Fiction: Le Huitième Péché. (terminée)

(O-S en deux parties) Colère, Paresse, Gourmandise, Envie, Luxure, Avarice et Orgueil. Ces sept pêchés capitaux régissent le Japon en 2098, l'année des vingt ans de Suigetsu. Mais il y en a un huitième que la société ignore et qu'elle aurait mieux fait de reconnaître. Suigetsu va faire connaissance avec ce huitième pêché là où il s'y attendait le moins... « En arrivant ici j'étais C18975, grâce à elle je suis devenu Su. Mais Karin m'a appris à être Suigetsu. »
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Lorely (Féminin), le 13/01/2015
Yo!
Ça faisait un moment que je n'avais pas posté... Une petite envie? J'espère que ça va vous plaire, je suis généralement fière de ce one-shot et j'espère que, quel que soit votre ressenti, vous allez me laisser un commentaire :)
Par ailleurs comme il est trop long je suis obligée de le scinder en deux, sorry. J'espère que les deux parties seront postées de façon proches...
La chanson mentionnée est Happily Ever After de He Is We.
Bonne lecture!




Chapitre 1: Le Huitième Péché. [Part 1]



Le Huitième Pêché.

Première Partie.



J'avais eu une éducation parfaite. Je suivais convenablement les cours et mes notes étaient correctes. Je n'étais pas irrespectueux, j'aidais toujours mon prochain. J'étais poli, aimable, courtois. Je me retenais de crier quand je marchais pieds nus sur un Lego, je détournais mon attention lorsque une jolie fille déambulait en bikini, je mangeais à ma faim sans en prendre trop. Quand je voulais quelque chose, je pensais aux pauvres qui n'avaient rien et réprimait mes envies. Lorsque je faisais une activité, c'était dans le seul but de me distraire et non pour être le meilleur.
Mais j'avais déjà pété les plombs, deux fois. La première à mes neuf ans, quand je ne comprenais pas à quel point cela aurait pu me coûter. Parce qu'une petite racaille m'avait volé mon goûter. La seconde au collège, lorsque que ma petite amie m'avait largué pour une autre fille.
On n'avait le droit à deux chances pour commettre un pêché, à la troisième, on était bon pour la prison. Excepté les enfants de moins de sept ans. A sept ans, on considère que le gamin est assez autonome pour comprendre ses fautes.
La société n'est pas parfaite, et tout le monde serait en prison à cette heure-ci si on n'avait pas trois chances. Pourquoi trois ? Personne ne sait, mais certains osent des hypothèses. Un adage aurait dit « Jamais deux sans trois » mais le plus probable est certainement un hommage à la troisième guerre mondiale. Mes livres d'Histoire racontaient toujours la même chose : le 14 Juillet 2050, la population a atteint les dix milliards d'habitants. L'ONU n'avait pas perdu de temps et s'était réuni le lendemain. Comme ils possédaient la bombe atomique, ils décidèrent de s'allier et d'attaquer l'Ukraine avec qui ils avaient des problèmes depuis que la Russie essayait de la posséder et s'était énervée lorsqu'on l'avait retirée de l'ONU. La Russie, qui possédait l'arme nucléaire également, a répliqué sur les quatre États, s'alliant avec les pays Nordiques. La Chine, la France, les États-Unis d'Amérique, la Grande-Bretagne, la Russie, la Suède, la Norvège, la Lituanie, la Lettonie, l'Estonie, l'Ukraine, Israël, l'Inde et le Pakistan disparurent ( ces trois derniers avait formé une alliance, puisqu'ils détenaient illégalement la bombe nucléaire). Un massacre, un génocide, la guerre la plus courte mais la plus meurtrière. Un an pour s'entre tuer, se déchirer, s'anéantir. Pour réduire l'Humanité à la bestialité. L'on raconte que ces Terres ne sont désormais que des No Man's Land que la mer aurait englouti pour certains. L' Europe ne serait plus qu'une vaste plage nue sur laquelle l'océan irait de temps à autre ravaler les débris restants. On n'en sait pas plus, nous n'avons pas le droit de voyager, car nous n'avons pas le droit de satisfaire notre curiosité. Nous n'avons pas l'autorisation d'être envieux.
Le Japon, pays dans lequel je vis aujourd'hui, qui s'était caché de juillet 2050 au 8 mai 2051, a alors resurgi quand le Monde dérivait. Une famille prestigieuse -les Hyûga- a pris le pouvoir et s'est proclamé chef. Le Japon qui paniquait, se laissait aller à la débauche, le suicide, le mensonge et les vices, repris courage. Il regagna son ampleur d'antan et Hiashi Hyûga décida de venir en aide aux petits pays pauvres tels que Madagascar, le Vietnam, l'Allemagne... La mort quitta peu à peu les trottoirs alors que les Hyûga installaient une nouvelle façon de vivre. On entrait dans une nouvelle ère. Celle de la destruction de la guerre, de la Renaissance et de la Paix. On décida d'éliminer les Sept Pêchés Capitaux. Pour cela, dès notre naissance, on insérait une puce dans l'hémisphère de notre cerveau et des membres du gouvernement avaient une alerte sur leur ordinateur dès qu'on commettait l'un des pêchés. Si on le faisait trois fois, la prison venait nous chercher. Pas d'Orgueil, d'Avarice, de Luxure, d'Envie, de Gourmandise, de Paresse, de Colère.
A l'école, on nous apprenait aussi comment fonctionnent les prisons, afin de nous effrayer pour qu'on ne transgresse jamais les règles.
J'avais bien appris cette leçon, et maintenant, j'allais l'appliquer.

