Fiction: Portsall (terminée)

Il y a trois choses que Tayuya déteste par-dessus tout : le froid, le bruit, les gens. Lorsqu'elle se retrouve contrainte de s'ajouter à un groupe d'ados à problèmes pour un stage de voile, c'est donc un peu comme si on lui avançait son apocalypse personnelle sur un plateau d'argent. [ Attention, mise à jour du 1er chapitre pas encore validée par les modérateurs, d'où incohérences ! ]
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NeN (Masculin), le 14/05/2014




Chapitre 5: Les uns dans les autres



Temari n'aimait pas les filles.

Entre son père, son oncle et ses frères, elle avait toujours vécu dans un environnement exclusivement masculin dont la rudesse et la franchise ne l'avait pas habituée aux circonvolutions complexes de l'esprit féminin.

Du plus loin qu'elle se souvenait, elle s'était toujours sentie en compétition avec elles. Elle ignorait d'où venait cette manie de comparaison et de jugement, mais ça avait suffi à la faire fuir. Elle préférait de loin la compagnie des garçons, plus simples, plus directs, plus naturels. Dans sa tête, toutes les filles étaient niaises comme Ino, gauches comme Sakura ou complexées comme Hinata. Elle ne s'était pas attendue à tomber sur quelqu'un comme Tayuya, qui ne rentrait dans aucune de ces classifications.

C'était aussi sans doute pour cette raison que la présence de Shikamaru ne la dérangeait pas autant que ce qu'elle aurait pu imaginer.



Comme toujours, Shikamaru se réveilla bon dernier.

Ce n'était pas faute d'avoir été prévenu. Entre la sonnerie électronique du portable de Kankurô, les grognements de Naruto, le grincement des marches de l'escalier et le bavardage des filles sur la mezzanine, les occasions de le tirer du sommeil étaient infinies. Mais voilà : il arrivait toujours à se rendormir.

Pas plus pressé que les autres matins, il s'habilla en tirant de son sac les premiers vêtements accessibles et contourna le souk qui s'étalait dans le passage. Après d'interminables stratégies – Suffit que t'échange de place avec Shikamaru et on pourra coller nos lits ! – et d'innombrables prises de tête – Et pourquoi ce serait moi qui échangerait de place ?! –, Sasuke et Naruto avaient fini par parvenir à un compromis en plaçant leurs deux matelas côte à côte sur le sol et pouvoir ainsi se coucher sans défaire le torchon que Kakashi avait menacé de venir inspecter au court de la nuit.

S'ils s'étaient occupés un instant à réfléchir au lieu de s'engueuler, ils auraient assez rapidement compris que le moniteur était bien trop flemmard pour se lever en pleine nuit vérifier s'ils respectaient bien les termes de leur punition, mais comme leur petit arrangement avait eut le mérite d'éviter à Shikamaru de déménager, il n'avait pas pris la peine de leur faire remarquer l'évidence.

Même si cela lui valait de se prendre les pieds dans les couvertures de Naruto en voulant gagner la sortie.
Il arriva juste à temps pour intercepter la cafetière que Tenten était en train d'évacuer vers l'évier et attrapa un toast avant de rejoindre les autres dans le hangar. Les voiles, la charrette, la plage ; ils se retrouvèrent sur l'eau avant même qu'il n'ait eu le temps de se réveiller complètement.

Le silence était pesant dans son équipage, ce matin-là. Chacun enfermé dans un mutisme à l'origine variable, ils évoluaient sans mot dire en écoutant les ordres clamés par Gai depuis son zodiac tout en surveillant du coin de l'œil les vagues un peu trop grosses à leur goût.

C'était chiant, le vent. Quand il n'était pas là, ils râlaient parce qu'ils n'avançaient pas, mais dès qu'il y en avait trop ils s'inquiétaient des mouvements brusques de leur embarcation. Y'avait pas moyen d'avoir un juste milieu ?

— Oh là là, protestait Temari entre ses dents alors qu'une bourrasque faisait à nouveau gîter leur catamaran.

Elle tira encore un peu sur son écoute avant de s'apercevoir qu'elle devait plutôt la relâcher pour ralentir. Sur l'autre bord, Hinata ajusta le foc et redressa la tête dans le vent, les longues mèches de ses cheveux noirs se rabattant sur son visage.

