Fiction: Les Chats de porcelaine

La petite vie de Sakura, collégienne désespérément banale, prend un tournant inattendu le jour où sa route croise celle d’un mystérieux jeune homme traqué. « Donne le chat », lui a-t-il dit avant de disparaître. « Donne le chat à Uchiha Sasuke ».
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NeN (Masculin), le 08/08/2016




Chapitre 2: Trois détectives



Sasuke s’était mis à fouiller la planque de fond en comble, sans demander l’autorisation à personne. Les bras ballants, Sakura était restée plantée sur place à le regarder mettre l’endroit à sac, encore sous le choc du départ inattendu de son protégé. A côté d’elle, le blond lui jetait des regards furtifs.

— T’es sûre que t’as pas rêvé ? lui demanda-t-il au bout d’un moment.

— Bien sûr que oui, s’enflamma Sakura, piquée au vif. Tu crois que j’aurais connu le nom de ton copain si personne ne me l’avait donné ?

— T’aurais pu l’apprendre par quelqu’un d’autre que par Itachi. Beaucoup de monde connaît Sasuke.

— C’est qui, Itachi ?

— Ben… son frère, précisa le blond en la regardant avec un surplus de méfiance.

— Il ne me l’a pas dit, souffla Sakura.

Sasuke revint à ce moment, la frustration peinte sur toutes les lignes de son visage.

— Rien, s’irrita-t-il. Aucun moyen de savoir où il est allé.

— T’as essayé de l’appeler ? demanda le copain blond.

— Ça répond pas, son portable est éteint ou hors service.

— C’était quand, la dernière fois que tu l’as vu ?

— J’sais pas, y’à quatre, cinq jours… Il m’a rien dit de particulier.

— Peut-être parce qu’il était surveillé, avança Sakura.

Sasuke se tourna vers elle avec un mélange d’impatience et de frustration, comme si elle venait de se mêler à une conversation qui ne la regardait pas.

— Bon, merci de l’avoir aidé, salut, dit-il rapidement.

Les deux garçons se dirigèrent vers l’éboulis, laissant Sakura déconcertée au milieu de la planque. Elle les rattrapa d’un bond et saisit un pan de la veste de Sasuke :

— C'est moi qui ai trouvé ton frère ! J'ai le droit d'être dans le coup !

— Mon frère n'est pas un chat perdu que t’as ramassé sous la pluie, répliqua Sasuke en fronçant les sourcils.

— Peut-être qu’il n’était pas sous la pluie, mais il était bel et bien perdu. Si je n’avais pas été là…

— Il t’a juste chargée de faire le transit, coupa Sasuke en agitant le petit chat en porcelaine devant son visage. C’est tout, rien d’autre, basta. Maintenant ça te regarde plus.

La déception combattait la colère dans la tête de Sakura. Finalement, la seconde l’emporta et elle tenta le tout pour tout :

— Bon écoute. J’ai trouvé ton frère qui s’est visiblement fait agresser à l’arme blanche, ce qui signifie qu’il s’est retrouvé confronté à des personnes peu recommandables, et il n’a pas voulu prévenir la police, ce qui veut dire que lui-même n’est pas très net. Alors tu me laisses participer ou je fais mon devoir de citoyenne qui est d’aller dans le commissariat le plus proche pour tout raconter.

Sakura bluffait. Elle n’aurait jamais osé se rendre au commissariat pour témoigner. Sa rencontre avec l’inconnu de la veille lui avait laissé un étrange sentiment de compassion et elle sentait qu’au plus profond d’elle-même, elle était déjà loyale envers ce jeune homme blessé. Elle ne pouvait pas le trahir maintenant.

Elle fixa cependant le visage furieux de Sasuke avec toute la détermination dont elle était capable, cachant le tremblement de ses mains dans ses poings fermés, jusqu’à ce que l’adolescent pousse un râle exaspéré.

— T’es chiante, céda-t-il en se détournant.

Mais son copain, lui, arborait un grand sourire :

— Comment t’as dit que tu t’appelais déjà ? demanda-t-il à Sakura.

— Haruno Sakura…

— Uzumaki Naruto. Tu peux m’appeler Naruto. Itachi t’a rien dit d’autre ?

— Non… Il a insisté pour que je n’appelle ni les pompiers ni la police. Ton frère a déjà eu des problèmes avec la police ? interrogea-t-elle à l’intention de Sasuke qui leur tournait le dos.

Il eut un reniflement dédaigneux.

— Il EST de la police, lança-t-il sèchement.

— Quoi ? sursauta Sakura.

— Itachi est officier, précisa Naruto en se frottant la nuque. C’est bizarre qu’il ait pas voulu qu’on prévienne son quartier général.

— Pas s’il agissait de son propre chef, renchérit Sakura avec assurance. Il n’était sans doute pas en mission officielle, c’est pour ça qu’il était seul et...

— Pourquoi il ferait des trucs sans prévenir les autres flics ? s’éberlua Naruto.

— Je sais pas…

Sakura et Naruto plongèrent dans le silence. Le mystère qui se présentait à eux leur semblait si impénétrable qu’ils ne savaient même pas par quel bout le prendre. C’était comme s’ils se retrouvaient devant un bloc compact à traverser sans même voir de l’autre côté. Après un long moment, Naruto s’éclaircit la gorge et se tourna vers Sasuke.

— Alors… On fait quoi ? On prévient ton père ?

— Non… non, pas mon père, dit lentement Sasuke.

Il sortit à nouveau le maneki-neko de sa poche et le retourna pensivement dans sa paume. Comme il n’ajoutait rien, Sakura rassembla son courage et proposa :

— On pourrait peut-être commencer par essayer de le retrouver. Ton frère.

— Brillante idée, ironisa Sasuke. Allons mettre des avis de recherche dans les abribus.

