Fiction: Luciole

Timide, douce, souriante, gentille, mordue du dessin et de l'architecture… Seiko avait tout pour être aimée par ses semblables. Et elle l'était, jusqu'au soir où tout son joli petit monde s'est effondré, l'entraînant en un rien de temps vers le fond. Néanmoins, bien que perdue au cœur d'une foule haineuse de ce qu'elle est devenue, quelques personnes ont détecté la détresse dans son regard et ont pris l'initiative de faire revivre cette lumière qui s'était éteinte.
Classé: -16D | Général / Action/Aventure / Drame | Mots: 58213 | Comments: 9 | Favs: 4
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MlleChouette (Féminin), le 03/03/2016
Dernier chapitre du premier arc !
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« N'éteins pas ta lumière
Continue d'éclairer chaque recoin de cette nuit
Persévère, encore et encore
Toujours
Et tu ensoleilleras le monde »

Ses dernières paroles.
À ne jamais oublier

Jamais.




Chapitre 9: Chenille - Il le faut



Des cieux curieusement estivaux pour un mois d'automne recouvrent Konoha de leur dôme azuré et laissent éclater un glorieux Soleil de midi. Aucun nuage ne se profile à l'horizon, et pas un seul oiseau n'ose percer cette voûte enchanteresse des amants. Oui, il fait un temps magnifique pour une balade à deux et suffisamment froid pour greloter l'un contre l'autre. L'approche de l'hiver se remarque par les arbres dénudés de leurs mille et une feuilles, elles-mêmes balayées depuis longtemps par un vent dont la fraîcheur embrasse les joues des ouvriers qui rebâtissent sans relâche l'image du village après une tempête dévastatrice.
Dans la chambre blanche de l'hôpital est assis l'instituteur. Les jambes croisées, la cheville droite sur sa cuisse gauche, il appuie sa main portant un livre contre son mollet. Ses yeux savants quittent l'écriture noire pour se déposer sur le visage endormi de Seiko. Il observe longuement son élève enveloppée dans des draps blancs et dont la tête s'enfonce dans la mollesse d'un coussin. C'est une miraculée…
Il doit l'admettre : la chance n'est pas le seul facteur de sa survie, elle a aussi fait les preuves d'une extrême résistance à cette agression qui aurait dû lui coûter la vie…
Cela fait trois semaines qu'elle ne s'est pas réveillée, à croire qu'elle rattrape ses nuits blanchies par l'amertume et le chagrin. Mais Seiko est prometteuse et il n'est pas nécessaire de savoir les sciences et la littérature sur le bout des doigts pour reconnaître cette vérité.
Iruka constate que sa montre affiche bientôt treize heures et qu'il est temps pour lui de retourner exercer la fonction qui lui vaut sa popularité. Il se lève alors, péniblement, après avoir refermé le bouquin.

L'homme dont une balafre traverse son arête nasale suit de près l'entraînement de ses jeunes élèves qui peinent à maintenir leur rythme de course. Ils s'essoufflent rapidement, mais quelques uns gardent la tête haute, fiers de réussir à cacher leur épuisement. Il leur reste à boucler quatre tours de terrain et ils pourront retrouver leur parents qui les attendent tranquillement derrière les portes de l'Académie. La plupart, d'ailleurs, se sont dispersés autour de la clôture afin d'observer les performances de leurs gamins et de les encourager de loin. C'est ce qu'Iruka aime voir : l'amour d'un père et d'une mère pour son enfant. Il garde de tendres souvenirs de famille dans le fond de son grand cœur, ils sont si précieux à ses yeux…
Il est bientôt dix-huit heures, et le Soleil s'apprête à achever sa ronde tandis que les enfants rejoignent les bras de leurs parents sous leurs compliments et félicitations. Le jeune professeur est retourné dans sa salle après avoir discuté avec quelques familles soucieuses. Il prépare ses affaires pour rentrer chez lui, comme tous les soirs… quand, à sa grande surprise, un homme masqué pousse la porte coulissante. II est habillé des mêmes habits que lui, avec un bandeau frontal qui fait office de cache-œil sur lequel est posée une plaque métallique gravée du symbole de Konoha.

