Fiction: Portsall (terminée)

Il y a trois choses que Tayuya déteste par-dessus tout : le froid, le bruit, les gens. Lorsqu'elle se retrouve contrainte de s'ajouter à un groupe d'ados à problèmes pour un stage de voile, c'est donc un peu comme si on lui avançait son apocalypse personnelle sur un plateau d'argent. [ Attention, mise à jour du 1er chapitre pas encore validée par les modérateurs, d'où incohérences ! ]
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NeN (Masculin), le 04/11/2013




Chapitre 2: Une belle bande de cafards



La bruine tombait sans répit sur la côte, humidifiant les fougères et les toits d'ardoise. Sur une avancée de terrain à peine marquée, l'école de voile prenait place en quelques bâtiments isolés dont les silhouettes massives s'élevaient entre les branches des pins disparaissant dans l'obscurité.

Une traditionnelle maison de granit bordait la route, sereinement blottie dans ses pierres épaisses et son lierre battu par le vent, en partie bordée par une étroite terrasse de bois. Non loin, sous le couvert des arbres, un hangar de tôle abritait les bateaux, puis de l'autre côté de la maison, sur une esplanade d'herbe qui venait dégringoler dans la mer, une vieille grange dressait ses planches en grinçant.

La Jeep surgit au détour de la route en dérapant dans la boue puis s'arrêta brutalement devant les marches du perron, aspergée par l'éclat intermittent que lançait une lampe-tempête accrochée à gauche de la porte vitrée.

Soulagés d'échapper enfin aux cohues du trajet, les stagiaires déplièrent leurs membres ankylosés et descendirent un par un de la benne en atterrissant à tour de rôle dans la même flaque.

— Et putain de merde ! jura Tayuya lorsque l'eau glacée imprégna ses chaussettes.

Dans un éclair de lucidité, elle eut le pressentiment qu'elle ne faisait que commencer à être trempée.

— T'es trop con, rigola Kiba qui descendait derrière elle.

Par réflexe défensif, elle balaya le pied qu'il s'apprêtait à poser au sol et il dû se rattraper à une blonde platine en bousculant trois autres personnes au passage. Au milieu de la vague d'agitation qui secouait tout à coup le petit groupe, un brun aux yeux cernés leur jeta un regard maussade, l'air de dire : "oh galère, commencez pas…"

— Aha ! beugla soudain une voix tonitruante alors que la porte de la maison s'ouvrait à la volée. Voilà nos petits poulains !

Sous le choc, l'un des carreaux se détacha et s'écrasa dans les agapanthes qui encadraient les marches. Tayuya écarta la mèche de cheveux qui lui cachait la vue juste à temps pour reculer d'un pas lorsqu'un homme vêtu d'un anorak vert descendit sur le parking d'une démarche bondissante.

Instantanément rebutée par son allure excessivement enthousiaste, elle recula encore un peu alors qu'il venait à leur rencontre en écartant les bras. Quelque chose dans son physique repoussant contrastait violement avec la chaleur débordante de ses yeux noirs.

— Bienvenue au camp ! déclara-t-il en balayant le paysage nocturne d'un grand geste. Je suis Maito Gai, le meilleur moniteur de la côte d'Armor ! Vous avez fait bon voyage ?

Sans attendre de réponse, il enchaîna :

— Il se fait tard et je sais combien la jeunesse a besoin de sommeil réparateur pour être au meilleur de sa forme, alors suivez-moi en direction de votre dortoir ! Vous y poserez vos valises avant de revenir prendre un bon dîner énergisant préparé par mes soins attentifs. J'espère que vous aimez les cardons !

Tayuya n'avait pas la moindre idée de ce que pouvaient être des cardons, mais la simple sonorité du mot ne lui disait rien qui vaille et elle laissait passer les autres devant elle avec réticence quand deux mains plaquées sur son dos la forcèrent à avancer. Elle n'eut pas besoin du coup d'œil rageur qu'elle jeta par-dessus son épaule pour identifier son agresseur.

— Un peu de courage, caïd, railla Kiba. Tu ressembles à un chien qui veut pas prendre son bain.

Se dégageant d'un geste brusque, elle s'écarta de lui et emboîta le pas à une fille aux cheveux roses en observant la troupe se mettre en route à leurs côtés.

Les visages qu'elle avait détaillés pendant le trajet en Jeep lui devenaient de plus en plus familiers, à commencer par ceux des trois personnes qu'elle avait rencontrées dans le train quelques heures plus tôt.

Son attention avait cependant été rapidement accaparée par deux garçons dont la présence ici était aussi inattendue que contrariante. Uchiha et Uzumaki : deux noms avancés à la lumière de la notoriété, les seuls qui possédaient un visage parmi la masse anonyme des autres stagiaires.

Tayuya savaient qu'ils n'avaient jamais eu l'occasion de se rencontrer auparavant, mais qu'ils s'étaient immédiatement reconnus lorsqu'ils s'étaient retrouvés face à face sur les bancs cabossés de la Jeep. Sans s'adresser le moindre mot, ils se jetaient des regards de loin en semblant encore hésiter entre la curiosité et l'hostilité.