*

La troisième fois que j'explosais de colère remontait à vingt minutes. Vous connaissez ça, un enchaînement de galères ? Une surcharge colossale sur les épaules, un poids toujours plus pesant qui vous fait traîner des pieds, vous empêche de vous concentrer et vous donner envie de craquer.
J'ai craqué. Mon père était parti en prison il y a un mois de cela, pour cause de Luxure. J'avais quelques connaissances dont les parents avaient commis l'irréparable. Mais jamais ça n'avait été la Luxure. L'humiliation. Mon père se faisait des putes. Mon père aimait détester ma mère. Mon père n'avait plus de dignité. Lui et sa blondasse avait été arrêté. J'ai appris qu'il n'a pas tenu la semaine. Personne ne se moquait de moi -c'était interdit- mais je lisais leur regard écœuré. On ne m'approchait plus, on leur donnait raison de ne pas le faire. J'étais la progéniture d'un monstre. Je me retenais d'exploser. Je n'étais qu'une cocotte minute qui, pendant un mois, subissait des coups, encore et encore. La fumée qui s'échappait de ma cheminée devenait plus dense et, finalement, lorsqu'on me remis une mauvaise note à mon interrogation -que j'avais pourtant révisée- mon couvercle s'envola dans un élan de colère et je laissais place à mon ire pour accuser la professeure de favoritisme. Pas moins de cinq minutes plus tard, la police m'emmenait tant bien que mal -je suis un garçon très grand et musclé, pas facile de maîtriser une armoire à glace en colère- dans leur voiture.
Et j'en suis là où je suis maintenant. On me sort de la bagnole, un canon planté sur la colonne vertébrale pour me contrôler. J'avance, les mains menottées dans le dos. Je pense à ma mère à qui on vient d'apprendre qu'elle ne me reverrait plus jamais. Dire que les derniers mots que je lui ai présenté sont « T'inquiètes, je finirais mes choux ». Parce que je n'aime pas les choux de Bruxelles et qu'il y en a toujours le samedi à la cantine.
Autre chose qu'on nous apprend dans les gros bouquins de cours : apparemment le lundi était le premier jour de la semaine avant la troisième guerre. Nous, nous sommes en week-end du vendredi au samedi et, de temps à autre, on avait des cours particuliers le samedi matin. Et le premier jour de la semaine est le dimanche nous reprenons. Les Hyûga ont instauré ça car ils veulent que toutes traces des anciennes civilisations disparaissent. Les livres d'antan, films et musiques sont contenus au Gouvernement en guise d'archives. Nous n'avons pas le droit de les connaître.
On m'amène dans une salle où sont assises déjà trois personnes. Un vieux que la mort grignote petit à petit, un adolescent aux jambes écartées qui se gratte allègrement les noisettes, et une enfant d'une dizaine d'années qui ne cesse de sangloter. On m'assoit à leur côté et je sais où je suis. La salle d'attente. Ils décident de notre sort. Ce qui est inutile puisque jamais on ne libère quelqu'un de sa peine.
J'espère que ma mère ne va pas faire exprès de piquer des crises de colère pour me rejoindre ici. La honte. Et puis, il faut qu'elle oublie, qu'elle vive, qu'elle profite. Moi, je ne me plais pas dans cette société, alors que je sois ici ou ailleurs... Pour passer le temps, j'essaie de me souvenir de mes cours. Les prisons des Sept Pêchés sont composées de sept bâtiments, un pour chaque section. Avec des dortoirs mixtes et des magasins qu'on ne voit nul part ailleurs : des coiffeurs, des restaurants, des tatoueurs... Tout ce qui peut nous satisfaire personnellement, nous embellir et faire de nous quelqu'un de supérieur est interdit. Je me demande à quoi ça ressemble... Est-ce que je vais découvrir des gens avec des cheveux colorés, des trous dans le visage et des dessins immondes sur la peau ?
- Suigetsu Hôzuki.
Je suis interpellé et je regarde autour de moi. Les trois sont partis et deux nouveaux sont déjà là. Diable, que le temps passe vite. Le même flic que tout à l'heure, maigrichon dans son uniforme blanc (tout le monde s'habille en blanc au Japon, pour la Paix, la pureté et la virginité. La blague.) me demande de le suivre. J'obtempère, surtout curieux de ce qui va m'arriver et, étrangement impatient. J'aimerais savoir si tout ce qu'on raconte dans les bouquins est vrai. Si c'est le cas, je ne vais pas tarder à mourir. Mais, comme je l'ai déjà précisé, que je sois là où ailleurs... Je mène une vie monotone où on m'interdit de briller dans un domaine, où je n'ai pas le droit d'avoir des envies, de manger un gâteau par plaisir, de me faire une inconnue pour me détendre, de m'énerver contre l'injustice, de ne pas avoir le courage de faire mes devoirs et de posséder plus de choses que je ne le devrais.
J'enfile la tenue de prison qu'on me tend : un haut noir et un pantalon identique. D'un tissu modeste. Pour que personne ne soit jaloux ou tenté de piquer ceux des autres. Je m'assois sur une chaise de la pièce albâtre et vide. Je n'avais même pas remarqué qu'on avait changé de pièce. Étroite et vide, on dirait ma tête. L'homme me dessine une tatouage autour de mon poignet, près de ma veine. Je sais déjà ce que s'est : un C que les flammes rouges dévorent. Ce tatouage sera mon signe distinctif. Ainsi, lorsque je ferais des épreuves ou que j'irais dans la cour que les sept bâtiments emprisonnent, seule endroit commun à toutes les sections, on saura à quelle partie j'appartiens. Il m'enfonce un tube sous la veine et je grimace. C'est plus gore que je ne le pensais. Youpi, j'ai un tube en plastique dans ma veine. Il y joint un cathéter en m'expliquant d'un ton lasse et monotone ; le ton de l'habitude:
- Le vendredi est l'unique jour de sortie, il te permet d'accomplir ta bonne action, si elle doit se dérouler en dehors de la ville. Une puce est dedans et forme un mur entre ton sang et le poison du cathéter. Elle est reliée à celle de ton cerveau. Au moindre écart dans le monde de dehors, elle s'ouvre et le produit létal te tue sous dix secondes.
Charmant. Merci.
Il finit de me l'enfoncer et, les poings sur les hanches, des cernes sous les yeux, me demande :
- Questions ?
Je secoue négativement la tête. Il part et revient sans que j'ai eu le temps de réfléchir. Il a une plaquette dans les mains. Je suppose qu'il est inscrit dessus mon nouveau nom. Celui de prisonnier. Je ne suis plus Suigetsu Hôzuki au père qui se faisait des putes et à la mère qui ne va pas tarder à s'enfoncer dans la dépression, le grand gars qui mesure un mètre soixante-dix sept. Je lis la plaquette alors qu'il me l'accroche comme une broche sur mon médiocre pull. Je vais être C18975. Chouette, c'est facile à retenir tiens.
- Le choix de bonne action se fait le dimanche, précise-t-il en se reculant et j'écoute ce que je sais déjà,chaque dimanche, on te distribue une bonne action à faire. Tu as sept jours pour la faire. Si ce n'est pas le cas, on t'exécute. Toutes les semaines, tu devras alors faire ta bonne action pour continuer à vivre. Une épreuve se déroule le lundi, si tu la gagne, tu auras le droit à une semaine de plus. Cette épreuve regroupe toutes les sections, et il n'y a qu'un seul gagnant. En revanche, elle peut se révéler mortelle, c'est pour cela qu'il n'y a pas beaucoup de participants. Allé, je t'amène à ton bâtiment. C'est le septième.
Il se lève et je le suis, sans grande motivation. J'vais mourir, et alors ? Je sais que je n'arriverais pas à faire ma fameuse bonne action, et j'ai même pas envie de la faire. Je vais profiter de ma dernière semaine et après j'irais emmerder le Diable. Bon plan. Je n'ai pas d'amis, plus de parents, pas d'accroche et on me fout en taule parce que je me suis mis en colère trois fois. J'ai une puce dans la tête qui peut me la trancher en tant qu'épée de Damoclès n'importe quand. La société me contrôle. Je n'ai pas le droit d'être Suigetsu Hôzuki, juste C18975. Je ne dois être qu'un mouton parmi la foule humaine qu'on range par catégorie de pêchés. Je ne peux pas être moi-même. Je ne connais pas mes traits de caractère de toute façon puisque je n'ai pas l'autorisation de les extérioriser.
Je pousse la porte quand le flic me salue d'un bref signe de tête et repart. Je soupire. En ouvrant cette porte, je pénètre dans mes sept derniers jours de vies.

