Fiction: Six Cordes Métalliques (terminée)

Dans le lycée d'Hinata, la gloire suprême, c'est d'être sélectionné pour participer au grand concours de musique de fin d'année. C'est pour ça que quand Naruto relève aussitôt le défi qu'on lui balance au visage, Hinata marche aussi : monter un groupe et écraser le boy's band de Sasuke aux Portes Ouvertes ? Easy !
Humour / Romance | Mots: 113352 | Comments: 74 | Favs: 33
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NeN (Masculin), le 03/06/2015
Hey tout le monde ! Nouveau chapitre yeah ! Merci pour vos super commentaires, ça motive tellement !
Et sinon BO du chap :

Pink Floyd – Money
Dick Dale – Miserlou
Simian – La Breeze
Gnarls Barkley – Run




Chapitre 9: Solo duo trio



— Dites, vous trouvez pas que Kurenai et Asuma se tournent grave autour ?

D'un même ensemble, Naruto et Hinata pivotent sur leurs chaises et sondent le self du regard. L'endroit est bondé, c'est normal on est lundi en heure de pointe, mais ils aperçoivent quand même parfaitement les deux concernés à la table des profs et c'est vrai qu'il y a quelque chose de trop éclatant dans leurs sourires pour que ce soit innocent. Naruto et Hinata se retournent à nouveau, Tenten en a profité pour s'installer et elle est déjà en train de trier le contenu de son assiette pour virer les brocolis.

— Ça fait un moment que ça pue la romance entre eux, poursuit-elle.

— Ouais, et j'me disais, renchérit Naruto, c'est pas trop chelou qu'Asuma nous ait pris sous sa protection alors que Kurenai s'occupe des Hawks ? C'est comme s'il avait voulu créer un lien…

— J'vous dis, va y'avoir du bébé de musicos avant la fin de l'année, prédit Tenten en se mettant enfin à manger.

Hinata pouffe de rire :

— Et si leur enfant n'aime pas la musique ?

— Alors il est foutu.

Naruto se met à rigoler à son tour, l'idée est marrante, après tout c'est pas génétique l'amour de la musique ! Puis Tenten dit : "Au fait !" et lâche sa fourchette pour poser sur la table une grosse housse noire de la taille d'une marmite. Naruto s'apprête à s'exclamer un truc, mais Hinata lui fait signe de se taire : ses yeux sont fixés sur Tenten qui déballe un machin qui ressemble à un tambour mais c'en n'est pas un.

— Ecoutez ça, lance-t-elle toute contente en posant le machin entre les plateaux.

Elle empoigne une cuillère dans chaque main et ratata-tatam-papapam-ratata-pa-pam, en un tour de main elle emballe un magnifique petit enchaînement ternaire en utilisant le verre de Hinata en guise de cymbale et la cruche d'eau comme caisse claire. La nouvelle caisse sonne splendide et les mecs de la table voisine se retournent avec des sourcils levés bien hauts. Naruto, lui, n'y tient plus, pareil pour Hinata et ils s'exclament ensemble :

— T'as acheté un nouveau tom !

— Tu as appris un nouvel enchaînement !

Tenten sourit en coin, elle est toute fière :

— C'est un tom medium, fabrication allemande, frime-t-elle en caressant amoureusement la peau de frappe. Et ouais, maintenant que j'en ai quatre, j'peux ENFIN faire ce putain d'enchaînement !

— Tu gères, siffle Naruto, impressionné, en se penchant pour mieux voir le fût laqué de noir.

— C'est grâce à mon dix-huit en anglais que mes parents me l'ont offert, précise Tenten. D'ailleurs on a bien fait de réviser ensemble sur ce coup-là. Bon, et vous ?

— Ah, attends voir ! clame Naruto en se redressant d'un bond.

Il déballe sa basse en deux mouvements puis se penche pour tirer son ampli portable de sous sa chaise. Ils ont tout leur bordel avec eux puisqu'ils ont répété chez Tenten ce week-end et qu'ils ne sont pas encore repassés par le studio d'Asuma pour tout poser. Hop, la basse est branchée et Naruto tire la langue comme toujours lorsqu'il se concentre. Hinata adore quand il fait ça. Puis il branche tout et doum-dududoum-dum dum dum dum, doum-dududoum-dum dum dum dum – Hinata n'en revient pas, elle met quelques secondes à reconnaître cette ligne si particulière qui réussit à imiter le sample inimitable d'un tiroir-caisse – ouais, c'est bien le célébrissime Money de Roger Waters.

Cette fois la table de derrière aussi se retourne, faut dire que Naruto gère, c'est dingue comme il gère, Tenten en est toute excitée et Hinata a le cœur qui bat la chamade. Quand est-ce qu'il a réussi à faire ça, lui ? Depuis quand est-ce qu'il parvient à être aussi rigoureux, aussi régulier, aussi harmonieux ?

— Putain Naruto tu claques ! s'écrie Tenten dès que Naruto gratte le dernier temps. C'est ça que t'essayais l'autre jour au garage ?! J'aurais jamais reconnu !

— Qu'est-ce que tu crois, je bosse le soir, réplique Naruto en se frottant le nez, rouge de plaisir. Non sérieux, c'était une trop bonne idée de nous faire jouer d'autres styles, Hinata, parce que…

— La vache, c'est que tu commences à savoir jouer ! coupe Tenten euphorique en lui foutant un grand coup dans l'épaule.

— Alors, c'est qui le mec qui confond sa basse avec un manche à balai ? lui renvoie Naruto en lui tirant la langue.

— Quoi, tu m'en veux encore pour ça ?! Bonjour la rancune !

Les deux musiciens s'asticotent en rigolant un moment, puis exactement en même temps se taisent et se tournent vers Hinata. Hinata déglutit, c'est donc à elle de faire ses preuves, s'agit d'être à la hauteur. Elle installe sa guitare violette avec des gestes fébriles, se racle la gorge et vérifie timidement ses tonalités. Avec Konan, elles ont passé la semaine à perfectionner son picking et à bosser la vitesse, alors Hinata part direct sur un bon petit Miserlou après un unique contretemps de situation. Tenten et Naruto sursautent, les doigts de Hinata volent sur les cordes métalliques, les notes défilent à toute allure et elle n'en rate qu'une seule ou deux – faut dire que le rythme de ce truc est tout simplement hallucinant.

N'empêche, Hinata est tellement contente de voir qu'elle a enfin acquis ce morceau qu'elle rougit. La vitesse, c'était l'une de ses grandes lacunes, d'après Konan, mais là ! Là c'est bon, elle court, elle vole ! Lorsqu'elle relève la tête, y'à plein de gens retournés sur leurs chaises et Tenten et Naruto la fixent la bouche entrouverte. Puis ils se regardent comme deux ronds de flan avant de demander :

— Mais, euh… Tu fais ça comment ?

Hinata est à la fois fière et embarrassée. Fière, parce que leur réaction veut bien dire que ses leçons avec Konan portent déjà leurs fruits. Embarrassée parce qu'elle n'ose pas trop leur expliquer la situation, elle a peur que ça passe pour une trahison. Sasuke lui a clairement fait comprendre que personne, absolument personne, ne devait savoir qu'il avait trempé dans cette affaire.

— J'ai trouvé des cours particuliers, explique prudemment Hinata.

La nouvelle surprend les deux autres, mais ils se raisonnent très vite :

— Ouais, bonne idée. C'était la chose à faire, c'est vrai.

— Tu les prends où ?

— Quelque part dans le centre, élude Hinata.

— Putain, c'est qui ton prof, que je lui voue un culte ?!

— Non mais attendez, vous nous avez entendus ?! coupe Naruto, surexcité – il commence tout juste à comprendre que toutes leurs répétitions en groupe et en solo servent vraiment à quelque chose.

— Nous oui, lance une voix. Vous pouvez pas baisser le son ?

Les Scarecrows se retournent : Sasuke est assis deux tables plus loin avec le reste des Hawks et comme tout le monde, ils ont pivotés sur leurs chaises pour s'orienter vers l'origine du vacarme. Sauf qu'eux, ils n'ont pas applaudi à la fin.

— T'as raison d'être jaloux, réplique Naruto. Vous piétinez bien pendant que nous on défonce tout ?

— Ah, ta gueule, crache Sasuke en se retournant vers son plateau.