Tayuya avait vaguement entendu parler de l'opposition éternelle entre la police et la gendarmerie, respectivement dirigées par Fugaku Uchiha et Minato Uzumaki. L'un dépendait du département judiciaire, l'autre de l'armée ; dans les deux cas, ils étaient sous les ordres du même premier ministre dont la prochaine élection alimentait les hostilités entre les partis qui voulaient chacun voir leur représentant élu.

Avides de scoops et de sensations fortes, les médias s'étaient emparés de cette rivalité de particuliers pour en faire un combat de boxe public largement étoffé par l'explosion récente de la violence en banlieue. L'heure était aux affrontements ouverts et au dépoussiérage des vieux dossiers.

Le résultat de tout ce brassage d'intérêts, ils l'avaient sous les yeux : deux gamins déjà sur leurs gardes alors qu'ils ne savaient rien l'un de l'autre.

Tayuya ne se faisait plus d'illusions. Elle savait que deux, c'était le nombre parfait pour un duo inséparable… ou un duel à mort. Mais comment faire autre chose que la guerre alors qu'il n'y avait personne sur qui prendre exemple ?

— Essuyez bien vos pieds, recommanda Gai en les faisant entrer dans la maison. Sinon, Anko va me découper en tranches et les donner à manger aux mouettes. Voilà le quartier général, c'est ici que logent les moniteurs !

Les emmenant le long d'un couloir sombre, Gai désigna successivement les différentes portes défraîchies qui s'alignaient sur leur passage.

— A gauche, la cuisine et la salle à manger ; à droite, le salon… N'hésitez pas à venir vous y ressourcer, c'est un véritable havre de paix !

Les stagiaires jetèrent un regard distrait à travers l'embrasure, apercevant brièvement une petite pièce remplie de fauteuils défoncés éparpillés autour d'une cheminée éteinte, puis emboîtèrent le pas au moniteur qui ouvrait déjà la porte au fond du couloir. Ils furent aussitôt assaillis par une bourrasque chargée d'une forte odeur d'algue et de sel.

— Ah, les embruns ! s'extasia Gai en remplissant ses poumons. Rien de tel pour se revigorer, n’est-ce pas, les jeunes ? Et c’est encore meilleur à six heures du matin, vous verrez !

Les stagiaires émirent quelques marmonnements indistincts guère convaincus. Traînant leurs bagages derrière eux, ils traversèrent le pré en trébuchant contre les mottes de terre et finirent par distinguer la masse sombre d'un immense hangar de bois.

— On… On va dormir là ? demanda la blonde du train que l'équilibre précaire de la construction craquant sous le vent avait sortie de son mutisme renfrogné.

— Bien sûr ! Et vous avez vue sur la mer, petits veinards.

— Ce serait super s'il y avait des fenêtres, observa la fille aux chignons en détaillant les murs aveugles.

La bâtisse émit des gémissements inquiétants. Tayuya préféra ne pas la regarder plus longtemps et reporta son attention sur la mer qu'ils voyaient par-dessus la cime des arbres massés en contrebas de l'esplanade. L’eau bouillonnante s’étendait à perte de vue sous un ciel bleu nuit ; la côte escarpée plongeait dans l'océan en un foisonnement d'écueils et un croissant de lune diffusait sa lueur fantomatique à travers l'écran opaque des nuages. Le paysage était grandiose et sauvage.

Inconsciemment, Tayuya déplia ses doigts pour sentir le vent sur ses paumes.

Puis elle respira profondément, enfin.

— Allez, allez, installez-vous vite ! s'impatientait Gai dans son dos. Dès que vous avez fini, on se retrouve dans la salle à manger.

Il referma la porte sitôt le dernier stagiaire entré et les abandonna dans le dortoir. Les adolescents détaillèrent les lieux sans oser aller plus loin : une série de lits s'alignait devant eux tandis qu'un escalier précaire menait à une mezzanine portant l'écriteau "demoiselles". Une ligne d'étroites baies vitrées longeait le rebord du toit, découpant de grands rectangles sombres dans les murs beiges.

La fille aux chignons rompit l'instant de contemplation en claquant des mains.

— Bon, on se présente ? proposa-t-elle. Je m'appelle Tenten et je viens de Laval.

— Moi c'est Ino, et ça c'est Shikamaru, de Lyon, déclara la blonde très maquillée en désignant le garçon apathique qui traînait plus loin. On a été envoyés ici par le directeur de notre bahut.

— Kiba, de Lille !

Tenten pivota ensuite vers son voisin, un grand brun aux cheveux longs affublé d'une espèce de créature frissonnante qui se planquait derrière lui en se tordant les doigts. Ils avaient tous deux de grands yeux clairs et l'allure d'extra-terrestres débarqués dans un monde qui ne leur appartenait pas.

— Neji, dit le garçon qui avait mis une seconde à comprendre qu'on attendait qu'il parle. Et voici Hinata. De Paris.

Un reflet mauve miroita dans les yeux de la fille lorsqu'elle hocha la tête avec embarras.

— Vous êtes jumeaux ?

La réponse fut catégorique :

— Pas du tout.

Sans se laisser démonter, Tenten se tourna vers le trio du train afin de poursuivre la ronde :

— Et vous ?