*

Les couloirs sont grands, spacieux, et bondés de vies aux tatouages au poignet. On a tous ce C en flamme qui nous déchire les veines. Je bouge mes doigts, les articule et tout mon bras prend feu. Putain ça fait un mal de chien ! Je sens le tuyau qui me dégrade l'intérieur, qui signera mon arrêt de mort.
Je regarde ce monde de colère dans lequel je viens de pénétrer et observe les boutiques d'un œil curieux. Une jeune fille aux cheveux en pétards, cloués de partout, ressort de l'une d'entre elle, riant trop fort et s'accrochant au bras d'un garçon au nez retroussé. Ils sont bizarres. Et je suis comme eux. L'idée d'avoir l'étiquette du gars en colère m'irrite et je n'ai qu'une envie : exploser un mur. Mais une main s'accroche à la manche de mon pull. Une voix féminine, doucement sensuelle, m'interpelle dans mon dos :
- Tu es nouveau ?
Je me retourne doucement, tentant de faire retomber ma fureur lorsque je croise son regard brillant. Ses cheveux s'accrochent furieusement entre eux et sa bouche rose me sourit bêtement. Elle a l'air forte et sûre d'elle. Je devine sa poitrine ferme et rebondie sous sa plaque. C16001. 2 974 personnes nous séparent donc.
- Oui. Jm' appelle Su...C18975.
Elle rit.
- Enchantée Su, je suis Tayuya.
Ha bon ?
- T'es constipé ? Fais pas cette tête alors ! Les poulets sont trop naïfs, ils pensent qu'on va perdre notre identité ici mais c'est n'importe quoi. On la retrouve.
J'arque un sourcil, intéressé tandis qu'elle serpente entre la foule de monde à qui elle rend les saluts. Je lui emboîte le pas, intrigué.
- Tu as déjà commis un pêché, on va pas t'emprisonner parce que tu les refais. C'est un nouveau monde ici. Tu as le droit de redevenir ce que tu devais être, prendre l'identité que la société t'a volée. Et tu as donc le droit de t'appeler par ton prénom. Y'a que les keufs pour s'intéresser à ton matricule.(Elle fait la bise à un homme d'une quarantaine d'années) Pourquoi t'es ici ?
Je prends un temps avant de me rendre compte qu'elle me parle à moi. Je marche à ses côtés et répond :
- Je me suis mis en colère.
Elle rit encore.
- Oui, mais contre quoi ?
- Une sale note.
Là, elle s'esclaffe complètement. Ça doit être contagieux car je ris aussi. Ça me fait bizarre de laisser mon hilarité devenir folle, libre. D'ordinaire je me retiens, on a pas le droit d'être heureux dehors.
- Moi j'ai organisé une manifestation. Je me suis foutue en rage contre les Hyûga. Indirectement, mais j'aurais aimé les avoir en face.
Je l'admire. Cette fille dégage une classe de dingue.
On grimpe des escaliers et elle demande des nouvelles d'un garçon un peu plus jeune que nous avant de reprendre sa route. En haut des escaliers ne se trouve aucune porte. Alors qu'au rez-de-chaussée il y a foule de boutiques, ici il n'y a que des lits qui se superposent, des oreillers qui s'écrasent, des couvertures qui traînent. Des gens jouent aux cartes, papotent, plaisantent. Et quelque chose me traverse l'esprit. On est samedi. Demain matin, ceux qui n'auront pas accompli leur bonne action de la semaine seront exécutés. Ils profitent de ce qui leur reste. Des secondes qu'on leur offrent.
- Bienvenue dans le repère des Coléreux.
- Trop d'honneur.
- Je devrais mieux me présenter, dit-elle en grimpant les barreaux d'une échelle et en se posant en tailleur sur un lit de dessus.
Je ne fais que gagner un peu de hauteur en posant mes pieds sur un des barreaux, n'osant pas m'affaler sur le matelas qui ne m'appartient pas.
- Je suis Ta...Tu sais, les lits ici ne sont à personne. On dort là où on veut. On est le côté bordélique de la société paradisiaque des Hyûga, alors on s'en branle de l'appartenance. Bref, je suis Tayuya, la chef actuelle de la section Colère.
La chef ?
- Ouais. C'est un véritable capharnaüm ici, et, comme tu le sais, demain est le jour des exécutions. Les prisonniers ont besoin d'une forte personnalité pour les rassurer, leur donner du courage. Quelqu'un prêt à risquer sa vie lors des épreuves. Je suis un symbole.
Qu'est-ce qu'elle fout dans la colère ? Certes ses cheveux roses pétant semblent être énervés mais sa façon de parler ressemble à de l'orgueil.
- Tu ne te prends pas pour de la merde.
Elle sourit tristement. Je m'attendais à ce qu'elle rit. Bizarre. Elle plonge sa main dans sa poche et sort une photo froissée. Elle la déplie et me la tend. Je distingue un visage enfantin, blond, aux yeux amusés. J'ai le cœur qui se sert. Je sais déjà que ce garçon qui était l'allégorie de la vie est devenue son antithèse.
- Naruto, continue Tayuya. C'était le chef quand je suis arrivée. Il a été là pour moi. Il m'a soutenu comme jamais quelqu'un n'avait pu être là pour moi. C'était le grand frère de tout le monde. Il s'est sacrifié à ma place alors que je devais être exécutée. Je me suis promise de reprendre son rôle et d'éclairer ma famille que sont les Coléreux à sa place. Reprendre le flambeau...
J' hoche la tête et lui rend la photo. Je ne sais pas quoi ajouter. Je grimpe sur le lit, assis dans la même position qu'elle tandis qu'elle reprend son speech, sûrement pour éviter de penser à Naruto.
- Si tu veux tu peux aller dans la cour, pour connaître les autres. Un conseil, évite la Luxure, l'Avarice et l'Orgueil.
- C'est vrai que O874 est une garce.
Une nouvelle silhouette fait irruption. C'est un garçon châtain au sourire carnassier et au regard bestial. Lorsqu'il prend appui sur les barreau du lit pour se joindre à nous, des muscles saillants se dessinent sur ses bras. Les manches de son pull ont été arrachées pour dévoiler son épiderme où est tatoué sur le biceps un loup dont la gueule hurle vers l'épaule. Sur son poignet que le cathéter n' hante pas s'inscrit un prénom en script. Ino.
- Kiba ! vous avez réussi finalement ?
- Ouais, ça a pas été facile mais on a réussi à ne pas se faire gauler.
- Où est Ino ?
- Elle prend l'air. Elle a du mal à se remettre de ses émotions.
Face à mon air perdu, Kiba -ou C17995- s'explique :
- Elle était malade vendredi et sa bonne action devait d'aider quelqu'un à traverser. Mais elle arrivait vraiment pas à se lever et tout. Du coup comme elle se sentait mieux aujourd'hui on a dû sortir en douce pour le faire. Ça va, ils ont toujours pas capté qu'il y avait un trou dans le grillage.
- Et, c'est ta copine ? Je demande.
Il sourit bêtement et se gratte la nuque avec gêne. On voit le nom d'Ino qui bouge en rythme avec.
- Comment tu sais ?
- De l'esprit, de la vivacité, de l'intelligence, répond à ma place Tayuya, et le nom de ta meuf sur ta veine petit con.
Il pousse du coude la demoiselle et je sens comme une bonne humeur. Ça ressemble à de l'amitié.
- Bref, je disais à Su qu'il fallait éviter la Luxure, l'Avarice et l'Orgueil.
- Su ? Se demande Kiba.
Tayuya me désigne. Il acquiesce d'un signe de tête et me dévoile sa rangée brillante de dents en un sourire animal.
- Les nanas de la Luxure sont divines, mais ce sont des Sirènes, décrit-il avec sérieux. Elles se baladent les seins à l'air dans la cour comme les démons qui chantent pour attirer les marins à la dérive et qui te foutent dans la merde après s'être faites baisées.
- Sérieux ? Ajouté-je blasé, n'y croyant pas.
- Ouais. Ça sent le vécu non ? Rigole-t-il. Mais au moins ça m'a permit de rencontrer Ino.
- Elle est de la Luxure ?
- Non, elle est de la Colère. Mais elle m'a aidé à remonté la pente.
- Fais gaffe à leur chef, Sakura, reprend Tayuya. Elle me copie toujours. Je me teins les cheveux en rose, devine ce que fait cette pouf ! Je deviens chef de ma section, pareil de son côté. Elle a pas de vie et pas de seins. Mais ça n'empêche pas qu'elle s'est faite Sasuke et Sakon.
Trop de noms. J'ai du mal à reprendre le fil, à faire les liaisons entre untel et untel. Je suis perdu mais je comprends quand même. Kiba me chuchote que Sasuke est le chef de la section Avarice et qu'il se la pète. Sakon celui de l'Envie. Sasuke était l'amant de Tayuya mais ils ont cassé à cause de Sakura. Et Sakon est le plan cul actuel de Tayuya. Tout le monde le sait mais personne n'en parle. On fait comme si on ne comprenait pas.
- Et enfin, l'Orgueil. On a pas d'atomes crochus avec, mais ils se la pètent grave, et ça nous fout les boules.
- Par contre la Paresse et la Gourmandise t'as le droit. Les chefs des deux sections sont amis depuis toujours et sont super sympas. En plus, ils sont pas nombreux. Ils sont super altruistes aussi. Et P1 est vraiment cool.
Je manque de m'étouffer avec de l'air. P...1 ?
- Ouais, ajoute Tayuya en devinant ma surprise. Ce type est là depuis le début. C'est le premier à être entré dans la section Paresse. Il ne manque jamais ses bonnes actions car il adore vivre ici. Il dit qu'il se sent libre. Tout le monde s'appellent par son prénom comme je te l'ai déjà expliqué, mais c'est le seul type qu'on appelle par son numéro. Si t'aimes les ragots, c'est Shikamaru, mais dit P1 quand même.
- Il doit être sacrément vieux...
- Déconnes pas, il a dans les trente balais.
Je suis sur le cul. J'ai déjà un énorme respect pour ce gars qui supporte l'emprisonnement depuis tant de temps.
Soudain, je suis poussé violemment sur le côté et j'ai juste le temps d'apercevoir une jolie paire de fesses qui se penche pour embrasser furieusement Kiba. Ino, je suppose. Si j'ai croisé ici des physiques superficiels, je crois que c'est la première fois que je vois quelqu'un de naturel aussi beau. Une longue chevelure blonde qui tombe en rideau sur les épaules de la jeune fille, un corps dessiné par Apollon et, quand elle tourne ses yeux acides sur moi pour s'excuser j'ai le cœur qui chavire. Une bouche en cœur, un nez en trompette et des pommettes qui rosissent de gêne. Elle s'accroche à Kiba comme si elle se noyait dans un océan sombre depuis des millénaires et qu'il était sa bouée de sauvetage. Leur amour me frappe de plein fouet et je souris en lisant l'immatricule d'Ino. C17996. Ils étaient fait pour se rencontrer.

