Fiction: Six Cordes Métalliques (terminée)

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Ce qui est cool avec le lycée Senju, c'est qu'il y a une grande étendue d'herbe tout autour du gymnase. Pour y aller, il faut traverser la cour bitumée qu'encerclent les bâtiments, couper par le passage couvert qui perce l'aile de l'administration et longer les locaux de stockage ; là, il ne reste plus qu'à se vautrer sous le premier arbre venu et se la couler douce.

Neji vient souvent ici, il y a moins de monde et on voit le ciel. Il est occupé à écouter les oiseaux qui piaffent dans le chêne sous lequel il s'est allongé depuis près d'une demi-heure quand un autre sifflement retentit plus loin. Il ouvre un œil, identifie celle qu'il a déjà reconnu et laisse retomber sa tête dans l'herbe. Tenten jette son sac près de lui et s'affale à sa suite en rentrant ses lacets dénoués dans ses baskets sans se douter que ses mouvements sont attentivement suivis. Quand elle relève finalement la tête, elle se met à sourire.

— Tu prends racine ?

— J'étais tranquille, signale Neji.

— Alors il était temps que j'arrive.

Neji écarte le bras qu'il a posé en travers de son ventre, invitation silencieuse aussitôt saisie au vol par Tenten qui vient caler sa tête sur son torse. Elle soupire d'aise, s'étale un peu plus dans l'herbe et attrape la main de Neji qui repose plus loin pour jouer avec sa montre. Quand Sasuke arrive à son tour, elle est occupée à entortiller ses bracelets autour de son poignet pour voir l'effet que ça fait.

— Répète après l'anglais, informe Sasuke sans rien noter d'inhabituel dans la scène.

— Reçu, indique Neji sans bouger.

Tenten retire un troisième élastique pour l'enfiler sur sa main avec concentration. Sasuke s'assied avec eux et se débarrasse de son sac puis de sa veste. Il fait bon dans ce petit coin de pelouse, il fait calme. Il fredonne un air sans s'en rendre compte, les yeux mi clos pour mieux profiter du soleil. Tenten a lâché le bras de Neji pour s'attaquer à ses cheveux et elle fait jouer la lumière sur la mèche qu'elle a glissée entre ses doigts.

Ils ne doutent de rien, ces deux-là. Parfois, c'est chiant.

— Sympa, tes bracelets, note Kiba avec sarcasme lorsque Neji les rejoints dans leur studio après l'anglais.

Neji baisse les yeux et découvre les breloques de Tenten toujours entortillées autour de son poignet. Avec un grognement mauvais, il les retire les unes après les autres, hésite sur ce qu'il peut bien en faire et les enroule finalement sur la poignée de son étui à violon en se disant que comme ça, il pensera bien à lui rendre. Mais au fond de lui, il se dit aussi que ça fait pas si moche, sur son étui, et que c'est pas si grave s'il oublie.

— OK, lance Shikamaru en arrivant à son tour. J'espère que vous avez bien bouffé ce matin parce que j'ai enfin fini la liste des propositions pour les Portes Ouvertes.

Il montre un paquet de feuilles aussi épais qu'un mémoire de fin d'étude et fronce les sourcils quand les autres grimacent. Ils peuvent pas arrêter de se plaindre, ceux-là ?

— Si je récapitule, enchaîne-t-il sans attendre, Sasuke a un solo, plus un duo avec Sakura s'ils arrivent à quelque chose un jour, puis les Hawks au complet ont une session de trois morceaux. Le solo de Sasuke, c'est du bon gros rock normalement, la version de Frijid Pink, c'est ça Sasuke ?

— Ou celle des Heavy Young Heathens, je sais pas encore, précise Sasuke.

— Ouais, enfin de toute façon ton duo sera plus calme, donc dans tous les cas ça nous permet de commencer avec ce qu'on veut. On passe juste après l'orchestre de la 2ème B, ça colle plutôt bien aussi…

— Tu le fais tout seul, ton solo ? coupe Lee en s'adressant à Sasuke.

— C'est un solo, abruti, répond celui-ci. Evidemment que je le fais tout seul.

— Non mais je veux dire, tu veux pas qu'on joue derrière ? Tu vas pas chanter à capella, si ?

Sasuke ne sait pas quoi répondre. Il n'avait pas pensé à ça. Non, il n'imaginait pas chanter à capella et c'est hors de question qu'il fasse du playback sur un morceau préenregistré. Du coup quoi ? Est-ce qu'il peu impliquer les Hawks ? Ça suffit pas s'il joue lui-même dessus ? Est-ce qu'il est capable de jouer et de chanter en même temps ?

Tant de questions le laissent silencieux un moment. Les autres le regardent sans rien dire, attendant une réponse. C'est trop rapide pour Sasuke qui lâche finalement :

— J'sais pas, j'vous dirais.

— Dis-nous pas trop tard alors, parce que si on doit jouer du Frijid Pink faut qu'on le bosse, réplique nonchalamment Shikamaru qui est déjà revenu à sa liste. Donc, pour nos morceaux, j'propose que le premier, ce soit un de nos classiques, du terrain connu, parce que c'est notre marque de fabrique. Pour le deuxième, on peut rester dans le même répertoire mais faut qu'on prenne des risques. Enfin, pour le troisième, on va essayer un truc complètement différent.

Kiba et Lee sursautent, Neji lève les sourcils.

— Pourquoi ?

— Parce qu'il faut savoir varier, des fois !

— Pas besoin de te demander d'où te vient l'idée, persifle Neji en croisant les bras.

Shikamaru s'énerve, son paquet de feuilles en l'air :

— Ouais, j'ai observé les Scarecrows, et alors ? Naruto n'a jamais eu tord quand il disait qu'on avait peur du changement. Et les Portes Ouvertes, c'est une compète, je vous rappelle. Si on montre pas de quoi on est capables, on est morts.

— On a toujours montré de quoi on est capables sans pour autant taper dans les extrêmes, réplique Neji.