Il lance un regard noir à Lee qui dresse son pouce en direction des Scarecrows et Neji qui regarde Hinata en douce, un petit sourire en coin sur la gueule. Pour Tenten et Naruto, Sasuke en a rien à carrer, mais pour Hinata il a la trouille d'avouer à son groupe que c'est grâce à lui qu'elle progresse autant ces temps-ci. Ce sera de sa faute si les Scarecrows les laminent aux Portes Ouvertes. Kiba est dans la confidence, il lui jette un coup d'œil et fait un mouvement d'épaules qui veut dire qu'à sa place il aurait fait la même chose. Ça rassure pas Sasuke des masses.

— Booon… soupire Shikamaru. On va se remettre au boulot, nous.

Les Hawks se lèvent sans contester, ouais, on a un train à rattraper là, et ils sortent en même temps que les Scarecrows et leur bordel de guitares, de tom et d'amplis. Hinata avise alors Sasuke et reste à la traîne pour lui tirer discrètement la manche :

— Tu as une minute ?

Non, il a pas une minute, elle est en train de le battre à la course du riff alors il a du boulot, mais il opine quand même et la tire derrière l'escalier pour pas que les autres les repèrent. Hinata a encore le souffle court, Sasuke sait qu'il devrait la féliciter pour Miserlou mais il a un peu trop les boules pour ça. Lui, il a mis un mois à le jouer, celui-là.

— Hem… commence enfin Hinata. Konan m'a demandé où tu en étais, pour Itachi.

Sasuke se rembrunit encore plus. Il avait espéré que Konan et Yahiko auraient oublié ce détail de leur contrat, mais faut croire que ça leur tient à cœur.

— J'me suis renseigné pour voir quand il est chez lui, mais j'y suis pas allé, grogne finalement Sasuke.

— Est-ce que, euh… Est-ce que tu veux que je vienne avec toi ?

La proposition le prend de court. Que Hinata vienne avec lui ? Où ça ? Voir Itachi ? Il n'avait pas pensé à ne pas y aller seul. C'est vrai que la perspective serait moins flippante s'il était accompagné…

— Pourquoi tu ferais ça ? demande-t-il quand même à Hinata d'un ton méfiant.

— Je, euh… hésite la jeune fille en triturant la fermeture éclair de son étui. Je sais que ça peut être intimidant de renouer avec quelqu'un qui a été très proche avant, alors si ça peut t'aider d'avoir quelqu'un pour… pour ne pas renoncer au dernier moment…

Hinata a visé juste, pense Sasuke : même s'il était allé jusqu'au domicile d'Itachi, il se serait sans doute contenté de rester planté devant la porte avant de se barrer sans même sonner. Avec quelqu'un derrière lui, il serait au moins obligé de faire semblant d'avoir du courage.

— OK, dit-il alors. OK, on y va ensemble.

— Tout à l'heure ? propose Hinata que la réponse positive a motivée. Comme on n'a pas cours cet après-midi…

— Ah ouais, carrément ? s'étrangle Sasuke qui ne pensais tout de même pas y aller si vite. Tu veux pas attendre, euh… après-demain ou après-après… Ouais, d'accord, finit-il par céder en se rendant compte que s'il s'écoutait il n'irait jamais. On y va tout à l'heure.

Et il a l'impression qu'il vient de se donner sa propre corde pour se faire pendre.
.

.

A midi donc, Hinata et Sasuke se retrouvent devant le portail du lycée et montent dans le même bus, direction le quart ouest de la ville. Sasuke a l'adresse dans la poche, il la regarde toutes les deux minutes, son estomac ressemble à un sac de nouilles et il est à deux doigts d'avoir envie de vomir. Hinata voit bien qu'il est mal, alors elle essaye de détourner son attention en entamant la conversation :

— Vous êtes prêts pour les Portes Ouvertes ?

— Hein ? Ouais, enfin, non. J'sais pas. Il nous manque des trucs.

— Vous avez déjà choisi vos morceaux ?

— Si tu crois que je vais te les dire, tu peux te brosser, réplique Sasuke.

Hinata se tait une seconde, ils se regardent : Sasuke vient de rappeler qu'à la base, ils sont concurrents, rivaux, ennemis, et que même s'ils ont l'air mignons là à se balader ensemble, ça change pas que le jour des Portes Ouvertes ce sera la guerre. Le duel de groupes. La lutte à mort. Pour la gloire et pour l'honneur…

Alors pour la première fois, Hinata se demande qui des Hawks ou des Scarecrows mérite le plus de gagner.

Ils parlent des cours pendant le reste du trajet, comparant leurs résultats et leurs révisions : on ne dirait pas comme ça, mais Sasuke est un bosseur. Quand il ne joue pas, il fait des maths, et quand il ne fait pas des maths il fait de la physique ou de la littérature. Hinata comprend alors un truc très important sur Sasuke : ce type-là, quand il fait quelque chose, il le fait jusqu'au bout et se donne les moyens de réussir. Elle est un peu étonnée, elle pensait qu'il était comme Neji, un putain de génie doué à la naissance comme si les fées du rock et des études s'étaient penchées sur son berceau, mais en fait pas vraiment. Pas du tout même.

Le génie de Sasuke, il n'est pas dans le talent inné. Il est dans sa capacité à bosser jusqu'à racler les derniers neurones de son cerveau pour les étaler sur ses cahiers ou sur sa guitare.

Elle se dit que c'est un peu flippant. Parce qu'un mec comme ça, c'est sûr que c'est puissant, mais ça vaut aussi dire qu'il ne pourra jamais se contenter de la deuxième place. Qu'il ne pourra jamais se contenter de lui-même non plus.

Alors elle se demande, Hinata… Qu'attend-t-elle pour elle-même ? Jusqu'où veut-elle aller ? Est-ce qu'elle sera capable de se fixer des limites, de respecter celles qu'elle ne pourra jamais dépasser ? C'est pas évident comme question, ça implique d'accepter qu'on a des faiblesses qu'on ne peut pas surmonter.

— Je crois que c'est là, dit Sasuke quand ils se retrouvent au pied d'un immeuble à la façade de pierre noircie par le monoxyde de carbone.

Hinata vérifie l'adresse, oui, c'est bien là. Elle jette un coup d'œil à Sasuke, il est blanc comme un linge. Alors elle lève les yeux, compte les étages puis les fenêtres : celles d'Itachi sont entrebâillées.

Ils ne peuvent plus reculer maintenant.

La porte s'ouvre sans un bruit, ils traversent le hall obscur envahi par une odeur de poussière et d'humidité, montent les marches d'un pas lent. Pas pressés d'arriver. Mais il arrivent malgré tout, sixième étage, porte de droite, il n'y a pas de paillasson et l'étiquette punaisée sous la sonnette indique bien le nom qu'ils recherchent. Sasuke s'arrête soudain, retient Hinata par le bras, souffle : "Attend. Deux secondes."

— T'inquiète pas, le rassure Hinata comme elle peut alors qu'il essaye de retrouver son souffle. Le plus dur, c'est maintenant. Dans vingt secondes, tout ira mieux.

Sasuke hoche la tête, il a l'air du mec qui va dégobiller d'une minute à l'autre mais il se redresse, déglutit et obéit à la douce pression de Hinata sur son épaule. Ils se plantent devant la porte, Hinata demande d'un regard la permission d'appuyer sur la sonnette et ils attendent encore. Comme personne ne répond, Hinata appuie à nouveau, puis soudain une énorme voix gueule de l'autre côté de la porte :

— C'est ouvert, putain !

Hinata a sursauté, Sasuke pâlit encore. Ils poussent la porte, effectivement c'est ouvert, et pénètrent dans un couloir épuré qui sent le bois et le soleil. Un peu hésitants, les deux ados avancent, passent devant une petite cuisine vide dans laquelle fume une cafetière, poursuivent encore, puis débarquent dans un séjour et s'arrêtent là.

La pièce est assez grande, carrée, avec trois hautes fenêtres et un super éclairage. Les murs sont recouverts d'étagères remplies de livres et de disques ; au milieu, sur une vaste natte en osier, deux canapés forment un angle autour d'une table basse et d'un énorme lecteur de disque. Il y a des coussins partout, une demi-douzaine de pupitres émergent ça et là comme des antennes, une basse noire et brillante est installée sur son support près de la porte, un magnifique violon au vernis couleur de miel attend sur l'un des canapés et un énorme violoncelle est posé contre un tabouret réglable.

Le décor est tellement complexe que Sasuke et Hinata ne voient pas tout de suite le type immense aux épaules carrées qui est vautré dans l'un des canapés, un ordinateur sur les genoux. Il faut que le mec redresse la tête, regarde par-dessus le violoncelle et s'exclame dans un rugissement stupéfié :

— C'est une blague ! Uchiwa junior est dans la baraque !

