Fiction: Luciole

Timide, douce, souriante, gentille, mordue du dessin et de l'architecture… Seiko avait tout pour être aimée par ses semblables. Et elle l'était, jusqu'au soir où tout son joli petit monde s'est effondré, l'entraînant en un rien de temps vers le fond. Néanmoins, bien que perdue au cœur d'une foule haineuse de ce qu'elle est devenue, quelques personnes ont détecté la détresse dans son regard et ont pris l'initiative de faire revivre cette lumière qui s'était éteinte.
Classé: -16D | Général / Action/Aventure / Drame | Mots: 58213 | Comments: 9 | Favs: 4
Version imprimable
Aller au
MlleChouette (Féminin), le 07/04/2016
Hey ! Pour répondre aux derniers commentaires : je travaille actuellement sur une réécriture. J'ai écris jusqu'au 15eme chapitre, puis je suis revenue en arrière. Voilà, bonne lecture ! :D



Chapitre 11: Cocon - Condamnée par le feu



La nuque de Seiko s'est craquée sous le coup de poing d'un des policiers, mais il n'a pas eu le temps d'ajouter le deuxième qu'Ibiki lui décoche une droite de forgeron qui vient faire percuter le crâne du jeune homme contre le mur. Sonné, il peine à réaliser que le géant l'empoigne par le col de son manteau et rapproche violemment son visage du sien.

— Je t'interdis de lever la main sur elle, siffle-t-il entre ses dents.
— Vous… vous voyez pas qu'elle vous utilise… comme elle vient de faire… pour Etan ?…

Pour toute réponse, l'ancien inspecteur lui assène dans le ventre une seconde matraque qui le plie en deux.

— Ibiki-senpai !

C'est limite si son poing n'a pas flirté avec la colonne vertébrale du jeune policier. Celui-ci s'effondre sur le sol, étouffant les gémissements d'une douleur atroce… Le balafré se retourne vivement pour dérober Seiko de l'emprise d'un autre homme de l'Ordre en lui empoignant le bras menotté dans son dos et l'entraîne sans dire un mot dans une pièce voisine.

Il pulvérise la porte derrière lui et s'enferme à clef avec la gamine. La chevelure de celle-ci qui recouvre son visage s'est décoiffée sous le coup de poing du policier. La tête baissée, elle demeure silencieuse tandis qu'Ibiki lui fait face. Lui qui a pour habitude de rester extrêmement calme qu'importe la situation se voit serrer les poings et s'avancer lourdement vers Seiko.

— Putain ! explose-t-il de son énorme voix.

Incapable de lever la main sur l'enfant, il fracasse le mur d'un puissant coup de poing.

— Tu veux te faire enfermer à vie ou quoi !

Aucune réponse en retour…

— Tu n'avais qu'à te lever, te retourner, revenir ! Tu n'avais que ça à faire ! Seulement ça ! Merde !

Les poings serrés, il les ramène près de son visage en plantant ses ongles dans ses paumes, tressaillit à force de contracter ses muscles, et les balance vivement vers le bas en laissant sortir un bref rugissement.

— Il était là, sans arme, à chialer comme une gonzesse et à te supplier de le pardonner ! Et toi, tu l'as tué froidement !
— Et vous vouliez que je lui pardonne ! s’emporte à son tour la gamine. Le pardonner d'avoir contribué à l'anéantissement de ma vie !
— Que tu le pardonnes ou non, on s'en fout, ce n'est pas à toi de le juger !
— À qui, alors ! Hein !

La jeune fille a dégagé son visage ensanglanté de ses cheveux souillés par un bref mouvement de tête et dévisage Ibiki de son regard assaillant. Elle est entrée dans une colère noire, chose encore jamais vu jusqu'alors.