— J'm'en branle, on DOIT évoluer, s'emporte Shikamaru. On peut pas savoir dès maintenant si on est faits pour le heavy metal, ce serait une connerie de se limiter à ça. Vous aviez tous adoré bosser sur Iggy Pop, non ?

Les autres se regardent et admettent que oui, c'était le gros kiff. L'approbation encourage Shikamaru à continuer :

— Vous savez, c'est vrai que les Hawks sont le meilleur groupe du lycée, parce qu'il rassemble les meilleurs musiciens. Mais il y a deux choses que les Scarecrows ont de plus que nous, et la première, c'est qu'ils n'ont peur de rien.

— Ouais, enfin si avoir peur de rien ça veut dire jouer du David Guetta, je passe mon tour, proteste Sasuke qui n'a jamais aimé qu'on le remette en question.

— Qu'ils soient capables de le faire prouve bien qu'ils peuvent s'adapter, réplique Shikamaru. Neji aussi joue de tout, et désolé Sasuke, mais il est meilleur que toi.

Sasuke se renfrogne, mais il sait bien que Shikamaru a raison. Lee et Kiba échangent un nouveau regard, un silence inconfortable s'installe, puis Neji s'éclaircit la gorge et demande :

— Et la deuxième chose ? La deuxième chose que les Scarecrows ont de plus que nous ?

Shikamaru se tourne vers lui et plante son regard dans le sien :

— De la conviction.

*

Naruto est en train de dépérir sur son cahier de maths quand la sonnerie retentit enfin, le libérant du calvaire. Il se redresse d'un bond, jette toutes ses affaires dans son sac puis saute sur ses pieds. Et là, il s'arrête.

Il s'apprêtait à aller chercher Hinata au fond de la classe, comme d'habitude, mais quelque chose n'est justement pas comme d'habitude avec Hinata. Il n'arrive pas trop à savoir quoi exactement, c'est surtout un instinct, une atmosphère, des gestes et des regards qu'elle n'avait pas avant. Elle semble plus distante, moins naturelle, et parfois il a franchement l'impression qu'elle l'évite.

Ou alors c'est lui, il ne sait pas trop. Hinata l'intimide des jours-ci. Elle n'arrête pas de progresser, elle a même eu de meilleures notes en classe, elle s'amuse avec Kiba et tient presque tête à Tenten. Naruto a un peu l'impression qu'elle grandit sans lui et ça lui fait bizarre. Il se sent inutile et maladroit. Alors il ne sait plus quoi penser de cette nouvelle façon qu'elle a de retenir ses mouvements en sa présence, de fuir son regard et de verrouiller son sourire lorsqu'il lui parle.

Quelque chose n'est définitivement pas normal. Il n'aime pas ça du tout.

— Peut-être qu'elle est amoureuse, propose Sakura lorsqu'il lui en parle un jour, à la récré.

Naruto sursaute :

— De qui pourquoi ? En quoi ça changerait son comportement ?

— Les filles n'agissent plus pareil lorsqu'elles sont amoureuses, explique patiemment Sakura en poursuivant la confection de son chignon.

— Mais de qui ?

Sakura jette un regard plein de commisération à Naruto. Quel boulet, celui-là. Il y a vraiment des choses qui ne changeront jamais.

— A ton avis ?

Son air supérieur énerve Naruto. Comment il peut savoir ce qu'il y a dans le cerveau des filles, lui ? C'est une espèce tellement chelou ! Heureusement, Sakura se décide à l'aider :

— A ton avis, pourquoi elle t'a rejoint pour les Scarecrows ? demande-t-elle en secouant la tête. C'était pas juste pour le plaisir de renier le violon et de se mettre sa famille à dos.

— T'es en train de supposer que Hinata est amoureuse de moi ? s'exclame Naruto que l'idée fait bien marrer. Hinata Hyûga ? T'as trop écouté de Nightwish, ma vieille !

— Oui, ben désolée mais c'est soit toi soit Kiba, s'emporte Sakura qui se dit que merde, quelle idée de s'occuper de Naruto.

L'idée que ce soit Kiba ne plaît pas du tout à Naruto. Il réfléchit deux secondes, puis décide :

— Non mais c'est pas ça. Elle est pas amoureuse. C'est autre chose.

— Comme tu veux, s'impatiente Sakura qui galère avec son chignon.

Elle finit par laisser tomber. De toute façon, c'est pas avec ça qu'elle sera jolie. Elle sort son téléphone et navigue à travers ses messages sans remarquer qu'à côté d'elle, Naruto cogite dur. Faut dire qu'il en faut peu pour que ses capacités de réflexion soient saturées.

Hinata est loin de se douter de la situation. Elle est dans sa classe avec sa guitare et il n'y a plus personne hormis Sasuke qui bouquine sur son bureau. Au début, elle n'a pas trop osé jouer à cause de sa présence, mais finalement tant pis, de toute façon sans ampli ça ne fait pas trop de bruit. Alors elle gratte discrètement, battant la mesure du pied et marmonnant la mélodie sans s'en apercevoir, et derrière son bouquin Sasuke l'observe en douce. Il garde le silence un long moment, il hésite à vraiment se lancer là-dedans, puis finalement il pose son livre et élève la voix :

— Tu devrais prendre des cours.

Hinata redresse la tête, elle ne s'attendait pas à ce qu'il lui adresse la parole. Encore moins pour lui dire un truc pareil. Evidemment, elle prend ça comme une rebuffade et se mord la lèvre : c'est dur qu'un dieu de la guitare comme Sasuke estime qu'elle ne vaut rien. Mais pas de précipitation, c'est absolument pas ce que voulait dire Sasuke :

— T'as appris en autodidacte jusqu'à maintenant, pas vrai ? interroge-t-il. C'est bien, mais t'es arrivée à un stade où il te faut de vraies directives. Sinon tu progresseras plus.

Si Sasuke peut dire ça, c'est parce qu'il a suivi exactement le même parcours. De six à douze ans, il a joué tout seul, en s'inspirant de son frère, en lui piquant quelques techniques et en suivant des tutoriaux sur Internet. Puis il a cessé d'évoluer, brutalement, et si Itachi ne l'avait pas poussé dans une école de musique, il en serait sans doute encore là.