Sasuke a fait un bond, il est furieux de s'être fait prendre par surprise et grogne un "Salut, Kisame" un peu bougon. Le dénommé Kisame jette son ordinateur portable au milieu des coussins pour se lever, il est mort de rire et beugle encore une fois :

— Mec ! Ton frangin est…

Mais Itachi est déjà là, tout juste apparu dans l'encadrement d'une porte. Il est simplement vêtu d'un jean et d'un sweat-shirt noir, deux pendentifs métalliques tintent sur son torse et ses longs cheveux détachés se perdent dans la capuche de son pull : même habillé comme tout le monde et avec son air surpris, il est fascinant pour Hinata qui se sent soudain aussi petite que lorsqu'elle a rencontré Konan.

Sasuke s'est figé, les deux frères se regardent, un silence épais coule dans le séjour, puis Itachi reprend un air impassible et un léger sourire s'étire sur ses lèvres lorsqu'il dit simplement :

— Tu as grandi, Sasuke.
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.

Kisame a sorti des canettes de Coca, il a ouvert un paquet de gâteaux et s'est avachi dans les coussins répandus sur le sol. Hinata est nerveusement assise à genoux près de lui, son verre de jus d'orange serré entre ses mains, et chacun d'un côté de la table basse, les deux frères se font face sans se quitter des yeux. Sasuke a du mal à l'ouvrir, pour l'instant c'est Hinata qui a fait la conversation, à expliquer pourquoi ils sont là, à raconter la vie de Sasuke alors qu'elle n'en sait rien, oui il est dans un groupe, non ce n'est plus Hebi, ils font du rock alternatif, ils veulent participer à la compétition pour l'Auditorium…

Maintenant elle se tait, Itachi a arrêté ses questions et elle voit bien que c'est à Sasuke de faire un effort. Alors elle se trémousse un peu sur ses talons et se tourne vers lui :

— Ils sont les favoris pour l'instant, dit-elle joyeusement. Pas vrai, Sasuke ?

— Mh.

— Mais on a bien l'intention de leur donner de la compétition, ajoute-t-elle parce qu'elle ne sait plus quoi dire.

— Tu m'as bien dit que Naruto Uzumaki était dans ton groupe ? interroge Itachi en la regardant.

Elle approuve, et sans qu'elle ne comprenne pourquoi la nouvelle fait sourire Itachi qui revient à son frère qui fait toujours la gueule.

— C'est une bonne chose.

— Qu'est-ce que t'en sais ? crache Sasuke, ouvrant enfin la bouche.

— Tu as toujours eu besoin d'un concurrent pour avancer, fait Itachi, très calme. Je suis heureux que ce ne soit plus moi.

Sasuke ouvre la bouche, sonné. Il ne s'attendait pas à ça. Itachi lui sourit paisiblement, puis porte sa tasse de café à ses lèvres. Il est tellement serein que c'est étrange. A côté de Hinata, Kisame ricane discrètement.

— Est-ce que vous allez en venir aux explications ou on peut se gratter ? lance-t-il.

Les deux frères lui jettent un coup d'œil, puis se fixent à nouveau. Les explications. Du genre, pourquoi est-ce qu'Itachi s'est barré. Pourquoi est-ce qu'il ne revient pas. Pourquoi est-ce qu'il ne prend même pas quelques nouvelles en passant. Toutes ces questions qui ont pourri la vie de Sasuke.

Mais maintenant qu'il est assis là en face de son grand frère qui lui a tant manqué, il se dit qu'il s'en fout de tout ça, Sasuke. Qu'en fait, il le sait déjà. Itachi s'est barré pour se détacher de l'influence de leur père, pour faire sa voie sans s'emmerder avec la célébrité du nom de Uchiwa. S'il ne revient pas, c'est parce qu'il l'a trouvée, sa voie, et qu'il n'a aucune raison de revenir en arrière. Et s'il a coupé les ponts, c'est parce qu'il savait qu'il devait attendre que quelqu'un lui dise qu'on lui avait pardonné sa désertion avant de pouvoir revenir.

Or Sasuke est là, chez lui, assis sur l'un de ses coussins, et ça, c'est bien la preuve que le pardon est déjà en route. Alors ouais, y'à plus grand-chose à demander. A part peut-être…

— Je peux essayer ta guitare ?

Hinata pivote vers Sasuke : il a les joues un peu rouges et l'air toujours aussi buté, mais ses yeux brillent de détermination. Itachi sourit à nouveau, se lève et lui tend l'objet sans un mot.

— T'as fait quoi de l'ancienne ? demande Sasuke en effleurant les cordes métalliques tendues à l'extrême.

— Elle s'est déboîtée au niveau du manche. Je l'ai jetée.

Sasuke a un frémissement au coin de la bouche : c'est bien Itachi, ça. Pas d'hésitation, pas de regret : un truc est pété, on le balance sans se retourner. Il pince les cordes de la nouvelle guitare, admire sans l'avouer son design et sa marque qui vaut la peau du cul, puis pianote quelques notes sans faire attention aux autres. Itachi le reprend, "pas si dur sur le manche", machinalement Sasuke rectifie sa prise, recommence son riff, Itachi corrige à nouveau puis finit par se décaler pour être près de lui et mieux superviser son jeu.

De l'autre côté de la table basse, Kisame file un coup de coude malicieux à Hinata et lui fait signe de le suivre pour laisser les deux frères tranquilles. Ils se lèvent discrètement, s'éclipsent et jettent un coup d'œil par-dessus leurs épaules avant de quitter le séjour : Itachi et Sasuke sont plongés dans la musique, échangeant à voix basse, les têtes baissées vers la guitare et leurs longs cheveux identiques se balançant devant leurs visages paisibles.

Tout est naturel, se dit Hinata.

— Il était temps que ces deux-là se retrouvent, confirme Kisame.

Puis il emmène Hinata dans la cuisine et commande des pizzas, parce que d'habitude c'est Itachi qui cuisine et que lui, c'est pas demain la veille qu'il s'y mettra.
.

.

— Tenten ! gueule Naruto.

Tenten sursaute, massacre son devoir de chimie d'une belle balafre et se retourne d'un bond furieux : ce con de Naruto est penché à travers l'ouverture de la porte de sa classe et poursuit en gueulant toujours, sans sembler se rendre compte que dans la salle, les troisièmes années sont en train de bosser.

— T'as pas vu Hinata ?

— Nan, j'l'ai pas vue ! Dégage !

— Fuck, grommelle Naruto en repartant.

Tenten se retourne vers son devoir défiguré et grogne un juron entre ses dents serrées. Déjà qu'elle avait du mal à se concentrer, maintenant c'est même plus la peine d'essayer… En face d'elle, Sai pose sur elle un regard placide.

— Qu'est-ce qu'il veut que j'sache où elle est, Hinata ? râle Tenten en arrachant sa page à son cahier. Comme si j'la fliquais ! Déjà qu'elle se barre Dieu sait où dès qu'on a le dos tourné, si en plus faut la suivre autant aller se faire foutre par une chèvre ! J'y peux rien si ce con perd sa copine, moi ! En tout cas elle a intérêt à ramener ses fesses d'ici une demi-heure, parce qu'on a une répète et…

— Rien de neuf du côté de Neji, à ce que je vois, observe Sai, perspicace.

Faut dire que Tenten, il la connaît. Il sait très bien qu'il y a toujours une raison derrière ses accès de mauvaise humeur et si c'est ni ses frères ni sa musique, c'est forcément Neji.

— Lui aussi, quel con ! fulmine aussitôt Tenten en balançant son devoir roulé en boule par-dessus la tête de Lee qui bosse dans son coin. Peut pas être clair deux minutes ? C'est tellement chiant, les mecs !

— Mh-mh, opine Sai sans lever les yeux de son bouquin d'anglais.

— "Pas le temps, j'dois répéter", fait Tenten avec une voix de fausset. Mon cul ouais !

— Mh-mh.

— Il a bien le temps pour aller faire du VTT avec Lee, nan ? Il est pas clair, ce mec !

— Mh-mh.

— Putain Sai, t'es chiant !

— Tu ne veux pas te trouver une vraie amie pour parler de ça, Tenten ? soupire Sai en reposant son livre.

— J'pensais qu'on en était, des amis, bougonne Tenten.

— Pas de ce genre, précise Sai avec douceur. Je ne veux pas avoir ce rôle.