— À l'Hokage ? Aux Anciens ? Hein ? À qui ! Qui à le droit de juger une personne qui ne lui a apporté aucun malheur ? La seule personne à qui revient ce droit est la victime… La victime, seulement elle et personne d'autre qu'elle !…
— Ce n'est pas comme ça que ça fonctionne !
— Qu’aurait souhaité la mère d'une gamine violée et tuée ? Qu'aurait voulu un homme qui enterre son ami assassiné ? Qu'auraient espéré tous ces gens pour les personnes simplement enfermées derrière des barreaux, nourries et soignées !
— Etan a un frère, et s'il réfléchissait comme toi ? Il viendrait te faire la peau ! Seulement personne ne t'aime à ici, alors pour venger la Petite Peste de Konoha, il n'y aura personne et ça s'arrêterait là…
— Vous dites vouloir rendre justice, mais il n'y a pas de justice rendue pour les filles comme moi et les neuf autres !
— Et si manques à Iruka ou à moi, un de nous se fera tuer pour avoir buté le frère d'Etan et ça s'enchaînera jusqu'à qu'il ne reste qu'une seule personne au monde !

Et le dialogue de sourds s’enchaîne, se poursuit, mêlant la voix grave d’Ibiki à celle de Seiko, qui, habituellement basse, s’élève comme le vent pour s’abattre comme la foudre. De l’autre côté de la porte, le calme sévit. On entend l’engueulade comblée d’arguments inaudibles, atténuée par l’épaisseur de la porte, par le tonnerre rugissant dans la noirceur du soir et par la pluie tellement battante qu’on y croirait entendre la chute d’une volée d’oiseaux au dessus du toit.

Mais un moment, tout s’arrête. Ibiki manquant de souffle, Seiko d’idées. Tout s’arrête, à l’exception de cette ondée assassine. Le regard aquilin figé dans celui de l’enfant, l’homme finit par soupirer d’accablement. Et ce n’est seulement qu’après ce dialogue sans queue ni tête, dans cet échange silencieux comblé de regards cherchant la raison au milieu d'une petite pièce vide de meuble avec seulement une lampe suspendue au plafond, qu’ils se rendent compte tout les deux que rien ne tient debout, et que leurs arguments si différents soient-ils s’accordent pour laisser penser que la justice ne reste qu'un idéal inaccessible…

— Œil pour œil, dent pour dent, reprend Ibiki sur un ton bien plus calme. C'est comme ça que ça s'est passé pendant des siècles entiers de guerres interminables sans lois, reposant uniquement sur l'aspect moral, avant qu'on en vienne à créer les Nations…

Seiko l'observe de son regard intensément noir dans lequel brûlent deux ténèbres jumelles. Sa joue gauche enflée et rougie sous la frappe du policier fait souffrir le cœur du géant si affreusement qu'il en vient à soupirer une seconde fois, de tristesse, cette fois-ci.

— Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter votre protection…

Il la considère, éploré. Cette gamine est la seule personne capable de l'émouvoir rien que par ce qu'elle est… Il passe sa patte d'ours derrière sa large nuque en laissant courir son regard aiguisé sur le sol grisâtre.

— Écoute, Seiko…

Il hésite, vraiment… Il n'a rien à lui cacher, mais il ne se voit pas non plus lui dire qu'elle est aussi bornée que son jeune frère qu'il a perdu de vue, et que c'est peut-être à cause de cette étroite ressemblance qu'il s'est attaché à elle.

— Tu es une fille remarquablement intelligente fourrée dans un sacré merdier, lâche-t-il enfin.

Mais elle ne bronche pas, soucieuse du silence de l'homme face à sa question.

— Tu trouveras un moyen de t'en sortir… À moins que ce ne soit pas ce que tu veuilles ?
— Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter votre empathie ? insiste-t-elle. Je vous ai méprisé quand j'ai entendu que vous aviez laissé tomber l'affaire de la Pluie de Sang, je me suis foutue de vous pendant toute l'enquête sur meurtre de Yui, alors pourquoi ?
— C'est…

Il soupire…

— Peut-être que j'ai été séduit par ton café, finit-il par doucement plaisanter.

Elle s'apprête à rétorquer à son tour par une de ses nombreuses vannes quand la voix de Tsunade frappe à la porte en sommant que l'on sorte de la pièce.

— Vous avez de l'humour, Ibiki, termine l'orpheline, souriante agréablement.