— Coucou ! fait joyeusement le shinobi arrivant. Ça va ?
— Kakashi ? Euh… oui, merci…
— J'ai deux nouvelles à t'annoncer : une bonne et une mauvaise.
— La mauvaise, souffle Iruka.
— Naruto ne s'est toujours pas réveillé… En revanche, Seiko…

Au début, durant les toutes premières secondes, l'instituteur ne réagit pas. Non, aucune réaction, jusqu'à ce que l'homme masqué assiste à l'arrondissement progressif des yeux du balafré. Un sourire se forme, s'étirant jusqu'aux oreilles et découvrant toutes ses dents, des incisives aux molaires, dans une brève respiration. Un espoir repu, une exaltation singulière, remontent son échine par un long frisson.

— Enfin ! s'écrie-t-il en fourrant ses dernières affaires dans sa sacoche.

Son cœur bondit joyeusement dans sa poitrine, si bien que ses gestes sont influencés par l'afflux de sang émis dans ses veines. Il tremble, il sursaute, et file, sans un mot de plus, devant Kakashi, avec son sac qu'il a manqué d'oublier sur son bureau.

Iruka se retrouve à l'hôpital dans les minutes qui suivent. Dire qu'il s'est dépêché serait euphorique ; pour plus d'exactitude, il faudrait décrire sa course dans Konoha comme celle d'un homme qui vient d'apprendre que son premier enfant est né.

— Je suis venu voir Seiko, lâche-t-il devant deux hommes postés à l'accueil.
— Vous tombez bien, elle vient de se réveiller ! Mais on a dû la déplacer…
— Quelle chambre, s'il-vous-plait ?
— La 103.
— Euh…
— Je vais vous accompagner, invite l'un.

C'est un vieillard en blouse qui tente de quitter le confort de son fauteuil dans un effort semblant surhumain. Il commence par pencher son buste en avant, puis pose péniblement ses mains sur ses genoux, prend son temps pour inspirer, et enfin pousse sur ses bras d'une manière terrible en ne cachant pas une grimace douloureuse.

— Non, ne vous dérangez pas… je la trouverai !
— C'est au deuxième étage, indique l'autre.

Le vieil homme ayant l'arrière-train juste au dessus de la chaise, il se contente de le reposer d'un seul coup, le temps qu'Iruka disparaisse dans un couloir, sous le regard septique de son collègue.

L'érudit a rapidement su trouver la chambre. Ce n'était pas bien complexe, après tout ! Il appuie sur la poignée de porte fermée pour la pousser silencieusement en douceur. Il a reconnu la voix forte d'Ibiki qui s'est assis sur la seule chaise de la chambre, face à Seiko. La jeune fille se tient adossée contre la tête du lit, avec son oreiller en guise d'amortisseur. Elle regarde l'inspecteur parler, puis détourne son attention sur le léger mouvement de la porte qui se laisse percevoir derrière le géant.

— Regardez qui voilà, lance-t-elle de sa voix particulière avec un sourire sur les lèvres. C'est cool de vous revoir après tout ce temps, Iruka-sensei.

Ibiki jette un coup d'œil derrière lui avant de saluer l'instituteur par une sincère poignée de main.

— Tu étais inconsciente, souligne le jeune homme en s'approchant. C'est comme de la veille au lendemain. Pour nous, ça fait trois semaines.

Elle hausse les épaules sous sa toison noire :

— Alors disons que c'est cool de vous savoir ici. Ibiki allait me raconter comment toute cette histoire s'est finie, vous êtes entré pile à ce moment.
— Ah, désolé de faire durer le suspens, plaisante-t-il.
— Hum, fermez cette porte, s'il-vous-plait.

Iruka, qui s'apprêtait à se renseigner sur la santé physique de son élève, se retrouve à exécuter sa demande.

— Alors, fait-elle à Ibiki. Cette fin ?