Hinata a baissé les yeux sur sa guitare, elle a l'air un peu perdue. Sasuke est pris d'un doute soudain, alors il se penche un peu et lui demande :

— T'as du potentiel, t'es au courant de ça, hein ?

Non, elle n'était pas au courant, personne ne le lui a jamais dit. Bien sûr que Naruto et Tenten lui répètent qu'elle déchire et tout, mais ça ne signifie pas pour autant qu'elle a un don pour la guitare. Il y a une différence immense entre savoir jouer et jouer bien. Cette différence, Sasuke la voit clairement et c'est bien pour ça qu'il la lui signale, en toute objectivité, sans calcul derrière, simplement parce qu'à ses yeux les gens doués doivent le savoir. La surprise de Hinata l'amuse, contre toute attente, et il laisse échapper un petit ricanement étonné. Alors cette meuf n'a jamais rodé à quel point elle était bénie par les dieux. Elle n'a jamais capté qu'elle était forte, plus forte que les trois quarts de ce lycée, et que son potentiel est encore loin d'être exploité.

— T'es à peine à tes dix pour cent, là, reprend Sasuke. Va falloir trouver comment franchir les paliers.

— Mais je…

— Et quand t'en seras à cinquante, rejoint les Hawks, ajoute Sasuke avec un sourire en coin.

Parce que c'est une parole en l'air et qu'il sait que Hinata l'a compris. C'est une parole en l'air mais qui veut dire beaucoup : cette gamine invisible depuis des années est soudain comparée aux Hawks. En quelques mois, elle a fait un bond phénoménal. Presque plus puissant que celui de Naruto. Hinata est stupéfaite, puis elle rougit, puis elle sourit, puis elle lance avec une malice que Sasuke ne lui connaissait pas :

— C'est vous qui allez rejoindre les Scarecrows, oui !

Et ça le fait rire.

Du coup il la surveille, la petite Hinata, durant les jours qui suivent. Il guette son départ pour les répètes au studio d'Asuma, vérifie l'heure à laquelle elle quitte le lycée, écoute son jeu pour deviner si oui ou non elle a suivi son conseil, puis comme rien ne semble avoir changé, il profite de la croiser dans les escaliers un matin pour lui demander :

— Alors ? Tu t'es trouvée un prof ?

— Euh… Non, pas encore. Les cours du lycée sont pleins et j'ai du mal à trier les propositions sur Internet…

Sasuke fait une moue qui n'engage à rien. Il se dit qu'il ne devrait pas l'encourager, après tout elle fait partie du camp adverse et si elle se met vraiment à jouer, c'est clair que les Scarecrows ont les moyens de leur mettre la piquette aux Portes Ouvertes. Mais cette fille a tout pour être une super guitariste et Sasuke est trop honnête envers la musique pour l'ignorer.

— Attends-moi après les cours, ordonne-t-il alors. Près du chêne.

*

Du coup, après les cours, Hinata doit se défiler auprès des Scarecrows qui voulaient se faire une petite répète improvisée. Naruto et Tenten ne comprennent pas, ils l'interrogent, puis Naruto finit par demander, un peu abruptement :

— Pourquoi tu veux pas nous dire où tu vas ?

— C'est pas que… Je… Je dois juste rentrer tôt.

Elle n'aime tellement pas mentir qu'elle ment mal. Ses joues s'empourprent, son regard fuit et Naruto se rembrunit. Il n'aime pas ne pas comprendre. Mais il n'insiste pas et comme Tenten hausse les épaules, Hinata s'échappe en épaulant sa guitare. Elle retrouve Sasuke qui piétine près du grand chêne et il l'emmène à travers un périple en bus qui les fait atterrir à l'autre bout de la ville.

— On est où ? finit par demander Hinata, complètement essoufflée – ils sont en train de monter les escaliers d'un vieil immeuble et elle a l'impression qu'ils vont bientôt atteindre le ciel tellement ils vont haut.

— Au quartier général de Red Moon, répond Sasuke sans ralentir.

Hinata s'étrangle, trébuche, manque de faire tomber sa guitare. Quoi ? Ils vont chez Red Moon, là ? Les dieux qu'elle a tant admirés au festival de décembre ? C'est une blague ?

— Comment tu les connais ?! balbutie Hinata alors que Sasuke grimpe un nouveau palier.

— Mon frère est dans le groupe depuis des années, tu savais pas ?

— Euh… Si, effectivement…

— Ils traînaient tout le temps à la maison avant que mon frère se barre, ajoute Sasuke avec amertume. On y est…

Il escalade la dernière marche, traverse le palier et va frapper à une porte peinte en rouge. Hinata se dépêche de le rejoindre et se planque derrière lui, morte de peur. De l'autre côté de la porte, quelqu'un approche, puis il y a un déclic et elle reconnaît le type roux qui jouait de la basse pendant le concert. La porte est à peine ouverte qu'ils entendent le son mélancolique d'une guitare électrique résonner depuis l'appartement. Devant eux, le mec hausse les sourcils en les voyant, ses piercings se lèvent avec eux, puis il s'étonne :

— Sasuke ? Itachi n'est pas là, si par miracle c'est lui que tu cherches.

— C'est pas demain la veille, marmonne Sasuke. Non, c'est Konan que je viens voir.

La surprise passe comme une vague sur le visage de Yahiko, mais il se retourne sans poser de question et appelle :

— Konan, y'à Uchiwa Junior qui te réclame !

La musique s'interrompt et ils entendent le bruit d'un objet qu'on pose sur le sol avant que le parquet ne se mette à craquer. Puis elle est là, juste devant eux, cette jeune femme magnifique que Hinata a tant admirée pendant le festival. Elle est encore plus éblouissante de près, ses cheveux teints glissent sur ses traits d'une douceur incomparable et ses paupières recouvertes de noir subliment un regard d'un ambre stupéfiant. Elle a un piercing sur le menton, Hinata n'y avait pas fait gaffe l'autre soir et elle se demande pourquoi diable Konan a voulu mutiler un visage aussi parfait en y plantant des bouts de métal.