— Non, je pensais plutôt à faire le tour des hôpitaux, dit Sakura. Il n’a pas pu aller bien loin avec sa blessure. Il lui fallait des points de suture.

Sasuke réfléchit un instant, s’efforçant visiblement de trouver une alternative.

— Ok, va pour les hôpitaux, lâcha-t-il finalement.



Sasuke enfourna la main dans le casier de réception du distributeur automatique et en retira le plan qu’il venait d’acheter. Naruto et Sakura se resserrèrent aussitôt autour de lui.

— Alors Naruto, tu fais ceux de ce quartier, ordonna Sasuke en entourant Minato d’un coup de stylo bille. Moi je fais ceux-là, et toi... Surtout ne dites pas son vrai nom hein !

— Ça va, on n’est pas cons, s’impatienta Naruto en notant précipitamment les noms de ses hôpitaux dans sa paume.

— Même sans dire son nom, on ne va pas être très discrets, s’inquiéta Sakura. C’est bizarre de se présenter à l’accueil et de demander s’ils n’ont pas vu passer un type percé d’un coup de couteau.

— C’était ton idée, rappela abruptement Sasuke. T’en as une meilleure ?

— Non…

— Alors rendez-vous ici dans deux heures.

Ils se séparèrent avec un mélange de fébrilité et d’excitation. Partir à l’aventure dans les rues de Tokyo était sans aucun doute ce qui pouvait leur arriver de plus passionnant dans leurs vies réglées de collégiens. Deux heures de recherches infructueuses plus tard, cependant, leur enthousiasme déclina sensiblement.

Sakura rejoignit les deux garçons en sentant encore ses yeux la piquer de ce mélange de chlore et d’antiseptique qui stagnait dans les halls d’hôpitaux. Ç’avait été le même scénario à chaque tentative : atteindre le comptoir d’accueil, lutter pour se faire entendre, poser sa question, affronter les regards indifférents ou suspicieux, puis repartir l’air de rien en murmurant un merci dénué de toute reconnaissance.

Plus que jamais, Sakura prenait conscience de l’insignifiance de son statut d’enfant dans un monde d’adulte.

— Reste le chat.

Sasuke sortit la figurine en porcelaine de sa poche. Les deux autres se rapprochèrent pour former un cercle autour de sa paume dans laquelle le petit chat blanc les regardait, un sourire mystérieux sur le museau.

— Il t’a jamais parlé de ce truc ? murmura Naruto.

— Non, et je l’ai jamais vu avec. C’est pas son genre d’avoir des bibelots.

— Ce n’est pas qu’un bibelot, signala Sakura. C’est une figurine porte-bonheur.

— On sait ce que c’est, merci…

— Oui mais celui-là, c’est un porte-bonheur économique, insista Sakura. Normalement, ce sont les commerçants qui mettent ça dans leurs boutiques.

Comme les deux garçons la dévisageaient sans rien dire, elle ajouta :

— Vous savez, pour favoriser leur chiffre d’affaire.

— OK, coupa Sasuke. Admettons que c’est un truc de commerçant. Ça nous dit toujours pas le rapport avec Itachi.

— P’t’être qu’il voulait ouvrir un magasin ? supposa bêtement Naruto.

— Il n’y a pas une indication dessus ? demanda plus intelligemment Sakura. Le sceau gravé sur le dessous, je l’avais vu, je pensais que c’était la marque de fabrique mais…

Sasuke avait déjà retourné le petit chat : les hiragana gravés dans la porcelaine étaient ceux d’une chaîne de fabrication à grande échelle.

— Il doit y en avoir des millions comme ça, renifla Sasuke d’un ton dédaigneux.

— Et si on vérifiait ? proposa Sakura.

Il ne fut pas bien difficile de trouver une boutique qui vendait ce genre de porte-bonheurs. Entre les figurines, les poupées et les cartes postales, les maneki-neko s’alignaient par dizaines sur les étagères des revendeurs, à la disposition des touristes et des fanatiques. Sasuke reposa l’un des chats sur son étalage avec mauvaise humeur et se retourna vers les deux autres, occupés eux aussi à inspecter les inscriptions sous d’autres exemplaires.

— On n’apprendra rien ici !

— C’est mignon, constata Naruto en faisant bouger la patte de l’un des chats d’une pichenette.

La patte de porcelaine se releva et s’abaissa au rythme du balancier intégré au mécanisme, effectuant un salut répétitif qui n’arracha pas le moindre sourire à Sasuke. Plus loin, Sakura était penchée vers une étagère recouverte de maneki-neko miniatures, semblables au leur.

— Dites, lança-t-elle sans détourner le regard, venez voir.

Les garçons se penchèrent à ses côtés, scrutant les rangées de chats multicolores qui les regardaient de leurs yeux peints.

— Quoi ?

— Les motifs du pelage, indiqua Sakura en montrant les modèles les plus répandus. La plupart des chats sont blancs avec des taches noires et oranges sur les pattes et sur le dos. Fait voir le nôtre, Sasuke.

Sasuke sortit le chat de sa poche et le tint levé près de l’étagère. Il était également blanc avec des taches noires et oranges. Sakura fronça les sourcils, visiblement contrariée.

— Il me semblait qu’il avait quelque chose de différent…

— Le médaillon, remarqua soudain Sasuke.

Ils regardèrent : là où les médaillons des autres chats portaient des hiragana de bonne fortune, celui d’Itachi indiquait…

— « Amour », lut Naruto. Génial.

— Non, attend, c’est quelque chose, s’alerta Sakura, de nouveau fébrile. Pourquoi est-ce qu’on écrirait « amour » sur un porte-bonheur économique ? On en a plein, des porte-bonheurs amoureux, ça n’a pas de sens de prendre celui-là et de...

— C’est pas si bizarre, objecta Naruto. J’en ai déjà vu un comme ça.

Sasuke et Sakura se tournèrent vers lui avec une promptitude qui le fit reculer d’un pas.