Maculée par le sang, déformée par le coup de poing, décoiffée par le choc, menottée par l'Ordre de Konoha et souillée par un passé lamentable, Seiko garde tout de même son charme singulier à faire chavirer mille cœurs. Ibiki s'approche d'elle pour cueillir son bras dans sa poigne calleuse et la faire avancer vers la porte de sortie.
Tsunade les a attendu d'un pied ferme de l'autre côté. Les bras croisés sous son énorme poitrine rehaussée, elle dévisage le géant d'un regard autoritaire semblant exprimer son total désaccord sur cette initiative. Il s'amuse toutefois en constatant que l'enfant et l'Hokage se ressemblent par ce caractère mordant. Elles ne s'en sont peut-être pas rendues compte toutes les deux, mais ce qui est certain, c'est qu'il ne faut en aucun cas les laisser seules dans la même pièce…

— Shikaku, prononce-t-elle sans détourner son regard d'Ibiki. Vous interrogerez Seiko. Trouvez ce qui ne tourne pas rond dans sa tête.
— Oui, Tsunade-sama.

Si se mordre la joue pour le géant est un tic provoqué par son anxiété, en entendant le nom du père de Shikamaru, il devrait se l'arracher. Croire Seiko être de taille face à cet homme est une grossière erreur. Mais que peut-il faire ? Proposer de prendre sa place pour interroger l'enfant est tout bonnement impensable. Le Nara a été soigneusement choisit par Tsunade pour la simple raison qu'elle a su discerné l'intelligence logée dans le cerveau de l'orpheline de mère. Aux grands problèmes, les grands moyens, et Seiko est déjà en train de spéculer sur sa défense. Elle ne peut pas dire la vérité, avouer qu'elle a commencé à réfléchir sur ses actes à partir de l'instant où elle a quitté la chambre de Naruto, que tuer Etan a été aussi intense qu'assister à sa propre naissance… et bien d'autres choses encore toutes aussi bizarres et inquiétantes les unes que les autres.
Tsunade observe Seiko cogiter. Elle n'a pas sourcillé lorsque le nom de Shikaku a été prononcé, et pourtant, elle sait parfaitement à qui elle a à faire. L'homme en question s'approche de la gamine pour la dérober à Ibiki et l'entraîner dans une pièce lointaine.

— Débarrassez ce corps et nettoyez la salle, termine l'Hokage.

Shikaku a retiré les menottes qui écorchent les poignets de la jeune fille pour l'assoir sur une chaise dans un bureau emprunté, puis trouve à son tour son aise de l'autre côté d'une table professionnelle sur un fauteuil confortable. Seiko fige son regard dans le sien où brille une intelligence bien évidemment supérieure à la sienne. Les arguments ne fonctionneront pas sur lui, elle en est parfaitement consciente…

— Seiko Matsuda, souffle-t-il.

La pièce est éclairée, conviviale. On s’y sent bien quoique la table en bois laqué se trouve être particulièrement désordonnée, comblée de paperasse soignée ou chiffonnée, bonne à foutre à la corbeille… pleine. Mais, dans tout cet océan d’on-ne-sait-trop-quoi, un petit cadre de photo se dresse timidement à la droite de Shikaku. Un père, une mère, deux beaux enfants biens portants jouant avec un chien, y figurent… Une famille, en somme. Ce que n’ai jamais vraiment connu Seiko. Peut-être à de rares occasions. Peut-être même que ces gens-là sont dans un cas similaire que le sien et que cette personne-là, assise habituellement sur ce fauteuil, essaie de garder en souvenir les meilleurs moments de sa vie par l’immortalisation d’un des leur.

— Tsunade-sama m'a mis sur mes gardes en me choisissant. Paraît-il que tu es très intelligente. Je n'ai pas vu ce que tu as fait à Etan, ni ce que tu lui as dit, mais tout se lit sur ton visage.

La gamine se sent flattée. Peut-être est-ce là le danger ?…
En attendant qu’elle réponde, Shikaku se charge de dégager un peu la table.

— Etan était déjà condamné à la prison à vie, continue-t-il. Pourquoi l'avoir tué ?
— Il était condamné à vingt ans, corrige l'enfant qui n'aime pas que les choses soient déformées.
— Ah…

Seiko se crispe lorsqu'elle comprend son erreur, mais elle ne détourne pas les yeux. Il s'agit pour elle d'une épreuve extrêmement difficile, mais elle doit tenir le coup. À tout prix.

— Tu regrettes ?