— Ça fait longtemps, Sasuke, s'étonne la jeune femme.

Même lorsqu'elle ne chante pas, sa voix est bouleversante. Hinata est complètement mortifiée, elle n'arrive pas à croire qu'elle a Red Moon en face d'elle. Sasuke lui donne un coup sur l'épaule :

— Ça, c'est Hinata Hyûga, présente-t-il. Elle a besoin d'un prof de guitare.

Yahiko et Konan lèvent des sourcils surpris, se regardent et se mettent à rire. Uchiwa Junior a fait tout ce trajet pour leur demander d'être les profs de sa copine de classe ? Non, il est pas sérieux.

— Elle vaut le coup, enchaîne Sasuke qui savait que ce ne serait pas si simple. Elle a commencé la guitare électrique en autodidacte y'a quatre mois, elle faisait du violon avant. Si vous l'aidez, elle…

— Halte-là, gamin, l'interrompt Yahiko. On n'est pas des profs.

— Mais vous êtes les meilleurs !

— Et on ne prend que les meilleurs, complète Konan en posant sur Hinata son incroyable regard d'ambre.

— Vous l'avez même pas encore entendue jouer !

Il y a un silence. Hinata a envie de disparaître sous terre. Puis Yahiko lui demande :

— Hyûga, tu dis ? Comme dans Hiashi Hyûga ?

Hinata approuve, elle ne pensait pas que ce nom lui servirait un jour. Elle ne sait pas trop si c'est positif ou négatif. Est-ce que pour Yahiko, ça veut dire qu'elle a un bon niveau ou qu'elle n'est qu'une gosse de riche ? Yahiko et Konan ont commencé à se concerter :

— Faudrait plutôt demander à Hidan, non ?

Sasuke leur envoie un regard équivoque et les deux autres approuvent : Hinata et Hidan ? Non, mauvais combo.

— Et Itachi ?

— Itachi n'a jamais eu le temps de s'occuper de son petit frère, il n'en aura pas plus pour une gamine inconnue, grogne Sasuke. Non, c'est toi qu'il faut, Konan.

La jeune femme hésite encore un peu. Ça fait si longtemps qu'elle n'a pas joué de guitare régulièrement… Et elle non plus n'a pas le temps, ils ont une tournée en préparation, des recompositions en cours, des… Est-ce qu'elle peut vraiment s'encombrer d'une élève débutante ? Mais c'est finalement Yahiko qui décide à sa place :

— Elle le fera. Mais à une condition.

Konan se tourne vers lui avec un air à mi-chemin entre l'offuscation – c'est à elle de choisir, merde ! Hinata n'espérait plus une réponse positive, elle a fait un bond et elle s'approche d'un pas en serrant sa guitare contre elle :

— Je serais assidue, promet-elle d'une voix suppliante. Je vous le promets, je vais tout donner…

— Ça, c'est une évidence, ma petite, lance Yahiko. Non, la condition est pour toi, Sasuke. Konan prend Hinata à l'essai si tu renoues avec Itachi.

Le marché prend Sasuke de court et c'est à lui d'ouvrir une bouche outrée.

— C'est lui qui s'est barré !

— Allez, Sasuke, arrête de te mentir, affirme tranquillement Yahiko. Tu sais bien qu'Itachi n'a jamais eu l'intention de t'abandonner.

— Mais c'est du chantage ! proteste encore Sasuke en ayant lui-même conscience que cet argument est ridiculement puéril.

— C'est du business, rectifie Yahiko en croisant les bras. Donnant-donnant, Sasuke.

Il échange un regard avec Konan qui approuve d'un signe de tête, l'arrangement lui plait bien, et les deux adultes se retournent vers les ados toujours plantés là. Sasuke n'a plus de voix, il les dévisage comme s'il ne les croyait pas, échange un regard avec Hinata, elle a de l'espoir plein les yeux, un espoir déjà terni par la crainte de le voir refuser ; il se dit que putain, ça lui apprendra à vouloir aider son prochain et se passe une main sur le visage. Yahiko tend la paume :

— Deal ?

Sasuke laisse glisser sa main de son visage pour venir sceller l'accord en soupirant :

— Deal.

Hinata pousse un cri de ravissement, pour un peu elle se jetterait à son cou. Konan lui adresse un sourire, cette histoire risque d'être amusante finalement. D'un geste, elle invite sa nouvelle élève à entrer pour qu'elle lui montre ce qu'elle sait faire ; Sasuke hésite à rester puis accepte finalement le café de Yahiko et referme la porte dans son dos.

Hinata a branché sa guitare sur l'ampli du salon. Elle a les doigts qui tremblent, elle ne sait pas quoi jouer. Konan lui conseille de commencer avec une ligne de gammes à la con. L'exercice lui permet de retrouver ses moyens et elle enchaîne avec le dernier morceau que bossent les Scarecrows. Elle ne s'est jamais autant concentrée, elle se force à ne penser à rien, elle regarde sa belle guitare violette, se souvient que c'est Naruto qui la lui a donnée et une chaleur immense grandit dans son ventre. Rien que pour pouvoir lui faire honneur, à Naruto, elle prie pour que Konan accepte de l'aider.

En face d'elle, Konan écoute Hinata enchaîner les morceaux. Puis sans rien dire, elle se retourne pour échanger un regard silencieux avec Yahiko. Ils pensent la même chose.

— Refais-moi la dernière mesure, pour voir ? demande Konan en revenant à Hinata.

Hinata remet ses doigts en place et Yahiko se retourne vers Sasuke pour l'interroger :

— Tu l'as trouvée où, cette fille ?

— Elle est dans un groupe du lycée.

— Les Hawks ?

— Non. Un autre.

— Elle a du talent.

— C'est pour ça que je vous l'ai amenée.

— Mais elle a encore du boulot qui l'attend.