— C'est toi qu'a lancé le sujet !

— Rappelle-moi de ne jamais recommencer, grommelle Sai.

Tenten se laisse aller contre le dossier de sa chaise en poussant un long râle exaspéré. Elle sort ses baguettes, tapote sa trousse d'un air sombre, puis lentement se calme. Elle ne sait plus trop où elle en est, Tenten. C'est pas souvent qu'elle se pose des questions, mais quand elle le fait c'est toujours le bordel dans sa tête, comme si elle n'avait jamais assez de place et que c'était la bamboula. Pas facile de s'y retrouver, dans une bamboula, surtout quand on a l'impression de pas avoir été invitée. Et cet abruti de Sai qui ne l'aide pas !

— Et toi, Sai, demande-t-elle soudain. Est-ce que tu…

— Non, Tenten. Je veux pas en parler.

— Je voulais juste savoir si …!

— NON.

— Bordel tu fais vraiment chier !

— C'est toi qui fait chier, Tenten, s'énerve tranquillement Sai en la regardant droit dans les yeux. Je n'y peux rien si tu n'es pas capable de canaliser tes accès d'humeur, d'accord ? C'est pas la peine d'essayer de me mettre dans ta galère avec toi. Il y a des choses que tu ne peux régler qu'en étant claire avec toi-même, et tant que tu n'arriveras pas à en parler ça ne marchera pas.

Tenten se lève d'un bond. Elle empoigne son sac, ses cahiers, vire sa chaise d'un coup de pied et se barre sur un dernier doigt d'honneur. Qu'ils aillent se faire foutre, ce con et sa psychologie de comptoir. En fait, que tout le monde aille se faire foutre !
.

.

Naruto a erré un peu partout dans le lycée sans trouver Hinata. Il sait qu'il aurait dû abandonner depuis un moment, que c'est évident que Hinata est sortie, mais il n'arrive pas à se motiver à faire autre chose. Alors il traîne, il est passé voir Sakura qui révise son duo en attendant que Sasuke se pointe enfin, il a fait un tour au stade échanger quelques balles avec les mecs de première année, est revenu dans la cour où il a vu Kiba – au moins, Hinata n'est pas avec lui – puis s'est résigné à retourner au studio d'Asuma en se disant que de toute façon, leur répète est censée commencer dans un quart d'heure et qu'il n'a qu'à attendre là-bas.

Mais il s'est à peine installé avec sa basse que ça y est, Hinata débarque, un peu essoufflée. Elle a eu peur d'être en retard, explique-t-elle précipitamment en posant ses affaires. Puis elle s'installe à son tour, branche sa guitare, sort ses partitions et le regarde enfin : il n'a pas bougé.

— Ça va ? demande-t-il alors.

Oui oui, répond Hinata, un peu surprise par son expression indéchiffrable. Naruto hésite à lui demander où elle était, finalement se retient et prend sa basse. Hinata est déjà plongée dans le déchiffrage de leur morceau du jour, elle est concentrée, Naruto est toujours fascinée de la voir comme ça. Ses longs cheveux noirs se balancent doucement devant son visage sérieux, ses sourcils sont légèrement froncés et ses lèvres bougent toutes seules comme si elles formulaient ses pensées : elle est dans son monde. Naruto aimerait bien arriver à se concentrer comme ça. Alors il essaye un peu, s'occupe de sa basse, ajuste sa prise Jack, puis soudain tzoiiing !

Quelque chose claque sous les doigts de Hinata, jaillit, la fouette au visage. Elle n'a rien vu venir, la douleur et la surprise lui arrachent un cri, elle a lâché sa guitare qui se pend à son cou par sa sangle, et alors seulement, elle comprend qu'elle vient de péter une corde.

— Hinata, ça va ? s'inquiète Naruto qui a sursauté en entendant le bruit.

— Je…

— Merde, tu saignes !

Hinata n'a pas encore reprit tous ses esprits que Naruto est déjà près d'elle, les mains sur son cou pour voir la blessure de plus près. Il jure entre ses dents puis lui enlève la guitare et la pose sur une chaise :

— Viens, faut mettre un truc.

— C'est bon, conteste Hinata en effleurant sa joue meurtrie du doigt.

— Hinata !

Mais Hinata s'est déjà détournée pour ausculter sa guitare avec inquiétude : oui, c'est bien une corde rompue. Merde. Qu'est-ce qu'elle a fait de travers pour en arriver là ? Elle n'a même pas de cordes de rechange, va falloir en acheter… Ça se trouve où, déjà, des cordes ?

Naruto pousse un sifflement énervé, renonce à la faire venir à l'infirmerie et quitte le studio au pas de course. Quand il revient, Hinata est déjà en train d'enlever la corde cassée et le sang coule doucement le long de son menton.

— Tu vas en foutre partout ! grogne Naruto en lui enlevant une deuxième fois la guitare des mains.

— Je suis désolée, Naruto, fait Hinata d'une petite voix alors qu'il s'assoit en face d'elle en déballant du coton et du désinfectant. J'ai cassé ta guitare…

— Mais c'est bon, déstresse ! Tu sais quel âge elles avaient, ces cordes ? Tu te mets toujours la pression pour rien !

— Tu peux parler, observe Hinata à la dérobée.

Parce que c'est vrai que Naruto a bien la pression pour rien, là, avec son empressement à soigner une simple égratignure. Naruto ne répond pas, il essuie le sang, désinfecte, cherche les pansements que l'infirmière lui a donnés, et Hinata se laisse faire. Les mains de Naruto sont douces et précautionneuses, et en cet instant il ne regarde qu'elle et ça lui fait un bien fou. Elle a l'impression d'être bercée par une mélodie familière qui la pousse vers la somnolence.

Elle songe doucement que c'est la première fois depuis longtemps qu'ils ne sont que tout les deux à faire autre chose que du rock. C'est agréable. C'est comme voler des secondes au nez et à la barbe de tous leurs problèmes. Elle devrait casser des cordes plus souvent.

Naruto écrase un pansement sur sa coupure, ses gestes sont un peu rudes, des mains d'homme sur une joue de femme, et Hinata se mord la lèvre quand elle réalise qu'elle aime cette brusquerie un peu bourrue. Puis Naruto se redresse, la regarde : l'atmosphère est si intime soudain qu'il se demande si ce n'est pas le moment de lui demander ce qu'elle fait quand elle disparaît hors de sa vue. Il a l'impression de la perdre, Hinata ; de la laisser lui glisser entre les doigts et de la voir courir devant lui, à devenir quelqu'un sans l'attendre.

Son regard est si bleu et si intense que Hinata bascule peu à peu dans un profond malaise. Et finalement, c'est Tenten qui casse la tension en explosant la porte d'un coup de pied.

Dire qu'elle est furieuse serait un putain d'euphémisme de merde.

— Enfoiré de Sai ! Pour qui il se prend ? La prochaine fois que je le vois, je lui arrache son foulard, je l'étrangle avec puis je lui fais bouffer ses couilles… S'il en avait !

— Euh… Qu'est-ce qu'il s'est passé ? ose Naruto.

— Où sont mes putains de baguettes ?! gueule Tenten en guise de réponse après avoir fouillé toutes ses poches.

— Dans tes cheveux, signale timidement Hinata.

— Bordel ! fulmine Tenten en empoignant les baguettes qu'elle avait plantées dans ses chignons. Toujours là où il faut pas, celles-là ! Comme ce con de Sai !

Naruto et Hinata échangent un regard impuissant, c'est toujours difficile de demander ce qui ne va pas à Tenten puisqu'elle répond à chaque fois avec un "Vos gueules" plutôt dissuadant. Il y a pourtant clairement un truc qui ne va pas aujourd'hui, Tenten est complètement sur les nerfs alors qu'elle était de super humeur le matin même au self. Elle bâcle ses enchaînements, s'énerve contre son nouveau tom, reprend Naruto en gueulant et s'acharne sur Hinata qui peine à lancer l'intro de leur morceau sans même avoir remarqué qu'il lui manquait une corde et que forcément, c'est pas évident de jouer dans ces conditions :

— Tu dois pas avoir peur des notes, c'est les notes qui doivent avoir peur de toi ! T'en fais ce que tu veux, des notes ! Tu les baises, les notes ! Et dans les deux sens !

Puis en même temps, Hinata et Naruto en ont marre, ils s'arrêtent, plaquent leurs mains sur leurs cordes et relèvent la tête :

— Bon, Tenten, tu fais chier.