— Dis, vous êtes vraiment pas frères et sœurs, toi et Neji ? lui demanda Shikamaru que la question intriguait suffisamment pour prendre la peine de la poser. Vous vous ressemblez quand même vachement.

— N…Non, nous sommes cousins…

— Pourquoi des frères et sœurs devraient se ressembler ? grogna Temari sans quitter des yeux une vague menaçant qui roulait insidieusement vers eux.

— Ça s'appelle la génétique…

— C'est des conneries.

— On empanne ! hurla Gai depuis l'autre bout de la baie.

— Pas que, renchérit Shikamaru alors qu'ils entamaient la manœuvre. J'dis pas que les caractères doivent forcément se rejoindre, ça c'est plutôt une question d'éducation que de… hooo là !

— Abat ! s'exclama Temari alors que le catamaran penchait dangereusement. Non, lofe !

— Lâche ta voile !

— Attention !

Mais l'empannage fut trop brusque ; Temari essaya de retenir la grand-voile qui battait au vent et eut un mouvement instinctif du bras pour rattraper le point d'écoute qui volait par-dessus bord.

Le temps sembla s'étirer lorsqu'elle comprit qu'elle allait tomber. Shikamaru avait tendu une main par réflexe, mais elle était bien trop loin pour l'attraper et pendant la fraction de seconde que dura le contact de leurs regards entrecroisés, il fut foudroyé par l'étendu de panique terrorisée qui noyait les yeux verts.

Puis elle s'enfonça dans l'eau et disparut pour refaire surface un instant plus tard en suffocant, quelques mètres derrière.

— Au secours ! appela-t-elle entre deux hoquets. Au secours !

— Hinata, on s'arrête, ordonna Shikamaru en faisant volte-face pour s'emparer de l'écoute de grand-voile qui fouettait le trapèze.

Ils se mirent aussitôt à la cape, immobilisant le bateau à une dizaine de mètres de Temari qui battait l'eau de ses bras.

— Venez me chercher ! s'affolait-elle. Au secours !

— Temari, le bateau est à huit mètres de toi, lui dit calmement Shikamaru. Viens, on ne bougera plus.

— Je peux pas ! Je peux pas ! répéta la jeune fille en jetant des regards terrifiés vers le fond qu'elle ne pouvait pas voir.

— Nage. Tu sais nager ?

— Oui, je sais nager !

Elle recracha l'eau qu'elle avait avalée en criant et avança de deux brasses nerveuses, puis bu à nouveau la tasse.

— Je vais pas y arriver ! Je peux pas !

— Si, tu peux. Il n'y a plus de grosses vagues, tu n'as qu'une longueur à faire. Ne regarde pas en bas. Allez.

Ses mouvements trop crispés l'empêchaient d'aller vite. Elle avala encore deux mètres, puis cinq, six, sans quitter du regard ses coéquipiers qui parlaient pour détourner son attention :

— Maintenant que j'y pense, ils nous ont pas fait passer de test pour vérifier qu'on pouvait aller dans l'eau. Tu sais nager, Hinata ?

— Très… Très mal, répondit doucement Hinata en s'adressant à Temari. La dernière fois, j'ai voulu aller jusqu'à une bouée au loin, mais une fois là-bas, j'ai eu trop peur de revenir. J'ai dû attendre que mon oncle vienne me chercher en m'accrochant à l'anneau d'amarrage.

Un rire nerveux gagna Temari à la vision d'une Hinata vissée à une bouée au beau milieu de la mer. Elle gagna encore du terrain et put enfin agripper la main tendue de Shikamaru qui la hissa à bord.

— Tout va bien, sourit-il alors.

Restée à genoux sur le trapèze, Temari lui adressa un signe de tête pantelant. Il se demanda comment elle vivrait le fait qu'ils sachent désormais quel était son point faible.

Temari No Sabaku avait peur de l'eau.

Il n'était pas si surpris que ça : sa nervosité avait été visible avant même qu'ils n'aient mis le pied sur la plage pour la première fois. Soucieux de ne pas insister, Shikamaru se retourna et reprit la barre.

