouvement différente de la sienne et ce décalage suffisait à retourner chacun de ses gestes contre lui.

A peine en avait-il pris conscience qu'une épaule percuta son thorax et lui fit perdre l'équilibre ; il bascula en arrière et tomba à nouveau dans la mer qui venait battre contre le rocher. La lutte n'avait pas duré une minute.

— Jamais deux sans trois, déclara Tayuya en remettant son pull en place. Elle est bonne ?

Il toussa violemment pour recracher l'eau qui s'était engouffrée dans ses poumons et releva aussitôt la tête pour lui jeter un regard noir. Ses côtes l'élançaient douloureusement et elle, elle le toisait depuis son rocher, plus méprisante que jamais.

Une petite voix en provenance du talus coupa cependant court au face-à-face glacial dans lequel ils s'étaient figés :

— Heu… Hum, est-ce que vous avez besoin d’aide ?

Ils se retournèrent : Hinata les observaient, habillée d’un corsaire et d'un t-shirt trop grand. Kiba se mit aussitôt à bafouiller :

— Non, non, ça va aller, t’en fais pas !

— Je… Je vais aller chercher une serviette, décida la jeune fille en disparaissant.

Tayuya attendit qu’Hinata se fût éloignée pour se tourner vers l'autre d’un air goguenard.

— Ben alors, Kiba-la-grande-gueule ne trouve plus ses mots devant la jolie petite Hyûga ?

— La ferme !

Mais elle remonta sur l'herbe en ricanant. Cette fois, la victoire était pour elle.

La double victoire, même.

____


Le vent faisait claquer les voiles et ébouriffait leurs cheveux.

Les deux coques du catamaran fendaient l'eau avec un bruissement familier, poussé par toute cette toile bariolée qu'ils finissaient par savoir maîtriser. Postée à la barre, Tayuya gardait son visage tourné vers l'horizon sans vraiment écouter le bavardage de ses deux coéquipiers.

Elle prenait enfin le temps de regarder au-delà des premières vagues, de lâcher un peu la mécanique complexe de leur bateau pour voir et sentir l'univers qui l'entourait.

Tout apparaissait si simple alors. Il y avait la terre derrière eux, l'horizon devant et tout autour cette mer uniforme et miroitante qui leur ouvrait tous les chemins.

Elle avait l'impression qu'il lui suffisait de mettre le cap au large pour s'éloigner de tout ce qu'elle haïssait et disparaître à jamais entre le soleil et l'eau. Elle aurait aimé pouvoir se perdre ainsi, s'évaporer sur la crête aiguisée des vagues comme tous ces marins disparus en mer sans plus devoir s'encombrer des lourdes attaches qui la reliaient au monde compact et dur de la côte.

— Aïe !

— Ha ha, encore un ongle de pété, blondasse !

— C'était mon dernier !

Tayuya jeta un regard courroucé aux deux boulets qui rigolaient sur le trapèze. Pourquoi était-elle la seule à apprécier le silence ? Pourquoi personne d'autre qu'elle n'avait ce gouffre dans sa poitrine pour engloutir tous les éclats qui jaillissaient des crépitements de la vie qu'ils partageaient depuis dix jours ?

Elle n'avait jamais réussi à voir une forme d'injustice dans ce genre de chose. Le monde lui avait trop souvent rappelé les vraies couleurs de la réalité pour qu'elle puisse encore s'illusionner d'un bonheur mal réparti. Après tout, ils y étaient tous pieds joints, dans ce marécage sombre et visqueux.

Y'en avait juste qui le voyaient plus que d'autres.

— Il est temps de rentrer, les jeunes ! brailla Gai depuis son zodiac. Le déjeuner nous attend !

Le virage de bord s'effectua dans une grande courbe qui les ramena vers la plage. Mettre le catamaran face au vent, relever les palans ; Tayuya se dévoua et sauta dans l’eau pour maintenir le bateau. Naturellement, elle atterrit sur l'unique galet pointu de la plage et se défonça le pied. Le hurlement qui jaillit de sa gorge fit s'envoler tout un essaim de mouettes agglutinées sur le sable.

— Tayu ? Ça va ? s’empressa de demander Ino en se penchant par-dessus la coque.