— Pas vous ? s’étonna-t-il. Dans la devanture de l’immeuble en verre de Mitsubishi à Shibuya, un truc énorme, j’vois pas comment vous avez pu le rater…

— Emmène-nous, ordonna précipitamment Sasuke.

— Quoi, maintenant ? T’as vu l’heure, vieux ? On a cours demain ! Et puis Mitsibushi, on n’y entre pas comme ça, c’est l’une des plus grandes banques de la ville… J’sais pas si t’as déjà vu un Hyûga de près, vieux, mais perso ça m’est arrivé et…

— Naruto, tu me fais chier ! trépigna Sasuke que la situation semblait rendre prêt à exploser – à moins qu’il ne s’agisse de son caractère habituel.

— Il y a une piste qu’on n’a pas pensé à explorer, s’interposa Sakura. Pourquoi on n’irait tout simplement pas voir s’ils ne savent pas quelque chose au commissariat où travaille Itachi ?

Les deux garçons se tournèrent vers elle, sourcils froncés.

— Je croyais qu’on devait pas prévenir la police, objecta Sasuke.

— De ce qui est arrivé à Itachi, oui, approuva Sakura. Mais on ne peut pas empêcher un petit frère de passer dire bonjour à son aîné… Réfléchissez, Itachi n’a pas pu disparaître sans prévenir alors qu’il a un travail ! Ils nous diront soit qu’ils ne savent pas ce qu’il est devenu – et alors on saura qu’il a vraiment un problème – soit qu’il est en mission, et dans ce cas-là, tout s’expliquera.

Un petit silence suivit les paroles de Sakura.

— Pourquoi on n’a pas commencé par ça ? demanda Naruto, formulant à voix haute la question que tout le monde se posait.

Sasuke poussa un grognement et amorça le mouvement pour sortir de la boutique de souvenirs. Il ne leur fallut guère plus qu’une demi-heure de métro pour effectuer le trajet jusqu’à l’arrondissement Shinjuku où travaillait Itachi. Suivant Sasuke qui marchait devant, Sakura et Naruto échangeaient régulièrement des regards furtifs.

— Là, dit enfin Sasuke en désignant un koban dressé un peu plus loin, alors qu’ils arrivaient à la jonction entre les quartiers Okubo et Kabukicho.

Ralentissant le pas, Sakura détailla la construction de béton futuriste, à peine plus grande qu’une maison individuelle. Elle connaissait les koban, ces petits postes de police dépendant qu’un commissariat plus grand. Il y en avait dans chaque quartier et elle-même s’y était déjà rendue plusieurs fois pour demander son chemin. Les quelques policiers en faction à l’intérieur étaient toujours agréables et serviables, aussi se sentit-elle rassurée de ne pas se retrouver face à un bureau entier.

Devant le koban, un jeune officier était justement en train d’expliquer à un touriste comment rejoindre la gare. Voyant que Sasuke attendait sans s’approcher qu’il eût fini, Sakura s’arrêta à son tour et regarda le jeune homme en uniforme répondre au salut d’une ménagère qui passait, puis souhaiter bonne chance au touriste.

— Shisui ! appela alors Sasuke en s’avançant.

Le jeune homme se tourna vers lui et un sourire apparut aussitôt sur son visage. Il releva la visière de son képi du pouce, libérant quelques mèches brunes qui ondulèrent sur son front.

— Tiens, si ce n’est pas le petit frère…

— Ben justement, je cherche le grand. Il est là ?

L’expression de Shisui s’assombrit alors qu’il jetait un regard vers le koban.

— Il est parti en congé, expliqua-t-il. Tu l’ignorais ? Il m’a dit avoir prévenu tes parents.

— En congé ? s’écria Sasuke avec stupéfaction. Itachi ?

— Oui, j’ai été surpris aussi. C’est rare qu’il en prenne, et jamais arrivé qu’il prévienne du jour au lendemain. Visiblement, il a eu besoin de se reposer. Il est à Hokkaido.

La carte du Japon se déploya instantanément dans l’esprit de Sakura. Hokkaido, c’était les îles situées tout au nord du pays, à des milliers de kilomètres de Tokyo… Shisui scrutait maintenant Sasuke d’un œil perçant.

— Il ne t’a vraiment rien dit ? demanda-t-il.

Sasuke hésita alors que Naruto lui écrasait discrètement le pied.

— Il nous a parlé d’Hokkaido l’autre jour, intervint le blond. Tu te souviens, Sasuke ?

— Euh… ouais, c’est vrai. Il voulait voir la mer. Je pensais pas qu’il était si pressé.

Shisui continuait de le fixer d’un œil inquisiteur. A ce moment-là, un deuxième policier sortit du koban, un talkie-walkie à la main. Impressionnée, Sakura dû se tordre le cou pour voir dans son entier son immense carcasse musclée.

— On a un rapport de casse, Shisui, dit le nouveau venu à l’intention de son collègue. Trois blessés. J’ai rempli le tableau.

— Merci, Kisame. Bon, Sasuke, si tu as Itachi au téléphone, dis-lui de ne pas se prélasser trop longtemps. Les choses chauffent ici…

Les deux policiers retournèrent à l’intérieur de leur poste, laissant les trois adolescents seuls sur le trottoir. Sakura se rapprocha aussitôt pour prendre part à la conversation qui démarrait :

— Ce con est à Hokkaido ! s’exclamait Sasuke.

— Arrête, c’était une couverture !

— Il ne serait pas parti à Hokkaido avec sa blessure, renchérit Sakura.

— Ça, c’est s’il est effectivement blessé, répliqua Sasuke en lui jetant un regard furieux. Il aurait pas menti à ses supérieurs !

— Qu’est-ce que t’en sais ?