L'homme de la police soupire longuement, semble hésiter, mais cherche réellement ses mots afin d'être le plus clair et concis :

— En fait, tout part d'Erwan… Il a tué Yui, tu le savais, mais il a aussi recruté ton agresseur. Une lettre qu'il t'a donnée a été retrouvée dans tes affaires. Nous les avons arrêtés, tout les deux.

La jeune fille acquiesce doucement dans un mélange de surprise, d'inquiétude et d'incompréhension. Elle ne saisit pas pourquoi Erwan, qui jusqu'alors a juré de la protéger, s'en est pris à elle… Peut-être qu'il craignait pour sa liberté, qu'il n'avait pas confiance en elle…

— Tu te sens comment ? se renseigne Iruka.
— Mieux qu'hier, en tout cas !

Cette réponse plaisantine provoque un léger sourire chez les deux hommes. Ils se ressemblent, naissant au coin de leurs lèvres.

— Mais encore ?

Seiko soupire pour laisser son air jovial céder sa place à une expression soucieuse… Elle se gratte l'arrière du crâne avant de répondre :

— Le médecin m'a dit que je n'aurais normalement pas du m'en sortir, que j'ai eu beaucoup de chance que vous m'ayez trouvée avant que je ne me vide entièrement de mon sang, et qu'on a du m'opérer pour me soigner avec des techniques avancées…
— Eh bien ?
— Les frais reviennent chers, je ne peux pas payer tout de suite.
— Mais, intervient Ibiki. Tu es couverte, non ?
— Vous plaisantez ? rit-elle nerveusement. Mais bien sûr que non, que je ne suis pas couverte ! Mon tuteur a été tué et je bénéficie de la bonté du village pour être inemployable…
— Tu n'as que douze ans, en même temps.
— J'ai douze piges et je suis débrouillarde, sans vouloir me vanter. De toutes façons, il y a toujours des choses à faire, surtout quand personne n'aime les faire. Si j'arrive à me trouver un petit peu d'argent un petit peu partout, je pourrais accumuler une bonne somme pour…
— Ne te préoccupe pas de ça, coupe Iruka. Je m'en chargerai…
— Quoi ? Non ! Je suis parfaitement capable de m'en sortir seule…

Mais Ibiki a un doute depuis que Seiko a répondu à sa remarque. Une idée horrible a osé traverser son esprit d'observateur et d'analyste aguerri, alors, tandis que l'instituteur et la gamine essaient de trouver un accord entre la bonté et la fierté, il se permet de chercher la lumière dans ces ténèbres :

— À quoi tu faisais allusion quand tu disais qu'il y a toujours des choses à faire, surtout quand personne n'aime les faire ?

Seiko le dévisage comme à son habitude d'un regard toujours aussi sombre, intense, et si attrayant…

— J'étais sûre que vous aviez pas besoin d'enregistrement.

Ibiki ne marche pas dans ce sarcasme, il repose plutôt sa question avant que le silence ne grignote chaque seconde se perdant dans cette pièce. L'éclairage est si puissant que les ombres se cachent là où on ne peut pas les voir, et pourtant, les ténèbres règnent. Iruka, qui se tient toujours debout avec sa sacoche serrée dans sa poigne, observe à tour de rôle l'enfant et le géant.

— Ton tuteur, murmure ce-dernier en appuyant ses coudes sur ses cuisses épaisses. Qu'est-ce qu'il te faisait faire…

Seiko détourne les yeux, au grand étonnement de son professeur, mais pas à celui du policier. Son regard d'un noir opaque, dans lequel la lumière est dévorée, se perd dans les plis du drap blanc qui l'enveloppe chaudement en dépit de ses apparences fines. Iruka ne comprend pas, peut-être parce qu'il n'ose pas, mais ce qu'il retient dans tout cet échange silencieux comblé de regards bavards, c'est qu'un fait d'excessivement grave s'est produit dans l'ombre de Konoha…
L'absence de réponse ne fait que transgresser le doute sous le crâne chauve d'Ibiki vers une certitude sévèrement inquiétante, déplorable, catastrophique… L'homme fait basculer son buste dans le fond de la chaise pour observer la petite Seiko dont les mèches de ses cheveux couvrent son visage. Il retient un soupir désolé, puis c'est au bout de quelques secondes qu'il décide de se lever, lentement, pour quitter la pièce d'un pas perturbé, laissant seul Iruka avec elle.