— Grmbbll…

Le catamaran commençait à dériver ; Tayuya l’attrapa de justesse par les câbles d’avant et s'écorcha les doigts par-dessus la brûlure pas encore tout à fait cicatrisée que lui avait faite Temari.

— Et merde !

— Tayu ? Ça va ?

— Bon, Ino, tu vas chercher cette putain de remorque à la con ou tu fais des gaufres ? gueula-t-elle en retour.

Ino se jeta par-dessus bord et barbota avec empressement vers le rivage. Enfoncée dans l'eau jusqu'à la poitrine, Tayuya se mordait la lèvre avec fureur. Le sang qui coulait sur son poignet imprégnait la manche de sa combinaison et elle sentait déjà le sel s'attaquer à l'éraflure. Pour achever de compliquer les choses, les vagues s'acharnaient à secouer le catamaran de violentes embardées qui finirent par lui faire perdre pied.

— Bon sang !

Tayuya battit désespérément des jambes mais se sentit dériver sans parvenir à retrouver le fond. Soudain, une main large et chaude s’abattit sur sa nuque et la ramena vers le bas :

— Toi, t'es douée pour mettre des gnons, mais t'es pas foutue de retenir un pauvre catamaran, lança Kiba d’un ton impitoyable.

— Arrêtes tes conneries et prend ma place ! le coupa Tayuya. J’ai les mains massacrées !

— Ça t'apprendra à faire n'importe quoi avec.

— Putain, mais tu vas pas chouiner non plus ?! S'rait temps que t'apprennes à assumer les conséquences de c'que tu provoques ! Mon poing dans la gueule, tu l'as cherché depuis le début, viens pas te plaindre de l'avoir trouvé !

Piqué au vif, il la poussa violemment pour s'emparer des câbles du bateau et elle se rapprocha des eaux moins profondes en soufflant sur sa paume ensanglantée. Une partie d'elle-même aurait voulu repartir aussitôt vers le large. Il ne lui arrivait décidément que des merdes dès qu'elle s'approchait du rivage.
Elle n'était pas faite pour vivre sur terre.

____


Encore vêtue de ses habits humides, Tayuya fouillait frénétiquement dans l'armoire à pharmacie de la cuisine en quête de la boîte de sparadraps. Elle venait de mettre la main dessus quand toute une étagère se renversa soudain, déversant son contenu sur le carrelage.

— Et putain de bordel de merde ! explosa Tayuya qui en avait par-dessus la tête. Stage à la con ! J'aurais jamais dû venir ici !

— A… Attends, je vais t'aider, proposa une voix timide.

Surprise de ne plus être seule dans la pièce, Tayuya sursauta quand elle remarqua Hinata. En quelques gestes, la jeune fille l'avait aidée à ramasser boîtes et flacons et commençait déjà à dérouler une bande pharmaceutique.

— Oh là là, tu t'es blessée par-dessus ta…

— Ouais, j'avais remarqué ! Donne-moi ça !

Mais Tayuya avait à peine pris la bouteille d'alcool à désinfecter qu'elle en renversa le contenu sur ses jointures à vif. Rendant précipitamment le flacon à Hinata, elle secoua sa main en retenant entre ses dents serrées à l'extrême toute une flopée de jurons.

— Je… Je vais peut-être le faire ?

Hinata noya la coupure fraîchement nettoyée sous un spray de désinfectant et déballa un pansement étanche. Les dents serrées, Tayuya s'efforçait d'ignorer la brûlure de sa main en regardant ailleurs

— Tu te blesses souvent, non ? demanda doucement la jeune fille en appuyant délicatement sur les bords du pansement pour le faire adhérer à la peau gondolée par l'humidité.

Tayuya reporta son regard sur son visage de porcelaine sans répondre. Elle avait vraiment de beaux yeux. De beaux yeux tristes.

Cette fille était une extraterrestre.

— Hinata, tu es là ?

La mince silhouette de Neji s'était dessinée dans l'encadrement de la porte du réfectoire. Il avisa la scène d'un coup d'œil, puis vint s'asseoir près d'elles à la table déjà dressée pour le déjeuner.