— On repart ? Hinata, les voiles.
____


— Yaaha ! La semaine est finie ! Je vais pouvoir DORMIR ! braillait Kiba en arrachant son imper trempé lorsqu'ils furent enfin revenus dans le hangar à la fin de la journée.

— Hé ! Si on allait se baigner ?

Tout le monde se tourna vers Naruto : avait-il vraiment sérieusement évoqué le fait de retourner à l'eau alors qu'ils avaient attendu avec impatience l'heure bénite où ils seraient enfin délivrés de cette contrainte ? Mais le jeune homme ne se départit pas de son sourire stupide d'imbécile heureux et insista :

— Se baigner vraiment, pas juste tomber à la flotte comme cette semaine… Vous savez, nager, plonger, des trucs comme ça…

— Super idée ! s’exclama Tenten. Je vous défie tous au dos crawlé !

— Défi relevé ! lança contre toute attente Sakura en enlevant ses chaussures de voile. Et je te préviens, je ne suis pas aussi nulle qu’Ino.

Tout le monde avait pu apprécier pendant la semaine le niveau de celle-ci, qui se résumait au barbotage. Face aux regards en coin, Ino se renfrogna et croisa les bras.

— Je sais faire d’autres choses que nager !

— Quoi, cuisiner ? se moqua Kiba avec sa ribambelle de fossette au creux des joues.

Ino lui sauta dessus pour tenter de l'étrangler ; leur bagarre de gamins de cinq ans ne fut interrompue que par l'enthousiasme de Gaï qui avait suivi la conversation avec l'indiscrétion habituelle qui le caractérisait :

— Il y a une vaste et délicieuse plage paradisiaque à deux pas ! Il suffit de suivre le petit chemin qui part de derrière le hangar. Comme promis, vous avez l'après-midi libre. Mais c'est bien parce qu'on est dimanche !
____


Tayuya s’allongea sur son lit et croisa les bras derrière la tête pendant que les filles s’affairaient. Le visage de Temari apparut soudain dans son champ de vision.

— Tu te prépares pas ? demanda-t-elle en fronçant les sourcils.

— Pas de maillot.

Temari fit la moue, mais Ino se pencha à son tour au-dessus du lit en souriant jusqu’aux oreilles.

— Je vais t’en prêter un, moi, de maillot !

— Je t'ai pas sonné, blondasse ! protesta Tayuya alors qu'Ino était déjà partie fouiller dans son sac de voyage avec empressement.

— J’en avais pris plusieurs, au cas où, dit-elle en sortant du sac des poignées de bikinis multicolores. Je crois que j’en ai un qui te plairait…

Tayuya haussa un sourcil et se redressa sur les coudes. Un maillot de bain qui lui plairait ? Comment cette blonde écervelée pouvait-elle affirmer connaître ses goûts ? La remarque semblait avoir été perçue de la même façon par Temari qui leva le nez avec cynisme.

— Tu en as de la chance, Tayuya, clama-t-elle. Barbie Blondasse a non seulement une garde-robe illimitée mais aussi un sens de l'observation suffisamment développé pour se permettre d'habiller les autres.

— Tu veux que je t’en prête un, aussi ? demanda malicieusement Ino en jetant un regard au une-pièce noir que Temari tenait à la main. Le tien devait sans doute être à la mode en 1950.

La pique était plus malicieuse que méchante et Temari s'en aperçut. Son air interloqué et un brin soupçonneux fit penser à Tayuya qu'elle était encore bien loin de comprendre pourquoi Ino lui tendait de telles perches.
Parce que Temari n'avait pas encore cerné ce détail à propos d'Ino : c'était une fille qui proposait des mains. Ce qui ne l'empêchait pas d'être une gourdasse superficielle et lourdingue par ailleurs, se rappela-t-elle quand la gourdasse en question lui fourra d'autorité un deux-pièces vert olive dans les mains.

Tayuya hésita. En temps ordinaire, des adolescents comme eux, frivoles et négligents, ça l'horripilait au plus haut point. Mais là, elle était fatiguée et un peu désorientée, alors elle voulait juste ne pas faire attention et les observer vivre.

Lorsque Tayuya ressortit de la salle de bain quelques minutes plus tard, il y eut un instant de silence sur la mezzanine où les filles finissaient de se préparer. Constatant que tous les regards étaient posés sur elle, Tayuya se sentit raidir.