L'aîné des garçons jeta un regard à sa droite et sembla estimer qu'aucun de ses compagnons ne serait suffisamment complaisant pour se plier au jeu des présentations, puisqu'il s'y colla pour tout le monde :

— Kankurô, et ça c'est ma sœur Temari et mon frère Gaara. Nous aussi, on a été obligé à venir.

La faute de français passa inaperçue dans l'instant de flottement qui suivit ses paroles ; les visages se tournaient vers le petit frère qu'il venait d'introduire et quelque chose ne passait pas.

Comme lorsqu'elle l'avait croisé dans le train, Tayuya l'observa sans pudeur : l'aura menaçante qu'il dégageait lui était familière et elle n'en avait pas peur. Mais pour les autres, ces yeux de pierre polie étaient deux portes ouvertes sur un univers qu'ils ne pouvaient pas comprendre et qu'ils ne pénètreraient jamais.

Ce fut Naruto qui détourna l'attention en pointant un doigt impérieux vers le brun qui lui faisait face.

— Mon nom est Naruto Uzumaki, déclara-t-il.

Un rictus passa sur le beau visage de Sasuke. Il ressemblait tant à son frère que c'en était troublant. Tayuya le détestait déjà pour ça.

— Je suis Sasuke Uchiha et tu ne m'impressionnes pas.

Il y avait dans cette présentation anormalement formelle les bases d'un contrat qu'ils venaient de signer d'un même accord, devant témoins. Sans le savoir, ils avaient reproduit l'ouverture d'un duel selon le code de la rue.

C'était prévisible.

— Vous vous connaissiez ? s'étonna Tenten.

Elle se fit rabrouer par Kankurô :

— T'es bête ou quoi ? Ils viennent de se présenter !

— C'est toi qui es bête, se vexa la fille. Visiblement, ils sont pas si étrangers que ça puisque…

— Tu es le fils de Fugaku Uchiha ? demanda quelqu'un d'autre avec perplexité.

— C'est qui ?

— Chais pas trop, mais il passe aux infos en ce moment…

— Sasuke Uchiha, répéta Sakura dans un souffle.

Il y eut un léger flottement pendant lequel Naruto contempla cette fille aux yeux verts qui ne lui accordait pas un regard, éblouie comme une biche devant les phares d'un 4x4 lancé à toute allure. Qu'avait-il, ce type, pour la fasciner autant ?

— Bon allez, on s'installe ! s'impatienta Ino en s'emparant de la main de Sakura pour la tirer vers les escaliers. Ouaah, venez voir la vue qu'on a de là-haut, les filles, c'est genre trop beau, quoi !

— Qui est-ce qu'elle appelle comme ça, cette pouffiasse ? grogna Tayuya en ramassant son sac.

— On est d'accord, répondit Temari sur le même ton.

Réalisant seulement après coup à qui elles parlaient, les deux filles échangèrent un regard agressif puis se détournèrent avec mépris. Autour d'elles, les stagiaires prenaient possession des lieux en se déridant lentement.

— Des matelas à ressorts, ça existe encore ?...

— Et merde, j'ai oublié mon pyjama !

— Hé, vire tes baskets, là !

— J'mets mes baskets où je veux, Uchiha !

— …Et c'est souvent dans la gueule, compléta Kiba.

Il y eut quelques éclats de rire encore nerveux, puis Gai fit irruption dans le hangar en beuglant :

— Dites donc, les jeunes, les cardons vont refroidir !

— Ouh, rien de plus dégoûtant que des cardons froids, grimaça Ino en interrompant le déballage d'une collection de bikinis pour bondir sur ses pieds.

— Déjà qu'en temps normal…

Le dîner se déroula dans une atmosphère encore empreinte de malaise. La volubile Tenten et Kiba le fonceur se passèrent la balle pour entretenir une conversation guère soutenue par les autres et ils ne mirent pas bien longtemps à se coucher quand ils furent de retour dans le hangar.

Ici, tout était à refaire. Personne ne les connaissait et ils ne connaissaient personne ; le contexte leur était tout aussi étranger et leurs repères habituels avaient disparu dès lors qu'ils étaient descendus sur le quai humide de la petite ville de Portsall. Quelle que soit leur origine, leur histoire personnelle, leurs forces et leurs faiblesses, ils partaient tous de zéro avec une belle page blanche à remplir.

Mais cette soudaine et immense liberté d'exister… C'était effrayant.

C'était cette peur inattendue engouffrée dans les cœurs qui les rendaient silencieux, le lendemain matin, alors qu'ils se retrouvaient face à une mer infinie sans parvenir à retracer du regard la ligne floue de l'horizon. Debout dans le vent, alignés au bord du vide abrupt de la dune, ils se taisaient et s'angoissaient.

— Qu'est-ce que je fous là ?... marmonna Shikamaru sans s'en rendre compte.

Quelques bouches s'ouvrirent pour répondre, mais pas un son n'en sortit. Les mots ne viendraient pas aujourd'hui.

— Mettez vos gilets de sauvetage, les jeunes, j'arrive !

La voix éclatante de Gai avait jailli comme un harpon et les ramena à une réalité où ils savaient à nouveau quoi faire ; d'un même ensemble, ils tournèrent le dos à la plage et jetèrent un regard assassin au moniteur qui passait en coup de vent sur le parking.