Hinata s'était tendue d'un sourire nerveusement étiré. Ses doigts ripèrent sur la paume blessée et elle dût s'y reprendre à deux fois pour achever de mettre le pansement en place. Tayuya se laissait faire en silence, observant sans soucis de discrétion ce jeune homme si solide qui contrastait tant avec la vulnérabilité de sa cousine.

Son regard était complètement différent.

— Hé, l'interpella Tayuya. Pourquoi tu t'acharnes à jouer les chiens de garde alors que ça ce voit à trois kilomètres que tu la supportes pas ?

Elle n'eut pas besoin de préciser de qui elle parlait ; les petits doigts d'Hinata dérapèrent à nouveau sur sa paume tandis que Neji tournait vers Tayuya un visage redessiné d'un mélange de surprise et de méfiance. La même immobilité glacée s'était emparée des deux cousins.

— Pardon ?

— Qu'est-ce que vous foutez à ce stage ?

La question était visiblement la bonne. Une nuance de colère s'éveilla dans les yeux opales de Neji et Tayuya se demanda s'il allait vraiment lui répondre, mais Tenten et Ino entrèrent soudain dans le réfectoire en bavardant gaiement. Hinata profita de la diversion pour se lever et s'enfuir vers le placard à pharmacie en remballant son matériel alors que les deux filles venaient s'installer près d'eux.

— Paraît qu'on va faire un truc trop cool cet aprèm, j'ai hâte de savoir ce que ça va être, s'enthousiasmait Tenten. C'est trop dommage qu'on arrête déjà le catamaran, j'aimais bien ! Hé, Neji, regarde…

Elle tendait un coquillage nacré visiblement trouvé le matin même. La chose était fendue et attaquée par le sel, mais Neji y posa des yeux attentifs ; lorsqu'il releva la tête, la tempête qui avait commencée à se lever en lui un instant auparavant s'était de nouveau muée en brise légère.

— Tiens, cadeau, fit Tenten en lui mettant le coquillage dans la main.

Il était difficile de ne pas aimer cette fille, constata Tayuya alors que la discussion reprenait.

— Bien, on se dépêche de déjeuner, un programme chargé nous attend ! déclara Gai en entrant dans le réfectoire d'un pas énergique, suivi par le reste des troupes. Asuma, Kurenai, vous avez pu préparer vos zodiacs ?

— Pourquoi faut tant de monos cet aprèm ? s'interpella aussitôt Shikamaru avec méfiance. On va faire un truc dangereux ?

— Mais non ! Vous allez juste vous entraîner à dessaler.

— A quoi ?

— A dessaler… A chavirer, quoi !

Temari trébucha sur le pas de la porte :

— On… on va faire exprès de faire couler les bateaux ?

Gaï éclata d'un rire tonitruant qui eut le don de faire croître l'inquiétude de manière exponentielle chez les stagiaires qui s'asseyaient.

— Voyons, vous ne ferez pas couler les bateaux ! Seulement les renverser ! C'est un exercice très important pour vous apprendre à ne pas avoir peur du dessalage et à rétablir votre catamaran. Vous allez voir, c'est très amusant !

— J'ai juste une question, demanda timidement Sakura. Pourquoi est-ce qu'on apprend ça le dernier jour ?

— Parce que le temps s'y prête, voyons !

— Non mais je voulais dire… Ça va plus nous être très utile maintenant, non ?

— Il n'y a rien d'inutile dans ce monde magnifique qu'est le nôtre ! Toute expérience est enrichissante et permet l'épanouissement de…

— Elle essaye de vous faire comprendre que c'est complètement con de faire ça alors qu'on remontera plus jamais sur un catamaran, le coupa violemment Sasuke.

— Ouais, elle a raison : ça nous servira plus à rien, renchérit Naruto.

L'alliance inattendue de cette petite équipe aux rapports si compliqués ne choqua même pas Gai qui noya le poisson avec une assurance étonnante. Les trois adolescents échangèrent un regard partagé entre l'inquiétude et la contrariété, aussitôt relayé par le reste des stagiaires.

Pourquoi ce moniteur s'évertuait-il à faire de ses cours des séances de stress intense ?

____


Les stagiaires avaient instinctivement regroupés les bateaux autour du zodiac de Kurenai, délaissant ceux des autres moniteurs. Par un instinct pas forcément fondé, ils avaient estimé que la jeune femme inspirait davantage confiance que ses collègues.