Les mains de la gamine agrippent le tissu blanc qui se déforme dans sa poigne tandis que les questions se bousculent par dizaine dans la tête du jeune professeur.

— Seiko…

II a soufflé son nom dans le désarroi de l'incompréhension, et c'est à l'intérieur des tripes du silence qu'il distingue un petit reniflement venant de son élève.

— Hé…

Seiko, la Petite Peste de Konoha, retient ses larmes du mieux qu'elle peut. Iruka ne prête pas d'attention à la pluie qui sévit le village dans un crépuscule d'automne, et c'est à son tour de douter, alors il se permet de déposer sa sacoche sur la chaise, de contourner le lit et de s'y assoir afin de rencontrer les yeux trempés de l'enfant.

— Regarde-moi, Seiko…

Elle s'y refuse en secouant négativement la tête et tache de cacher son visage derrière ses cheveux, mais elle n'en fait rien, car Iruka le cueille entre ses mains fines pour l'en obliger.
La gamine s'exécute. Il faut néanmoins attendre que la première larme s'échappe sur la main de l'homme pour assister à une étreinte qu'il n'a pas vu venir… Elle s'est jetée à son cou, le serrant dans ses bras, et espère un retour de la part de l'instituteur. Le visage enfouit dans son col, elle ne s'y gêne pas pour y verser silencieusement ses pleurs. Iruka a finit par comprendre lorsqu'il a reçu Seiko contre lui, et maintenant qu'il est au courant, il n'ose pas la toucher… Sauf que dresser une façade de froideur sous prétexte qu'il ne sait pas comment réagir ne lui traverse même pas l'esprit, alors il referme doucement ses bras sur son corps qui semble si frêle et lui caresse affectueusement le dos frémissant à cause de justes sanglots. Elle a connu des choses malsaines beaucoup trop tôt pour son âge, des choses que personne ne devrait vivre, surtout pas les enfants. Des choses abominables, destructrices… Des choses impardonnables.
Les boucles brunes de son élève qui chatouillent ses joues se retirent lentement pour laisser apparaître un visage d'enfant marqué par le sel des larmes. Ses yeux noirs chatoient sous la lumière intense d'une lampe accrochée au plafond. Oui, la lumière se permet enfin de profiter de ce moment de faiblesse pour s'incruster dans son regard…

— Iruka…

Sa main froide qui vient se poser sur la joue de son professeur coupe le souffle de ce-dernier.

— Vous êtes vraiment quelqu'un de bien, insuffle-t-elle.
— Il va falloir que tu donnes des noms, Seiko…

La jeune fille détache ses doigts fins pour baisser son regard sur les draps.

— Le réseau s'est démantelé à la mort de Yui, mais vous n'abolirez rien pour autant.
— Seiko, rappelle-t-il. Tu n'as que douze ans… Depuis quand ça dure ?

La porte de la chambre grince pour laisser entrer la silhouette sombre d'Ibiki. Son visage aux traits durcis par les balafres semble aussi contrarié que lorsqu'il est sorti.

— Désolé. J'avais besoin de prendre l'air.