*

- Su, faut te lever !
Chut.
- Su, si tu ne te lèves pas tu vas crever.
Ta gueule.
- Su, si tu ne te lèves pas je te fais un bisou sur le téton.
Jm'en branle.
...
Attends... Quoi ?!
J'ouvre les yeux, assez violemment pour me faire frapper la rétine par la lumière et me faire mal, pour découvrir le visage rieur de Kiba. Un jour, j'aurais sa peau. Il me donne une tape sur l'épaule et m'annonce qu'on doit aller chercher notre bonne action de la semaine. C'est con, j'arrive pas à lui en vouloir de m'avoir fait un tel chantage et d'avoir provoqué ce réveil brutal. Je m'assois en tailleur et passe ma main dans mes cheveux bruns. Je ne sais pas pourquoi je fais ça, sûrement pour vérifier qu'ils sont encore là, que je suis bien vivant. Premier matin sans la douce voix maternelle pour me sortir de mes rêves. Je renverse ma tête en arrière et fixe le plafond rouge. Ma mère me manque. C'est la première fois que je m'en rends compte. Je ne vais plus la revoir. Ses sourires faussement heureux et les brioches du matin provoquent en moi un manque si dense qu'il me tord l'estomac.
Penser à de la nourriture m'apprend que j'ai faim. Je n'ai rien avaler depuis mon arrivée et je ne serais pas contre l'idée de me remplir la panse. Je pourrais presque manger ma main tellement mon ventre grogne.
Je me lève en m'étirant et l'odeur nauséabonde de mes aisselles m'arrache un haut-le-cœur. Je ne serais pas contre une douche non plus.
Tayuya descend du lit du haut en baillant ouvertement et salut quelques personnes. Elle me fait un clin d'œil en m'apercevant et rejoins la foule de Coléreux qui s'apprête à recevoir leur action. Sa chevelure rit au même rythme que sa bouche se balance et elle, elle n'a pas l'air de renifler la nuit agitée. Face au silence qui s'impose, je me rends compte de ma solitude jusqu'à ce qu'un doux parfum agite mes sens et qu'Ino se plante devant moi.
- Allé Su, on doit y aller.
- J'ai pas envie. J'veux mourir tout de suite.
Elle roule de ses yeux océaniques, les mains sur les hanches.
- Il est quelle heure ? Je demande comme si c'était l'information cruciale du jour.
- Six heure cinquante-cinq. On a cinq minutes pour y aller.
Pour aller où ? Nous, on va chercher ce qui va nous rajouter sept jours de vie, mais d'autre accomplissent le chemin de croix. Dans cinq minutes, une dizaine, quinzaine, cinquantaine ou centaine de vies vont disparaître du globe terrestre. Et ça n'affecte personne.
Ino et son délicieux parfum m'attrapent le bras et me forcent à me lever. Je la suis par principe, admirant son corps somptueux qui appartient à Kiba et la question franchit mes lèvres avant que je ne la pense :
- T'es amoureuse de Kiba ?
Sa poigne se referme sans prévenir avant de se détendre. Je ne vois que sa nuque à travers quelques mèches blondes, mais je sais qu'elle rougit.
- C'est quoi, l'amour ? Insisté-je.
On s'arrête face à une queue immense formée par une marée humaine dans la cour. Seul lieu commun aux prisonniers. Devant nous des Envieux et, derrière, des Paresseux arrivent en masse. Je vois aussi des silhouettes qui avancent d'un pas lent, comme si ils reculaient, dans un couloir lointain. Ils sont déjà morts.
Alors qu'ils sont dans l'ombre, le soleil brille déjà de toute sa puissance et je commence à avoir chaud. Je sens mes aisselles qui s'humidifient de sueur et je répugne moi-même. Mon estomac répond en réclamant de plus belle de la nourriture. Je suis tellement absorbé par les réactions naturelles de mon corps que je suis surpris d'entendre Ino.
- Tu le sais quand tu le rencontres, crois-moi.
- Je connais rien à tout ça, moi. L'amitié, l'amour, les sentiments et ce tas de conneries qu'on m'a enlevé.
- Tu les retrouveras ici, je te le promets.
Si elle le dit. J'entends au loin un Gourmand exploser de joie : « Oh putain j'suis safe, j'dois juste aider une vieille à porter ses courses ! ». Je prie pour tomber sur un truc pourri, bien compliqué et chiant. J'aurais plus de raisons pour mourir si c'est le cas. De toute façon, demain je m'inscris à l'épreuve de gain de jours, il paraît que Cinquante pourcent n'en sortent pas vivants.
Ino glisse son index sur un pic qui attrape son sang et, relié à une espèce de grosse photocopieuse, il transmet l'hémoglobine. Aussitôt la machine l'analyse et en crache un papier. Ino déglutit et soupire de soulagement avant de fourrer sa bonne action dans la poche de son large pantalon noir. Elle accourt vers Kiba et lui saute dans les bras, enroulant ses jambes autour de sa taille et l'embrassant avec passion. Les rayons de l'astre diurne se confondent avec ses mèches blondes et j'éprouve de la jalousie face à leur amour. Je me fais chier tout seul.
Le pic me pince doucement et je prend le papier que me donne la machine. Un truc pourri, un truc pourri, par pitié. J'en ai ma claque d'être une étiquette. Donnez-moi une raison de mourir.
« Fais le bon choix. »
Merci.

*

- Su, tu crains tu sais.
Je lève les yeux vers Tayuya qui croque dans sa mie de pain. On déambule dans les couloirs en ce dimanche après-midi caniculaire, comme si on ignorait que cinquante-sept personnes sont décédées ce matin. J'ai eu le temps de me doucher, de me trouver ridicule dans le miroir, de grignoter et de me ressourcer complètement. J'ai également changé de vêtements pour des plus propres. Ils sont identiques aux précédents, mais au moins, ils sentent bon.
Je suis seul avec la chef, parce que Kiba et Ino font quelque chose d'intime dont je n'ai pas le mode d'emploi. Grosso Modo, je sais comment on fait les enfants, mais j'ignorais jusque ce matin -Kiba me l'a appris avec des yeux ronds- qu'on pouvait en tirer du plaisir.
- Pourquoi je crains ? J'ose demander.
- Parce que t'as le droit de faire tout ce que tu veux ici, et tout ce que t'arrives à faire c'est rajouter de la sauce dans tes pâtes. T'es un Coléreux, merde !
Je dois avoir l'air con parce qu'elle lâche un flot d'injures qui m'est inconnu et me tire dans un commerce. Je m'assieds tandis qu'elle discute avec le coiffeur. J'ai peur.

*

- Tu vas où Su ?
Je me tourne vers Ino, qui, un bretzel dans la bouche, me fixe de ses grands yeux bleus, comme si elle ignorait réellement quelle était ma destination. Je hausse les épaules et elle engloutit la fin de son met.
- Tu vas à l'épreuve ?
Ça va, elle est pas si conne en fait. Sérieusement, j'adore Ino, mais des fois on dirait qu'elle fait exprès de ne pas comprendre. Et c'est pénible, parce que ça la rend craquante. Qu'on ne se méprenne pas, je ne suis pas en train de tomber amoureux d'Ino ou je ne sais quelle connerie. C'est juste que... Putain, j'ai pas l'habitude de traîner avec des filles aussi magnifiques. Ma seule et unique petite amie -oui la salope qui m'a lâché pour une autre gonzesse- était brune aux yeux noirs. En plus, elle avait un bourrelet et elle portait toujours des hauts moulants. Du coup, le bout de peau de son ventre était toujours mis en valeur. Évidemment, à l'époque, je l'aimais. On n'a pas le droit de sortir avec quelqu'un sans éprouver des sentiments à son égard.
-N'y vas pas. Il y a toujours des morts...
C'est justement ce que je veux. Achever mon supplice au plus vite. Certes, je suis bien ici, avec Kiba, Ino et Tayuya. Mais j'ai besoin de liberté, de faire mes propres choix. Et là c'est moi qui décide de ma mort. En quelque sorte.
Puis, contre tout, elle rigole. De son rire cristallin qui a certainement séduit Kiba.
- Qu'est-ce que je raconte, tu ne mourras pas !
- Ha ouais ? (tiens, ce sont les premiers mots de la journée que je lui adresse. Ino a ce don pour tenir une conversation seule sans qu'il n'y ait de malaise.)
- Tu es invincible. Tu mesures deux mètres, t'as des muscles en béton et maintenant tu ressembles à un requin. Tiens j'vais t'appeler comme ça maintenant, le requin.
Est-ce qu'un jour on reconnaîtra que je m'appelles Suigetsu ? Quoique, le requin c'est plutôt pas mal.
- On verra bien, j'ajoute en lui faisant un clin d'œil.
Je sors du dortoir quand elle finit la conversation en parlant bien trop fort :
- A tout à l'heure le requin !