Elle relève la tête, déjà prête à renvoyer une remarque acide, ses yeux scintillent, mais Naruto lui coupe l'herbe sous le pied :

— J'veux bien que t'aies les boules de temps en temps, mais on peut pas toujours tout se prendre dans la gueule simplement parce qu'on est dans le passage, OK ? Alors va falloir soit que t'arrives à gérer tes crises, soit que tu nous dises ce qui te bouffe, sinon…

— … sinon on ne va pas arriver à continuer à marcher ensemble, complète Hinata, décidée elle aussi. Naruto a raison, on n'est pas des punching-balls. Alors dis-nous, maintenant : qu'est-ce qu'il se passe ?

Tenten ouvre et referme la bouche comme un poisson, outrée devant une telle mutinerie ; elle glapit c'est quoi cette attaque de front à deux balle, tout le monde est contre moi ou quoi ? Mais Hinata et Naruto sont inébranlables, ils ont croisés leurs bras sur leurs poitrines et ils attendent, alors elle les regarde tour à tour, comprend qu'elle ne pourra pas s'en tirer avec ses répliques agressives habituelles et lâche enfin, en anglais, comme si c'était plus facile pour elle de s'exprimer dans une langue étrangère :

I'm totally shit.

Naruto joue le jeu :

Everyone is. What matters is what we shitty things are going to do. You know, to…

— … stop being shitty, complète encore Hinata. Something beautiful is meant to come out of everything, even the ugly ones. To be wondering what, or how, is just a part of the path.

Aaaand that's why we're here. Searching. Trying. Meaning.

Parler anglais commence à les amuser, leurs accents sont pourris, ils ne sont pas sûrs de leur syntaxe ou de leur vocabulaire et ça les force à moins se prendre au sérieux. Alors Hinata et Naruto continuent, joyeux, devant une Tenten éberluée qui se demande s'ils ne sont pas en train de se foutre de sa gueule.

It's okay to be lost sometimes, because that's how we find our way again, right ? fait Hinata en cherchant l'approbation de Naruto du regard. You just have to beware of asking yourself too much questions. Life isn't about that.

Yeah, confirme Naruto en hochant vigoureusement la tête, tout émoustillé, il se sent lui-même à nouveau et ça lui fait un bien de dingue. Asking yourself too much questions is the wrong way to do whatever you're doing. Because you're not the question, you're even not the thousands of questions… you're the answer.

— Oooh… joli, admire Hinata qui en oublie de parler anglais.

Elle reconnaît bien Naruto là, à sortir l'air de rien une petite phrase qui ne paye pas de mine mais qui restera gravée dans les esprits parce qu'au fond, elle est pas si fausse. Ils ne sont pas la question, ils sont la réponse… C'est pas souvent qu'on leur présente le dilemme de l'existence sous cet angle.

Tenten non plus ne le voyait pas comme ça. Elle est un peu assommée, elle ne sait toujours pas si elle a décidé de prendre les deux autres au sérieux et si elle s'attendait à déballer tous ses petits malheurs pour les entendre ensuite la consoler en lui tapotant le dos d'un air compatissant, elle peut repasser. Mais finalement, elle préfère ça. Le pathos adolescent, ça n'a jamais été son truc.

— Vous êtes barges, finit-elle par souffler.

Et les deux barges lui adressent un grand sourire qui la réchauffe jusqu'aux tripes.

Dieu qu'elle adore ce groupe. Les Scarecrows sont indiscutablement les meilleurs. Peut-être pas en musique pour l'instant, mais pour le reste…

— J'ai envie de faire un truc frais aujourd'hui ! déclare alors Tenten en se redressant sur son tabouret, boostée à bloc. Vous connaissez Grace Potter and The Nocturnals ?

— Non, font les deux autres avec la même incrédulité.

— Honte à vous. Heureusement que j'suis là pour m'occuper de votre éducation musicale.

— Ouais mais attend, Hina a cassé une corde et…

Tenten est déjà debout, elle n'écoute pas Naruto, elle branche son lecteur mp3 sur l'enceinte et glisse dans les playlists d'un doigt expert. Le morceau débute, you got me down on the floor, so what'd you bring me down here for ? Ils l'écoutent une fois, deux fois, puis Hinata commence déjà à déchiffrer la tablature et Tenten l'accompagne aussitôt. A la quatrième fois, le jeu de Hinata est clair et plutôt juste si on tient pas compte de la corde manquante et Tenten et Naruto sont étrangement silencieux. Elle a réussi à déchiffrer un morceau inconnu en moins d'un quart d'heure.

— Et, euh… hésite à demander Naruto. C'est à ton cours particulier que t'apprends ça ?

— Hein ? Oui… sursaute Hinata qui n'avait pas remarqué l'attention des deux autres.

— Ah ouais… C'est où déjà ?

— Dans… dans le centre. Un truc pas connu…

Naruto a déjà eu l'occasion de remarquer à quel point Hinata ment mal et jusqu'à présent, il n'a jamais relevé, sans trop savoir pourquoi – peut-être pour respecter son jardin secret. Mais là, il se dit que ça craint, que ça lui fait mal, que c'est pas normal, alors il la regarde droit dans les yeux, l'azur dans l'opale, solide et ferme, et il affirme d'un murmure :

— Mytho.

— Quoi ? fait Tenten alors que Hinata pâlit d'un coup.

— Pourquoi tu veux pas nous dire qui te donne des cours ? continue Naruto d'un ton presque agressif. C'est quelqu'un qu'on connaît ?

— Je…

— Je comprend pas pourquoi tu nous mens. C'est toi qui disais qu'on devait tout faire pour continuer à marcher ensemble. Alors pourquoi tu traces en clandestine dans notre dos ? C'est quoi le problème avec ces cours ?

Complètement réduite au silence, Tenten a le regard qui vole de Naruto à Hinata et de Hinata à Naruto. Elle est tendue sur son tabouret, elle a enfin compris qu'il y a un truc qui cloche et que Naruto l'a cerné avant elle, et comme lui elle attend que Hinata rompe la pression en se mettant enfin à parler, à se défendre, à dire si oui ou non il a raison.

Hinata n'en peut plus. Elle ne sait plus où se mettre, elle ne supporte plus de leur mentir, de passer pour le genre de fille qui la joue en solo, de trahir la confiance de Naruto et de ses yeux bleus ; elle se dit qu'elle comprend que Sasuke veuille rester discret, qu'il a une réputation à préserver, mais c'est pas honnête cette histoire, c'est pas juste, ni pour elle ni pour le reste des Scarecrows. Alors elle craque, et leur raconte tout. Sasuke, Red Moon, Konan, le deal, Itachi, les cours privés. Naruto et Tenten n'en reviennent pas.

Un immense silence suit son petit discours révélateur. Tendue sur son tabouret, Hinata se tord les doigts, se mord la lèvre, détaille l'un après l'autre ses amis insupportablement muets, cherchant à deviner ce qu'ils pensent, ce qu'ils ne disent pas. Pourquoi ces deux grandes gueules n'ont soudain plus rien à dire ? Elle aurait préféré qu'ils explosent et l'engueulent, parce que ce silence-là… Ce silence-là est terrifiant.

— Bon, souffle finalement Tenten en se passant une main perplexe dans la frange. Je sais pas trop quoi penser. Quel intérêt aurait Sasuke à t'aider comme ça ? J'veux dire, on est ses rivaux quand même…

— Aucun, s'empresse d'assurer Hinata. Il n'y a aucun calcul derrière. Moi aussi je l'ai soupçonné au début, mais je crois vraiment que Sasuke a fait ça simplement parce qu'il… qu'il n'est pas si égoïste que ce qu'il laisse paraître.

— Ouais nan mais attend, Sasuke aider quelqu'un par pur altruisme ? rigole Tenten. Autant dire que cette pimbêche de Sakura serait prête à couper ses précieux cheveux roses pour sauver les petits Africains.

— On ne sait jamais, insiste Hinata, décidée à défendre Sasuke coûte que coûte. On ne sait jamais ce que réservent les gens. On croit les connaître et tout d'un coup une nouvelle facette explose, et on ne s'y attendait pas, et ça n'en reste pas moins une facette qui les représente…

— J'sais pas, lâche Tenten, toujours aussi dubitative. J'trouve ça louche quand même. Naruto, t'en dit quoi ?