— Bon, alors, une fois éloignés les uns des autres, voilà ce que vous ferez : face au vent, voiles lâchées, comme pour se mettre à la cape. On essaiera avec de la vitesse plus tard. Une fois immobilisés, tout l'équipage s'aligne le long de l'une des coques et s'accroche aux haubans… Le but est de se pencher par-dessus bord afin de déséquilibrer le bateau et le faire tomber de manière à ce que le mât soit couché dans l'eau…

Les explications étaient longues et compliquées, mais il s'avéra finalement que faire chavirer son bateau était plutôt facile. Et même carrément amusant, pensa Tayuya en se jetant à l'eau derrière Ino.

Avec un claquement sonore, leur mât s’abattit à côté d’elles et la voile se gonfla d’eau. Kiba nageait déjà pour contourner l'embarcation renversée sur le côté ; Tayuya et Ino le rejoignirent et ils grimpèrent sur la coque restée immergée pour se plaquer contre la toile trempée du trapèze.

D'un même ensemble, leurs mains se tendirent pour attraper les sangles qui pendaient de la coque dressée au-dessus de leurs têtes et ils pesèrent de tout leur poids pour amorcer le mouvement de bascule qui la ramènerait vers la mer. La grand-voile s'arracha de la surface avec un bruit de succion et le petit équipage se laissa à nouveau tomber à l'eau en se propulsant juste assez loin pour éviter le rabattage brutal du catamaran.

Le bateau se rétablit en cliquetant et ils eurent un sourire satisfait : troisième dessalage réussi.

Les choses ne fonctionnaient pas aussi bien chez les autres, remarqua Tayuya alors qu'ils se hissaient à bord. L'équipage le plus proche était celui de Shikamaru et ils entendaient d'ici les protestations paniquées de Temari qui semblait n'apprécier que moyennement l'exercice. Plus loin, c'étaient Tenten, Neji et Gaara qui appelaient à l'aide :

— M'sieur ! On n'y arrive pas ! On est trop légers !

— Pas de panique ! Je suis là ! clamait Gai en rejoignant leur catamaran résolument couché sur le côté.

Il arrêta son zodiac à proximité, provoquant une série de vagues qui faillit les faire tomber de la coque sur laquelle ils s'étaient rassemblés, et se pencha pour soulever la pointe du mât resté immergé. L'impulsion suffit à décoller la voile de l'eau et d'un effort combiné, le trio parvint à redresser le bateau.

— On s'en tire plutôt bien, hein ? observa joyeusement Ino qui regardait elle aussi les autres se dépatouiller dans leur galère.

— M'sieur ! M'sieur ! On a un problème !

Tayuya se pencha pour identifier Naruto, Sasuke et Sakura qui gesticulaient par-dessus l'épaule de Kiba, enfoncés dans l'eau jusqu'au cou : leur catamaran s'étant intégralement retourné et elle ne voyait de lui plus que ses deux coques luisantes. Là encore, ce fut Gai qui fut sur place le premier :

— Ha ha, trop de zèle, les jeunes, j'aime ça ! Il va falloir aller chercher le mât au fond de l'eau. Quelqu'un aime la plongée sous-marine ?

— Mais vous êtes fou ?! Il est à la perpendiculaire de la surface, c'est super profond !

— Pas de panique, soupira Kakashi en arrivant à son tour. Bloquez l'écoute de grand-voile dans son taquet et passez-la moi. On va commencer par le faire passer sur une coque avec l'aide du zodiac, puis vous pourrez finir normalement…

— Bon, on s'en refait un ? proposa Kiba alors que l'équipage entamait la manœuvre.

— C'est parti !

____


Ils dessalèrent encore deux fois avant de s'affaler sur la toile du trapèze, épuisés. Gai rassembla alors les bateaux et annonça un changement de consigne :

— Nouvel exercice ! Faites-vous chavirer les uns les autres !

— Quoi ?

— Ha ha, génial !

Tayuya avait à peine compris qu'ils se faisaient déjà aborder dans un grand choc. Naruto et Sakura sautèrent aussitôt sur leur bateau et se pendirent aux haubans en rigolant comme des idiots tandis qu'Ino sautait sur ses pieds :

— Hé ! Hé mais non !