— C’est mon frère ! hurla Sasuke. Je le connais, bordel ! Il aurait aucune raison de pas dire la vérité à ses collègues. C’est un policier ! S’il était sur une piste, Shisui le saurait. Il s’est barré, c’est tout ! Et ce truc…

D’un geste rageur, il sortit le chat de porcelaine de sa poche et leva le bras pour le jeter à travers la route. D’un même mouvement, Sakura et Naruto s’élancèrent pour le retenir :

— Sasuke, non !

— Du calme mec, réfléchis deux secondes ! Tu peux pas jeter ce chat.

— C’est qu’un chat ! Un chat, Naruto ! Un putain de chat en porcelaine dont tout le monde se fout !

— Un chat que ton frère a pris la peine de me donner ! rappela Sakura. S’il s’en foutait, il l’aurait jeté lui-même !

— Il s’est juste foutu de toi ! explose Sasuke. Ou alors t’as rêvé ! Un type percé d’un coup de couteau, « donne le chat à Uchiwa Sasuke », mais bien sûr ! Putain je sais pas ce qu’il m’a pris de marcher là-dedans, je suis vraiment trop con !

Sakura recula d’un pas, blessée dans son orgueil et le doute enflant subitement dans son esprit. Et si elle avait rêvé ? Et si tout ça n’était qu’un vaste délire fabriqué par son esprit en quête d’aventures ?

— OK, si tu le veux pas, moi je le prend, décida Naruto en attrapant le maneki-neko.

— C’est ça, prend-le. Et bouffe-le si ça te chante.

Sasuke leur tourna le dos et s’éloigna à grand pas, les mains fourrées dans ses poches. Laissés sur le carreau, Sakura et Naruto le regardèrent partir sans rien dire, puis Sakura glissa un regard à son voisin.

— Il est tout le temps comme ça ? demanda-t-elle à mi-voix.

— Comme ça quoi ? répliqua Naruto d’un ton qui sous-entendait qu’il n’allait pas laisser une fille sortie de nulle part dire du mal de son ami.

— Aussi, euh… impulsif ?

Naruto haussa les épaules. Il contemplait le petit chat posé dans sa paume.

— Tu penses qu’il a raison ? demanda Sakura d’une petite voix au bout d’un moment. Que j’ai rêvé ?

— T’as reconnu Itachi, non ?

— Oui, mais j’aurais pu… l’avoir croisé dans la rue…

— Tu connaissais le nom de Sasuke.

— Oui mais…

— Où t’aurais trouvé ça sinon ? acheva Naruto en montrant le maneki-neko.

Convaincue, Sakura hocha la tête en sentant le soulagement se répandre en elle. Prise d’une inspiration subite, elle défit précipitamment le foulard de son uniforme et le déploya : les traces de sang avaient résisté aux passages répétés à la machine à laver.

— C’est quoi ça ? demanda Naruto en grimaçant.

— Ça, Naruto, c’est la preuve que tout ceci s’est bien passé. Et tu sais quoi ? S’il faut faire une analyse en laboratoire pour démontrer à Sasuke que c’est bien le sang de son frère, je le ferais.

— T’es dingue, les labos font pas ça comme ça !

— C’était une façon de parler.

Sakura remit son foulard en place, puis ils se regardèrent.

— Et maintenant, on fait quoi ?

Naruto réfléchit.

— On avait une piste. On continue dessus.

— Mitsubishi ?

— Ouais, Mitsubishi.

Sakura regarda sa montre : sa mère s’inquièterait si elle découvrait un appartement vide lorsqu’elle rentrerait. L’heure du dîner était déjà largement dépassée…

— Ça ne coûte rien de faire un détour, signala Naruto.

Ils reprirent donc le métro et descendirent dans le quartier Shibuya, bondé et animé. La haute façade de Mitsubishi se dressait entre les grands magasins et les boutiques de luxe, scintillante. Lorsqu’ils arrivèrent devant la vitrine, cependant, il n’y avait pas un chat en vue.

— Alors, il est où, ton maneki-neko géant ? interrogea Sakura sur un ton de reproche.

— Ils ont dû le rentrer, répondit Naruto en se tordant le cou pour voir à l’intérieur.

Il longea la vitrine et franchit les portes vitrées. Sakura l’avait à peine rejoint qu’une employée les abordait, légèrement réprobatrice dans son petit tailleur d’uniforme.

— Je peux vous renseigner ?

— Heu, non, on… on veut juste jeter un coup d’œil.

— C’est une banque ici, répliqua alors l’employée. Je vais vous demander de sortir, s’il vous plaît.

La visite infructueuse prit aussitôt fin. Dépités, Sakura et Naruto se résignèrent à rentrer chez eux.

— Foutue banque, grognait Naruto sur le chemin du métro. Pas moyen d’y mettre les pieds sans être un Hyûga.

Sakura opina distraitement, l’esprit ailleurs. La journée se soldait par un échec sur toute la ligne…

— T’as un portable ? lui demanda Naruto avant qu’ils ne se séparent pour prendre des métros différents. Pour te contacter si jamais ?

— Non, fut obligée de répondre Sakura avec un brin de honte. Pas encore, mais ma mère a dit qu’elle m’en achèterait un si jamais j’ai une bonne note en japonais moderne…

— T’es où au collège alors ?

Sakura lui expliqua où se situait son collège et Naruto conclut :

— C’est noté. Je te dirais si Sasuke revient sur l’affaire.

Il lui adressa un sourire puis un geste de la main avant de partir.



Ce soir-là, Sakura remit au réfrigérateur sans la toucher l’omelette au riz que lui avait préparé sa mère. Elle n’avait pas faim du tout. Son esprit fourmillait d’images et de voix qu’elle peinait à organiser. Elle ouvrit son carnet de détective amateur, en arracha les pages qui contenaient les considérations puériles de ses jeux antérieurs puis s’évertua à noter tout ce qu’il s’était passé aujourd’hui.