Naruto lève les yeux vers elle. Il est étrangement calme, impassible, impénétrable. Impossible de deviner à quoi il pense. Ses yeux bleus glissent sur Tenten, retournent vers Hinata, la sondent sans un mot et elle se sent terriblement gênée. Est-ce qu'elle a vraiment fait quelque chose de mal ?

— Je suis désolée, s'excuse-t-elle à tout hasard. Je ne voulais pas que vous le preniez mal…

— Non mais t'inquiète, coupe Tenten en secouant la main. L'essentiel, c'est que t'as un cours, et en plus c'est avec Konan de Red Moon, on va pas cracher dessus ! Et puis, si tu peux copiner avec Deidara, j'veux bien des tuyaux en batterie moi…

Hinata émet un rire nerveux, Tenten a déjà repris ses baguettes pour poursuivre la répétition. Sur son tabouret, Naruto reste immobile, tout silencieux, le regard posé quelque part entre le sol et une chaise. Il faut que Tenten claque des doigts devant son visage pour qu'il se réveille en empoigne sa basse :

— Ouais, on en était où ?

— Nulle part. Avec une corde en moins, on va pas aller loin. Autant rentrer réviser.

— OK, approuve aussitôt Naruto.

Il se lève direct et remballe son matériel. Sa promptitude étonnent Tenten et Hinata qui le regardent partir sans comprendre. Naruto n'y fait pas gaffe, il est déjà dehors, trace jusqu'aux escaliers, s'arrête une seconde puis descend d'un étage.

La porte de la classe de Kurenai est entrouverte et aucun bruit n'en sort. Quand Naruto entre pourtant, il y a bel et bien quelqu'un : Sasuke, assis sur un bureau et plongé dans la lecture d'une partition.

— Qu'est-ce que tu fous là ? jette le brun en voyant Naruto.

— Sakura est pas restée ?

— Elle arrive. Et en quoi ça te regarde, de toute façon ?

Naruto observe Sasuke sans répondre, comme s'il pouvait parvenir à savoir ce qu'il avait dans la tête rien qu'en sondant ses yeux noirs. Mais Sasuke est comme d'habitude, ronchon et méfiant. Peut-être un peu plus calme qu'à l'ordinaire, parce que normalement il l'aurait déjà envoyé chier dans les roses.

— Tu vas vraiment faire ce solo ? lance Naruto.

Il n'ose pas lancer le sujet de Hinata tout de suite, alors il commence par la provoc. Et puis, ça fait longtemps qu'il veut parler de ça avec Sasuke qui fronce les sourcils.

— Ça te regarde ? répète le guitariste.

— Non, tu fais ce que tu veux. Mais bon, ça craint un peu quoi.

Ça y est, Sasuke est piqué au vif, il ne va pas le laisser partir, pas tout de suite. Il relève le menton, la colère flamboie déjà dans ses yeux d'encre :

— C'est pas parce que t'es pas capable toi-même de faire un solo que c'est pareil pour tout le monde, réplique-t-il vertement.

— Pour info, t'en es toujours pas capable non plus, répond Naruto. Et puis sérieux, pourquoi t'y tiens tant, à ce solo ? T'es pas fait pour jouer tout seul. T'as jamais été fait pour ça. Sinon tu serais pas dans un groupe. Et t'as TOUJOURS été dans un groupe.

Et voilà, Sasuke sent l'irritation lui dissoudre les parois intestinales. Naruto a toujours été comme ça avec lui : à avoir l'air d'un con, jusqu'à ce qu'il montre qu'en fait il a tout compris. Il le sait, Sasuke, qu'il n'est pas fait pour jouer tout seul. Mais ça l'emmerde profond, il a toujours eu des envies d'indépendances, et si il veut essayer c'est quoi le problème ?

— T'essaye juste de te prouver quelque chose, poursuit Naruto sans attendre que Sasuke trouve quoi répondre. Et de prouver quelque chose aux autres. Genre à ton père, ou à ton frère. Mais c'est complètement con. Le vrai truc que tu devrais chercher à prouver, c'est que t'es vraiment capable de jouer avec quelqu'un, pas seulement pour ta pomme comme avec les Hawks mais aussi pour les autres.

Sasuke ne dit rien, il a opté pour le silence. De toute façon, il y pensait déjà, à tout ce que dit Naruto. Itachi lui a sorti à peu près la même chose l'autre jour, de manière plus délicate mais dans le fond c'est pareil. Alors bien sûr que ça le travaille, bien sûr qu'il y a déjà réfléchi, et entendre Naruto confirmer tout ça l'aide plutôt à valider la décision qu'il hésitait à prendre.

Mais plutôt crever que d'admettre que ce connard de bassiste est en train de l'aider.

— C'est quoi ton délire avec Hinata ? interroge alors Naruto de but en blanc, sautant du coq à l'âne sans aucun remords.

Sasuke tressaille, fronce encore plus les sourcils, pousse un juron. Pouvait pas tenir sa langue, celle-là ? Il voulait justement éviter que ce con de Naruto soit au courant et deux semaines après bim !

— Pourquoi t'as fait ça ? insiste Naruto en restant planté devant la porte, défiant. Tu lui as demandé quoi en échange ?

— Non mais calme ta parano, mec ! s'énerve Sasuke qui est déjà assez embarrassé comme ça pour qu'on le soupçonne en plus de manipuler un petit ange innocent. J'lui ai juste filé un tuyau, c'est tout !

— Un tuyau ? rigole Naruto. Tu lui as trouvé l'une des meilleurs guitaristes de la ville juste pour le plaisir de faire une bonne action ? Il se passe quoi là, c'est Noël ?

Sasuke s'agite sur son bureau, pose ses partitions, se met en colère. Il a envie de foutre Naruto dehors à coups de savate, de l'insulter en prime et de lui tabasser le crâne avec sa basse pour faire bonne mesure. Mais retrouver Itachi a apaisé quelque chose en lui, cet aspect de son caractère qui tendait à exploser pour un rien, et il ne se lève même pas.

— Ouais, répond-t-il tout simplement. C'était ma BA de l'année. Maintenant tu me lâches ?

Naruto hésite encore à y croire et il dévisage Sasuke avec tant d'intensité que celui-ci finit par claquer la langue avec impatience. C'est qu'il a l'air sincère, cet enfoiré, songe Naruto. La preuve, il commence à rougir. Il a vraiment juste voulu donner un coup de pouce à Hinata.
Hallucinant, se dit Naruto. Hallucinant… mais dans le fond, pas si étonnant.

— Pfff, ricane-t-il alors en souriant enfin. Sasuke la terreur, tu parles… T'es juste un musicos comme tous les autres.

— Mais je t'emmerde ! Au moins moi je joue d'un vrai instrument !

— De quoi ?! D'où la basse c'est pas un vrai instrument ?

— Me fait pas rire, persifle Sasuke, toujours plus à l'aise dans la dispute que dans une conversation normale. Remarque ça doit être peinard, si ta prise Jack se débranche en plein concert personne le remarque.

— Tu te fous de ma gueule ? s'enflamme Naruto. T'as déjà écouté Money de Pink Floyd sans la ligne de basse ? Autant aller faire de la broderie.

— Tu dois t'y connaître, réplique Sasuke. Parce que c'est pas les bassistes qui étouffent sous l'attention du public hors concert, alors vous devez en avoir, du temps libre.

— Pfah, mais c'est un sacré avantage ! fait Naruto en rentrant dans le jeu. Nous au moins, on peut se balader tranquille sans être harcelés par une horde de groupies en délire. Et c'est pas nous qu'on fait chier pour jouer du Johnny Hallyday à chaque soirée.

— C'est sûr que débranchée, une basse, c'est à peine plus impressionnant qu'un aspirateur…

— Au moins on n'est pas emmerdé par tout le bordel des câbles et des pédales. Sans parler de l'entretient, parce que pour péter une corde de basse, faut s'appeler Rambo.

— Ou pas être doué, objecte Sasuke, les yeux luisants.

Naruto aussi a les yeux qui pétillent, il se sent étrangement bien, électrisé des pieds à la tête. Il avait oublié ce que c'était, ces joutes avec Sasuke, et bordel que ça lui fait du bien ! D'une secousse, il déloge sa basse de son épaule et pose son ampli à ses pieds :

— OK, puisque tu le prends comme ça…

Sasuke a déjà empoigné sa guitare, il allume son ampli d'un coup de pied et les mèches de sa frange glissent sur son visage imprimé d'une joie sauvage. Enfin de l'adrénaline, enfin de l'excitation ! Sans même attendre que Naruto soit prêt, il démarre House of the Rising Sun en enfonçant sa pédale de distorsion et le son pète dans la classe vide. Ça fait pas longtemps qu'il bosse ce morceau à la guitare, il s'était trop concentré sur le chant jusqu'à présent, et l'entendre résonner comme ça accélère son rythme cardiaque comme pas possible.