Trop tard : ils basculaient déjà et tout le monde fut propulsé à l'eau. Un second bateau les rejoignit, puis un troisième, et ils se retrouvèrent bientôt à se battre plutôt qu'à poursuivre l'exercice demandé.

— Prend ça ! gueulait Kiba en poussant Naruto par-dessus bord.

— J'vais te venger, Naruto ! brailla aussitôt Tenten en se jetant sur Kiba.

— Solidarité féminine ! s'exclama Ino en venant lui donner un coup de main.

— Ino, traîtresse !

— Hé, vous, là-bas ! Vous devez dessaler, pas vous envoyer à la baille !

— Ouais ouais, on y travaille, m'sieur !

C'était le grand capharnaüm. Tayuya se retrouva bientôt sur le même bateau que Temari et Gaara, seule embarcation légèrement épargnée par l'assaut général, et observa la bataille en silence jusqu'à ce qu'ils se firent attaquer à leur tour.

— Dégage ! Non mais dégage ! glapit Temari alors qu'Ino lui sautait dessus.

Elle fut sauvée par l'aide inattendue de ses deux frères qui éjectèrent rapidement la blondasse par-dessus bord, puis fut traîtreusement entraînée par Shikamaru que personne n'avait vu venir. Son air effaré lorsqu'elle émergea ne lui arracha qu'un sourire tranquille :

— Tu vois, tu t'y fais, dit-il.

— Tu vas voir si je m'y fais, grogna Temari en se hissant à bord pour se jeter sur lui.

— Okay, à ton tour, Tayuya, déclara Ino qui venait juste de remonter.

— Essaye même pas !

— Oups, désolé Hinata ! s'excusa la voix de Naruto plus loin. C'était pas toi que je voulais foutre à l'eau !

Il se aussitôt fit happer par Neji qui était pourtant resté à l'écart depuis le début :

— Tu vas voir si tu es désolé.

Finalement poussée à l'eau par l'effort combiné de Kiba et Ino, Tayuya battit des bras pour rester à la surface tout en jetant un œil aux zodiacs des moniteurs rassemblés à quelques brasses de là. La fumée de la cigarette d'Asuma s'élevait tranquillement de leur petit poste d'observation.

— Je crois que les exercices de dessalage finissent toujours de la même façon, fit remarquer Kurenai.

____


Tayuya tremblait encore de froid lorsqu'elle s'enfonça dans un fauteuil du salon après le dîner. Ses cheveux humides la démangeaient et elle les rabattit en arrière d'un grand geste de la main alors que derrière elle, les joueurs de carte s'essayaient plutôt au petit bac.

Elle ne vit pas que Kiba l'avait rejointe jusqu'à ce qu'il se laisse tomber sur l'accoudoir de son fauteuil. Ce type finissait sérieusement par l'horripiler. Que cherchait-il avec sa persévérance, ce gamin orphelin ? Elle n'était pas sa mère, elle n'était pas sa soeur. Elle n'était pas ce quelqu'un dont il parlait et dont tout le monde aurait besoin, elle ne le serait jamais.

Alors quoi ?

Il agitait un paquet de carte :

— Une petite bataille ?

— Va chier.

Il rempocha le jeu sans insister, visiblement peu surpris par la réaction. Et soudain, sans prévenir, presque comme s'il n'avait pas conscience du mouvement, il tendit une main vers son épaule.

Elle lui jeta un regard si menaçant qu'il s'attendait presque à l'entendre gronder. Il interrompit alors son geste et remit nerveusement sa main sur sa cuisse.

— Qu'est-ce que t'attends pour foutre le camp ? finit par lui jeter Tayuya alors qu'il restait là, en équilibre sur son accoudoir.

— Tu sais, mon père disait que l'agressivité était une façon de dissimuler sa peur des autres.

Elle lui jeta un regard acéré. Est-ce que la manie qu'il avait de s'amuser à analyser les autres venait de son père ? C'était pathétique. Il était pathétique.