Ils avaient été réveillés à l'aube par l'interprétation au clairon d'une chanson française qu'ils avaient désormais tous dans la tête et dont ils se seraient bien passés.

— Y'en a qui se sont fait casser la gueule pour moins que ça ! avait protesté Kiba en plaquant son oreiller sur sa tête.

— Debout, jeunesse ! avait ordonné Gai depuis l'extérieur. Il fait un temps magnifique et la marée n'attend pas !

Un flot de lumière et d'air frais avait envahi l'espace confiné du hangar lorsqu'il avait ouvert en grand la double porte. Ce fut comme s'il avait soulevé la pierre sous laquelle ils se terraient : les adolescents s'étaient débattus dans leurs lits à l'image d'un tas d'insectes paniqués.

— Fermez cette porte !

— Trop de lumière !

Son instrument sur la hanche, Gai avait hoché la tête avec commisération :

— Une vraie bande de cafards, ma parole !

Grommelant en cœur, les stagiaires avaient fini par aller petit-déjeuner en baillant et se retrouvaient à présent le long de cette dune de pierre, saucissonnés dans des combinaisons Néoprènes qui les étouffaient.

— Je croyais que les gens étaient en maillot sur les voiliers, fit Ino avec déception en massant l'articulation douloureuse de son coude.

— On est en Bretagne, blondasse ! s'énerva Tayuya qui n'avait pas besoin de plus qu'un réveil désagréable pour être infernale jusqu'au soir. Pas dans un magazine people !

— Ça va, j'ai jamais fait de voile, moi !

— Parce que tu crois qu'j'en ai d'jà fait ? Oh et puis ferme ta gueule, tu me gaves.

Kiba acheva de remonter sa fermeture éclair et se tourna vers ses deux coéquipières, son sourire moqueur de retour sur son visage basané.

— Ton agressivité naturelle est un délice de beau matin, caïd. J'me demande comment ta mère te supporte.

Tayuya serra les poings. Ce petit con avait le don d'appuyer là où ça faisait le plus mal. Le plus dérangeant était sans doute le fait qu'elle ait eu le temps de remarquer ça alors qu'ils ne se connaissaient que depuis une quinzaine d'heures.

— Commence pas à me faire chier, toi…

— Tenez, les gens, vos gilets ! s'exclama Tenten en débarquant les bras remplis. Y'à des couleurs en fonction des poids, regardez les étiquettes…

— Beuârk, grimaça Ino en prenant l'un des gilets. Ils sont moisis, non ?

— C'est toi qu'est moisie, protesta Tenten. Ils sont trop cool, y'à même un sifflet intégré !

— Wouhou, trop bien !

— T'es bête, s'esclaffa Kiba.

Tayuya attrapa par réflexe le gilet qu'il lui lança et grimaça devant l'odeur. La journée avait à peine commencée qu'elle en avait déjà ras le cul.

Le simple trajet des hangars jusqu'à la plage les épuisa. Installés sur des charrettes aux pneus à moitié dégonflés, les bateaux supportaient mal les cahots de la route et il fallait sans cesse les retenir pour qu'ils ne basculent pas sur les côtés, emportés par le poids de leur mâture.

— Je croyais… qu'un bateau, ça n'avait qu'une coque, haleta Ino en s'arc-boutant sur sa poignée de charrette.

— Ce sont des catamarans, précisa Gai. Les deux coques sont reliées par cette toile qu'on appelle trapèze. Ils sont très stables sur l'eau, parfaits pour des rookies… je veux dire, des débutants. Personne n'a jamais fait de voile parmi vous, c'est bien ça ?

— Non et je suis pas sûre de vraiment vouloir commencer, grogna Temari depuis sa charrette. On va aller jusqu'où, comme ça ?

— A ton avis ? soupira Shikamaru qui poussait à côté d'elle. Jusqu'à la mer…

Piquée au vif, la jeune fille s'arrêta sans prévenir et faillit provoquer une collision avec le catamaran de Sasuke, Naruto et Sakura qui arrivait derrière.

— Pourquoi je dois faire équipe avec lui ?! protesta-t-elle à l'adresse du moniteur. Vous avez pas le droit de m'obliger à ça !

— On a fait les équipages au hasard…

— J'ai jamais aimé le hasard, maugréa Tayuya entre ses dents alors que Kiba et Ino rattrapaient leur bateau qui basculait.

— …Et ce stage est autant un apprentissage technique qu'une expérience de vie en groupe, il faut bien commencer par quelque part !

— Vous vous foutez de moi !

— Là n'était pas l'idée, mais…

— J'ai pas la moindre intention de perdre mon temps à suivre votre petit programme débile de réinsertion sociale ! Je m'en fous que mes profs m'aient envoyée ici, j'ai pas à vous obéir !

La sortie pourtant véhémente ne sembla pas impressionner Gai outre mesure.

— Si tu veux partir, fais-le. Tu es libre. Mais si tu t'en vas, ce seront tes coéquipiers que tu pénaliseras. Il faut être trois sur un catamaran. Ils ont besoin de toi.

Son calme était si inhabituel que les autres stagiaires tendirent également l'oreille pour écouter.