Puis la basse de Naruto vient se caler derrière lui, les lignes sont belles et justes, posées comme il faut, et il se sent moins seul, et c'est vrai qu'il a besoin de ce support pour appuyer son jeu et ne pas le réduire à une lecture à un seul niveau. Et ils jouent, ligne après ligne, et ils savent que ce défi n'était qu'un prétexte, qu'en réalité il n'y a qu'une chose qu'ils avaient envie de faire depuis le temps de leurs premières engueulades et que cette chose, c'était ça : jouer ensemble.

Tout simplement.

Mais ils sont trop fiers pour l'admettre, trop enfermés dans leurs personnages pour se l'avouer, alors ils continuent de faire semblant de vouloir déborder l'autre et quand Sakura pousse la porte, ils sont tellement à fond dedans qu'il leur faut deux minutes pour la remarquer. Elle est stupéfiée.

— Ne vous arrêtez pas ! s'écrie-t-elle quand les deux garçons s'interrompent d'un coup.

Mais Naruto a déjà éteint son ampli et Sasuke pose sa guitare, ils ont un peu honte d'avoir été surpris, comme s'ils étaient en train de faire quelque chose de mal. Sakura s'apprête à insister, c'était super leur duo ! Mais Naruto lui passe devant en la saluant d'un sourire et disparaît en refermant la porte. Sur le bureau, Sasuke contemple le vide pendant un moment, puis Sakura s'approche prudemment et il relève la tête.

— Sakura, dit-il.

Il a le regard un peu absent. Ça l'inquiète. Quand il fait ces yeux-là, ça veut dire que quelque chose a changé dans ses convictions et que rien ne le fera changer d'avis – ou presque rien.

— J'arrête, annonce-t-il la regardant dans les yeux. Le solo. Je le ferais pas.

Sakura se décompose. Il ne veut plus faire ce solo qu'ils préparent depuis des mois ? Non, c'est trop bête ! Est-ce que c'est de sa faute à elle ? Et s'il ne fait plus de solo, ça veut dire qu'ils arrêtent de s'entraîner ensemble ? Non non non c'est tellement dommage !

— Sasuke, enfin… balbutie Sakura. Tu… tu es sûr ? Est-ce que c'est à cause de moi ? Continue à t'entraîner seul si tu veux, mais ne décide pas de renoncer à…

— Je le ferais pas, répète Sasuke, intransigeant. C'est toi qui le feras.

Là, Sakura est encore plus désemparée. Quoi ? Elle ? Faire quoi, comment ?

— Tu peux y arriver, reprend Sasuke en rassemblant ses partitions. T'as vachement progressé depuis qu'on a commencé à bosser ensemble. Il est temps que t'aies le cran de te mettre sur le devant de la scène. Non ?

— Tu… tu le penses vraiment ? couine Sakura qui n'en croit pas ses oreilles.

Sasuke la fixe et hoche la tête, sérieux comme un pape. Alors Sakura sent les larmes lui monter aux yeux à toute allure. Sasuke lui dit qu'elle peut faire un solo. Sasuke croit en elle. Sasuke !

— C'est pas une raison pour chialer ! s'exclame Sasuke avec embarras alors que Sakura fond en larmes.

— Mmmmais Sa-sasuke c'est… Je je je tu es sûr ? sanglote Sakura en s'essuyant misérablement le visage. Et co-comment je vais y arriver sans toi, moi ?

— Je vais t'aider, grogne Sasuke – il est tellement rouge que Hinata en rigolerait. Tu seras pas seule. Je vais t'aider.

— Oh, Sasuke !

Il n'a pas le temps de réagir, Sakura s'est jetée sur lui et l'étreint à l'étrangler. Ses épaules sont secouées de sanglots et Sasuke ne sait pas quoi faire, il pose une main hésitante sur son dos et lui tapote maladroitement l'épaule :

— Euh… Calme-toi, Sakura… C'est pas si…

Comme en fait il ne sait pas quoi dire non plus, il se tait jusqu'à ce que Sakura le lâche enfin. Elle a le sourire rayonnant à travers ses larmes.

— Merci, Sasuke, dit-elle en s'épongeant les yeux d'un revers de manche. Mais je ne le ferais pas.

— De quoi ? s'énerve Sasuke.

— Pas toute seule, reprend Sakura en le regardant, radieuse. Si c'est moi qui chante, je veux que tu joues. Et je veux que ce soit House of the Rising Sun. La version de Frijid Pink.

Sasuke a la mâchoire qui se décroche. Sakura le regarde avec tant de joie qu'il a du mal à rassembler ses pensées, puis un sourire vient s'inviter sur son visage d'ordinaire bougon en permanence.

House of the Rising Sun, hein ? fait-il avec ce sourire en coin toujours accroché au coin des lèvres. Bah, si c'est ce que tu veux…

Les larmes reviennent dans les yeux de Sakura et elle jette à nouveau à son cou. Cette fois, Sasuke l'entoure lui aussi de ses bras et la serre contre lui : il est subitement calmé. C'est comme si après Itachi et Naruto, la dernière pièce du puzzle de sa vie venait juste de se mettre en place et il est bien.

— Sakura, dit-il à voix basse, le menton dans les cheveux roses. Merci, c'est sympa.

— Je t'aime, Sasuke, glapit-t-elle en guise de réponse.

Sasuke se fige, Sakura aussi, elle se détache de son étreinte et recule, mortifiée. Elle s'est laissée emportée par le feu de l'action, ce n'était pas prémédité, c'est juste sorti tout seul, putain merde la gaffe maintenant il la regarde d'un air impénétrable elle vient de tout foutre en l'air quelle conne non mais quelle conne…

— Ouais, je m'en doutais, finit par répondre Sasuke.

Il se penche pour prendre sa guitare, Sakura n'ose toujours pas bouger, elle est terrifiée. Mais Sasuke cale son instrument sur son genou, calme et concentré, et il lui jette un coup d'œil à travers deux mèches d'encre :

— On s'y met maintenant ?
.

.

La salle de musique de la maison Hyûga ressemble à la place du marché après le marché.

Il y a des partitions partout, des cahiers et des classeurs répandus sur le parquet, des disques et des bouquins à droite à gauche ; les violons et les étuis sont en vrac en plein milieu du passage, les pupitres croulent sous les porte-vues et des tasses de thé se baladent allègrement entre les piles de bouquins. Au milieu du bordel, les trois enfants Hyûga sont tranquillement en train de vaquer à leurs occupations sans sembler avoir conscience qu'autour d'eux, c'est le souk.

Au pied d'un pupitre, il y a Hanabi qui gratouille son Stradivarius en suivant d'un œil la partition que lui a refilé son prof particulier et en s'interrompant toutes les deux secondes pour mordre dans le cookie qu'elle a calé entre ses dents. De l'autre côté d'un océan de CD, Neji est assis en tailleurs avec son violon électrique sur les genoux et un lecteur de disque sous le coude ; il est en train de chercher le morceau manquant à la prestation des Hawks pour les Portes Ouvertes et c'est un peu le foin, parce qu'il passe des dizaines de pistes sans en laisser une jouer plus de quelques secondes. Puis adossée à ses affaires de cours, il y Hinata qui est en train de découvrir comment on change la corde d'une guitare électrique : les deux mains sur son instrument, elle tâtonne tout en lisant la page Internet qui lui indique comment faire depuis l'écran de son téléphone posé sur le parquet.

Les trois cousins cousines vaquent à leurs occupations, donc, et sursautent d'un même ensemble quand la porte coulisse violemment et que Hiashi fait irruption dans la pièce. Il est excédé, sa réunion s'est mal passée et il va devoir annuler la tournée en Russie : autant dire qu'il n'est pas d'humeur.

— Bon sang les enfants, je vous avais dit de ranger ! tonne-t-il devant le désordre ambiant. Il faut que je parle en quelle langue pour que vous compreniez ? En javanais ?

Les enfants en questions sont en branle-bas de combat, déjà prêts à la débandade, Hanabi a lâché son cookie, Neji a arrêté son lecteur de disque et les deux regardent Hinata qui s'est figée, sa guitare toujours dans les mains. Mais visiblement, Hiashi n'a rien remarqué d'anormal puisqu'il continue :

— Je n'ai pas que ça à faire, moi ! Je n'ai pas le choix, je vais mettre Tokuma dessus puisque vous n'êtes pas fichus de tenir en ordre votre propre maison ! Allez mettre le couvert pendant qu'il range votre bazar !