Répondre par un simple oui menteur ?…

— Comme ça…

Cette question lui a été posée par Iruka juste après avoir été interrogée par Ibiki pour le meurtre de Yui. Même réponse, sauf qu'elle couvrait Erwan. Le contexte est bien différent…

« Disons que j'assume »

C'est sur ces mots qu'elle avait terminé sa réponse.

— Disons que je suis ennuyée.

Shikaku soupire discrètement sans que l'interrogée ne sache faire la distinction entre le scepticisme et l'inquiétude. Dans un cas, elle marque un point, dans l'autre… elle s'enfonce.

— Mais qu'est-ce que tu as ressenti lorsque tu l'as égorgé avec un trousseau de clefs ?

Pas grand chose ? De la joie ? Une renaissance ?

— Je sais pas. C'était… bizarre…
— C'est-à-dire ?…
— C'est indescriptible… Un maelström de plein de choses.
— C'était agréable ?
— Je…

Elle semble chercher dans son cœur le ressenti exact. Mais, oh que oui, que c'était agréable ! Elle a envie de le dire, de le crier, de le hurler, elle ne veut pas se taire, et pourtant…

— Le savoir mort est important pour moi, dit-elle enfin. Mais… je ne sais pas… J'ai réalisé plus tard que ce que j'ai fait est grave…
— Quand est-ce que tu as réalisé ?
— Avant de sortir de la pièce avec Ibiki.

Toutes ces réponses, il les note sur une feuille. Seiko a l'impression d'être un cobaye en pleine expérience, ça la fâche un peu.

— Qu'est-ce qui te fait croire que c'est grave ? Certes ça l'est, mais tu t'es engueulée avec Ibiki, ce qui prouve que tu as défendu tes idées. Pourquoi t'en détourner ?
— Tuer, c'est un crime bien plus grave que ce qu'on pourrait croire. C'est le pire… On n'a qu'une vie, et quelqu'un qui l'ôte fait disparaître sa victime du monde. Elle n'existe plus. Regarder un mort, ce n'est pas du tout comme voir une personne qui dort. C'est regarder une coquille vide qui ressemble à cette personne, mais qui n'est pas elle. Tuer, c'est éteindre une vie à jamais…

En observant les yeux de Shikaku, elle repense à son fils qu'elle a croisé au cimetière.

— C'est éteindre une vie à jamais, reprend-elle. Et en anéantir des dizaines d'autres. Un parent, une sœur, un frère, une fille… Un fils, un ami…

Seiko comprend qu'elle a touché un point faible lorsque l'homme détourne le regard.

— Alors, oui je suis ennuyée d'avoir tuer cet homme, mais je regrette d'avoir anéanti toutes les vies à côté. À ce prix-là, j'aurai préféré le laisser vivre…

Le Nara fait tourner le stylo entre ses doigts quelques petites secondes, pensif, puis reprend enfin ses notes.

— Et… dis-moi… Ce meurtre, tu ne l'as pas prémédité, j'espère…

Bien sûr que si… Elle a même pensé aux conséquences, c'est juste qu'elle ne les a pas prises en compte.

— Non. Tout s'est fait sur l'instant. Il était là, la gorge découverte. C'était une occasion pour le faire payer… Mais je vous l'ai dit : si je pouvais retourner en arrière, je le ferai.
— Donc tu ne t'es pas déplacée jusqu'ici pour le tuer.
— Je ne savais même pas de qui il s'agissait, répond Seiko avec un air agacé.
— Ce discours que tu as tenu fonctionnerait aussi bien sur un autre prisonnier récemment arrêté. Et il y a aussi cette main que tu as posée derrière sa tête.

La gamine ne cache pas son scepticisme. Il lui a pourtant affirmé qu'il n'avait rien vu ni entendu… Shikaku s'amuse :

— C'est bien, tu fais attention aux moindres détails de cet entretien.
— On part dans de la psychose, s'agace Seiko.
— Pourquoi ? Je t'ai juste félicitée pour ton attention.
— Ne me prenez pas pour une imbécile…
— Ça serait un crime impardonnable, provoque-t-il tout souriant. J'en suis conscient.

Seiko sait parfaitement qu'elle est connue pour son tempérament colérique, alors retenir le flot de parole qui remonte le long de sa tranchée donnerait un point supplémentaire à Shikaku, et cela, il n'en est absolument pas question !