— De plus, fuir une situation avant de l'affronter n'est pas le meilleur dépassement personnel en soi. Je croyais que les habitants du Thar étaient particulièrement obstinés ?

Temari s'était redressée de toute sa hauteur, gonflée par une bouffée d'indignation qui sembla l'étouffer un moment, puis sans que personne n'ait suivi son raisonnement, elle se pencha à nouveau sur la charrette et se remit à pousser.

— Tu viens du Thar ? demanda Shikamaru qui avait bien vu que le moniteur avait lâché une information qu'il aurait sans doute dû garder pour lui.

Mais elle ne répondit pas, se contentant de regarder la route en poussant plus fort. Il remarqua alors ses avant-bras découverts : elle avait la chair de poule.

— On y est ! déclara enfin Gai lorsqu'ils se furent approchés de la masse sombre et menaçante de la mer en trébuchant dans le sable. Alors, on va commencer par armer les catamarans, c'est-à-dire installer les voiles et tout le bazar.

Il désigna la grève, plus haut, et ajouta :

— Une fois vos bateaux à flot, il faut un membre de l'équipage pour remonter la charrette là-bas, un autre pour maintenir le catamaran face au vent et le dernier pour descendre les palans. Les palans, ce sont ces plaques de bois qui vous permettront de vous diriger et qui sont située à l'arrière. Bien, maintenant, regardez comment on grée une voile…

Tout était d'une complexité abominable. Le plus simple des nœuds leur demandait dix minutes de tentatives assidues avant de parvenir au bon résultat et les cordes s'entremêlaient sans cesse ; le vent qui leur fouettait le visage en les cinglant de sable ne simplifiait pas la tâche et les termes techniques employés par Gai ne faisaient que les embrouiller davantage.

Enfin, après un long moment de combat acharné, les bateaux furent prêts à partir et les stagiaires entreprirent de les mettre à l'eau en s'enfonçant précautionneusement dans une mer glaciale.

Tayuya grimpa lestement sur la toile qui reliait les deux coques du catamaran en secouant ses tennis spongieuses. Elle essayait tant bien que mal de défaire les cordelettes qui maintenaient les palans relevés quand une vague se fracassa contre le flanc du bateau.

— Tiens-le face au vent, blondasse ! hurla-t-elle à Ino en se raccrochant comme elle pouvait à la barre. Tourne-toi vers le large, bordel !

Kiba revint en courant de la plage et prit la place d’Ino pour retenir le bateau ; la jeune fille se hissa à grand-peine sur une coque puis se laissa tomber au milieu du trapèze, ruisselante.

— Beuark, dit-elle avec une grimace de dégoût. C’est mouillé !

— Sans blague…

— T'es pas blonde qu'à l'extérieur, toi, rigola Kiba depuis l'avant. Bon, on y va ?

Tayuya répondit par un signe de tête affirmatif et ordonna à Ino de border la grand-voile.

— Hein, de quoi, t'as dit ?

— C’est pas compliqué, putain, tu prends ce truc et tu tires dessus ! gueula Tayuya en lui jetant la corde gorgée d’eau à la figure. Ce con de mono a passé une heure à nous casser les couilles avec ça et tu retiens que dalle ?

Rendue nerveuse par l'hostilité de sa coéquipière, Ino effectua la manœuvre avec des gestes maladroits avant de caler la corde dans son taquet en soupirant de soulagement. Le vent s'engouffra dans la toile désormais tendue de la plus grande des voiles et le bateau prit aussitôt de la vitesse ; Kiba eut à peine le temps de saisir un des câbles d'acier qui reliaient le haut du mât à la coque avant de perdre pied.

— Mais qu’est-ce que tu fous, remonte ! brailla Tayuya alors qu'ils dérivaient vers un amas de rochers affleurants. Si tu lâche, je viendrais pas te chercher !

— T'arrête de gueuler, oui ?

— Les rochers, les rochers ! couina Ino.

Kiba grimpa à bord juste à temps ; la coque sur laquelle il était accroché quelques instants auparavant grinça contre la pierre avec violence.

— Woh, mais fais gaffe ! frissonna-t-il en songeant à ce à quoi il avait échappé. T'as failli me tuer !

— J'ai pas assez bien essayé, on dirait…

— Haa, une algue ! s'écria soudain Ino en pointant du doigt quelque chose dans l'eau. Vous avez vu ? Une algue qui flotte ! Elle est énorme !

— Putain, t'es vraiment conne comme ça ou t'as suivi des cours ?

— Parfait, tout le monde, rapprochez-vous ! hurla Gai en rejoignant la flotte de catamarans à bord d'un zodiac orange. On va commencer par le commencement, ça me semble être une bonne idée…

— A moi aussi… commenta Tenten depuis son propre catamaran.

— …donc tout le monde lofe et borde son foc, attention, nous sommes vent de travers ! Surveillez la bôme quand vous empannez et restez sous le vent !

Il y eut un silence pendant lequel une bourrasque fit cliqueter les drisses contre les mâts métalliques, puis Tayuya entendit Tenten demander à ses coéquipiers :

— Est-ce que quelqu'un a compris un mot de ce qu'il a raconté ?

— Monsieur ! hurla Sakura plus loin. C'est quelle corde qu'il faut tirer pour le foc ?