La surprise fait de lui une statue lorsque ses yeux aquilins se posent sur le visage pâle de Seiko. Plus exactement, ce qu'il ressent est une grande tristesse. Il ne l'a pas vue pleurer, il admet même qu'il aurait voulu la voir quelques minutes après son absence. Ibiki doit l'avouer : les larmes de cette enfant sont si rares ! Il n'est pas absurde de s'imaginer qu'elles abreuvent la Fleur du Monde…

Dans la nuit, sous le sommeil de Seiko, le vent s'agite éperdument. Il froisse la rivière qui écoule son éclat d'argent, il emporte les lucioles dans l'au-delà, il orchestre le chuchotement des vieux arbres… Il voyage, à travers le temps, à travers l'espace, il se perd, se retrouve… Il parade devant la Lune et les étoiles, enlace les montagnes noires, défie les océans, les provoque… Et quand vient le seul dieu des mondes, le créateur de toute vie, celui en qui l'espoir rayonne et perdure, celui qui offre à cette terre sa chaleur, sa lumière… et quand se lève l'Astre du Jour, le vent, indomptable, chasse les nuages pour le laisser briller de toute sa gloire éternelle.

Le pas pressé d'une infirmière dans le couloir réveille brutalement Seiko.

« Tap-tap tap-tap tap-tap »

Elle l'écoute s'éloigner en grimaçant et attend que cet horrible bruit percutant s'éteigne pour se tourner vers l'horloge. Il est onze heures moins vingt…
La jeune fille ne sait pas vraiment quoi faire. Iruka a raison : elle doit parler. Mais, que penseront les autres, ses collègues ?… Maintenant qu'Ibiki n'est plus inspecteur, mais un simple interrogateur pour avoir abusé de son pouvoir contre l'hôpital, Seiko se verra obligée de dévoiler un affreux secret extrêmement difficile à assumer. Déjà que le garder pour soi sans broncher est une sacrée épreuve, qu'y a-t-il à imaginer s'il devait se rependre ? Les regards apitoyés ? pénibles. Les mots réconfortants ? sévères. Les gestes de compassion ? destructeurs…
Après la mort de sa mère, tout le monde était prêt à accueillir la pauvre petite Seiko dans leur foyer, dont Monsieur Yui. Elle a été chez ce Monsieur Yui, choisi par Sarutobi sous le conseil des Anciens. Cet enfoiré gagnait suffisamment d'argent pour subvenir aux besoins de Seiko, ainsi, cette tutelle coûtait moins cher au village, pour ne pas dire qu'elle était gratuite. Il était un des hommes les plus riches, merci à son argent non-déclaré. La gamine aurait pu gagner sa part comme les autres… mais non ! tout ce qu'elle se tuait à gratter filait dans les poches de son tuteur jusqu'à ce qu'elle apprenne à mentir. Quand elle commençait à se poser des questions, il lui répétait que cet argent leur permettait de vivre facilement, que ça aidait les familles les plus démunies, et qu'il participait à la prospérité du village. Il achetait des propriétés, les louait pour pas cher, puis augmentait peu à peu le loyer.

— Gros con, laisse échapper Seiko.

Mais elle doit se contredire : il était gros, mais pas con. Non, il était fou. Un fou. Un avide. La cupidité avait un visage, et, Dieux ! Qu'elle est laide ! Il était gros et rond à force de bouffer des pièces. De toute façon, il engloutissait l'or comme s'il s'agissait de l'eau depuis sa naissance. La gamine est prête à parier que sa pisse était scintillante et qu'il chiait du bronze. Tout cet argent… que pouvait-il en faire ? Il gagnait plus qu'il ne consommait, ce porc… Alors il stockait. Stockait. Stockait. Et il grossissait. Grossissait. Grossissait. Et il s'engraissait, et il répugnait, et il stockait, et il grossissait, et il répugnait… Sous ses beaux habits blancs, il était crasseux. Sans son parfum, il puait. Seiko se souvient d'avoir fait couler un bain pour lui. L'eau d'une clarté charmante ? devenue grisâtre, noirâtre. Brunâtre. La douce odeur du savon ? erronée par son extrême puanteur. Elle a du gratter le fond de la baignoire avec le dos de l'éponge si fort qu'elle s'en est écorché les doigts.

« Tap-tap tap-tap tap-tap »

Seiko a le réflexe de lire l'horloge, bien que ses yeux sont déjà posés dessus. Onze heures, cette fois-ci.