Les noms, les lieux, les évènements : tout cela forma une demi-douzaine de pages qu’elle tenta de hiérarchiser à l’aide de feutres colorés. Itachi est de la police, récapitulait-elle en traçant une flèche entre son nom et la fonction. Il ne prévient pas ses collègues de son agression. Il prétend être parti en congé. Il laisse un chat de porcelaine portant le mot « Amour ». Il travaille au kōban situé à la jonction des quartiers Okubo et Kabukicho…

Que pouvait-il bien faire qui ne relève pas de son métier ? se demanda Sakura en contemplant son calepin couvert de graffitis. Que pouvait-il faire qui soit secret au point de le pas le révéler à la police elle-même ? Sakura ne voyait qu’une seule réponse : quelque chose d’illégal.

S’il était un hors-la-loi, dans quelle mesure devait-elle alors chercher à le retrouver ? Elle sentait encore cette puissante allégeance qu’elle avait ressentie lors de sa rencontre. Elle était incapable de se lancer sur sa piste si cela signifiait devoir le livrer aux autorités. Il y avait eu une telle profondeur dans son regard, là-bas dans sa planque, qu’elle ne pouvait se résoudre à considérer Itachi comme un bandit. Et même s’il l’était, est-ce que ça la regardait ? Peut-être devaient-ils le laisser continuer ce qu’il était en train de faire.

Et puis elle se souvint : « Donne le chat à Uchiwa Sasuke ». Si Itachi avait voulu poursuivre en solo, pour quelle raison aurait-il donné cette ultime consigne ? Réfléchissant intensément, Sakura en vint à la conclusion que le maneki-neko avait une importance réelle. Laquelle, elle l’ignorait encore, mais de toute évidence, Itachi ne pouvait pas le garder sur lui…

Le mystère occupa tant et si bien les pensées de Sakura qu’elle ne vit pas la journée du lendemain défiler. Absente, elle observa ses professeurs d’un œil vitreux et laissa son voisin dormir à côté d’elle. Kiba ne se réveilla qu’à la dernière sonnerie de la journée. Alors que Sakura rangeait lentement ses affaires, un attroupement se forma devant l’une des fenêtres de la classe.

— Là-bas, regarde !

— Ooooh je vois !

— Qu’est-ce qu’il se passe ?

— Il y a un garçon super mignon juste devant le collège, gloussa une fille.

— Deux garçons supers mignons, rectifia sa copine en se trémoussant. Ils n’ont pas notre uniforme, ils doivent venir de…

— Vous croyez qu’ils attendent qui ? Moi je veux bien être volontaire pour…

Gagnée par la curiosité ainsi que par une légère appréhension, Sakura referma son cartable et s’approcha elle aussi de la fenêtre. Son estomac fit un bond lorsqu’elle reconnut la touffe de cheveux blonds de Naruto, puis celle d’encre de Sasuke. Les deux garçons étaient postés un peu en retrait du portail et sondaient les collégiens qui passaient d’un regard attentif.

Sakura traversa le collège en toute hâte, fébrile. Au moment de passer le portail, elle se dit soudain qu’ils n’étaient peut-être pas là pour elle, finalement, mais Naruto la vit et lui adressa de grands signes du bras. Elle piqua un fard.

— La prochaine fois, attendez-moi au coin de la rue, d’accord ? murmura-t-elle en les rejoignant à toute vitesse.

— C’est bon, on s’en fout, s’impatienta Sasuke. Dépêche, on a peut-être une piste.

— J’ai pas de vélo, s’alarma Sakura en les voyant récupérer leurs VTT adossés contre le mur.

— C’est pas grave, t’as qu’à monter derrière moi…

L’expression de Sakura fut sans doute suffisamment parlante puisque Naruto se redressa avec un petit sourire moqueur.

— T’as peur des rumeurs ? rigola-t-il. T’as déjà un copain ?

— Ça va pas ?! s’offusqua Sakura. Bien sûr que non !

— Ben alors tout va bien.

— Je veux pas qu’on me prenne pour… quelqu’un que je ne suis pas !

— Mais on te prend déjà pour quelqu’un que t’es pas, fit remarquer Naruto. J’pense pas que beaucoup de gens au collège soupçonnent que tu passes tes aprèm sur les traces d’un policier poignardé.

— C’est bon, vous avez fini ? s’énerva Sasuke qui était déjà monté sur son vélo. On peut y aller ?

— Grimpe, répéta Naruto en enfourchant son propre VTT.

Sakura ravala ses protestations et enjamba son porte-bagage en prenant soin de rabattre sa jupe d’uniforme sous ses cuisses. Lorsqu’elle eût calé son cartable sur ses genoux et agrippé le rebord métallique du porte-bagage, Naruto se mit en route d’un puissant coup de pédale et accéléra pour rattraper Sasuke, déjà devant.

— Où est-ce qu’on va ? s’écria Sakura, des cheveux plein le visage.

— On retourne à Mitsubishi, répondit Naruto par-dessus son épaule.

— Je croyais que l’entreprise appartenait à l’une des plus grandes familles de la ville et qu’on y entrait pas à moins d’être un Hyûga….

— Ouais, convint Naruto, mais moi, je connais un Hyûga qui pourrait entrer. Donc on va à Mitsubishi en faisant en crochet par Jogakkan.

Le nom du collège arracha une exclamation de surprise à Sakura. Jamais encore elle ne s’était approchée d’un établissement aussi côté. Elle avait essayé d’y entrer à la fin du primaire, mais elle n’avait pas décroché d’assez bons résultats aux concours.

Naruto devait vraiment y connaître des gens, parce qu’il y entra sans la moindre gêne et les guida jusqu’aux bâtiments réservés aux clubs de sport. Quelques élèves le saluèrent au passage, puis ils arrivèrent devant l’entrée d’un dojo. La séance du jour venait juste de prendre fin et les élèves discutaient encore, rassemblés sur le perron, leurs sacs à leurs pieds et leurs étuis à bokken sur l’épaule.