— Il n'y a pas de corde ni de ficelle sur un bateau ! s'outragea Gai. Seulement des bouts, des écoutes et des drisses.

— D'accord, mais…

Il s'était déjà éloigné dans un bouillonnement d'eau, zigzaguant entre les bateaux en riant aux éclats. Pestant avec toute la hargne dont elle était capable, Tayuya s'empara d'une écoute au hasard et tira dessus sans remarquer le regard amusé qu'on lui lançait de l'autre côté du bateau.

Deux heures de mer signifiaient, elle l’apprit à ses dépends, cent vingt minutes d’enfer glacé et humide passées à angoisser à chaque vague un peu grosse et à chercher des yeux les autres qui s’éloignaient d'eux bien trop souvent. En fait, c'était encore pire que ce qu'elle avait imaginé.

— Beuh, je crois que je suis malade… Qu’est-ce qui a pris à cet imbécile de Gai de nous faire manger de la salade d’algues au petit déjeuner ?

— Il a dit que c’était excellent contre le mal de mer, rappela Kiba.

Ino se pencha par-dessus bord et chercha à reprendre sa respiration. Derrière elle, Kiba se mit à faire un récapitulatif du vocabulaire de la voile, autant pour s'y retrouver que pour tuer le temps et allonger comme il pouvait l'espérance de vie de la conversation à bord.

— …donc la petite voile d'avant, c'est le foc, énumérait-il. La grande, ben c'est la grand-voile… La bôme, c'est ce truc qu'on se prend dans la gueule à chaque fois qu'on tourne…

— On dit pas "tourner", rappela Ino d'une voix faible.

— Allez tout le monde, on vire de bord ! s'exclama Gai depuis son zodiac orange. Direction la balise orange, là-bas !

— Virer de bord, tourner, c'est pareil, marmonna Kiba en poussant la barre. Donc, border une voile, c'est la tendre, les haubans, c'est les câbles en acier qui tiennent le mât…

— Putain, encore ces saloperies d'algues, grommela Tayuya qui n'écoutait pas.

Luttant contre sa répulsion, elle plongea le bras dans l'eau pour dégager les safrans en empoignant la masse visqueuse d'algues brunes qui s'y accrochait régulièrement.

— Tu sais, le goémon est un excellent engrais, l'informa Kiba avec le plaisir évident d'en rajouter une couche.

— Si tu savais à quel point je m'en branle…

— On refait le tour de la baie ! hurla Gai au loin.

Kiba grogna puis regarda sa montre en soupirant. Tayuya éternua trois fois de suite et Ino vomit son déjeuner dans la mer.

— Aaarrgh… Ça y est, c'est officiel, je déteste la voile…

— Hep, caïd ! appela Kiba alors qu'il virait de bord.

Occupée à laver ses mains pleines d'algues dans la mer, Tayuya se retourna et se prit aussitôt la bôme en plein front. Propulsée dans les haubans, elle faillit passer par-dessus bord et mis quelques instants à reprendre ses esprits.

— Putain ! s'écria-t-elle alors en se prenant le front à pleines mains.

A la barre, Kiba ricana. Elle vit distinctement ses dents scintiller à travers la fente de son sourire : il ne plaisantait plus.

— J't'avais dit que je me vengerais, pour le train.

— Enfoiré, souffla-t-elle.

Pour leur plus grand malheur, l'après-midi fut tout aussi abominable. Il s'était mis à pleuvoir dru et ils comptaient les heures, recroquevillés sur les toiles de leurs bateaux en osant à peine dégager leurs mains de leurs manches pour effectuer les manœuvres. Assise au pied du mât, Tayuya triturait avec horreur le coupe-vent qu'on lui avait donné. Mettre le vêtement de quelqu'un d'autre : et puis quoi encore ?

— En plus, il est trop grand, grogna-t-elle encore alors que le bateau à moteur de Gaï passait à proximité, faisant gîter leur embarcation.

— C'est assorti à ton pull, alors ! répliqua Kiba d'un ton mauvais. Tu devrais t'estimer heureuse que j'aie eu un ciré de rechange dans mes affaires !

— J't'avais rien demandé !

— Ok, rend-le moi alors.

Sans la moindre hésitation, Tayuya défit les boucles de son gilet de sauvetage pour retirer le vêtement. Kiba l'arrêta d'un geste en secouant la tête.

— C'est bon, j'déconnais ! Tu vas crever de froid !

— Je crève déjà de froid, pauvre taré !

— Calmos, il te faut de vrais nerfs si tu veux naviguer !

— J’ai jamais dis que je voulais naviguer, gueule de clown.

Ino poussa soudain un cri et ils firent tous deux volte-face.

— Je me suis cassé un ongle ! se désola-t-elle en examinant son index.

— Putain, mais qu'est-ce que tu peux être conne ! explosa Tayuya qui n'en pouvait plus. On en n'a rien à battre, de tes ongles, pouffiasse ! On s'en branle, de ta vie ! Et de la tienne aussi ! ajouta-t-elle vigoureusement à l'intention de Kiba qui s'apprêtait à parler. Vous me faites chier à un point !

— Mais tu vas te calmer, oh !