Je traverse la cour et poussa la grille au fond, celle qui mène à une vaste praire qui n'y ressemble plus. Il y a un grand circuit, un gargantuesque cirque et une foule monstrueuse qui bafouille les brins d'herbe. Les concurrents de l'Épreuve portent un brassard avec le symbole de leur section. Ils sont tous réunis à ce qui ressemble à un début d'une course, face à un ruban rouge. Ils s'étirent, s'échauffent, clament des leit-motiv ridicule. Des spectateurs sont amassés autour comme une bande de corbeaux et je décide de jouer des coudes pour passer entre eux sans me faire manger. Je repère Tayuya devant la ligne, qui ramène son genoux contre la poitrine avec un équilibre indiscutable. Elle discute avec un garçon à peine plus grand, aux reflets sombres dans les cheveux, tatoué jusqu'au cou et au regard malsain. Il porte le brassard des Envieux. Je m'approche d'elle, mimant d'être à l'aise, après qu'on m'ait demandé mon matricule et qu'on m'ait donné un brassard.
- Hé Su, tu connais pas Sakon ?
Ha, le fameux Sakon. Le plan cul de Tayuya que tout le monde connaît mais fait semblant de ne pas savoir. Il me tend sa main dont les ongles sont peint de noir et je la sers, peu confiant. Je le dépasse de quelques centimètres.
- Enchanté. Sympa ton look, me dit-il.
- A côté de toi, j'ai encore du chemin à parcourir.
Il rit et j'ai l'impression d'entendre Tayuya.
C'est vrai que j'ai changé mais je fais pâle allure face à lui. C'est Tayuya qui a eu l'idée de mes cheveux argentés. Ou bleu clair. Bref, j'en sais rien mais c'est une couleur qui me plaît. Anormale. Et elle m'a dégoté des lentilles violettes. Elle me dit que j'ai un regard moqueur et insistant, elle veux que tout le monde se concentre dessus. Super, j'ai des yeux de Sirènes.
- Comment ça se passe l'Épreuve ? Demandé-je en regardant l'heure et en voyant les Paresseux arriver au loin d'un pas mollasson -il n'y en a que cinq ou six-
- C'est une course en sept temps. Le premier arrivé vivant à la fin le remporte, me répond Sakon.
- En sept temps ?
- Tu as sept choses à accomplir. On ne sait pas lesquelles, ça change tout le temps. Un conseil : ne réfléchis pas au pourquoi du comment et cours. Le seul mystère auquel il faut réfléchir c'est savoir pourquoi P1 le remporte tout le temps.
- Sérieux ?!
- Ce type est balèze j'te dis.
Plus qu'une minute. Dernière prière pour que mon âme arrive en Enfer. On est tout de même une bonne centaine. Pour l'instant. Combien seront nous à la fin ? Pas à la fin de la course, à la fin de ce monde.
J'essaie de repérer les autres chef -et si possible P1- mais un coup de feu retentit et mon cerveau n'a pas le temps de se mettre à jour que je me fais bousculer dans tous les sens. Une même forme de marée humaine me persécute et je n'ai pas encore commencé à courir que je me vois mourir. J'ai l'impression d'être sur un bateau et d'avoir la nausée. Finalement, quand les plus enjoués sont parti je cligne des yeux et me concentre sur la queue de cheval flamboyante de Tayuya. Je la note pour qu'elle devienne mon repère, ma lumière dans les ténèbres et commence à accélérer l'allure. Je m'arrête comme tout le monde, face au premier temps. Des tables sont disposées face à nous, avec un nombre incalculable de verres remplis d'un liquide qui m'est inconnu. Je marche, suspicieux et m'approche des boissons. Tayuya a déjà bu le sien et cours au même rythme que son plan cul. Elle grimpe déjà à la corde du deuxième temps, évitant les flèches lancées. Je suis sur le point d'attraper un verre quand un type plutôt baraque me pousse de l'épaule et m'insulte d'escargot puceau avant de prendre la chope que je voulais et de s'enfiler une rasade. Mais il n'a pas le temps de la finir qu'il tombe raide à terre, les yeux fixant le ciel, ses paupières disparues sous ses globes. D'accord, ce type est mort. Une goutte de sueur me coule dans le cou quand je me rends compte que je viens d'échapper à la mort. Je remercie ce mec avant de me rendre compte que je tremble. La mort vient de me frôler, elle a levé sa faux pour me couper la tête. Une seconde de plus et elle détenait mon âme. Je tourne la tête dans tous les sens, affolé. Maintenant que tous sont déjà au deuxième temps, je me rends compte de la vingtaine de cadavres par terre. Je déglutis. Je me suis lancé dedans, il faut que j'y aille jusqu'au bout. Je désire mourir. Non ?
Je cherche un dernier verre rempli quand je constate qu'il y en a deux. Je fronce les sourcils et en coince un dans mes doigts quand une main s'empare du dernier. Je lève les yeux et mon cœur s'arrête. A sa tête je sais que c'est lui. Pas besoin de lire son matricule, l'intelligence se reflète dans ses prunelles onyx. Ce type ne me regarde même pas mais que je sens le poids de son expérience me transpercer. Ses cheveux sont tirés en arrière, comme fatigués et des cernes creusent ses yeux. Les épaules voûtées, il a l'allure du Paresseux cliché. Pourtant, je sais qu'il est plus que ça. Il n'est pas P1 pour rien.
Je prie qu'il ne tombe pas sur du poison et, quand il me sourit après avoir bu, je n'arrive pas à articuler un mot.
- Tu es sûr que tu es de la Colère toi ? En général ce sont les premiers à foncer tête baissée.
- Ha... Peut-être que je ne suis pas seulement en colère.
- Ça c'est sûr. On est tous un mélange des Pêchés Capitaux.
- Est-ce que je peux te demander quelque chose ?
- Bien sûr, on a tout le temps.
Je me demande si il est ironique avant de lire la sincérité ravager son visage.
- Comment tu fais pour gagner ?
Il n'a pas l'air surpris.
- « Je m'en vais verser ce seau d'eau sur les flammes de l'Enfer et mettre le feu aux portes du Paradis avec cette torche. Ainsi les gens n'aimeront plus Dieu par désir du Paradis ou crainte de l'Enfer, mais parce qu'il est Dieu. » Rabe'a.
Il enfonce ses mains dans ses poches et reprend sa route tranquillement. Je n'ai rien compris. J'veux dire, la phrase est belle, profonde... Mais le rapport avec ma question ? Putain, j'adore ce type. Je n'ai pas peur. Je n'ai plus peur. J'engloutis le contenu de mon verre et grimace face au goût infect avant de reprendre ma course sous les rires des spectateurs. Moquez-vous de moi, rira bien qui rira le dernier.