Elle se redresse, poussant les draps de son buste, puis de ses mains, et balance ses jambes hors du lit.
Tous ces mots… elle aurait aimé les lui cracher à la figure avant qu'Erwan ne lui règle son compte.
Le doux contact tiède de la moquette sous ses pieds nus la ravi. Elle les enfonce dans sa faible épaisseur lorsqu'elle se lève, et cherche à retrouver l'équilibre. Seiko pose un pied maladroit devant l'autre, puis répète le geste.
Ça va. Elle s'en sort bien.
Elle se dirige vers l'armoire qui se trouve juste en face de son lit et tire les portes à elle. Son pyjama a été lavé, repassé, et soigneusement plié sur une étagère à côté d'autres vêtements sortis d'un placard de chez elle. Ceux-ci étant un peu moins bien traités, elle imagine que c'est Iruka ou Ibiki qui s'est chargé de les amener.
L'enfant jette un coup d'œil vers la porte, comme pour s'assurer de son intimité. Enfin, convaincue, elle commence à retirer ses habits.

Seiko quitte discrètement l'hôpital, sans autorisation, vêtue d'un simple pantalon en lin et d'un pull en laine de mouton. Elle lève ses yeux sombres vers le ciel azur et tache de les protéger de l'éblouissant Soleil en les couvrant de sa main. Elle grimace. Trois semaines passée à dans une boîte blanche qui avait pour ciel la blancheur d'un plafond et pour seul astre une lampe suspendue. Ce qui était plutôt plaisant, à l'intérieur, c'est que Seiko se sentait toute-puissante à commander le jour et la nuit. Bien qu'elle ne s'en est pas amusée, elle en avait le pouvoir. Elle se retourne vers l'architecture sophistiquée qui se dresse derrière elle. Elle sait que le géant aux pierres blanches retient Naruto dans son estomac, et passer le voir lui démange le cœur… cependant, en regardant au final droit devant elle, Seiko soutient que d'autres affaires l'occupent.

Le square n'a pas changé durant son absence brutale, quoique l'approche de l'hiver lui offre une allure sinistre. Son charme demeure tout de même, attirant les enfants innocents, leur famille, ou les plus solitaires comme Hinata. La jeune Hyuga, chaudement habillée, s'est assise sur un banc et s'occupe à lire un petit livre, plutôt fin, soit près de deux centimètres d'épaisseur, qui conte l'histoire d'une princesse amoureuse d'un paysan durant les temps des grands seigneurs. C'est un bouquin qu'elle savoure avec un intérêt curieux, il lui arrive de temps en temps de lever la tête et d'espérer voir apparaître, en face d'elle, découpant la foule, le petit Naruto.
Cependant, au milieu de cet afflux presque dérangeant, à onze heures passées, ce n'est pas le blondinet qu'elle distingue, mais Seiko. Une quelque joie s'anime en elle, alors elle se lève dans un semblant de petit bond, le sourire aux lèvres. Mais… c'est lorsque le regard noir de la fille sombre se plante dans ses yeux pâles telles deux flèches sorties d'un nuage de ténèbres qu'Hinata n'a pas à s'obliger de ralentir le pas et de s'arrêter à mi-distance. Elle a compris qu'elle n'est pas la bienvenue pour discuter avec l'orpheline de mère, seulement, elle y tient et le regard de Seiko l'en empêche. Noir. Agressif. Effrayant. Trucidant.
C'est une autre fille, brune, du même âge qu'elles, quoique peut-être un peu plus jeune, qui s'avance vers celle aux boucles obscures. La miraculée détourne son attention sur la nouvelle venue pour échanger quelques mots rapides et discrets, l'air grave, avant que les deux n'acquiescent et se soutiennent par une main posée sur le bras pour enfin s'éloigner mystérieusement l'une de l'autre.