— Ferme ta gueule ou j'te tabasse !

Furieux, Kiba fit un geste pour l'empoigner par le col mais son bras fut violemment balayé d'un revers de main précis.

— J'te préviens, me touche pas, menaça-t-elle sourdement.

A ce moment, ils furent percutés de plein fouet par un autre catamaran et s'écroulèrent tous sur la toile du trapèze. Désorientés, ils entendirent alors des cris retentir.

— Non mais il te manque des cases ou quoi ? s'égosillait Temari. Quand on te dit droite, c'est droite ! Pas gauche !

— Alors déjà on dit bâbord et tribord sur un bateau, répliqua Shikamaru d'un ton las. Ensuite aide-moi à nous dégager au lieu de brailler comme un veau.

— Qu'est-ce qu'il se passe, ici ? tonna Gaï en arrivant à toute allure. Il y a de la casse ?

— N… non, les bateaux sont intacts…

Mais les mots d'Hinata se perdirent dans le hurlement du vent et des stagiaires. Ils se démenèrent pendant de longues minutes pour séparer les deux bateaux en s'apostrophant violemment sous la pluie sans arriver à rien, puis soudain, Kiba éclata de rire.

L'atmosphère se détendit soudain, inexplicablement allégée par cette hilarité inattendue qui leur tombait du ciel : c'était la prise de distance qui leur manquait. Des pouffements nerveux étirèrent les lèvres des autres et creusa des fossettes dans le menton de Temari. Enfin, ils pouvaient évacuer ce trop-plein de tension et d'énervement qui les étouffait depuis le début. Ce fut comme respirer une grande bouffée d'air frais en émergeant à la surface de l'eau.

Seule Tayuya se renfrogna davantage ; relâchant son écoute, elle vint défaire la corde emmêlée dans leurs palans et donna un grand coup de pied dans la coque pour séparer les deux embarcations.

Elle passa le reste de la journée renfermée sur elle-même comme une huître, dans un simple réflexe de survie pour surmonter le froid et l'attente. La masse de stagiaires qui débarqua sur la plage une fois le cours terminé ne fut pas plus bavard qu'elle : ils étaient frigorifiés, barbouillés, épuisés, et rien de comptait plus que la douche chaude qui les attendaient une fois de retour au camp.

Visiblement, leur état comatique ne surprit guère les moniteurs lorsqu'ils passèrent devant eux pour retrouver le hangar. Tayuya ne savait pas trop si c'était rassurant ou non.

____

Le soir pourtant, lorsqu'ils se retrouvèrent autour de la table commune pour manger de la soupe brûlante, les langues se délièrent et le son des conversations s'éleva peu à peu. Cette première et éprouvante expérience constituait, en dépit de sa brièveté, un vécu qu'ils avaient tous partagé. Qu'ils le veuillent ou non, les liens avaient commencé à se tisser entre eux : la première couche de glace était déjà sérieusement entaillée par le simple fait d'avoir désormais un point commun sur lequel échanger alors qu'ils n'étaient rien d'autre que des inconnus moins de vingt-quatre heures plus tôt.

C'était drôle, se dit encore Tayuya en observant Ino coiffer Sakura, à califourchon sur le banc. C'était drôle de voir comment des étrangers pouvaient décider de se côtoyer sans se connaître. Ils ne savaient rien les uns des autres. Comment pouvaient-ils se familiariser alors qu'ils n'avaient pas les moyens de se comprendre ?

C'était tellement absurde.

— Et là, j'ai failli me prendre la bôme dans la gueule, vlan… racontait Naruto à grand renfort de gestes évocateurs.

— Y'en a une qui se l'est vraiment prise, ricana Kiba en glissant un regard à Tayuya.

— Ah, c'est ça, le bleu sur ton front ?

— J't'en pose des questions ?!

— Houlà, mais t'es un vrai bouledogue, toi, siffla Naruto en mordant dans son pain. Tes parents te nourrissent à la viande crue ?

— La provoque pas, s'te plait, pria Kiba. C'est pas toi qu'est coincé sur le même bateau qu'elle une journée entière.

Tayuya s'arracha à son banc sans répondre et quitta la pièce en réalisant qu'elle n'avait absolument aucune raison de rester une minute de plus avec cet amas d'imbéciles infantiles.

Ignorant les échos lointains des conversations et le tintement des couverts, elle s'affala dans un des fauteuils du salon, posa son regard sur l'âtre vide et se déconnecta de la réalité.

Elle se sentait vide, anesthésiée par le froid et la fatigue, incapable de réfléchir à quoi que ce soit.

Et ça, c'était plutôt cool.

— Salut, caïd ! lança une voix qu'elle reconnut aussitôt.

Elle cligna des yeux et détacha son regard de la cheminée. A croire que la solitude faisait peur à ce type. Il était visiblement incapable de passer plus de cinq minutes sans chercher de compagnie.

— Casse-toi.

Il se laissa tomber dans le fauteuil voisin et croisa les pieds sur la table basse.

— T'as pas faim ?

Voyant qu'elle ne répondait pas, il embraya d'un ton badin :

— Tu sais que t'as vraiment failli me déchiqueter sur ce rocher, ce matin ? J'ai regardé la coque, elle est rayée sur au moins un mètre.