— C'est aussi pour ça que je vous l'ai amenée…

*

Hinata a des rêves plein la tête lorsqu'elle rentre chez elle ce soir-là. Konan lui a dit qu'elles commenceraient dès le lendemain, trois soirs par semaine sans faute, et elle est si heureuse qu'elle a envie de le clamer à la terre entière. Malheureusement, elle ne peut pas le dire à grand monde, alors elle garde son secret bien caché au fond de son cœur. Elle n'en parle qu'à Kiba, parce que c'est un ami de Sasuke alors ça va.

— C'est énorme ! dit-il sans en revenir. Konan de Red Moon, sérieux ?! T'as grave dû les impressionner !

Hinata est toute contente. Quand elle pensait qu'il n'y a pas si longtemps, elle était juste Hinata le cafard rampant ! Kiba la félicite pendant trois quarts d'heure, avant d'engager un sujet moins cool :

— Et pour Naruto ?

— Quoi, Naruto ? sursaute Hinata.

— Ben… Tu lui as dit ?

— Pour les cours ? Non, Sasuke ne veut pas que quiconque sache qu'il a aidé un membre des…

— Pas pour les cours, banane, coupe Kiba.

Hinata se tord les doigts. Non, bien sûr qu'elle ne le lui a pas dit. Comment est-ce qu'on sait quand on peut dire une chose pareille ? Elle est morte de peur, Hinata. Elle ne veut pas donner l'impression à Naruto de forcer ses sentiments. Elle n'a pas encore suffisamment confiance en elle pour ça. C'est déjà difficile de les assumer, alors les révéler…

— Pourquoi est-ce qu'on tombe amoureux ? se plaint-elle soudain.

Kiba rigole :

— Parce que la vie serait moins fun sans ça.

— Oui, ben je crois que j'aurais préféré ne pas savoir, soupire Hinata. Que je suis amoureuse. Ma vie était déjà assez fun comme ça. Maintenant, tout est tellement… bizarre.

Kiba regarde Hinata soupirer une nouvelle fois, puis replonger dans ses exercices de maths. Il voit très bien ce qu'elle veut dire : depuis qu'elle a compris qu'elle l'aime, Hinata ne sait plus comment faire avec Naruto. Elle ne sait pas comment elle doit lui parler, elle ne sait pas comment le regarder, elle ne sait même pas comment respirer lorsqu'il est près d'elle ! Alors pas étonnant qu'elle regrette le temps où elle ne se posait pas de question…

— Si ça se trouve, c'est réciproque, suppose Kiba alors que Hinata jette un œil à son cahier pour voir s'il a trouvé la même réponse qu'elle. Et te base pas sur moi, j'ai toujours été une quiche en maths, ajoute-t-il.

Hinata se mord la lèvre et se redresse. Ils se sont installés sur un banc dans la cour et le vent fait voler ses feuilles de notes. Et si c'était réciproque ? Evidemment que ce serait trop cool, mais Hinata sait bien que ce serait beaucoup s'avancer que lancer une telle affirmation. Et puis même si c'était vrai, ça ne changerait pas le fait qu'elle est terrifiée. En fait, elle aurait carrément plus peur si c'était effectivement réciproque. Parce qu'aimer c'est facile, mais être aimée c'est tellement compliqué !

Hinata se sent un peu perdue, elle est contente que la cloche de midi sonne, ça lui change les idées. Kiba lui tapote l'épaule d'un geste compatissant avant de se lever et Hinata le suit tout en rangeant ses affaires, son regard flottant sur le dos du jeune homme occupé à resserrer son bandana autour de son cou. Elle est naïve, pas stupide : elle voit bien que Kiba l'aime bien. Mais elle voit bien aussi qu'il ne l'aime pas comme il est attaché à Tenten, ou comme elle-même est attachée à Naruto. C'est quoi alors, la différence entre toutes ces choses qui n'ont rien à voir entre elles et qui pourtant s'appellent toutes "amour" ?

Hinata n'en sait rien, mais elle se dit que ça ferait un bon thème pour une chanson. Du coup, elle se souvient qu'elle a complètement arrêté de composer depuis deux mois et qu'il serait peut-être temps qu'elle s'y remette. Tenten n'a pas encore totalement renoncé à ce qu'ils jouent un morceau de leur invention aux Portes Ouvertes, même si le temps commence à manquer s'il faut le faire de A à Z…

D'ailleurs ils en parlent dès que Hinata rejoint leur table. Kiba a retrouvé les Hawks et lorsque Hinata arrive avec son plateau dans les mains, Naruto et Tenten sont déjà installés devant leurs assiettes d'épinards. Elle s'assied avec un sourire un peu embarrassé, elle a toujours du mal à se souvenir de comment elle était au naturel, puis Tenten aborde le sujet sans attendre et sans remarquer que Naruto glisse un regard curieux à Hinata par-dessus son verre :

— Vous avez trouvé des trucs pour les Portes Ouvertes ?

— Je croyais qu'on s'était décidés pour le premier morceau, proteste Naruto.

— Pour la premier oui, mais il en reste deux, tête de piaf…

— Moi, j'ai quelques propositions, intervient Hinata. En fait, c'est pas pour les Portes Ouvertes, mais je pense que ça nous aidera à trouver quoi jouer ensuite…

— Vas-y, dis.

— L'idée c'est qu'on fasse un peu autre chose, comme on avait dit. Alors voilà, j'ai récupéré pas mal de partitions... C'est de l'electro, j'ai adapté les tablatures pour la basse et pour la batterie, il suffit de…

Mais Tenten lève une main aux ongles multicolores et se penche comme si elle avait mal entendu.

— Tu as bien dit electro ? interroge-t-elle posément.

— C'est toi qu'as dit qu'il fallait se diversifier !

— J'pensais pas que vous traduiriez ça comme ça ! De l'electro, non mais sérieux ? On est des musiciens, pas des DJ !

— C'est le même combat, insiste Hinata. C'est de la musique.

Mais Tenten secoue la tête, se passe une main sur le visage, ramasse ses affaires. Elle glisse ses baguettes dans sa poche arrière, elle les avait sorties par habitude, puis elle accroche son sac sur son épaule et lance avant de partir :

— Désolée, mais moi, je joue du rock.