J'attrape la corde qui s'offre à moi et l'escalade tranquillement alors que P1 marche toujours. Au moins je n'ai pas à supporter le chahut. Après tout, il n'y a que sept cordes, pour arriver premier au bout, ils ont dû être nombreux à se pousser et à se tirer dessus pour avoir possession de l'objet. D'ailleurs, quatre ou cinq personnes gisent à terre. Ça m'fout les boules. Mais je n'y pense pas. Je grimpe, évitant de penser aux flèches qui me frôlent avant de me rendre compte de quelque chose. Les morts du deuxième temps n'ont pas de flèches plantées ou de plaies qui pourrait ressembler à une de leur attaque. Ils sont décédés en tombant ou en se faisant agresser et aucune flèche ne m'a touché depuis tout à l'heure. Et si c'était uniquement pour déstabiliser ? Ou alors ils veulent se marrer avec moi ?
Quoiqu'il en soit j'arrive en haut et je manque de tomber face au peu d'espace que propose le seuil en haut. Je n'ose pas regarder vers le bas pour voir ceux qui se sont fait avoir. Je n'ai pas envie de voir la chevelure colorée de Tayuya. Je ferme les yeux très fort. Je n'ai pas envie de la voir morte. Pas elle. Elle si forte, si puissante, si allégorique de l'espoir. Je sers les poings avant d'essayer de comprendre ce que je dois faire. Attraper une corde -encore- qui est à l'opposé, et m'en servir pour atteindre l'autre côté. En effet, il y a juste le plateau en bois sur lequel je suis, un vide de dix mètres de hauteur et dix de largeur. La corde qui doit m'aider à le traverser n'a pas été ramenée jusqu'à moi. Putain, ça se corse. Je sens déjà la transpiration et mes cheveux se plaquent contre mon front. Leur gel ? Ma sueur. Qu'est-ce que je suis glamour. Dire que je pourrais sauter, faire une chute et pouf ! Crever. Facile, je n'ai qu'à coller mes pieds, prendre une profonde inspiration et laisser mon corps basculer. J'vais pas m'en sortir. Ils vont me descendre, autant que je décide moi-même de ma mo...
- Bordel !
Je manque de chuter en arrière en recevant le nœud lourd de la corde dans le nez. J'ouvre les yeux, voulant hurler sur l'enfoiré qui m'a fait ça et aperçoit une silhouette féminine au loin. Mince, sans hanches, sans poitrine, et des cheveux qui prennent feu. Je n'avais jamais vu un pareil rouge. En voyant la corde revenir vers elle, j'ai l'impression que sa chevelure devient encore plus carmin qu'elle ne l'est déjà -surprenant. Elle me la renvoie et, cette fois-ci, je la rattrape. Un. Deux. Troi...
- Ça va, tu veux pas un thé non plus ? Vocifère sa voix criarde.
- Je t'ai pas demandé de m'aider, casse toi la rouquine !
- Si dans cinq secondes t'es pas là, je saute dans le vide !
C'est quoi cette connerie ?
- Cinq !
Elle est sérieuse ?!
- Quatre !
J'vais pas laisser mourir une inconnue. Mais justement, c'est une inconnue, pourquoi est-ce qu'elle veut me sauver la vie au péril de la sienne ?
- Trois !
Je dois être Alice et me voici Au Pays des Merveilles. Face à moi, le Chat de Cheshire remixé en ado sans seins.
- Deux !
« Faire le bon choix ». Ma bonne action est de faire le bon choix. Sa vie contre la mienne ?
- Un !
Je ne la laisse même pas prononcé le « Zéro » jusqu'au bout que je prends appui sur mes pieds, accroche mes jambes à la corde et me laisse porter jusqu'aux côtés du chat de Cheshire.
- T'es complètement din...
- C'est pas trop tôt, me coupe-t-elle. Allé, on cours !
Qu'elle aille se faire foutre, j'veux pas courir. J'veux crever et si possible, qu'elle s'éloigne. Bien sûr elle se met à courir. Je ne sais pas pourquoi je la suis. Je suis satisfait de ne pas être essoufflé et, sans hésitation je reste à ses côtés dans le quatrième temps ; une vaste piscine. Rien de compliqué en sois. Exceptées les haches qui fendent l'air. Mauvais timing et pouf ! On meurt. J'accroche contre toute attente mon regard à ses mèches enflammées et la suit tant bien que mal. Je me sens à l'aise dans le domaine aquatique. Comme un requin dans l'eau !
Puis, sans prévenir, elle se retourne vivement et m'offre un large sourire, me laissant apercevoir sa rangée de dents du bas désorganisée. Ses lunettes tombent sur son nez et ses grands yeux écarlates baignent dans les rayons du soleil. J'ai l'impression qu'elle a le parfum de l'été, et, avec un peu d'imagination, je pourrais m'imaginer à la plage, avec l'écume qui me lèche les pieds.
- Pourquoi ? L'interrogé-je.
- Parce que.
- Parce que quoi ?
- Parce que.
Ok, elle me tape sur les nerfs.
- On se connaît pas, tu me menaces de te suicider si je n'avance pas, puis je dois forcément te suivre toi, et je suis là, dans ce bassin, avec un hache devant, une autre derrière, et le sifflement de l'air. J'ai l'impression d'entendre les sirènes du corbillard ! Alors pourquoi ? T'es une putain d'Orgueilleuse et tu me pousses dans mes retranchements ! On ne se connaît même pas !
Elle remonte ses lunettes éclaboussées d'eau avant de perdre son sourire. Je suis face à une folle. J'ai envie de la taper, de lui foutre sa tête sous l'eau, qu'elle me supplie de l'absoudre, de ne pas lui faire de mal. J'ai envie de lui arracher ses yeux alors qu'elle est éveillée, puis ses ongles un à un, et de faire sauter ce gouvernement de merde qui m'empêche d'être moi-même ! Pourquoi je participe à ce truc moi ? Ça me ronge de l'intérieur et me dégrade.
- C'est bien, non ? Ça défoule, répond-elle en évitant un nouveau passage de hache. D'être ce qu'on veut être. De ne pas être uniquement un nombre ou une puce dans le cerveau, mais nous. D'être Orgueilleux, de vouloir faire de la musique si on veut et de péter des plombs quand ça nous chante. De vivre. J'adore cet endroit. C'est mon Paradis.
Et c'est là, avec le soleil qui me fait plisser les yeux, et cette gonzesse aux cheveux immolés trempés qui font la fête sur son visage, aux effluves estivales, ce bassin aquatique et la mort qui nous sépare que je prends conscience de ce qu'on veut me faire comprendre depuis le début. Je viens de m'énerver. Sans retenue. J'ai le droit de m'énerver si je veux. J'ai le droit de me diversifier des autres en changeant de coupe de cheveux. J'ai le droit de vie ou de mort.
Et là, je veux vivre.