— T'inquiète, la prochaine fois je te raterais pas…

Elle effleura du doigt la bosse qui s'était formée sur son front après le coup de bôme. Elle ne s'était pas attendue à ce qu'il soit aussi dangereux dans sa détermination. Ce qu'il avait fait relevait non seulement de la violence mais aussi de la cruauté.

En fait, sur ce point, ils étaient parfaitement ex-aequo et elle n'aimait pas trop ça.

— Tu me détestes, hein ?

Tayuya tourna la tête : il l'observait avec attention depuis son fauteuil.

— Non, dit-elle. Tu m'indiffères.

La contrariété traversa les yeux bruns comme une ombre. Tayuya ricana intérieurement. Eh oui, petit, j'ai bien vu ce que tu cherches, à vouloir attirer l'attention en permanence. Alors si c'est ma reconnaissance que tu veux, tu peux crever. T'existes pas pour moi. T'es qu'une mouche agaçante qui finira bientôt écrasée par un journal. Va donc te pendre dans un coin sombre.

— Coucou ? fit Tenten en passant la tête par la porte. Oh, parfait, des gens.

De son pas sautillant, elle se glissa dans la pièce en leur envoyant un sourire. De tous les stagiaires, elle devait être la seule à se croire vraiment en vacances.

— On fait un jeu de cartes ? Je crois que j'en ai vu un dans le placard là-bas…

— Ouais, bonne idée, approuva Kiba. Oh, Ino ! interpella-t-il soudain. Ramène-toi !

Choppée au vol alors qu'elle passait dans le couloir, Ino entra à son tour dans la pièce en tirant Sakura après elle. Le petit groupe s'installa à même le sol pour battre les cartes.

— Tu joues pas, euh… c'est quoi ton nom, déjà ?

Tayuya ne prit même pas la peine de répondre. Le jour où elle s'assiérait sur un tapis poussiéreux pour jouer à un jeu débile avec des ados débiles n'était pas encore arrivé.

— Laisse, elle a trop peur de se faire écraser, dit Kiba à l'intention de Tenten qui attendait.

— Si tu crois que ce genre de provoc à deux balles va me faire réagir, tu t'enfonces le doigt dans le cul jusqu'au…

— Vous faites quoi ?

Shikamaru était entré d'un pas traînant, les mains enfoncées dans les poches usées de son jean trop grand. Il eut une moue peu enthousiaste lorsqu'il avisa les cartes et bifurqua vers le canapé pour s'y affaler.

— Bon, Tenten, on se met ensemble contre les deux minettes, ceux qui perdent doivent faire dix pompes sous la pluie !

— Vas-y, t'as pas encore plus nul comme gage ? rigola Tenten.

— Et je suis pas une minette ! protesta la fille aux cheveux roses en piquant un fard.

Le groupe avait à peine commencé à jouer que des éclats de voix retentirent dans le couloir. Visiblement furieux, Naruto fit irruption dans la pièce en claquant la porte et vint se jeter sur le canapé.

— Pauvre con va ! jura-t-il alors que Shikamaru se poussait en grognant.

— Tu t'es encore disputé avec Sasuke ? demanda Sakura avec inquiétude. Il est où ?

— Ce mec est une plaie ! C'est quoi son problème ?

Comme les autres haussaient les épaules d'un air vague, il ravala sa colère et se pencha vers eux.

— Vous faites quoi ? Donnez-moi des cartes, je joue !

C'est quoi, son problème ? répéta mentalement Tayuya en les observant entamer une partie de tarot. Personne n'était donc au courant ? Quelle version avait été servie au public pour camoufler la mort de son frère ? Elle n'avait jamais pris la peine de suivre les conclusions de l'affaire.

Tout ce qu'elle avait compris, c'était que des jeunes, il en mourait toutes les dix-huit minutes dans leur pays, que le monde n'allait pas arrêter de tourner pour eux et qu'enfin bref… c'était ça, la vie.

Un immense tas de merde.

— Hé, Tayuya, tu veux vraiment pas jouer ?

Ignorant la question, Tayuya se mit à observer Tenten en se demandant si sa sociabilité était naturelle ou forcée. Elle en avait connu, des gens qui souriaient pour de faux et qui faisaient semblant de tenir debout alors qu'il leur manquait une jambe.

C'était un beau masque, le sourire. Pas son genre à elle, mais elle devait bien reconnaître que ça marchait carrément.

Dans le genre carapace, y'avait aussi le mutisme condescendant de Sasuke ou l'exubérance envahissante de Naruto. Ou le flegme de Shikamaru, ou la superficialité horripilante d'Ino. Ou encore le mal-être nerveux de cette fille aux cheveux roses, spécimen parfait de l'adolescente mal dans sa peau qui se cherche encore.

Pareil pour les deux frères et sœurs aux yeux blancs… Pas la peine de creuser bien loin pour comprendre qu'ils traînaient un dossier de plusieurs kilos solidement enchaîné à leur cheville. Leur air impavide et leur silence parlaient pour eux.

Quand aux trois tarés du train… Ce n'était même pas la peine de se poser la question.

Finalement, ils étaient tous pareils, dans ce stage.

Une belle bande de cafards.




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