— Combien de fois avez-vous vraiment souhaité la mort de quelqu'un ?
— De nombreuses fois, répond-il.
— Combien de fois avez-vous agit ?
— Aucune…
— Eh bien moi, pour une seule fois, cette sagesse m'a manquée. Pour une seule fois, ça ferait de moi une folle ?
— Tu as quand même tué un homme, Seiko…
— Donc vous admettez que oui ? Personne n'a enfermé Sasuke qui veut tuer son frère, et pourtant, il est bien parti pour le buter !
— Donc tu t'es vengée.
— Ce n'est pas normal ?
— Une vengeance se prépare, théoriquement.

Un point.

— Comment réagiriez-vous si vous vous trouvez face à l'assassin de votre fils ?
— Ne parle pas de mon fils, avertit Shikaku, grave.
— Ça aurait pu être lui à la place de Choji, vous en êtes conscient ?
— Ne parle pas de mon fils !
— Alors que penser de cette façon qui dure depuis des siècles d'envoyer des enfants au front pour entre guillemets arranger des affaires du monde ?
— Ça n'a aucun rapport !
— Si ! Ça a tout à voir ! s'emporte-t-elle dans une voix couverte par le fracas de la foudre. Parce qu'on nous forme à tuer dès le plus jeune âge ! On nous apprend à nous battre, on nous apprend à tenir une arme, on nous apprend à atteindre notre cible, on nous apprend tout un tas de techniques, et ce, au service d'une Nation ! Vous pensez que les gamins lors des guerres comprennent réellement ce qu'il se passe derrière tout ça ? J'espère que non ! Ça voudrait dire que vous avez cessé de grandir trop tôt et que tout le monde est comme vous ! Moi-même je suis pas fichue de comprendre quoique se soit à la politique, mais ce que je sais, par contre, c'est que les gamins sont formatés dès le début pour tuer d'autres gamins formatés. Et j'ai suivi une partie de cette programmation. Je n'étais sûrement pas la meilleure, peut-être même la plus trouillarde, mais il s'est passé tout un tas de choses dans ma vie qui ont changé ma donne, alors qu'on ne me juge pas parce que, soi-disant, je suis une folle, qui tue un fou, dans un monde de folie !

Shikaku l'a laissée parler sans broncher, quoiqu'il reste impressionné par la vivacité de son esprit…

— C'est tout ce que j'ai à vous dire, termine-t-elle.

Il penche son regard sur sa feuille et y ajoute quelques notes avant de les relire.
À l'extérieur, la pluie s'abat sévèrement contre la vitre du bureau. L'homme lève vers la fenêtre le bout de son nez qui s'harmonise avec la finesse son visage dans lequel sont gravées deux cicatrices : l'une traversant sa joue droite, la deuxième suivant le sens de première un peu plus haut, au niveau de son front, comme s'il avait été blessé par une fourche de paysan. C'est donc en levant ses yeux noirs qu'il aperçoit un éclair pourfendeur illuminant la nuit lugubre dans une fraction de seconde peu après un grondement de tonnerre. Sa pupille se repose sur Seiko qui l'observe toujours intensément.

— Depuis quand tu manifestes cette capacité ?
— Je n'ai plus rien à vous dire, répète-t-elle.
— Tu es au courant que ce pouvoir peut tout changer pour toi ?
— Je sais.
— Alors depuis quand ?

Seiko soupire, lasse. Elle réajuste ses mèches souillées par le sang et dégage son visage maculé en jetant ses cheveux en arrière. Ses doigts fins sur sa joue enflée, elle grimace de douleur. Des baffes, elle s'en est récolté. Des coups de poing aussi. Des coups suffisamment puissants pour entendre sa nuque craquer. Mais celui-ci… elle doit avouer qu'il était le plus violent.

— Depuis quand, relance Shikaku.
— Depuis que je suis sortie de l'hôpital, répond la jeune fille.

L'homme au visage aussi fin que celui de son fils observe la gamine dont les mèches rebelles s'évadent dans tous les sens. Il est vrai qu'au premier coup d'œil, là, juste à cet instant, elle a tout l'air du stéréotype d'une folle échappée d'un hôpital psychiatrique avec ses cheveux en bataille, sa marque d'une lutte et le sang recouvrant son visage, son cou et ses vêtements. Mais elle ne l'est pas. Elle est loin de l'être, car contrairement à Erwan, elle conserve tout son sens de la logique.