« Ils savent »


Haruka a quitté le village vers quinze heures et quart pour se plonger dans les bois qui encerclent Konoha. Seule, elle décide de quitter le sentier pour s'aventurer sans crainte entre les vieux arbres qui s'élèvent sur leur colonne d'écorce. C'est au bout de quelques minutes qu'elle arrive au point de rendez-vous. L'air est pur, rafraîchi par un hiver très proche… Le ciel, blanchi par les nuages, observe la communauté comptant une petite dizaine de jeunes filles, de dix à quatorze ans, qui s'est réunie en une ronde imparfaite. Seiko s'y trouve aussi. Après tout, c'est l'orpheline qui a organisé cette réunion. À dix ans, elle a allumé sa première cigarette. Elle observe la dernière arrivante s'assoir parmi elles derrière un écran de fumée avant de proposer la fin de la clope à la fille de droite.

— Ils savent, déclare-t-elle enfin de sa voix basse.

Mais contrairement à ce qu'on pourrait croire d'une assemblée d'aussi jeunes enfants, le silence règne en sagesse.

— Qui a parlé ? s'enquiert une brune aux yeux verts.
— J'ai juste eu à faire à quelqu'un de suffisamment intelligent pour comprendre de quoi il s'agit. Va falloir réfléchir à ce qui va être dit.

La jeune fille aux yeux d'un vert qui sort de l'ordinaire, c'est Eri. Treize ans. Ses formes font plus d'elle une adolescente de quinze plutôt qu'une gamine de son âge. La plus efficace des dix, en somme.

— Ils veulent des noms, poursuit Seiko.
— Lesquels ?
— Je sais pas… Sûrement ceux de nos clients. Le problème, c'est que le gars en qui j'ai confiance n'est plus inspecteur.
— Ça veut dire que c'est quelqu'un d'autre qu'Ibiki qui va s'occuper des arrestations ?
— Oui.
— Et la confidentialité ?
— Elle n'est plus assurée, répond Seiko. Sauf si on arrive à faire en sorte qu'Ibiki récupère son poste. De toute façon, j'ai fait promettre de ne rien dire avant un retour de cette réunion.
— On ne peux pas parler, s'oppose une autre. C'est trop risqué pour nous ! Regarde, toi. T'as faillit te faire tuer…
— Aucun rapport !
— Mais qui sait ce que nos clients sont prêts à faire pour garder leur liberté ?
— Ça fait presque un mois qu'on n'exerce plus, rappelle Eri. Et jusqu'à là, on n'a pas de nouvelles d'eux. Mais si on parle pas, ils peuvent s'en prendre à nous, ou pire : à d'autres.

Un brouhaha s'élève au sein du cercle.

— J'ai pas envie de me faire attrapée dans un coin d'une rue ou d'apprendre qu'une gamine de huit ans s'est faite violer par un d'entre eux, continue-t-elle.
— Faut les enfermer, ces gars !
— Ils sont trop nombreux, déplore Haruka, on va se faire tuer !
— Pas si on les dénonce tous en même temps, intervient Seiko. S'ils tuent avant d'être arrêtés, leur peine sera aggravée.
— Ou ils s'enfuiront.
— Ben qu'ils s'enfuient ! s'écrie Eri. J'en peux plus de subir leur regard dégoûtant à chaque fois que je croise un de mes clients…
— Si on les dénonce, nos parents seront forcément au courant, et après, ça sera tout le village !
— Vaut mieux que ça se sache, dit une autre fille de onze ans. Vivre comme si de rien n'était, sourire alors que j'ai envie de pleurer, devoir rire aux blagues de cul pour faire semblant, c'est trop pour moi…

Cette dernière parole laisse comme un vide dans le temps et dans l'espace. Ni le vent égaré, ni un oiseau perdu, n'ose se manifester. De toute façon, ce n'est pas le moment d'écouter le chant des bois, car après que cette petite se soit exprimée, toutes se remettent personnellement en question.

— Elle a raison, souffle enfin quelqu'un d'autre. On n'a qu'à s'assumer et tout déballer.
— On n'a qu'à attendre, persiste Haruka. On y réfléchit chacune de son côté et on se retrouve pour…
— On est des putes ! Qu'on attende ou non, ça changera rien à part nous mettre en danger !
— Calme-toi, Eri.
— C'est pas ma faute si elle comprend pas, sérieux…
— J'ai pas voulu être dans cette merde, moi !