— Il avait pas tord. T'es comme ça, vraiment. Mon père…

Mais elle le coupa soudain, avec une violence franche qu'elle n'utilisait pas si souvent que ça :

— T'as bientôt fini avec tes observations à deux balles ? T'as toujours pas compris que c'était que des conneries ?

Il s'était interrompu, les sourcils froncés en une mimique contrariée. Comme il ne captait toujours pas, elle enchaîna impitoyablement :

— Il est où, ton père ? Il est où, ce type que tu cherches partout dans les autres ? Ce bâtard qui t'a planté comme un chien et que t'essaye de retrouver en moi ? J'suis pas ton vieux, gueule de clown, et je le serais jamais. Ton vieux, il s'est barré la queue entre les jambes. Il voulait pas de toi, ton vieux, il voulait pas de toi. Alors arrête. Arrête.

Elle se leva pour partir, laissant ce gosse aux prises avec la réalité qui lui tombait dessus comme un seau d'eau froide, mais Ino lui sauta soudain dessus et elle n'eut pas le réflexe de l'éviter.

— Si c'est comme ça, je me mets avec Tayu !

— Ben vas-y, après toi !

Il y eut des éclats de rire et des remarques en vrac. Complètement paumée, Tayuya essaya de comprendre quelque chose à la scène qu'elle avait sous les yeux : visiblement, Sasuke et Naruto s'étaient de nouveau arrangés pour se retrouver ficelés par leur torchon et dans un élan de solidarité, les autres s'étaient mis en tête de faire de même.

Tenten achevait déjà d'attacher ensemble les chevilles de Shikamaru et Kankurô qui protestaient sous le regard amusé que ne parvenait pas à cacher Temari ; Sakura revint chercher Ino en assurant que mais si, bien sûr qu'elle se mettrait avec elle, puis Tenten attrapa Kiba en agitant une écharpe.

A force de conviction et d'usage de la force, Temari et Hinata se retrouvèrent également liées et il ne resta plus que Tayuya, Neji et Gaara pour représenter la part encore mentalement intacte de la jeunesse actuelle. Précautionneusement reculés contre un mur, ils observèrent avec un mélange de désabusement et de perplexité les duos se diriger vers le couloir en claudiquant avec pour projet d'organiser une super course de la mort à travers toute la maison.

Comment les évènements avaient-ils pu dégénérer ainsi ? se demanda Tayuya alors que tous ces dingues s'élançaient à la poursuite des uns des autres. Comment ces ados qui se parlaient à peine quelques heures plus tôt pouvaient se retrouver à faire les imbéciles d'un même ensemble ? Qu'y gagnaient-ils ?

— Ça doit être la fatigue, diagnostiqua vaguement Neji pour lui-même.

— C'est grave, alors, fit Tayuya en regardant Sasuke et Naruto coopérer vraiment pour la première fois du stage.

Ils étaient complètement crétins – et absolument pas crédibles. Pourtant, Tayuya, Neji et Gaara restèrent là à les regarder se rentrer dedans, bousculer les moniteurs attirés hors de leur quartier général par le bruit et s'encourager à grands cris jusqu'à ce qu'Anko jaillisse à son tour du bureau pour leur gueuler dessus :

— Dites donc, les mômes, c'est quoi ce bordel ? Vous devriez être couchés depuis longtemps ! Au lit, et que ça saute !

— Mayday, mayday ! brailla Naruto en étranglant à moitié Sasuke pour faire demi-tour. Repli stratégique, tout le monde !

Ils s'enfuirent dans le hangar en trébuchant, puis décidèrent de faire comme les deux garçons la veille et de dormir tous côte à côte. Une agitation sans nom gagna alors le dortoir et Tayuya vit passer un matelas sous ses yeux lorsqu'elle mit le pied sur la mezzanine.

— C'était le mien ! s'exclama-t-elle alors que les filles faisaient passer les autres matelas par-dessus la rambarde.

"Ben oui" fut tout ce qu'Ino trouva à lui répondre. Furieuse, Tayuya redescendit tirer son matelas à l'écart de la nappe de couvertures et d'oreillers qui s'étendait désormais au rez-de-chaussée et envoya bouler Tenten lorsqu'elle s'étonna de la voir s'éloigner ainsi du rassemblement général.
Fallait pas se foutre du monde non plus !





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