— J'en informe Tsunade-sama, déclare-t-il en se levant.

Il passe à côté de Seiko sans bruit, ouvre la porte et demande à un des policiers de nuit de surveiller l'enfant, le temps de se rendre au manoir de l'Hokage.
C'est seulement lorsque Shikaku quitte la pièce qu'elle ressent un fervent épuisement qui la fait bâiller aux corneilles. Elle essuie une larme quand une femme blonde de grande taille la contourne. Elle ressemble à celle de la photo… Seiko bâille une seconde fois, agacée, avant de demander avec une fausse politesse si ça dérange qu'elle se repose, car son entraînement avec Iruka l'a fatiguée…



Tsunade se réveille en sursaut lorsqu'elle entend quelqu'un frapper à sa porte. Elle essuie rapidement du revers de la main un filet de salive qui est venu, sans qu'elle s'en aperçoive, tâcher un rapport de mission…

— Déjà ? s'étonne-t-elle en voyant Shikaku entrer.
— Il est bientôt minuit, Tsunade-sama.
— Bon, euh… Qu'est-ce que tu veux ?
— C'est à propos de Seiko Matsuda.
— Hein ? Qui ? Ah ! Oui, oui, bien sûr… Alors ?

L'homme constate une trace sur la joue de sa supérieure, celle que l'on retrouve après un sommeil imprévu sur un bureau plein de papiers et de cahiers et de stylos et de tampons…

— Je n'ai rien remarqué d'anormal.

La femme regarde Shikaku de ses yeux fatigués avant de se frotter le visage.

— Elle vous a eu, vous aussi…
— Peut-être…
— J'ai surtout l'impression qu'elle provoquait. Elle avait un sacré public derrière elle : toute la Police de Konoha et les plus hauts gradés administratifs. Enfin… qu'est-ce qu'elle vous a dit ?

L'homme jette un coup d'œil sur sa feuille avant de répondre :

— Qu'elle ressent plus de l'ennui que du regret d'avoir tué Etan, que… le savoir mort est important pour elle, mais qu'à défaut de se venger, elle aurait préféré ne pas le tuer, car elle s'en veut quand même d'avoir anéanti les personnes qui l'aimaient.
— C'est tout ?
— Non. Elle a aussi critiqué notre système militaire.
— Pour changer !
— Mais il y a autre chose, Tsunade-sama…

L'Hokage fronce les sourcils, se concentrant davantage.

— Quoi donc ?
— Je pense bien qu'elle puisse être une arme phénoménale pour le village. Avec un peu d'entraînement…
— Pardon ?

Shikaku se reprend :

— Pas aussi phénoménale que l'est Naruto Uzumaki avec Kyubi ou Sasuke Uchiwa avec le Sharingan, mais elle m'a confiée avoir développé une capacité jamais vue jusqu'alors.
— Abrégez.
— Il semblerait que sa colère influe le temps.

Tsunade redresse la tête avec un air étonné se reflétant dans ses yeux.

— Qu'est-ce qui vous fait penser ça ?
— Il a fait beau, aujourd'hui, rien n'annonçait d'orage, pas un nuage à l'horizon, l'atmosphère n'était pas lourde, et les vents n'étaient pas violents. Jusqu'à ce qu'elle s'énerve avec Ibiki, l'orage a grondé, la pluie s'est abattue… Elle s'est calmée, l'orage a cessé. Elle s'est remise en colère, et l'orage a repris.
— Simple coïncidence.
— Je ne pense pas, mais c'est quelque chose qu'on ferait mieux d'observer à long terme.
— Iruka s'en chargera. En attendant, placez-la en détention pendant cinq jours ; elle ne peut pas s'en sortir avec de simples mots…
— Cinq jours pour avoir tué un homme ? s'étonne Shikaku.
— Je ne peux pas l'enfermer trop longtemps, surtout avec ce que tu me dis. Je poserai un verdict d'ici là. La famille d'Etan a été prévenue ?
— Théoriquement.
— Fixez-leur une heure de rendez-vous pour demain.
— Bien, Hokage-sama.