*

On arrête de parler pendant les deux autres temps, se contentant de chercher à rattraper les autres et, comme ils n'étaient pas nombreux, qu'ils n'avaient pas fait de pauses et qu'ils étaient donc fatigués, on arrive à voir leur dos. Et, bien que j'appréciais le silence jusque là, l'Orgueilleuse ne put s'empêcher d'ouvrir la bouche.
- Tu t'appelles comment ?
- Pourquoi tu m'as aidé ?
- Réponds en premier.
- Tu me promets de faire pareil après ?
- Yep !
De toute façon, je suppose qu'elle ne m'appelleras pas C18975 tout le temps.
- Suigetsu.
- Je déteste Tayuya. C'est une pute, enchaîne-t-elle du tac au tac sans s'arrêter de courir bien que son souffle devienne saccadé. Et une manipulatrice.
Je ris. Bien sûr. Tayuya qu'on vénère serait la dernière des garces.
- Pas le...temps de pfiouu j'suis essoufflée. Bref, pas le temps de t'expliquer mais je te prie de me croire. Non, en fait je m'en balance si tu me crois ou pas. Mais elle est responsable de la mort de mon cousin et si je m'approprie son nouveau chouchou elle sera vénère.
Je vois au loin le septième temps s'annoncer et je suis étonné d'être arrivé jusque là. Finalement, Ino avait peut-être raison. Je suis un requin, et je bouffe ce qui est sur mon passage. Plus ou moins.
Soudain, alors qu'il y a encore une vingtaine de personnes devant nous qu'on est sur le point de rattraper un coup de feu retentit. Tous se stoppent en râlant et en soufflant. Je les imite, comprenant que c'est la fin de l'épreuve. Finalement j'ai survécu. J'ai survécu. J'ai survécu putain ! Je suis là, en vie, avec mon cœur qui bat et mon cerveau qui pense. J'ai résisté, j'ai triché avec la mort. Je suis pris d'un fou rire hystérique que je n'arrive pas à arrêter. Je suis là, bordel ! Mes pieds sont dans leurs baskets, je tiens debout. Le vent me souffle dans la tête, le soleil me cogne sur la peau. Et c'est ma transpiration, mes cheveux argentés, ma pulsation cardiaque, mon corps. Haha, impossible d'arrêter l'hilarité. C'est sûrement nerveux et j'aurais honte plus tard. J'entends vaguement une voix stricte et féminine -une voix de GPS- annoncer que P1 est vainqueur. Personne n'a eu le temps de faire le septième temps, et ce type, celui qui savourait ses secondes de vie au début de l'Épreuve est arrivé premier. Ce type est un génie. Pour lui j'irais éteindre les flammes de L'enfer et cramer les portes du Paradis. Et je sais pourquoi. Parce que les gens ont besoin de croire en Dieu, ou de croire en quelque chose pour survivre. L'humain a besoin de se rassurer alors, quelque soit notre religion, on a besoin de croire en Dieu, et non au Paradis ou à l'Enfer. On a besoin d'espoir.
Et mon espoir est là, près de moi. Je ne sais pas où mais il est là. Il me sert dans ses bras, me félicite avant de s'envoler pour me rejoindre plus tard, quand j'aurais besoin de lui. Je me tourne malgré moi vers l'Orgueilleuse qui me sourit de toutes ses dents brillantes. Je remarque alors que sa peau est un véritable coloriage tant elle est tatouée. Je n'arrive pas à voir un bout de peau. J'aperçois vaguement une colombe dans une cage sur son poignet droit, et une qui s'envole sur le gauche. Le début d'une phrase sur sa veine droite « I want my... » et la fin sur la gauche «... Happily Ever After ». Je ne comprends rien à ce charabia. Est-ce que ce sont des dessins ? Une autre langue ? D'anciens Kanji ? Pas le temps de m'y attarder que je reçois un coup de poing sur l'épaule. Tayuya.
- Qu'est-ce que tu fous avec cette traînée Su ?
Elle a le front en sueur et du sang sur le bas de son pantalon remonté jusqu'aux genoux. Mais ce n'est pas le sien. Sakon, dans le même état, la rejoint, adoptant un regard méprisant qui lui est égal.
- Il s'appelle Suigetsu, pas Su.
- Je te demande pas de répondre à sa place l'Orgueilleuse. Je sais que tu aimes faire fonctionner ta langue mais je suis certaine que Su a des choses à me dire.
- Il m'a aidé.
Je manque de m'étouffer. Je n'ai jamais essayé de sauver cette O874. Attends... Ha putain, c'est elle la fameuse nana que Tayuya ne peut pas encadrer. Tout s'explique. Moi qui voulais fêter tout cela, c'est foutu.
- Tu as fais quoi Su ?!
- Tu as très bien entendue, rétorque O874. Tu es sourde ? Justement, il paraît que la masturbation rend sourd.
- Alors pourquoi tu ne l'es pas encore, traînée ?!
- Il se trouve que je n'abuse pas du sexe, moi.
- Et mon poing dans ta gueule ?!
- Arrête Tayuya, on y va, tenté-je.
- Laisse-moi Su, j'vais lui dégommer sa face !
Sakon et moi échangeons un regard entendu -le premier- et chacun d'entre nous attrapons la chef des Coléreux par un bras, la soulevons et l'amenons vers notre bâtiment tandis qu'elle se débat. Dommage, j'aurais voulu féliciter P1, lui dire que j'ai compris sa citation et en apprendre plus sur O874. D'ailleurs, elle met ses mains en dictaphone autour de sa bouche et hurle :
- Et il s'appelle Suigetsu, pas Su !

*

- Comment t'as pu me faire ça ? Me trahir pour cette putain !
Tayuya pète un câble dans les dortoirs, faisant les cent pas face à moi qui suis assis tranquillement sur un lit. Je ne sais pas quoi dire à une femme énervée, alors j'attends qu'elle ait finit de déblatérer ses bêtises, me concentrant sur Ino, entre en les jambes de Kiba, sur le lit d'en face. Lui, me lance un regard compatissant alors que sa copine se fait les ongles, hochant la tête de temps à autre. J'envie Kiba qui a ses mains autour de son ventre, pour la garder contre lui et son parfum dans les narines. J'aimerais tellement tomber amoureux. J'aurais l'air con, mais au moins je serais heureux.
- Cette nana est pire que Sakura ! Sakura a peut-être copié mes cheveux, la place de chef et mon mec de l'époque, mais elle m'a pas fait des coups de putes. Parce que cette putain d'Orgueilleuse, en plus d'avoir teint ses horribles cheveux et d'être devenue chef de sa section aussi, elle m'a humiliée devant tout le monde ! Et tous les jours ça l'amuse de faire de moi son pantin !
Je me retins de bailler, ça accroîtrait l'ire de mon amie. Ino m'avait expliqué il y a dix minutes, lorsque Tayuya était au petit coin, que Sakura, O874 et Tayuya étaient amies à l'époque, que le coup des cheveux c'était une façon de se distinguer et prouver leur amitié. Elles étaient toutes roses à l'époque, semblerait-il que O874 se soit rebellée. Puis elles sont devenues chefs, il y a eu des mecs et leur amitié s'est dégradée en haine. La belle histoire.
- T'sais quoi, fais ce que tu veux Su, si t'es un traître, va faire le traître !
Bon, là j'en ai marre.
- Calme-toi Tayuya ! J'essaie d'en placer une depuis tout à l'heure et tu ne me laisse pas m'exprimer ! Je ne suis pas un traître, cette fille t'a menti, c'est elle qui m'a aidé, pour que tu t'énerves justement.
- Et en plus elle te forces à mentir !
- Je te dis la vérité putain !
- Arrête Su, tu n'auras jamais besoin d'aide de cette connasse !
- Oh, tu sais quoi ? Va te faire foutre. Tu me gaves.
Sur ce, je fais volte-face et pars me détendre dans la cours.