— Vous voulez ma photo ? aboya-t-elle alors.

Ino sautillait sur place, les mains pressées sur sa bouche pour retenir un gloussement hystérique, puis se fit bousculer par Temari qui prit la place de Tayuya dans la salle de bain. Profitant du détournement d'attention, Tayuya se glissa entre les lits et attrapa le premier T-shirt qu’elle trouva dans son sac. Pas qu'elle soit particulièrement pudique : elle n'avait pas grand-chose à faire de son corps, il n'était qu'un objet à sa disposition. Mais là, la comparaison était trop forte.

Ecartant la mèche qui lui traversait le visage, elle laça ensuite ses baskets et se releva ; Sakura enfournait une demi-douzaine de serviettes-éponges dans un grand sac de plage, Ino farfouillait dans sa valise à la recherche du paréo assorti à son bikini turquoise et Tenten sortait de son sac à dos une casquette rouge qu’elle tendit à Tayuya avec un grand sourire.

— Ce sera plus discret qu’un bonnet de laine, pour se baigner, expliqua-t-elle.

Tayuya hésita, puis se détourna pour retirer son bonnet et retenir ses cheveux d'une main.

— … Merci.

— Vous vous dépêchez, là-haut !

— Ça va, ça vaaa !
____


La « vaste et délicieuse » plage décrite par Gaï était en réalité une petite crique bordée de rochers ronds et granuleux. Peu importaient les abords cependant : la mer roulait à une vingtaine de mètres du chemin sur lequel ils étaient rassemblés, bleue et scintillante, et attirait tous les regards.

— Le dernier à l’eau est une salade d’algues ! cria Naruto.

La moitié des stagiaires se détacha aussitôt du groupe pour se précipiter vers les vagues en poussant des cris de guerre, abandonnant au passage sacs et serviettes. L'autre moitié observa Sasuke et Naruto faire la course et plonger le plus loin possible, Ino pousser une série de petits cris lorsqu’elle sauta dans l’eau qui semblait plutôt froide et Kiba jeter une Tenten hilare entre deux vagues.

Puis Neji et Hinata les rejoignirent tranquillement, Gaara alla s'installer à l'ombre, Tayuya fit de même à cinquante mètres d'écart et Shikamaru se laissa tomber sur le sable pour y caler l'échiquier qu'il avait pris sous le bras.

— On fait la revanche ? proposa-t-il à Temari qui était restée là, encore vêtue d'un débardeur jaune vif.

— Ouais.

Tenten, Sakura et Neji avaient entamé une longueur de crawl à travers la crique, contournant soigneusement Kiba, Hinata et Ino occupés à faire l'étoile de mer. Plus loin, Sasuke et Naruto s'engueulaient déjà pour savoir qui avait le premier éclaboussé l'autre et un petit chien blanc ajoutait sa participation au capharnaüm en aboyant abondamment depuis le sable mouillé.

Attendez une seconde, réalisa Shikamaru avec un temps de retard. Un chien ?

— C'est celui de l'autre avec les tatouages sur la figure, l'informa Temari. Il l'avait depuis le début.

— Oh, fit Shikamaru en retournant à l'échiquier pour déplacer son cavalier.

— Ohé, les rabat-joie ! piailla la voix d'Ino. Lâchez vos pions deux secondes et venez vous baigner !

— Fous-nous la paix !

Manque de chance, Ino préféra plutôt remonter jusqu'à eux pour venir dégouliner sur leur échiquier.

— Allez, elle est trop bonne ! Hé, mais t'es folle, Temari, enlève ton t-shirt ! Tu vas crever de chaud ! Faut pas avoir honte de ton maillot à ce point…

— Dégage ! se défendit Temari avec virulence lorsque Ino fit mine de s'attaquer à son débardeur.

— Bon, Ino, on a une partie en cours, là, soupira Shikamaru. Retourne donc patauger, il est grand temps que t'apprennes à nager.

Elle fit la moue et repartit en sautillant, ses longs cheveux trempés brillant au soleil comme une coulée de miel. Du coin de l'œil, Shikamaru observa la main que Temari avait crispée sur le col de son t-shirt, mais il ne fit aucun commentaire et préféra plutôt lui prendre sa tour. Plus loin, Ino s'en prenait maintenant à Tayuya, sans plus de succès :

— Mais allez, quoi !