Seiko a au moins eu le droit à une douche tiède afin de ressembler à autre chose qu'à une meurtrière enragée, ainsi qu'à de nouveaux vêtements et à de la glace à placer sur sa joue gauche.
Elle a ensuite passé la nuit au poste de police dans une petite cellule semblable à celle qu'elle a occupé lorsqu'Ibiki l'a arrêtée pour le meurtre de Yui. Elle n'a pas imaginé sortir d'aussi tôt, mais elle s'est étonnée que ni Iruka, ni l'ancien inspecteur, ne fasse de déplacement pour lui rendre visite. Elle ne se cache pas que voir son professeur lui ferait grandement plaisir, et qu'elle lui doit des excuses, mais… il n'est pas venu. Ni le matin du lendemain, ni le midi, ni le soir. Peut-être qu'elle doit le dégoûter… Elle comprendrait, alors…

C'est d'ailleurs ce midi-là que le rendez-vous entre la famille du défunt et l'Hokage est programmé. On y retrouve une mère dévastée, les yeux rougis et encore fatigués, un grand frère qui se plaint d'avoir passé sa nuit à tourner dans son lit, les cernes marquant son visage dur, et une petite sœur qui, visiblement, est plus marquée par la colère et la haine que le chagrin.

— Ho… Hokage-sama, balbutie la mère. Je ne comprends pas pourquoi Seiko ne peut pas être envoyée dans une prison pour mineurs… Elle a couvert un meurtre et elle a tué mon fils !
— Je comprends votre colère, Madame, mais Seiko appartient désormais à l’État.
— Mais alors pourquoi vous nous avez appelés ? N'y a-t-il pas de sanction appropriée lorsqu'un de vos soldats tue un civil de sa propre Nation ?
— En fonction des circonstances, nous appliquons la peine de mort.
— Mais quelles circonstances !
— Accident ou meurtre.

Tsunade quitte son fauteuil pour tourner son regard vers la fenêtre qui donne un panorama sur Konoha. Le village semble si paisible malgré toutes les complications qui l’accable. Est-ce un hasard si Seiko en est à chaque fois la source ?… C’est à croire qu’elle fait exprès…

— Seiko reste une enfant, et on ne punit pas les enfants par la mort.
— Etan était lui aussi un enfant dans sa tête, rétorque la sœur dont le teint est anormalement pâle. C'est parce qu'il ne s'intéressait pas aux femmes de son âge qu'il a commencé à chercher beaucoup plus jeune que lui.
— Je ne peux ni l'enfermer, ni la condamner à mourir, rappelle l'Hokage.

Et à ses yeux, il n'y a qu'une seule sentence adaptée pour Seiko… Celle du crime de guerre que l'on applique aux adultes.


Les cinq jours de détention marquent leur fin par un soleil majestueux qui s'élève dans un ciel azuré. On ouvre la porte de la cellule dont les gonds gémissent dans leur vieillesse pour faire sortir l'enfant, menottée, et la diriger vers une salle complètement isolée du reste du bâtiment. Pour y accéder, il faut traverser un long couloir austère dans lequel résonnent horriblement les pas de Tsunade qui ouvre la marche, de Seiko et de deux autres shinobi.

« Tap-tap tap-tap tap-tap »

Se confondant avec le toc-toc des talons de l'Hokage. Rien ne présage quoique ce soit de bon, aux sens de la gamine…
Soudain, alors qu'ils sont à mi-chemin entre les deux portes, une d'elles s'ouvre brusquement.

— Tsunade-sama ! s'exclame la voix grave d'Ibiki.

Seiko pivote en même temps que tout le monde, mais la dirigeante de Konoha ordonne que les deux policiers poursuivent leur marche sans l'attendre.

— Vous ne pouvez pas faire ça !

L'enfant, toujours retournée, résiste de sa faible force à la pression des shinobi.

— Avance ! commande sèchement un des deux.

Elle n'a pas le temps d'apercevoir son protecteur accourir vers l'Hokage qu'elle est bousculée en avant pour voir la porte s'approcher dangereusement… Et elle prend peur.

— Où… où est-ce qu'on m'emmène ?