Ziouuu, Hiashi a refermé la porte et s'en est allé, la tension retombe. Hinata, Hanabi et Neji se regardent sans arriver à croire qu'il n'a même pas remarqué que sa fille aînée était aux prises avec une guitare électrique, puis d'un même ensemble jettent un coup d'œil vers la porte puis se regardent à nouveau.

Tokuma, c'est le type qui est chargé de tenir cette maison quand Hiashi n'est pas là, c'est donc à peu près normal qu'il se paye de ranger le bordel. Mais Hinata, Hanabi et Neji le prennent personnellement que Hiashi les estime incapables de ranger eux-mêmes et bondissent sur leurs pieds avec défi. Il va voir, le vieux, s'ils sont aussi branques qu'il le dit !

Hop, les trois ados s'activent à toute allure, remballent leur matos, rassemblent les partitions, poussent les disques le long des murs, passent le balai – en moins d'un quart d'heure, la salle est étincelante d'ordre et de propreté. Beau travail d'équipe.

Et alors que Hanabi file dans le couloir pour mettre le couvert, Hinata se retourne et observe son cousin qui rebranche son lecteur, songeuse. Elle se dit que c'est difficile de savoir quand la mauvaise humeur de Tenten est due à son caractère de merde ou à une vraie cause, mais que l'explosion de l'autre jour n'était pas anodine et qu'il y avait vraiment un truc derrière.

Elle en a parlé à Kiba par texto, il n'en sait rien mais Neji aussi était chiant ces temps-ci, dit-il. Pas besoin de s'appeler Shikamaru pour comprendre ce qu'il se passe. Alors Hinata se sent un peu coupable d'avoir laissé tomber leur enquête sur Tenten et Neji, même si bon, ils avaient quand même autre chose à faire. Mais il n'est pas trop tard pour reprendre, alors Hinata se dit qu'il est temps d'essayer un truc qu'elle n'a encore jamais tenté : lui poser directement la question.

— Neji ?

— Quoi ?

— Est-ce que tu sors avec Tenten ?

Neji plisse des yeux méfiants, il doit se douter que les gens s'interrogent. Après tout, ce lycée est rempli de crétins qui n'ont rien d'autre à faire que de rendre leur vie intéressante en commentant celle des autres.

— Ça ne te regarde pas.

— Je sais, mais…

Hinata s'interrompt soudain, réfléchit une seconde puis change de discours à la vitesse de la lumière :

— Et comment que ça me regarde ! Tu es mon cousin et Tenten est mon amie. Si vous êtes ensemble, je pense être en droit de le savoir.

— De quel droit tu parles ? ironise Neji que la soudaine vivacité de son interlocutrice n'impressionne guère. Quand bien même je te considèrerais comme ma cousine, je n'aurais toujours aucune obligation à te tenir informée de ma vie sentimentale, et Tenten n'est pas ton amie, elle est un membre de ton groupe. Il y a une différence.

La répartie est difficile à encaisser, Hinata ne s'y attendait pas. Elle cherche un peu son souffle, puis elle affirme :

— Il y a une différence pour toi peut-être, pour les Hawks, mais nous, nous ne sommes pas comme vous. Nous, on est des amis, pas seulement des collaborateurs.

Elle se redresse et s'apprête à partir, parce que Neji l'a blessée malgré tout, mais elle profite de son silence pour ajouter encore :

— Garde le secret si ça te chante, mais dis-toi bien que ce n'est qu'un répit. On trouvera, que vous le vouliez ou non !

— Vous n'avez vraiment rien d'autre à faire ? s'exaspère Neji d'un ton fatigué. Du genre, réfléchir à comment enfin avouer à ton propre père que tu fais de la guitare électrique ?

Hinata trébuche mais fait comme si de rien n'était et sort la tête haute. Pas question de lui prouver qu'il a encore raison.
.

.

— Tu lui as dit quoi ?!

Neji hausse les épaules, cette histoire ne l'intéresse pas assez pour se prendre la tête avec. Mais pas de bol, ce n'est visiblement pas l'avis de Tenten qui saute sur ses pieds et le toise de toute sa hauteur :

— T'es vraiment qu'un con !

Neji lève les yeux au ciel, Tenten est déjà partie en furie. Elle dévale les escaliers, sprint dans le couloir et fait irruption dans le studio d'Asuma en trébuchant sur ses lacets défaits : à l'intérieur, Hinata et Naruto relèvent la tête de leurs tablatures et la regardent d'un air étonné.

— Ben Tenten, t'as le feu au cul ?

— Tu devrais plutôt être content, raisonne Hinata sur le ton de la plaisanterie. Toi qui n'arrêtes pas de lui dire qu'elle manque de motivation ces temps-ci, la voilà qui se précipite vers une répète…

Naruto rigole, c'est pas faux, bon, on en était où ? Sur le pas de la porte, Tenten s'aperçoit qu'elle a la bouche ouverte et la referme, puis elle entre en remettant de l'ordre dans ses chignons. Hinata a l'air parfaitement normale. Elle feuillette ses partoches, glisse un coup d'oeil furtif à Naruto, l'invite à les rejoindre d'un geste et décale sa chaise : tout est comme d'hab. Tenten a encore du mal à voir si Hinata fait semblant ou pas, alors elle s'approche prudemment et s'assied près d'elle en lui jetant la masse de regards en coin.

— J'ai oublié mon nez à la maison ? finit par demander Hinata qui est tellement pas habituée à ce qu'on lui accorde autant d'attention qu'elle ne peut décemment pas ne pas le remarquer.

— Ouais, tiens, prend le mien, fait Naruto en faisant mine d'enlever son nez pour le lui tendre sans lever la tête de sa feuille.

Hinata rit de plus belle, Tenten commence aussi, elle respire, ce petit con de Neji n'a visiblement pas réussi à lui démolir sa guitariste. C'est qu'elle devient plus solide, Hinata, de jour en jour. Elle a plus confiance aussi, en elle et en les autres, alors maintenant il en faut plus pour la faire retourner dans sa boîte.

Et plus le temps passe, plus Tenten a l'impression de reconnaître Neji dans cette fille aux yeux si clairs. Neji dans son aspect le plus luminescent, Neji lorsqu'il joue, Neji lorsqu'il est lui-même. Un espèce d'être venu d'un autre monde pour déployer sa puissance fabuleuse sur la Terre, un esprit cosmique au-dessus de tous les autres, un regard qui voit des choses que les autres ne voient pas, une oreille qui écoute des sons que les autres n'entendent pas. Un Hyûga, dans toute sa splendeur.

Elle le savait, Tenten. Elle savait que Hinata était de la recrue en or et c'est pour ça qu'elle aussi, elle a rejoint les Scarecrows. Enfin, elle a douté à des moments, beaucoup même, mais la Hinata qu'elle a sous les yeux commence sérieusement à lui prouver que son instinct est décidément infaillible.

— Alors les jeunes, vous en êtes où ? clame Asuma en débarquant.

Les jeunes bondissent aussitôt, parlent tous en même temps, on a plein de trucs, attendez on vous montre ! Et ils déballent toutes leurs idées pour les Portes Ouvertes, jouent des extraits à la pelle, rigolent et finissent par lancer un truc au hasard en chantant comme des dingues :
Here it comes

Here it comes

Here it comes la breeze will blow away

all your trouble and your sane, sane little minds

so do your best to run away, but take a breath and you will pay…

Et Asuma les écoutes, les regardes, et il sourit. Il sait très bien ce qu'il se passe entre les élèves de ce lycée, leurs déboires font toujours le tour de la salle des professeurs qui ne sont jamais en reste de potins. Les récits ne sont jamais l'exacte réalité des faits, mais Asuma en a suffisamment apprit pour se dire que ses trois petits protégés en ont traversé de belles ces derniers temps et que s'ils sont encore là, c'est qu'ils ont triomphé des emmerdes.

Alors il sourit encore plus largement. Parce que les Scarecrows sont devenus forts, et qu'ils ont bien raison de chanter ça : attention tout le monde, une tornade s'apprête à tout emporter sur son passage et ça va faire mal… Plus qu'un mois avant le grand show, people !
Whoah oh oh oh , here comes la breeze

Whoah oh oh oh , here comes la breeze !






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