— Vas te faire foutre !

Shikamaru tenta de se concentrer sur le jeu, mais les cris furent bientôt suivis d'un grand bruit d'éclaboussure : Kiba et Naruto s'étaient débrouillés pour jeter la ronchon à l'eau et le combat aquatique qui s'ensuivit fit monter encore d'un cran le niveau sonore de cette crique si tranquille avant leur arrivée.

— Ils sont chiants, maugréa Temari en déplaçant son fou.

Elle se retourna pourtant encore une fois pour observer Tayuya couler Kiba avec hargne. De l'autre côté de l'échiquier, Shikamaru attendit qu'elle revienne au jeu sans pouvoir interrompre l'analyse constante et involontaire qu'il faisait du monde qui l'entourait – en l'occurrence, de cette fille juste devant lui.

Ce qui dérangeait Temari, avec Tayuya, c'était qu'elle avait l'intuition qu'elles se ressemblaient plus que ce qu'elle voulait croire. Elles ne s'étaient pourtant pas adressées guère plus que trois mots depuis le début du stage, mais même de loin, leurs comportements trouvaient des échos inattendus.

Il savait qu'elle en était consciente.

— Mais t'es complètement secouée !

— Tu vas en bouffer, du sel !

Et juste quand la bagarre commençait à devenir un peu trop agressive, les intonations légères d'une voix joyeuse sépara les opposants pour proposer plutôt :

— Dites, si on réglait ça avec une petite course ? La ligne d'arrivée est le rocher, là-bas !

Tenten, bien sûr. Cette fille avait quelque chose de magique.

— Je… Je fais l'arbitre, se défila aussitôt Hinata.

— Reste pas trop à la traîne, caïd !

— Ah ouais ? On se retrouve au rocher, gueule de clown !

Ino se dressa hors de l’eau :

— C’EST PARTI ! hurla-t-elle.
____


Le jour tombait doucement sur la crique. Les baigneurs chassés par le froid s'étaient réfugiés au sec sur la plage et avaient entamés la construction d'un grand château de sable difforme alors que le soleil s'évanouissait dans le ciel rouge ; emmitouflé dans sa vareuse, Shikamaru observait la surface de la mer s'enflammer par-dessus leurs tête sans vraiment écouter leurs cris amusés.

Ino, Sakura et Kankurô revinrent de leur chasse aux coquillages et déversèrent leur butin près des douves afin que Tenten puisse entamer la décoration en demandant régulièrement son avis à Neji, assis un peu plus loin. Sakura remonta vers Shikamaru pour récupérer son sac de plage et avisa Sasuke qui frissonnait, enveloppé dans sa serviette humide.

L'attention de Shikamaru se détourna du coucher de soleil pour espionner sereinement le parcours mental de la jeune fille. Elle était si facile à lire que c'en était presque risible, se dit-il en la voyant mettre un gilet tout en jetant des regards furtifs à la silhouette sombre assise plus loin. Ses yeux menthe à l'eau firent quelques allers-retours, fuyant une fois ou deux vers l'horizon, puis elle sortit discrètement sa serviette et s'approcha enfin du jeune homme.

— Sasuke ? Est-ce que tu veux une serviette sèche ? Pour te protéger du froid…

Il leva la tête et ses grands yeux d'onyx semblèrent l'engloutir. Dans un sens, l'absurde simplicité de cette fille avait quelque chose d'attachant. Ou de pathétique, Shikamaru ne savait pas trop. Sasuke avait à peine esquissé un signe de tête qu'elle lui tendait déjà l'étoffe rose dragée ; il la déplia sur ses épaules et sursauta lorsqu'un corps mince et doré vint aussitôt se blottir contre lui.

— Je squatte, j'ai trop froid ! lança joyeusement Ino en renfermant les pans de la serviette autour d'eux.