Aucune réponse. Alors Seiko résiste avec bien plus d'entrain, en vain, car il s'agit tout de même de deux costauds…

— Où est-ce qu'on m'emmène ! Tsunade !

Toujours le même mutisme qui énerve plus que tout la gamine, quoiqu’il l'effraie davantage…

— Tu devrais conserver tes forces, conseille un des policiers qui peine à la maintenir tranquille
— Pourquoi ? Il y a quoi, derrière ?
— Tu verras, termine-t-il pendant que l'autre ouvre la porte.

Seiko sent son cœur cogner contre sa poitrine si fort qu’elle l’entend battre dans ses tempes. Un tambourinement intérieur, sourd, qui la fait tressaillir. Ses lèvres tremblent lorsqu’elle se retrouve face à deux villageois. Une femme. Et un homme. Cet homme, debout, grave, le regard droit en chemise blanche rentrée dans son pantalon, qui se tient droit sur ses jambes épaisses devant une porte, elle le reconnaît. Son visage complété par une barbe naissante ne masque pas ses traits durs, gravés dans sa peau de bien quarante ans. Elle le reconnaît, car il était souvent avec Etan. Elle le reconnait, car les deux se ressemblent. Elle le reconnaît, car il est son frère…

— Vous…

Dans ses narines s’incruste une sale odeur. Un arôme d’huile, en fait. Elle sursaute. Une huile étincelante, bien dorée, qu’elle reconnait derrière une vitre semblable à celle de la salle d’interrogatoire en plus délabrée. À côté, une torche accrochée au mur. La pièce entière est éclairée seulement par quelques flammes dansantes dans l’obscurité, à croire qu’il s’agit d’une salle damnée. Un seul homme se tient derrière la vitre, cagoulé d’un tissu semblable à un sac de café avec juste deux orifices pour laisser échapper son regard inhumain. Un peu fort, de taille moyenne, les bras épais avec un ventre bombé par la consommation d’alcool, il a le gabarit de son père, et dans sa poigne jointe à la deuxième devant son nombril, il serre un manche qui tient une liane souple tellement longue qu’elle effectue jusqu’à cinq boucles maintenues dans les mains couvertes par d’épais gants en cuir noir.

— Putain…

Un souffle, un vertige, Seiko recule d'un pas.

« Condamnée par le feu » a dit Tsunade.

Seiko recule d'un deuxième pas maladroit, d'un troisième, d'un quatrième, jusqu'à ce que son dos rencontre la planche froide qu'est la porte de métal. Elle cherche la poignée à l'aide de ses mains attachées, puis l'active en présence des deux policiers. Ils ne réagissent pas, sachant que de toute façon, il n'y a pas d'échappatoire pour elle, surtout lorsque l’Hokage entre à son tour dans la pièce dépouillée d’ornement, suivie du géant.

— Ibiki, souffle Seiko.

Ce-dernier, calme, s’avance vers une chaise en laissant tomber son long manteau noir de ses épaules. Il n’a pas accordé un regard à l’enfant…

— Tsunade ? appelle-t-elle.

Sous ses pupilles indistinctes entourées des ténèbres du doute et de la suspicion, elle observe le géant déposer son vêtement sombre sur le dossier de la chaise et défaire la ceinture qui lui serre la taille. Il retire par la suite sa veste grise, lentement, en laissant mugir une tirette sur le long d’une maille épaisse pour enfin découvrir son buste d’athlète dans lequel sont gravés de disgracieuses balafres, des endroits où la peau semble avoir été arrachée, laissant entrebâiller des plaies cicatrisée, sans compter les brûlures parsemées par-ci, par-là. Il se décoiffe aussi de son bandana, le déposant sur l’assise de la chaise, et décoiffe ainsi son crâne chauve dans lequel on a enfoncé d’énormes clous qui y ont laissé un cratère béant entre les empreintes d’un acide extrêmement corrosif.
Ibiki n’est pas qu’un géant. Ibiki est un monstre. Un monstre qui, par une sorte de brûlant amour fraternel, s’est porté volontaire pour prendre sur ses épaules le supplice normalement réservé à Seiko.



Prochain chapitre : T'en va pas



Chapitres: 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 [ 11 ] 12 13 14 15 Chapitre Suivante »



Veuillez vous identifier ou vous inscrire:
Pseudo: Mot de Passe: