Fiction: Lilas

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Les yeux écarquillés, Sakura considéra la silhouette devant elle tandis qu'elle secouait son sabre d'un coup bref pour en faire partir le sang. Le dos devint un profil, la lame essuyée sur le pantalon se rangea dans son fourreau. Puis le visage pâle se tourna vers elle. Un visage dont elle connaissait par cœur les traits, dix ans plus tôt. Il n'avait que peu changé.

- Deidara n'est plus un problème.

Sa voix, froide et grave, encore étouffée par le bruit de l'explosion qui résonnait à ses oreilles, la cueillit dans sa surprise. Sakura voulut se redresser mais la douleur la cloua sur place. Le monde brouillon qui l'entourait redevint soudain vivace, agressif. Un sanglot s'échappa de sa gorge, distordu.

- Sa... Sasuke... parvint-elle à glapir.

Il attrapa son bandana à terre, s'approcha d'elle doucement. Délicatement, il la força à relever son coude pour lui faire une écharpe de fortune. Ses yeux n'avaient toujours pas croisé les siens. Ceux de Sakura ne savaient plus où se poser. Sasori ? Cadavre, tête. Arbres défaits, terre ravagée. Silence. Le silence ne parvenait pas à percer le brouillard cotonneux qui l'entourait, le sang qui pulsait par vagues douloureuses à ses tempes. Elle avait la bouche pâteuse. Sasuke la rattrapa avant qu'elle ne tombe.

Ravageur. Son odeur avait toujours un effet ravageur sur elle. Elle pleurait, hoquetait, s'accrochait à ce cou, cette peau étrangement lisse et exempte de cicatrices. Sous ses doigts, il lui paraissait plus tangible. Et pourtant, elle ne parvenait toujours pas à y croire. Il était toujours aussi fin, peut-être plus musclé, pourtant il la souleva avec une aisance déconcertante.

- Kakashi ! hurla quelqu'un, peut-être Rock Lee.
- Il faut que je.. Je dois...

Dans son petit poing, le scalpel avait fait sa réapparition, dans un dernier réflexe de survie. Sasuke lui jeta un regard furtif, et se mit en route en l'entraînant dans son sillage. Les voix lui parurent bien loin. Lorsqu'ils les rejoignirent, plusieurs paires de yeux méfiants se posèrent sur leur duo improbable. La vision de Sakura, blessée mais en vie, suffit cependant à les faire taire, et Kiba désigna le corps étendu au sol. La main de Sasuke, gracile et étonnamment peu caleuse, guida Sakura jusqu'à Kakashi. Son bras arraché traînait lamentablement à quelques centimètres de son corps dont le ventre saignait abondamment.

Pas toi, pas toi, pas toi ! imploraient ses pensées en boucle. Sakura ceintura finalement son ébranlement. Sai lui posait déjà sa mallette à côté d'elle. Elle défit son bandana, le serra fermement autour de son coude malgré l'élancement. Il faudrait qu'elle endure. Kakashi n'attendrait pas. Ses yeux papillonnaient, sous la fièvre et le choc, avant de s'arrondir franchement à la vue de ce visage disparu devant lui.

- Sa...

Mais il n'eut pas le temps de finir. Sakura lui plantait déjà un puissant anesthésiant dans son bras valide, et maintint un chiffon contre le moignon de l'autre.

- Sai, désinfecte tes mains, et mets son bras dans un sac plastique. C'est pas la priorité.

L'idée de transporter le bras sectionné de Kakashi comme un morceau de viande fit vomir Rock Lee. Sakura cependant, n'avait pas le temps pour ses états d'âme. Elle plongeait déjà ses mains dans l'estomac ouvert de son ancien professeur, sous le regard attentif de Sasuke qui l'éclairait au mieux. Combien de cotons passa-t-elle pour éponger l'hémorragie et constater les dégâts ? Elle avait perdu le compte. Elle passa le fil à recoudre dans le chat de son aiguille, rageant contre son bras qui ne répondait plus aussi bien et dont elle ne parvenait pas à faire refluer la souffrance. L'opération délicate cependant ne l'autoriserait pas le moindre geste de recul dû à la douleur. Elle se mordit violemment la lèvre, jusqu'à ce que Sasuke ne lui tende son bras. L'inquiétude qu'elle lut au travers de la brume faussement détachée lui rappela un instant que Kakashi l'avait élevé. Alors elle mordit à pleines dents, et poursuivit sa chirurgie.

Lorsqu'elle referma le ventre béant, le sang ne coulait plus. Restait à prier pour que la transfusion sanguine ait fait son job à temps. Kakashi respirait toujours, très faiblement cependant. Elle s'autorisa un soupir, un seul, avant de changer de gants et de s'attaquer au bras. Elle avait encore une chance de le sauver. Encore une pour que les nerfs récupèrent et parviennent à se reconnecter dans les mois à venir. Elle ne la laisserait pas passer.

Le jour commençait à pointer le bout de son nez quand Sakura posa enfin son aiguille et jeta définitivement ses gants.

- Tenten, contacte Ibiki. Fais-lui le topo de la situation. Sai, je veux que tu quadrilles le périmètre. Repère les environs, prends en photos, n'oublie pas les cadavres de l'Akatsuki. Il faut qu'on sache où on se situe. Kiba, Vérifie le champ de mines. Je veux être sûre qu'il n'y a plus aucun risque à traverser. Rock Lee...

Elle se tourna vers l'homme au teint maladif, les genoux repliés contre lui, respirant fort, la bile coulant sur son menton, n'ayant plus rien à vomir.

- Bois de l'eau, et repose-toi. Tu as été courageux.

Les yeux ébahis se levèrent vers elle. Qu'elle prenne ainsi la tête des opérations, qu'elle demeure rationnelle malgré tout, elle la pauvre chirurgienne en civil qui n'avait jamais connu le front...

- Sasuke, ton bras.

Il l'observa, avant de chasser l'idée de la main comme on le ferait avec une mouche. Mais Sakura ne pouvait pas s'arrêter là. Si elle se posait, elle n'aurait plus l'énergie de bouger. Elle ne pourrait bientôt plus museler la souffrance infligée par son coude, et tous les anti-douleurs serviraient largement plus à Kakashi qu'à elle. Ce n'est qu'après avoir pansé la trace de morsure qu'elle avait laissée à son ancien ami qu'elle chuchota :

- Je vais me débarbouiller.

Mais ses jambes se dérobèrent sous elle avant qu'elle n'ait pu se lever. Elle n'en pouvait plus. Autant physiquement qu'émotionnellement, elle était à bouts. Les informations se classaient dans son esprit avec logique et sans accrocs, mais elle ne pourrait bientôt plus maintenir cette façade. Surtout si Sasuke se mettait à lui nettoyer le visage et les mains avec un coton imbibé.

- Si je... si je ferme les yeux, entama-t-elle d'une voix brumeuse, tu vas disparaître ?

La voilà projetée dix ans en arrière, avec les mêmes doutes, les mêmes peurs, la même angoisse tenace de subir une fois encore cet abandon. Sasuke la regarda franchement, hésitant, presque aussi perdu qu'elle. Il finit par abdiquer face à son expression suppliante, et s'assit à côté d'elle. Mais ce n'était pas suffisant. Là, il pouvait encore s'enfuir. Alors elle posa sa tête sur ses genoux, tandis qu'il accompagnait le mouvement pour qu'elle ménage son bras. La dernière chose qu'elle entendit avant de sombrer fut cette maigre phrase de Sai :

- Tu es plus douée que ce que je pensais, Mocheté.

La tension retombée, elle rit franchement. Le sourire que Sai arborait n'avait rien d'hypocrite.

Sakura rouvrit les yeux au son des voix qui ricochaient autour d'elle. Ibiki, flanqué de cinq autres militaires et deux médecins, aboyait des ordres. S'ils avaient l'air fatigués, ils étaient indemnes. Elle se redressa précautionneusement, aidée par un Sasuke qui avait, à sa propre surprise, tenu sa promesse.

- Ah, la marmotte émerge, remarqua Ibiki d'un ton bourru mais non dépourvu de chaleur. Tenten m'a dit, t'as assuré, petiote.

Sans relever le compliment autrement que par un simple hochement de tête, Sakura chercha Kakashi du regard. Allongé sur un brancard, toujours aussi pale, sa cage thoracique se soulevait cependant à un rythme régulier. Elle parvint jusqu'à lui, tenant son bras contre elle, et vérifia ses pansements. La présence d'autres médecins aurait dû la rassurer, ils avaient déjà en toute logique examiné ses blessures, mais elle ne pourrait se sentir réellement soulagée qu'une fois qu'elle aurait constaté de ses propres yeux la stabilité de son état. Et seulement après, elle se tourna vers Ibiki.

- L'armée de la Rivière ?
- Pas voulu fourrer son nez là-dedans. La preuve de la présence de l'Akatsuki sur ses terres l'a calmée, on a un moyen de pression. Bonne idée que t'as eue.

Elle acquiesça. Ses pensées avaient encore du mal à se frayer un chemin au travers du filtre du sommeil. Un des médecins s'approcha d'elle pour lui faire un bandage plus convenable pour son coude, et elle le remercia d'un bref signe de tête.

- La planque ?
- Pas assez de monde pour aller voir, et avec l'autre, fit-il en désignant Kakashi, le plus important c'est de le rapatrier. On reviendra. T'façon, maintenant le pays de la Rivière devrait plus trop nous emmerder, vu les infos qu'on a.
- Gaara ?
- Je sais. Mais tant qu'on l'a pas vu, je considère qu'il peut s'agir d'une ruse. Dans le pire des cas, on se doit de ramener son corps. Au moins qu'il ait un enterrement digne de ce nom.