*

J'ouvre les yeux et la nuit s'oppose à moi. Je me relève en grinçant, assis en tailleur sur un roc et balaie les alentours. Un groupe de Luxurieux sont sous un gigantesque arbre, quelque chose passe entre leur bouche et ils en recrachent de la fumée blanche. Au fond de la cour, un couple d'hommes s'embrassent passionnément contre le grillage, la nuitée gardera le secret. Une nana contre une porte a la tête plongé dans le creux que forment ses genoux repliés contre sa poitrine et son dos se soulève de sanglots. Et, encore caché par l'obscurité,un vieil homme tourne en tremblant, avec délicatesse, comme si il tenait une poupée de verre, les pages d'un livre. Je cligne plusieurs fois des yeux. Je découvre le monde de la nuit. J'ignore ce qu'il se passe, pourquoi toutes ces personnes ne se dévoilent pas à la société quand je sens alors une odeur nauséabonde, plutôt désagréable. Je tousse, mon poing devant la bouche et perçoit de la fumée juste à côté de moi. Je tourne la tête et aperçois la rouquine, assise plus en hauteur, en tailleur, tirant sur bâtonnet blanc. Elle ouvre sa bouche rouge pour en rejeter des ronds de fumée. Puis elle me remarque enfin et ses grands yeux dans lesquels se reflètent l'astre nocturne me dévisagent. Ses épaisses lunettes tombent sur son nez mais elle s'en fiche. Ses longues mèches ensanglantées en bataille tiennent péniblement dans une queue de cheval. Elle a un regard qui s'embrase, et provoque un incendie là où se dissimulait l'étincelle dans ma poitrine. Ce feu me dévore le cœur, embrasse mes poumons, grignote ma chair. Je le sens s'insinuer dans mes veines pour me ravager de plus belle. Et alors que ses prunelles écarlates transfèrent ce feu dans les miennes, le vent transporte son parfum d'été. J'entends presque le glouglou des vagues lors d'une soirée calme, la chaleur du sable sous mes pieds nus, et mon corps qui s'enfonce dans la plage. Une sensation de bien-être se glisse en moi, et se brise quand la rouquine ouvre la bouche.
Je déteste sa voix de crécelle.
- Karin. Jm'appelle Karin.
Ha.
Je dois avoir l'air con parce qu'un sourire mange son visage enfantin et je perçois le désordre dans sa dentition inférieure. Les deux dents de devant ont leur coin interne qui se tourne vers la glotte tandis que ses incisives font la fête près des canines jaunies. Quel sourire abominable qui ravive l'étincelle.
- T'es une pute. Pourquoi t'as dit ça à Tayuya ?
- Pour la faire chier.
- Sauf que ça se répercute sur moi.
- Dommage.
Elle n'est pas sincère et, sans comprendre pourquoi, je m'en fiche. Je pose mes yeux sur le tatouage qui borde sa nuque, tentant d'interpréter cette rose qui fane quand elle me tend son bâton blanc. Je la fixe, incrédule.
- T'en veux ? Demande-t-elle.
- C'est quoi ?
- De l'illégal.
- Pourquoi t'as de l'illégal sur toi ?
Elle rit. D'un coup, sa voix de souris étranglée devint mélodieuse.
Non, en fait son rire est horrible. On dirait un porc qui a un orgasme. Mais je l'aime bien quand même.
- Tout le monde a de l'illégal. On est en prison mec. La nuit on expose ce que le jour nous cache.
Pour me montrer l'exemple elle avance ses lèvres pleines sur l'illégal et en souffle de l'épaisse fumée. Peu anxieux de ce que ça puisse être, je l'imite avant de m'étouffer. L'objet tombe à terre sous la tête dégoûtée de Karin et je tente de retrouver mon souffle. C'est dégueulasse, c'est âcre, ça me bouffe les flammes qui me torturaient pour en créer de nouvelles, invincibles bien qu'éphémères. Quand ça va mieux, la Chef des Orgueilleux se moque de moi :
- On ne supporte pas la drogue ? Me dit pas que c'était ta première fois ?
- Je suis là depuis samedi. J'ai pas eu le temps de devenir un vrai délinquant.
- Genre ?
Elle ouvre grand ses yeux.
- Si je te le dis.
- Alors t'as jamais touché à la clope, la beuh, l'alcool, le cul ? T'as jamais bouffé un cupcake juste pour le fun, dormit toute la journée, couché parce que c'est marrant, appris quelque chose que les autres n'ont pas fait, péter un plomb, gardé un objet pas important pour l'idée de posséder ce que d'autres n'ont pas et envié tout ce que tu ne peux pas avoir ?!
- Techniquement, si. Je me suis pas mal énervé jusque là et ça va pas tarder à recommencer.
Parce qu'elle me soûle avec ses airs prétentieux et l'insinuation qu'elle ait plus d'expérience que moi alors que, vu le manque aberrant de poitrine, elle est plus jeune.
- D'ailleurs, t'as quel âge pour te la péter comme ça ?
- On ne demande pas son âge à une jeune femme !
- Parce que t'es une femme ?
- Plus une fille, certes, mais ça revient au même. J'ai un vagin quand même.
Je me rallonge sur mon rocher, les bras croisés derrière le crâne, les étoiles devenant mon calmant.
- J'ai quatorze ans.
Je me relève subitement. Cette gonzesse, qui est la chef des Orgueilleux a quatorze piges ?! Putain j'en ai cinq de plus ! Je me sens comme un vieillard, bien que ce soit elle qui m'apprenne plus de choses. Je me sens encore plus ridicule maintenant.
- Et toi ?
- C'est pas tes oignons.
- Si tu le dis.
- Pourquoi tu me parles ?
Elle a enfin fermé son clapet. Elle penche la tête sur le côté, comme si elle réfléchissait et, attrapant ses chevilles, elle se balance d'avant en arrière avant de se mettre subitement debout, dans ma diagonale.
- J'sais pas. J'ai le sentiment que je dois être là ce soir, avec toi.
Instinct féminin à la con. Ça va encore m'apporter des ennuis avec Tayuya.
- Si ça te fais si chier que ça, pourquoi tu restes là ? Je ne t'empêche pas de partir tu sais ?
Bonne question... Qu'est-ce que je fous là, à boire ses paroles comme si elle était ma prêtresse. Comme si elle allait résoudre tout mes problèmes ? Elle n'est rien d'autres qu'une gamine. Une gamine qui attise ma curiosité et qui, en un simple geste, m'électrise. Il suffit qu'elle se taise et me toise de ses grands yeux andrinople et je me sens prêt à lui appartenir. Qu'est-ce que je me sens con.
- Suigetsu ?
- On dirait bien que mon trip c'est de traîner avec des attardés.
Elle me donne un coup dans le tibia. Elle rigole et je veux lui foncer dessus pour la plaquer au sol, lui faire regretter de s'être attaqué à moi et lui montrer que je suis un homme, un vrai, un fort, avec les chromosomes XY. Que je la domine, qu'elle n'est qu'une petite fille à côté de moi. Mais une succession de questions me traversent l'esprit et je dois absolument les lui poser si je veux dormir tranquille ce soir :
- Tu es en prison depuis combien de temps ?
- Deux ans presque.
- T'étais jeune...
- Ouais...
Elle baisse les yeux et se fascine pour ses pieds. OK, sujet sensible. J'écarte.
- Comment t'es arrivée dans les Orgueilleux ? Tu te la pétais tout le temps ?
- C'est un interrogatoire inspecteur ?
J'adore sa malice et sa lueur moqueuse.
- Parce que je ne veux pas que la nana qui m'ait sauvé soit O874. Je veux que ce soit Karin et je veux connaître cette Karin. Je veux qu'elle me prouve qu'elle est ni une puce, ni un nombre, mais Karin.
- Uzumaki. Karin Uzumaki.
Elle s'assoit face à moi, par terre, les fesses sur le bitume, toujours cette position de tailleur avec ses mains qui s'agrippent à ses chevilles, mais elle n'a pas de mouvement de va-et-vient. Elle regarde ailleurs, comme si elle réfléchissait et je n'arrive pas à me concentrer sur autre chose. Le monde autour de moi ? Il n'existe pas. Je suis trop curieux.
- J'ai toujours rêvé de faire de la guitare. Les musiques qu'on nous propose sont celles confectionnées par le gouvernement. Et j'ai l'âme trop rebelle. Je veux gueuler dans un micro, faire crier des cordes de guitare et qu'une foule m'écoute, abasourdie mais passionnée. Comme tu piges, je n'ai touché à une guitare que trois fois. On m'a accusé d'Orgueil parce que je voulais me démarquer des autres en devenant musicienne, parce que je serais supérieure à la population japonaise. Balivernes !
Elle me fait rire. C'est le genre de fille à t'insulter de fils de pute et dire juste après « Balivernes ». Elle est originale et se détache du tableau en noir et blanc que forme la société. Elle est une tâche de couleur sur un fond noir.
Puis, comme si un flash venait de la traverser, elle plonge sa main dans sa poche de pantalon et en sort un boîtier. Elle me pousse un peu pour s'asseoir à côté de moi et l'ouvre. Il y a un CD qui brille et un livret coincé en face. J'y lis ce que j'ai perçu sur les poignets de la rouquine. « Happily Ever After ».
- Qu'est-ce que ça veut dire ?
- Je ne sais pas. C'est une vieille langue européenne. Un vieux Orgueilleux me l'a filé quand je suis arrivée ici. C'est un morceau d'avant que le Gouvernement cache. Je connais le morceau par cœur. C'est con, si j'avais su j'aurais ramené le poste radio des Orgueilleux pour qu'on l'écoute.
- Tu connais le morceau mais tu ne sais pas de quoi ça parle ?
Elle secoue la tête. Elle ouvre le livret où se trouve des écritures anciennes, sûrement les paroles de chanson. Elle les caresses du bout de ses doigts aux ongles rongés et s'imprègne des caractères. Je vois les mots s'insuffler sous sa chair et la transporter ailleurs. J'aimerais bien connaître la chanson.
- « Let me riddle you a ditty, it's just a itty bitty, little thing on my mind.
About a boy and a girl, trying to take on a the world one kiss at a time. »
Je l'écoute chanter de sa voix fluette et fausse, incapable de se défaire de la magie de la musique. Sa passion me porte avec elle dans sa bulle estivale et je la vois, les pieds nus dans le sable. Elle me tend la main en chantant de plus en plus fort, pour que ces paroles qui ne veulent rien dire touchent le Monde. Pour qu'on se relève, qu'on ait de l'espoir. Le murmure des vagues l'accompagne et les jeux d'enfants la suivent. Et mon cœur lui donne le rythme.
Je comprends, sans raison, pourquoi P1 est ici depuis tout ce temps. Il aime cet endroit où l'on nous prive pas d'être nous-même. Mais justement, c'est un petit bout de Paradis cette prison et on ne peut pas tous y rester. Il faut que tout le monde y goûte. L'Enfer est autour, vicieux, masqué en son antithèse.
J'aime cet endroit. J'aime vivre ici. J'aime vivre.
- «Author of the moment, can you tell me, do I end up, do I end up Happy ?
We all have a story to tell... »
Il me semble entendre au loin l'écho qui répète « We all have a story to tell ».







[En ésperant que ça vous a plu et que la partie deux arrivera bientôt!]



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