— Hé, Neji ! appela Naruto.

Le plus grand des élèves leva la tête dans leur direction. Il avait de longs cheveux noirs attachés en catogan et d’étonnants yeux gris qui se plissèrent lorsqu’il reconnut le nouveau venu.

— Qu’est-ce que tu fais là ? demanda-t-il avec méfiance quand il eût quitté ses camarades pour leur parler à l’écart.

— On a besoin de toi, expliqua Naruto en désignant Sasuke et Sakura, restés en retrait. On est sur une affaire et on doit absolument entrer dans la banque où travaille ton père.

— Mitsubishi ? fit Neji en plissant davantage les yeux.

Sakura l’observait attentivement. Neji devait avoir au moins un an de plus qu’elle. Il avait un beau visage, encore empreint de la douceur de l’enfance, mais ses yeux effilés luisaient d’un éclat éminemment adulte. Elle se sentit rougir lorsqu’il croisa son regard.

A ce moment, une fille sortit du dojo, vêtue d’un uniforme de sport. Elle adressa quelques mots au groupe rassemblé à l’entrée puis, suivant la direction qu’on lui indiquait, rejoignit Neji d’une démarche énergique.

— Salut les juniors, lança-t-elle avec bonne humeur. Qu’est-ce qu’il se passe ?

— Ils veulent entrer à Mitsubishi, mais sans me dire pourquoi, résuma Neji.

— Vous voulez aller où ?

— Il y a un… un truc qu’on voudrait vérifier là-bas, dit Naruto. Je te jure, Neji, on veut juste jeter un coup d’œil.

— Mais un coup d’œil à quoi ?

— Désolé, s’excusa Naruto en glissant un regard à Sasuke. C’est top secret.

Neji le considéra avec une dureté qui contrastait fortement avec ses traits juvéniles. Tenten le tirait déjà par la manche :

— Allez, ça te coûte rien et ça à l’air de leur faire plaisir !

— C’est juste pour jeter un coup d’œil ? répéta Neji.

— Promis. Tu pourras même rester avec nous tout du long, affirma Naruto.

— Vous n’aurez pas le choix de toute façon, soupira Neji. On ne laisse pas une bande de collégiens se balader comme ça dans un établissement pareil…

— Oui, c’est ce qu’on a cru comprendre… Alors on y va ?

— On y va.

Comme la plupart des collégiens, Neji et son amie circulaient eux aussi à vélo. Leurs sacs et leurs étuis passés en travers de leur dos, ils ouvrirent le convoi en direction de Shibuya. La camarade de Neji avait proposé à Sakura de monter derrière elle, ce qu’elle accepta avec soulagement. Rien ne faisait plus jaser qu’une jeune fille circulant sur le porte-bagage d’un jeune homme.

— T’es pas du même collège que Naruto, pas vrai ? disait sa conductrice. Vous vous connaissez d’où ?

— On s’est croisés un peu par hasard…

— Oui, c’est souvent comme ça qu’on rencontre Naruto. Je m’appelle Tenten, et toi ?

Tenten avait un contact facile qui faisait presque oublier qu’elle avait un an de plus et qu’en cela, Sakura aurait dû s’adresser à elle avec une révérence particulière. Malicieuse et spontanée, elle posa une multitude de questions auxquelles Sakura répondit par politesse. Si elle avait de bonnes notes, quelles étaient ses options, ce qu’elle aimait comme musique…

— Vous ne voulez vraiment pas nous dire pourquoi vous tenez autant à entrer là-dedans ? demanda-t-elle ensuite alors qu’ils arrivaient en vue de la banque.

— C’est une affaire de famille, expliqua Sakura.

Elle savait que c’était l’argument suprême contre lequel personne ne pouvait rien objecter. En effet, Tenten renonça à en savoir plus et attacha son vélo sans rien ajouter.

— Je vous attends là, déclara-t-elle. Trop d’étrangers, ça ferait louche à la fin.

Sakura, Naruto et Sasuke la laissèrent donc surveiller les vélos et suivirent Neji à l’intérieur du grand hall vitré. L’adolescent les conduisit jusqu’aux ascenseurs, en appela un puis vérifia d’un coup d’œil qu’ils étaient seuls.

— Vous vouliez voir quoi ?

— Un chat en porcelaine gros comme ça, ça te dit quelque chose ? dit Naruto en écartant les mains.

Les sourcils de Neji se froncèrent.

— Tu m’as fait venir ici pour un maneki-neko ?

— C’est important, assura Naruto. Alors ?

— Par ici.

Dédaignant l’ascenseur qui arrivait, Neji revint dans le hall, longea le comptoir de réception en saluant au passage la secrétaire puis s’arrêta à la porte d’une petite salle d’attente. Sakura, Naruto et Sasuke se pressèrent sur le seuil : le chat était là, posé sur une table basse. Il mesurait près de soixante centimètres de haut et arborait les exactes mêmes taches colorées sur son pelage de porcelaine.

— Fait voir, murmura Sasuke à l’intention de Naruto.

Il sortit le petit maneki-neko de sa poche. Sasuke et Sakura se penchèrent pour vérifier : l’inscription sur le médaillon était bien la même que celle du grand chat des Hyûga. Le souffle coupé, les trois adolescents échangèrent un regard connivent.

— C’est tout ? demandait Neji dans leur dos.

Naruto referma aussitôt la main sur le chat d’Itachi, mais le regard de Neji s’y était déjà posé. Il fronça davantage les sourcils.

— Oui, c’est tout, affirma Sakura, prenant les devants. Juste, est-ce que tu sais d’où vient ce maneki-neko ? ajouta-t-elle en désignant la table basse.

— C’est celui de mon père. Je l’ai toujours vu quelque part dans ses bureaux.

— Et tu sais où il l’a trouvé ?

— Aucune idée, répondit Neji, l’expression de plus en plus méfiante. Sans doute dans une braderie.

— Je vois. Merci beaucoup.

— Oui, merci, intervint Naruto. Je te revaudrais ça.

— Vous n’avez vraiment pas l’intention de me dire ce qu’il se passe, pas vrai ?

— Désolés.

— Dans ce cas, vous connaissez le chemin, conclut Neji en désignant la sortie.

Ils retrouvèrent Tenten près des vélos, occupée à fredonner le nez au vent.

— Déjà ? s’étonna-t-elle en retirant ses écouteurs.

— Merci de m’avoir emmenée, lui dit Sakura.

Tenten lui adressa un grand sourire. Tentant le tout pour tout, Sakura lui demanda soudain :

— Dis donc, est-ce que t’as déjà vu un maneki-neko qui porte l’inscription « Amour » sur son médaillon ?

Sasuke se tourna vivement vers Sakura, menaçant, mais Tenten répondait déjà :

— Bien sûr. Pourquoi, tu t’y intéresses ?

— Je fais la collection, baratina Sakura sans prêter attention au regard noir de Sasuke planté dans ses omoplates. Je cherche les pièces un peu spéciales.

— Il y en a un chez mon grand-père, dit alors Tenten. Il tient une blanchisserie, il est sur le comptoir depuis que je suis toute petite. Il y en avait aussi un chez le garagiste d’en face, mais il a fermé depuis qu’il a eu un incendie.

— Tu crois que ton grand-père serait prêt à le vendre ?

— Tu peux toujours essayer, rigola Tenten. Mais je te promets rien. Il y est très attaché. Un jour, j’ai voulu le prendre pour jouer et il m’a menacée de me mettre dans sa machine à laver. Mais rien ne t’empêche d’aller le voir…

Tenten écrivit une adresse sur la paume de Sakura, puis avisa Neji qui ressortait de la banque. Elle salua alors joyeusement le trio de collégiens et leur souhaita bonne chance. Lorsqu’ils furent suffisamment éloignés, marchant à côté de leurs VTT, Sakura, Naruto et Sasuke se rapprochèrent aussitôt les uns des autres pour délibérer.

— C’est bien la même amulette, récapitula rapidement Sasuke. D’une taille différente, mais avec la même inscription.

— Et visiblement, elle n’est pas la seule, ajouta Naruto en adressant un regard impressionné à Sakura. On a une nouvelle piste maintenant…

Sakura ouvrit sa paume pour qu’ils puissent tous y lire l’adresse laissée par Tenten.

— Reste à savoir s’il y a un lien, commenta-t-elle.

Puis elle sursauta :

— Hé ! C’est à Okubo, signala-t-elle en regardant l’adresse de plus près.

— Et alors ?

— Et alors, c’est pas là que travaille Itachi ? interrogea Sakura en se tournant vers Sasuke.

— Tu crois qu’il y a un rapport ? douta celui-ci.

— On ne sait jamais. On y va ?

Sasuke se remit en selle.

— On y va.


La blanchisserie du grand-père de Tenten était située en plein cœur d’Okubo, entre deux établissements de bains coréens. Elle était fermée lorsqu’ils arrivèrent, une petite pancarte accrochée sur la porte. Sakura s’étonna d’y lire du chinois.

— Le grand-père de Tenten n’est pas japonais ?

— Faut croire que non, dit Sasuke. Il y a écrit : « Je reviens dans un instant ».

Ce fut au tour de Naruto d’être surpris :

— D’où tu lis le chinois ?

— Itachi l’étudie depuis des années, répliqua Sasuke en haussant les épaules. Y’à des dictionnaires partout dans sa chambre. Bon, on n’a plus qu’à attendre.

Ils s’installèrent sur un banc public installé devant un ancien garage et tachèrent de se faire discrets. Trois collégiens en uniformes n’avaient pas grand-chose à faire dans ce quartier essentiellement fréquenté par des adultes, pour la plupart de nationalités externes à l’île. Sakura observa les allées et venues des passants en se disant qu’elle n’avait jamais pleinement réalisé à quel point la population était diversifiée en dehors du centre.

— Je savais pas qu’il y avait autant d’étrangers à Tokyo, commenta-t-elle au bout d’un moment.

Comme ni Sasuke et Naruto ne lui répondit, elle continua son observation et se mit à chantonner un morceau à la mode qu’elle avait entendu dans le métro, ce matin-là. Bientôt, Naruto l’accompagna.

— Tu connais ? s’étonna Sakura.

— Tout le monde connait, répliqua Naruto. J’ai toujours adoré le clip, la choré est juste énorme…

Sasuke se leva brusquement et fit quelques pas, comme si parler d’un groupe de musique rendait l’attente encore plus insupportable. Les mains dans les poches, il détailla les vitrines voisines en jetant des regards réguliers à la porte toujours close de la blanchisserie.

— Tes parents t’attendent ?

Sakura sursauta. Elle n’avait pas vu que Naruto l’observait surveiller sa montre.

— Je ne crois pas, répondit-elle. Papa reste souvent dormir au travail et maman se couche toujours très tôt. Elle me laisse le dîner sur la table de la cuisine. Et toi ? Tes parents ne vont pas s’inquiéter ?

Naruto haussa les épaules d’un air faussement indifférent.

— Ça leur serait difficile, ils sont à l’autre bout du globe en train de couvrir la déforestation en Amérique du Sud. Ils n’ont aucune idée de ce que je fais la nuit.

— Tes parents sont journalistes ?

— Reporters. Ils ne sont pas souvent à la maison.

— Mais alors comment tu…

— C’est un vieil oncle qui s’occupe de moi, répondit Naruto sans même attendre la fin de la question. Il est cool mais il boit beaucoup. Je vais sans doute le retrouver en train de ronfler sur la table basse du séjour en rentrant.