Elle ne posa pas la question suivante, évidente. Temari était-elle au courant ? Si oui, comment prenait-elle le fait qu'ils s'enfuient, si près du but, alors que son frère était à portée de main, et qu'ils repoussent une fois de plus le peu de chances dont ils disposaient ? Ibiki pour sa part, n'y répondit pas non plus. Il se contenta de faire glisser son regard de Sakura à Sasuke, quelques pas plus loin. Il n'avait toujours pas dit un mot depuis son réveil.

Viendrait le moment où elle devrait fatalement aussi lui faire face, s'assurer qu'il n'allait pas de nouveau s'envoler loin d'elle, la laisser une fois de plus pour sa vengeance. Mais pas maintenant. Encore quelques minutes. Quelques minutes horribles à rassembler les corps des deux membres de l'Akatsuki, à récupérer les morceaux de celui qui avait été Deidara, et qui s'était fait exploser en tentant de les embarquer avec lui dans la mort, à fixer le corps et la tête de Sasori et se dire Mon dieu, c'est la première fois que j'essaie intentionnellement de tuer quelqu'un ! Quelques minutes à la limite de l'insoutenable, mais qui l'étaient étonnamment moins que l'instant où elle devrait affronter Sasuke.

- Temari vient de me donner des nouvelles, entama Ibiki à l'adresse de Sakura, elle envoie une équipe nous seconder, et poursuivre la mission. On a le passe-droit du pays de la Rivière. Mais Kakashi...

Kakashi ne tiendrait pas jusqu'à ce que l'autre équipe parvienne à eux.

Ibiki fit un signe à Sakura, qui s'éloigna du groupe après un dernier regard d'avertissement à Sasuke. " Ne t'avise pas de partir en mon absence ". Enfin, lorsque le capitaine jugea la distance suffisante, il entama :

- Je t'aurais bien fait partir avec l'unité de secours et Kakashi, surtout avec ton bras, mais... Mais s'il y a une chance que Gaara soit toujours vivant...
- Je suis la clé de voûte de son sauvetage.

Il acquiesça. Consciente que les semaines qu'ils avaient passé à peaufiner l'opération n'avaient été au fond qu'un temps accordé à Sasori pour concocter un autre poison s'il le souhaitait, elle avait l'intime conviction que, s'il était toujours en vie, Gaara en serait le cobaye parfait.

- Surtout que t'as fait tes preuves.

Elle releva la tête d'un air interrogateur. Ibiki scrutait toujours les alentours, serein en apparence, mais toujours sur ses gardes. Le laisser-passer du pays de la Rivière pouvait encore être une ruse pour les cueillir plus nombreux, et moins vigilants.

- En temps que cheffe d'équipe, j'veux dire.
- Vous allez repartir ? comprit-elle.
- Je peux pas laisser les médecins et Kakashi sans escorte solide, et t'auras besoin de mes meilleurs hommes. J'embarque Rock Lee avec moi.

L'homme était bon défenseur, il savait se battre, mais il serait totalement incapacité par la vue de Sakura opérant son art. Restait à prier qu'il supporte encore de poser les yeux sur Kakashi, après la scène qui l'avait fait ployer.

- Ton gars, là, il est sûr ?

Mal à l'aise, Sakura dut faire appel à toute sa concentration pour ne pas bouger. Sûr ? Après dix ans de vide ? Après ce qu'il s'était passé sur l'île pirate ? Probablement pas, non. Mais elle ne cracherait pas à Ibiki la moindre information là-dessus. L'image fugace de l'homme aux cheveux bleus se matérialisa dans son esprit. Quoiqu'il ait fait de sa vie, et pas des plus belles au souvenir de ses révélations, il avait mis en jeu sa vie uniquement pour lui transmettre tout ce qu'il savait à propos de Sasuke. Elle ne le trahirait pas. À la place, elle contourna la question :

- Je le connais, oui.

Il ne l'interrogea pas plus avant. Si elle trouva cela étrange, Sakura n'ajouta rien. Le temps jouait contre eux, ils ne pouvaient plus s'éterniser à discuter tranquillement.

- Au besoin, Kiba te secondera. Pour le reste, sache que l'équipe de secours devrait arriver dans la nuit. Tu devrais retrouver un visage familier. Tenten fera le relai.

L'annonce cloua Sakura sur place. Devait-elle s'estimer heureuse de retrouver Shikamaru dans ces conditions ? Le savoir lui aussi risquant sa vie, le retrouver après l'avoir laissé en plan au réveil, une pauvre lettre griffonnée à la va-vite pour seule compagnie ? Et comment réagirait-il lorsqu'il apercevrait l'ami qui leur avait tourné le dos des années auparavant ? Elle se massa les tempes, soupira, sûre que ce détail n'avait pas échapé au capitaine. Ibiki fit demi-tour, retournant au campement, et elle le suivit sans un mot.



Je malmène un peu les personnages. Mais ça ne me paraissait pas réaliste que tout le monde s'en sorte indemne.

J'ai un peu peur de l'importance que je donne à Sakura dans cette histoire paraisse tirée par les cheveux, mais j'espère que ça paraît un minimum logique.

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