Tous les regard se braquent sur l'enfant aux cheveux blonds. Sa voix, contrairement à celle des autres qui sont soit toniques à l'instar de la brune, assurées ou justement honteuses, celle d'Haruka est étranglée, tremblante…

— Ça y est, elle chiale…
— Ta gueule, sérieux !
— Mais elle croit qu'on a choisi ça !
— Tu veux pas te la boucler trente secondes ? s'énerve Seiko. C'est pas en se faisant pleurer les unes des autres qu'on avancera !
— Si elle veut pas être reconnue, c'est son problème.
— On ne laisse personne à l'écart : c'est tout le monde ou personne.
— On a qu'à voter. Qui veut qu'on déballe tout ? lance Eri en levant la main.
— Ça sert à rien de voter ! s'oppose la doyenne de quatorze ans. Il faut que tout le monde soit d'accord…
— Il faut que tout le monde comprenne qu'il faut parler, rectifie Seiko. Haruka.

Mais elle se contente de couiner derrière l'or de ses cheveux. Elle n'a que dix ans, l'âge auquel a commencé l'orpheline, et elle n'a jamais voulu tout ça, elle était obligée, forcée, menacée, mais elle a des amis qui l'aident d'une certaine façon à oublier. Bien qu'elle ne dorme plus sans l'aide des somnifères de son père, bien que ses rêves soit envahis de cauchemars, bien qu'elle déteste cette situation, sa seule crainte est de ne plus pouvoir oublier…

— Haruka et les autres qui pensent qu'il faut se taire…

C'est lorsque la jeune blonde sent une main chaleureuse se poser sur sa cuisse qu'elle finit par fondre en larmes. Elle se réfugie dans des bras ouverts à son désespoir qui se referment tendrement sur elle sous le regard attristé des neuf autres prostituées. Seiko se revoit quelques heures avant avec Iruka, quand il l'a accueillie dans son étreinte réconfortante. Ce qu'il faut avouer, c'est que tout le monde ici à besoin d'un soutien…

— Haruka, insiste Seiko. Regarde-moi.

Haruka a le courage que toutes ont dans leur cœur, alors elle essuie ses larmes et quitte doucement les bras de sa collègue pour obéir à l'autre enfant en tâchant de retenir ses larmes.

— Tu peux pleurer, faut pas avoir honte. Maintenant écoute-moi. Écoutez-moi toutes. Garder le silence, c'est pas le bon choix. Je l'ai déjà fait, ce choix. Je me la suis bouclée pour mon père, et il a manqué de me tuer. Je me la suis bouclée pour Erwan, et il a manqué de me tuer. J'ai une putain de chance d'être encore là, à vous parler, et aujourd'hui, justement, il faut parler. Croyez-moi… si on se tait, un jour viendra où on n'aura plus l'occasion de dire les choses. Ça sera trop tard, car le temps nous aura rattrapées ; le temps et la souffrance… On est dix. Si un con nous emmerde avec notre passé, il faut pouvoir compter les unes sur les autres. Je sais que personne ne veut voir l'une d'entre nous sombrer dans son coin, c'est pourquoi on va continuer à se serrer les coudes, comme avant et comme depuis toujours. D'ici demain, les choses auront déjà changé. C'est ok ?

Les larmes naissantes des regards de chacune se sont éteintes au fil du discours articulé par cette enfant réputée pour sa noirceur. Toutes la fixent, la bouche semi-ouverte, les yeux arrondis par ce flux de paroles et le corps scotché au sol. Il n'y a pas de réponse qui vienne, ni de souffle, ni de sourire. En fait, il faut attendre que celui de Seiko se dessine d’émotion pour en voir naître des milliers autour d’elle.



Le premier arc se cloture par ce chapitre assez trash dans le contenu, on passera à autre chose d'ici le prochain.
N'hésitez surtout pas à commenter, j'en serais ravie ! :D

Prochain arc : Cocon
Prochain chapitre : Elle a silencieusement tissé sa toile




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