Sakura fut très gênée d’entendre parler d’un adulte ivrogne. Boire à l’excès était pourtant largement répandu chez les hommes, mais elle n’avait jusque-là jamais associé cela à un parent. Est-ce que son père buvait lui aussi, avec ses collègues ? Difficile d’imaginer l’inverse.

— Je ne suis pas spécialement à plaindre, reprit Naruto à côté d’elle. Mes parents ne sont peut-être pas à la maison, mais au moins ils pensent à moi, et parfois, ils reviennent.

Naruto jeta un regard à Sasuke qui leur tournait toujours le dos.

— Pour lui, c’est peut-être pire. Les Uchiwa ont toujours eu tout un tas de responsabilités qui passent largement avant la vie de famille. Je crois que je les ai jamais vus tous ensemble. Sa mère est débordée, et son père ne lui adresse la parole que pour lui dire qu’il aurait pu faire mieux au dernier contrôle. Ouais, c’est pire. Parce que ses parents sont là, mais pas complètement là. Pas là pour lui en tout cas.

Sakura contempla le dos de Sasuke, une sourde tristesse l’envahissant doucement.

— Et Itachi ? demanda-t-elle à voix basse.

— Itachi a fait office de père et de mère pour Sasuke. Je me souviens, c’est lui qui nous faisait à manger quand je venais dormir chez lui. Il a toujours été cool avec nous. J’espère qu’il va bien…

Sakura l’espérait aussi : la vision de son flanc tâché de sang l’obsédait encore. Elle s’apprêtait à poser une nouvelle question quand le cliquetis métallique d’un store que l’on relevait interrompit enfin leur attente.

— Ça ouvre ! s’exclama-t-elle en bondissant sur ses pieds.

Sasuke les rejoignit aussitôt et ils traversèrent la rue au pas de course. Avant d’entrer dans le petit établissement, cependant, il retint Sakura par le bras.

— Ne ressors pas ton histoire de collection, prévint-il. Si ces chats sont si particuliers, ça fera louche que tu t’y intéresses tant. Sans parler du fait qu’on n’est pas censés savoir qu’ils existent…

— C’est toi le chef, obtempéra Sakura.

Sasuke entra le premier. La boutique était minuscule, encombrée par un comptoir en bois et des tringles sur lesquelles pendaient une multitude de cintres. Des bouffées de vapeur s’échappaient de l’encadrement d’une porte, au fond, filtrant à travers le rideau de perles qui l’obstruait.

— Là, murmura Sakura en tapotant le bras de Sasuke.

Elle montrait le maneki-neko posé près de la caisse enregistreuse, sur le comptoir. Bien moins grand que celui des Hyûga, il avait une oreille ébréchée mais affichait le même sourire mystérieux – ainsi que le même mot.

— « Amour », lut Sasuke dans un souffle.

A ce moment, un vieil homme traversa le rideau de perles, vêtu d’un tablier blanc et coiffé d’un bandeau de la même couleur. Il était entièrement chauve, de petite taille et très maigre, mais les muscles secs de ses bras supportaient avec force la pile de draps qu’il vint déposer sur une table. Sa peau était tant et si bien ridée qu’on ne voyait de ses yeux que deux plis sombres surmontés de sourcils broussailleux d’une blancheur éclatante.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il en chinois lorsqu’il vit les trois collégiens plantés devant son comptoir.

Il avait une voix vive et plutôt aiguë. Désemparés, Sakura et Naruto se tournèrent vers Sasuke qui sembla chercher ses mots un instant. Prise d’inspiration, Sakura défit à la hâte son foulard d’uniforme et le lui fourra dans la main.

— Nous cherchons un moyen de nettoyer ça, dit alors Sasuke d’une voix assurée en posant le foulard sur le comptoir. Ce sont des traces de, euh…

— De sang, lui glissa Sakura.

Sasuke lui adressa un regard surpris.

— De sang, répéta-t-il en chinois.

— Je suis tombée, précisa Sakura.

Le vieux s’était penché sur le foulard qu’il déploya devant lui. Les traces rougeâtres formaient comme des ombres sur le tissu carmin.

— Laissez-le moi, dit-il en japonais après avoir ausculté les tâches de si près que son nez arrondi effleurait l’étoffe. Je m’en occupe. Votre nom ?

Sakura s’avança pour remplir un formulaire que le vieux déchira en deux. Il lui donna l’un des morceaux, puis piqua le second sur une aiguille métallique qui portait déjà un certain nombre de commandes.

— Demain, dit-il en désignant le foulard. Venez chercher demain.

— Merci beaucoup, dit Sakura en s’inclinant.

Puis elle sortit à reculons, imitée par Sasuke et Naruto. Une fois dehors, ils échangèrent un regard.

— T’as l’esprit vif, remarqua Naruto, impressionné.

Le compliment fit plaisir à Sakura.

— Peut-être, mais en attendant je n’ai plus de foulard pour demain, au collège…

— C’était quoi, ces traces ? coupa Sasuke.

Elle leva les yeux vers lui.

— Le sang de ton frère, répondit-elle avec une nuance de défi dans la voix.

Sasuke ne dit rien. Ils s’apprêtaient à repartir quand quelque chose attira le regard de Sakura : sur la devanture du garage devant lequel ils avaient attendu l’ouverture de la blanchisserie et que Tenten avait évoqué s’étalait un large oméga peint en noir.

— Non, souffla Sakura.

— Quoi ?

— L’oméga. Il y a un oméga juste là.

— Et alors ?

Sakura hésita. Elle craignait de passer pour ridicule si elle parlait de cette chasse à l’oméga qu’elle avait initié sur une lubie d’adolescente. S’en remettant au destin, elle posa l’issue de la décision à prendre sur l’équilibre d’une question :

— Est-ce que vous croyez au hasard ?

Naruto haussa les épaules, mais Sasuke répondit fermement :

— Non.

— Alors venez.






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