Il grogna mais ne fit rien pour la repousser, dévoilant involontairement un aspect inattendu de sa personnalité. Ainsi le fier Sasuke était incapable d'ignorer les gestes d'antipathie comme ceux de sympathie. Finalement, en dépit de ses grognements ou de ses répliques acerbes, il se laissait faire, dans l'un comme dans l'autre…

Restée debout en face d'eux, Sakura s'était réveillée aussi efficacement que sous l'effet d'un jet d'eau froide. Elle soutint un instant le regard moqueur d'Ino, puis se détourna pour retourner vers le château d'un pas un peu trop raide pour être naturel. Shikamaru constata qu'il n'était guère surpris. La facilité avec laquelle Ino se propulsait au sommet d'une échelle que Sakura mettait tant de temps à grimper avait quelque chose d'insolent – et d'humiliant.

Sakura avait beau jouir d'une position privilégiée en faisant partie du même équipage que le magnétique Sasuke, sa maladresse et son manque évident de confiance en elle enrayait toutes ses tentatives de rapprochement et elle donnait l'impression de patauger dans quatre-vingt centimètres d'eau là où Ino filait toutes voiles dehors.

Les meufs, soupira alors intérieurement Shikamaru.

— Tu me fais chier ! Va jouer ailleurs avec les autres gosses !

— Ça va, c'est qu'un bernard-l'ermite !

Les mecs, soupira encore Shikamaru alors que Kiba se protégeait le visage d'une giclée de sable.
Comme il répliquait, Tayuya bondit sur ses pieds et se mit à gueuler. Pourquoi leurs moments de détente collective se noyaient dans les disputes à répétition alors qu'ils auraient plutôt dû constituer l'essentiel de leurs journées ?

— Mais sérieux, t'as quel âge ?! Ta mère t'a jamais appris à être autre chose qu'un gros con ?

— Tu sais ce qu'elle te dit, ma mère ?!

— Pourquoi tu souris alors qu'ils sont en train de s'entretuer ?

Shikamaru leva les yeux : Ino s'était approchée sans qu'il ne s'en aperçoive. Elle s'installa à côté de lui et déploya sur leurs épaules la serviette rose dragée pour recréer ce cocon de chaleur qui s'était déchiré lorsque Sasuke s'était levé.

— Ces deux-là sont comme le petit prince et le renard, tu trouves pas ? expliqua-t-il alors en reportant son attention sur le duo qui luttait toujours.

— Qui ça ? Ah, dans de ce bouquin de l'aviateur, là ? Comment s'appelait-il, déjà…

— Antoine de Saint-Exupéry.

— Voilà. Je l'ai lu au collège mais je m'en souviens pas bien. A part du passage où il veut un mouton.

— Le passage du renard est aussi un des moments les plus importants de l'histoire. C'est la réunion de la pensée mécanique et de l'amour, créant la vie. Le cœur et la raison.

— Oui oui, c'est très beau, mais en quoi ça concerne Kib' et Tayu ?

— C'est par rapport à l'apprivoisement. "Si tu m'apprivoise, nous aurons besoin l'un de l'autre"… Kiba est comme un petit prince qui veut apprivoiser le renard-Tayuya.

La théorie laissa Ino un peu déboussolée et il la vit fixer les deux adolescents comme si les observer s'engueuler pourrait lui faire comprendre ce qu'elle était loin d'appréhender. Trop subtil pour une blonde, forcément. Parfois, il se demandait pourquoi ils étaient encore amis.

La démonstration était pourtant évidente, ils l'avaient sous les yeux en permanence, Ino plus que d'autres. Ils voyaient bien à quel point Kiba essayait de maintenir un contact, verbal ou visuel à défaut de physique. Il était curieux, intrigué et déconcerté, attiré et repoussé, amusé et énervé.

Quelque chose l'avait accroché chez cette fille, quelque chose qui le poussait à se faire accepter par tous les moyens possibles, par la provocation, l'insistance, la présence imposée. Il cherchait en elle quelqu'un que Shikamaru n'avait pas encore identifié mais dont il avait de toute évidence désespérément besoin. Un peu comme un gamin chercherait à retenir l'attention de son père qui s'éloignait dans l'ombre.

Alors il essayait encore et encore, il s'approchait de cet animal sauvage à dompter sans se laisser décourager par ses morsures pourtant souvent profondément blessantes, sans cesser de se relever après les mises à terre, sans tenir compte de toutes ces fois où elle lui faisait comprendre qu'entre elle et lui, c'était un gouffre creusé par deux univers contradictoires.

En ressortirait-il intact ? Shikamaru savait déjà que non. Mais après tout, la vie, ça s'apprenait comme ça aussi.
____


Et ça recommençait.

Les cris, les insultes, les "vas te pendre, tu me fais chier !". Puis ça dégénéra, d'un coup, sans prévenir, avec une interjection lancée plus violemment que les autres :

— Dis donc, tu peux parler ! C'est pas moi qui ait un frère hors-la-loi !

Sasuke reçut la réplique comme un coup de marteau sur le crâne. Galvanisé par ce bout de terrain gagné, Naruto avança d'un pas et tapa encore plus haut, encore plus fort.

— Il est mort parce qu'il a déconné et tu sais quoi ? C'est pas de la faute de mon père. C'est de la faute des Uchiha.

Les poings de Sasuke s'étaient serrés si fort qu'il tremblait. La tempête qui s'était levée dans le noir de ses yeux fit s'interrompre Naruto qui resta là à le regarder, le souffle court. Il ne parvenait pas à croire que ces paroles venaient de sortir de sa bouche. Les coups bas, c'était pourtant pas son genre, vraiment pas son genre…

— T'es vraiment qu'un enfoiré, murmura Sasuke d'un ton haineux.

Il lui tourna le dos sans attendre de réponse et s'en alla d'un pas vif, les mains enfoncées dans ses poches. Un peu perdu, Naruto tourna sur place en s'ébouriffant les cheveux avant de se souvenir qu'il n'était pas seul.

— T'es allé trop loin, Naruto ! s'emporta Sakura. Va t'excuser !

— Je peux pas faire ça.

Hochant la tête d'un air à la fois déçu et colérique, la jeune fille s'élança sur les traces de Sasuke en lui lançant au passage un "pauvre type" dédaigneux. Tayuya l'observa s'éloigner puis reporta son attention sur le visage heurté de Naruto.

— Ça te fait du bien d'avoir quelqu'un à détester, hein ? lui balança-t-elle.

Il la regarda dans les yeux pour la première fois, comme s'il venait tout juste de découvrir son existence. Ses lèvres se crispèrent davantage et elle eut un sourire impitoyable. Elle aussi, elle savait parfaitement où appuyer pour faire mal.

Naruto leur tourna le dos à son tour et sortit sur l'esplanade, à l'exact opposé de Sasuke. Devaient-ils aller lui parler ? Shikamaru cherchait à accrocher le regard de quelqu'un pour avoir un avis quand il vit que Tenten s'était déjà levée. Sans un mot, elle traversa le groupe de stagiaires et se glissa à travers la porte entrouverte du couloir.

C'est réglé, se dit alors Shikamaru en s'enfonçant dans le canapé alors que les autres reprenaient le déballage de leurs cartes.

— Et si on faisait un président, plutôt ? lança soudain Kiba. C'est plus marrant que le tarot.

— C'est quoi ?

Une demi-heure plus tard, la partie était devenue si animée que Temari finit par se retourner en pestant.

— Mais faites moins de bruit, bon sang !

Kiba et Ino, les principaux responsables du vacarme, se tassèrent sur le tapis en gloussant. Passablement irritée, Temari retourna à la partie d'échecs en cours en se mordant le pouce tandis qu'en face d'elle, Shikamaru levait la tête : Tenten et Naruto revenaient.

Les deux adolescents entrèrent dans la pièce en riant, et ce fut comme s'il ne s'était rien passé, comme si Naruto ne s'était jamais énervé, comme si personne n'avait été blessé. Que s'étaient-ils dit ? se demanda alors Shikamaru avec curiosité en les observant se jeter dans le canapé pour s'intégrer à la partie de carte en cours.

— Ah, prends ça ! lança Temari devant lui.

Il reporta son attention sur l'échiquier et constata avec satisfaction qu'elle était allègrement tombée dans son piège.

— Tu t'es complètement faite avoir, informa-t-il en dégainant son cavalier.

Il accula la tour par derrière, immobilisant la dernière de ses pièces. Effarée, Temari parcouru le plateau du regard.

— Mais… mais je ne peux plus rien faire, réalisa-t-elle avec un mélange d'incompréhension et d'amertume. Et toi non plus.

— Ouais, soupira Shikamaru. J'ai plus d'idée pour la suite.

— Alors t'as préféré figer le jeu ? Bien joué, bravo ! Comme ça, ni gagnant ni perdant, super !

— On peut considérer que j'ai gagné puisque je t'ai eue malgré tout.

Elle chercha vainement quelque chose à répliquer, mais la cohérence du propos finit par lui arracher un sourire bien involontaire qui le surprit. Ils rangèrent les pièces une à une, leurs doigts se frôlant à chaque passage ; la différence de pigmentation de leurs peaux respectives était plus évidente que jamais alors que leurs mains étaient si proches et Shikamaru se risqua à l'interroger :

— Tu viens vraiment du Thar ?

Elle changea soudain et brutalement, du tout au tout, de façon infiniment subtile pourtant : un frémissement, une tension uniforme, un cran supérieur dans sa solidité. Il eut l'impression que sa question avait dégainé une lame superbement affûtée qui se dressait à présent juste devant lui, menaçante et scintillante.

Temari n'avait pourtant pas interrompu le rangement consciencieux de ses pions ni même levé les yeux ; elle s'était simplement tendue comme la corde métallique d'un arc et il n'osait plus effectuer le moindre geste qui pourrait provoquer le jet de la flèche. Il fut sauvé par le fou noir qui roula par-dessus la table, lui offrant l'occasion de rompre son immobilité prudente, et le ramassa en lançant sur le ton de la conversation :

— Moi, je viens de Lyon. Je sais pas si tu connais, c'est plutôt sympa comme ville.

Elle fit "non" de la tête, encore sur ses gardes. Alors il poursuivit sur le sujet, peignant un tableau subjectif de sa cité jusqu'à ce qu'elle se déride enfin, puis attaqua à nouveau mine de rien :

— … En gros, chaque maire essaye de laisser sa trace en faisant construire une tour un peu plus haute que les précédentes, c'est assez pathétique. Et dans le Thar, c'est pas un peu la merde en ce moment ?

Le brusque hérissement de sa confiance endormie la fit sursauter, mais cette fois, elle le regarda droit dans les yeux. Shikamaru avança encore, dissimulant soigneusement sa prudence sous de la nonchalance.

— C'est un désert coincé contre le Pakistan, c'est ça ? Ça doit pas être la joie aux frontières.
Temari referma alors la boîte de pions d'un coup sec et jeta sèchement :

— Qu'est-ce que tu crois que je fous en France ?

Naturellement, admit Shikamaru alors qu'elle se levait pour aller se coucher à grands pas.

— Décidément, quand c'est pas les uns, c'est les autres, soupira Tenten depuis la table basse.

— Ça fait quoi d'être la seule personne contente d'être là ? demanda placidement Neji.

Shikamaru la vit lui jeter un drôle de regard, puis Ino vint se fourrer dans son fauteuil et l'écrasa à moitié.

— Pourquoi c'est si difficile de vivre ensemble ? soupira-t-elle sans se soucier un instant de ses râlements de protestation.

— Parce que l'être humain est une île.

Elle émit un pouffement désabusé qui fit voler sa frange, puis se cala plus confortablement contre le dossier en broyant son épaule au passage.

— Chôji me manque.

— Tu le reverras, soupira Shikamaru pour ne pas dire : "Oui, à moi aussi."

— Tu sais, parfois, j'me dis qu'on est comme des gens un peu paumés dans un pays inconnu. Et on a tous, genre, un bout de carte, tu vois ? Il suffirait de les assembler pour s'y retrouver.

— Depuis quand tu penses ?

Une bourrade lui arracha un grognement de douleur. Elle dit encore :

— J'sais que tu tiens à ta théorie de l'île, mais tu vois, si c'est vraiment ça, alors on est faits pour vivre en archipel. Parce qu'on a beau être seul sur notre île, là, tu vois, il en reste pas moins qu'on est les uns dans les autres.

Il reporta son regard sur les stagiaires échoués ça et là dans le salon et se dit qu'elle n'avait pas tord, la blonde. Qu'ils le veuillent ou non, ils étaient bel et bien ensemble.
Irrémédiablement ensemble.






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