Tenten s'éloigne sans même emporter son plateau et c'est dans un silence consterné que se regardent les deux autres. Naruto a l'air vraiment dépité et Hinata elle se dit que tout ça c'est vraiment trop bête. Alors elle plante là le bassiste et elle vole à la poursuite de la lâcheuse qui file le long des tables qui commencent à se remplir :

— Tenten ! Attends !

Tenten fait volte-face et s'exclame d'un coup, sans attendre que Hinata argumente :

— J'suis une batteuse, Hina, baby ! lance-t-elle en écartant les bras avec une baguette dans chaque main. Une batteuse ! Et toi tu me parles d'une musique qu'on compose avec des sons artificiels ? Une musique qui sort des circuits en plastoc d'une boîte à rythmes ? Atterris, mon ange !

Hinata se braque. Qu'elle atterrisse ? Mais elle n'a jamais eu l'occasion de s'envoler ! Depuis sa naissance, elle est vissée au sol par les deux pieds, les ailes clouées au bitume. Alors qu'on ne lui demande pas de redescendre ! Elle redresse la tête, relève les yeux, avance d'un pas puis de deux. Quand elle sait qu'elle a raison, même Tenten ne l'impressionne pas.

— C'est toi qui plane, Tenten, lance-t-elle avec toute l'assurance dont elle est capable. Tu t'imagines que le rock n'a ni parents ni enfants ? Qu'il est apparu comme ça, un jour, de rien ni de personne ? Avant lui, il y a eu la musique classique, et après lui, il y a l'électronique. Il n'est que l'une des composantes de la longue histoire de la musique.

Tenten s'est tue, Hinata sait qu'elle sait qu'elle a raison. Elle profite du silence inhabituel de la batteuse pour ajouter, comme une conclusion définitive :

— La musique, c'est un horizon infini. Il ne faut pas avoir peur de l'explorer. Et puis, les circuits d'une boîte à rythme ne sont pas en plastique mais en cuivre.

Alors Tenten baisse les bras, ravale sa lèvre et la suit sur le chemin retour vers leur table. Naruto les voit revenir avec surprise, il était resté là à s'embrouiller la crinière. Sans un mot, tout le monde s'installe à nouveau derrière son plateau, puis s'immobilise. Naruto et Tenten se taisent, pour une fois. Ils regardent Hinata, ils attendent la suite, ils attendent qu'elle décide. Alors Hinata fait OK, très bien, puisque c'est moi la boss aujourd'hui, allons-y…

— On va commencer par Jungle de Jamie N Commons et X Ambassadors.

Les deux autres s'agitent, mais d'un regard sévère Hinata les mets au défi d'émettre le moindre commentaire et il se dépêche de dire OK ça marche, fais voir les partoches ?

*

Et le temps passe, et le mois de janvier s'achève déjà, et Hinata a l'impression d'avoir un cube de glace dans l'estomac quand elle pense aux Portes Ouvertes et calcule le temps qu'il leur reste. Mais elle s'y pense pas souvent finalement, parce que les Scarecrows sont trop plongés dans leurs répétitions pour ça, et y'à aussi les interros d'anglais, et Sasuke qui lui demande en douce comment ça se passe avec Konan, et Kiba qui se ramasse des tôles en maths, et Sakura qui pique ses crises, et Ino qui en rigole, et Naruto qui s'est mis à faire des bulles de savon pendant les intercours, et avec tout ça Hinata se demande comment ils arrivent encore à s'y retrouver dans leur quotidien.

Enfin du coup, tout le monde est content de changer un peu d'air le jour où Tenten rappelle qu'il y a une nouvelle battle à l'Arène ce week-end et qu'ils ont intérêt à venir parce que y'aura Temari, et donc que ça peut être que génial. Hinata n'a jamais entendu Temari chanter, elle ne la connaît qu'avec son saxophone, mais elle n'est plus à une expérimentation près alors le soir venu, elle se sert de la super excuse comme quoi Neji aussi y sera et se tire de chez elle à double vitesse avant que quelqu'un ne lui demande une heure de retour.

Elle n'est absolument jamais venue dans cette partie de la ville. En même temps c'est compréhensible, elle est une fille de bonne famille, elle vit dans l'hyper-centre et le lycée n'est pas si loin des beaux quartiers : elle n'a aucune raison de se tirer dans la banlieue et si Tenten n'avait pas insisté, elle n'y serait peut-être même jamais allée.

Mais bon. Les choses sont ce qu'elles sont et elle se retrouve là, petite bourgeoise perdue à la tombée de la nuit entre deux barres HLM et un arrêt de bus recouvert de tags. Les voitures passent en hurlant, les trottoirs sont couverts de déchets et de l'autre côté de la rue, un groupe de jeunes discute avec tant de vivacité que Hinata a l'impression qu'ils s'engueulent. Elle ne se le cache pas, elle a un peu la frousse. C'est comme si elle se baladait avec un panneau lumineux au-dessus de sa tête qui dirait "je suis une touriste sans défense, venez me racketter !"

Mais elle a eu le cran d'aller jusqu'ici, alors elle ne va pas reculer maintenant. Si elle se souvient bien des indications de Tenten, l'Arène se situe juste derrière la barre de logements qu'elle voit au bout de la rue. D'ailleurs, plusieurs groupes d'adolescents se dirigent dans la même direction. Hinata rassemble son courage, enfonce les mains dans les poches de sa parka et file le long du trottoir.

De l'autre côté de l'immeuble, il y a une vraie foule. Hinata décide de faire style qu'elle sait où elle va et traverse la masse d'un pas faussement assuré, en direction du centre du terrain. Là, elle découvre une immense fosse circulaire creusée dans le sol, cernée de gradins en béton sur lesquels les spectateurs s'installent en braillant. Les parois de la fosse sont entièrement peintes de graphes multicolores aux formes inventives et sur le parterre, tout en bas, un groupe de mecs est occupé à installer une énorme enceinte directement sur le sol craquelé.

Le spectacle fascine tant Hinata qu'elle ne remarque pas que Naruto lui fait de grands signes depuis son gradin, alors il se lève et s'apprête à aller la chercher, mais Kiba est plus rapide et c'est lui qui vient frapper sur l'épaule de Hinata en premier. Un peu désemparé, Naruto reste là à les regarder échanger quelques mots puis disparaître dans la foule. A côté de lui, Tenten le bouscule sans faire gaffe en décapsulant une nouvelle canette de bière. Elle a légèrement oublié que les mineurs n'ont pas le droit de boire de l'alcool.

— … bien sûr qu'il viendra, il a une revanche à prendre, affirme-t-elle à Temari assise à sa gauche. Tu fous quoi, Naruto ?

— Hinata est arrivée, explique Naruto en la cherchant en vain du regard.

— Ah, pas trop tôt ! Faut la récupérer !

— Pas sûr qu'on y arrive…

Mais Naruto s'inquiète pour rien : Kiba émerge de la foule en tirant Hinata par la main et vient s'installer avec eux. Bientôt, Shikamaru, Lee et Sasuke les rejoignent, puis Neji arrive avec la tête de celui qui ne serait pas venu s'il avait eu son mot à dire.

— Donc l'idée c'est qu'on observe Shikamaru se faire mettre la honte une deuxième fois ? demande-t-il avec mauvaise humeur.

— Pour une fois t'as tout compris, Balai-dans-l'cul, répond Temari avec un grand sourire.

En bas, les types ont fini leurs installations et gueulent déjà dans le micro. Plusieurs rappeurs sont descendus dans l'arène et s'échauffent en s'insultant à gorge déployée. Hinata a toujours un peu peur, elle a l'impression d'être venue au Colisée regarder des lions s'entre-déchirer. Elle remarque avec un temps de retard que Naruto a poussé Shikamaru de force au bas des gradins.

— Putain de Naruto, grommelle le pauvre Shikamaru en remettant sa veste en place.

Il prend le micro qu'on lui met de force dans les mains et regarde son opposant : c'est une fille, enfin il croit. Elle a un bonnet enfoncé sur la tête, plein de mèches rousses qui débordent de partout et elle est habillée comme un soldat de l'armée impériale qui aurait déserté, avec une veste militaire trop grande et un jean tellement déchiré qu'il doit y avoir plus de trous que de tissu.

— T'es sûr que tu t'es pas trompé d'endroit, mec ? lance-t-elle avec un sourire carnassier.

Shikamaru la regarde, elle a des yeux chelou, tout sombres et lumineux à la fois. Puis il soupire, et il se tourne vers le type qui gère la battle. Le mec lance une pièce en l'air, la récupère au vol et regarde : c'est face, la fille commence.

— Impro ! gueule-t-il alors suffisamment fort pour que tout le monde entende.

L'arène explose en hurlements, ouaiiiis ! alors que c'est même pas un thème, c'est juste qu'il a la flemme de réfléchir à quelque chose. Shikamaru soupire à nouveau tandis qu'en face de lui, la fille a déjà commencé :

— It's like a jungle sometimes, it makes me wonder how I keep from goin' under !

Shikamaru reconnaît, c'est un vieux morceau de rap américain, un truc des années 80, et il se dit cool, au moins cette meuf a de la référence. Parce que bon, la dernière fois il s'est quand même tapé du Diam's et du Booba.

… Rats in the front room, roaches in the back
Junkies in the alley with the baseball bat
I tried to get away but I couldn't get far
Cause a man with a tow truck repossessed my car !

La fille a fini son couplet, elle fait mine de jeter son micro sur Shikamaru puis lève les bras en direction des gars qui l'acclament depuis les gradins. Shikamaru se concentre, c'est une battle dans lequel il doit être capable de poursuivre la chanson, en improvisant s'il ne connaît pas les paroles. Il a toujours été une merde en improvisation, mais pas de bol pour la fille, il a une culture plutôt calée alors il peut continuer :

Don't push me cause I'm close to the edge
I'm trying not to lose my head
It's like a jungle sometimes
It makes me wonder how I keep from goin' under…

Il entend Lee applaudir d'ici, les autres font une holà et la fille fronce le nez. Pas grave, elle enchaîne, toujours dans le rap américain :

Fake thug, no love, you get the slug, CB4 Gusto
Your luck low, I didn't know til I was drunk though
You freak niggaz played out, get fucked and ate out
Prostitute turned bitch, I got the gauge out
96 ways I made out, Montana way
The Good-F-E-L-L-A, verbal AK spray !

Shikamaru se dit trop facile, elle veut l'embrouiller ou quoi cette meuf ? Pas de chance pour elle, c'est l'un de ses rap préférés et il le connaît sur le bout des doigts. Alors il n'attend même pas qu'elle s'arrête et rappe par-dessus elle, direct, bien calé :

Dipped attache, jumped out the Range, empty out the ashtray
A glass of 'ze make a man Cassius Clay
Red dot plots, murder schemes, thirty-two shotguns
Regulate wit my Dunn's, 17 rocks gleam from one ring…

Cette fois, la meuf s'enflamme. Elle le fixe à travers les hurlements déchaînés des spectateurs, ses yeux brûlent, puis elle reprend son micro et lui coupe la parole à son tour avec un nouveau morceau :

— If you're having girl problems I feel bad for you son, I got 99 problems but a bitch ain't one !

Le ton monte d'un coup, la chaleur aussi, Shikamaru la sent grimper à la fois dans son torse et sur les gradins. Les gens commencent à se lever, ils battent la mesure du poing : les deux premiers morceaux étaient tranquilles mais là ça s'accélère. La fille – Tayuya qu'elle s'appelle, vu ce que les autres gueulent – continue son couplet en parcourant l'arène d'un pas tressautant, ses cheveux roux bondissent autour de son visage agressif. Shikamaru admet qu'elle chante plutôt super bien.

I don't know what you take me as
or understand the intelligence that Jay-Z has
I'm from rags to riches nigga I ain't dumb
I got 99 problems but a bitch ain't one
Hit me !

Elle finit d'un coup de pied, tout le monde s'égosille, Shikamaru se reçoit un doigt d'honneur dans la gueule et il doit bien admettre qu'elle a gagné le premier round. Il se retourne pour voir si ses amis vont le laisser retourner dans les gradins maintenant, mais Lee, Kiba et Naruto lui hurlent de continuer et Sasuke lui fait un salut sardonique sans bouger d'un pouce. Temari, elle, s'est levée, et elle le fixe avec un sourire inquiétant qui dit : "Allez, montre-moi ce que tu sais faire !" Alors Shikamaru soupire encore, se retourne et relève son micro. Il réfléchit une seconde, les yeux plantés dans ceux de Tayuya en face, puis un sourire s'étire lentement sur ses lèvres et il commence :

Look, if you had one shot, or one opportunity
To seize everything you ever wanted,
Would you capture it or just let it slip ?

C'est un classique, mais un infaillible. Shikamaru voit le visage de Tayuya se tordre d'une joie sauvage, il devine qu'elle commence sérieusement à apprécier cette battle et pour tout dire, lui aussi. Ça fait du bien d'être en face de quelqu'un qui rappe sur le même terrain, la même qualité, et ça fait du bien aussi d'entendre autre chose que du heavy metal. Finalement il est content d'être descendu là, il est bien, et il écoute Tayuya reprendre en se mettant lui aussi à arpenter le cercle de béton :,

… The whole crowd goes so loud
He opens his mouth, but the words won't come out
He's choking how, everybody's joking now
The clock's run out, time's up, over, bloah !

Shikamaru est au taquet, il reprend au vol :

Snap back to reality, Oh there goes gravity
Oh, there goes Rabbit, he choked
He's so mad, but he won't give up that !

Et elle le laisse parler, puis elle continue, et ils font quasiment toute la chanson comme ça, à se donner et à se reprendre la parole alors qu'ils étaient plutôt censés chercher à se faire perdre. Le deuxième round se termine sur un ex-aequo et des grappes de spectateurs sautent dans l'arène pour les rejoindre avant que la troisième vague commence :

— Tu fous quoi, Shikamaru ? s'enflamme Kiba en courant vers lui tandis que de l'autre côté du cercle, un groupe de mecs a entouré Tayuya pour lui gueuler la même chose. T'es censé la mettre à court, pas lui donner la réplique !

— Foire pas le dernier round ! ajoute Lee, tout aussi remonté. Ton honneur est en jeu !

— Tu fais exprès de toujours te battre contre des filles ? demande Sasuke d'un ton égal en jetant un regard à Tayuya et sa bande.

Shikamaru en a un peu marre, il fait exprès de rien lui, c'est eux qui le forcent à aller rapper, alors qu'ils ferment leurs gueules ! Entre les garçons, Temari le regarde d'un œil étincelant et elle reste là quand l'arbitre annonce le début du troisième round et que les autres remontent dans les gradins.

— Suffit pas de prendre son pied, dans une battle, lui lance-t-elle. Faut gagner aussi.

Shikamaru hausse les épaules :

— Tu sais, j'pense que cette meuf est meilleure que toi.

Il sait que sa remarque ne plait pas à Temari, c'était le but, et le défi s'embrase dans ses yeux bleus. Il lui tourne le dos avec un sourire en coin et ne remarque pas qu'elle demande un micro.

— Quatre voix ! beugle l'arbitre tandis qu'un mec à la dégaine de psychopathe vient se mettre à côté de Tayuya. Shikamaru et Temari versus Tayuya et Ukon, let's go !

Il lance à nouveau sa pièce, c'est pile, Shikamaru commence. Il jette un coup d'œil à Temari, il n'avait pas vraiment prévu qu'elle le rejoigne et il ne sait pas trop comment ça marche, une battle à quatre voix. Un peu au hasard, et parce qu'il a toujours Eminem dans la tête, il entonne :

Dear Slim, I wrote you but you still ain't calling
I left my cell, my pager, and my home phone at the bottom
I sent two letters back in autumn, you must not-a got 'em…

Il ne sait pas trop comment Temari est censée chanter avec lui là-dessus, mais ses inquiétudes volent en éclats lorsque soudain, elle reprend le refrain d'une voix magnifique. Il ne l'avait jamais entendue chanter du mélodique, elle est incroyablement juste et haute, ça le secoue jusque dans ses tripes.

My tea's gone cold I'm wondering why I got out of bed at all
The morning rain clouds up my window and I can't see at all
And even if I could it'll all be gray, but your picture on my wall
It reminds me, that it's not so bad, it's not so bad…

Sérieusement. Temari, il l'avait entendue rapper avec force et agressivité, avec fougue et énergie, mais là c'est tellement fluide et doux, c'est tellement… inattendu. Shikamaru est si étonné qu'il en oublie de reprendre quand c'est son tour et Tayuya en profite pour répondre d'un nouveau morceau ; Temari lui jette un coup d'œil furieux. Il se sent nul, il a honte, il ne sait pas quoi faire après. Alors c'est elle qui lance, en coupant la performance de Tayuya et Ukon avec une provocation et un déchaînement phénoménaux :

— Now this shit's about to kick off, this party looks wack ! Let's take it back to straight hip-hop and start it from scratch !

Shikamaru retient un éclat de rire. Ce morceau, c'est l'insulte, c'est l'arrogance, c'est la fierté, et tout le monde dans l'arène le sait parfaitement : les spectateurs ont bondis sur leurs pieds, ils hurlent de joie, jettent leurs canettes dans le cercle et frappent contre les rambardes métalliques. C'est juste énorme que Temari ait choisi ce truc et Shikamaru saute à côté d'elle pour enchaîner sans un seul accroc :

— I'm 'bout to bloody this track up, everybody get back, that's why my pen needs a pad cause my rhymes on the ra-ag ! Just like I did with addiction I'm 'bout to…

— … kick it !

— Like a magician, critics I turn to…

— … crickets !

— Got 'em still on the fence whether to…

— … picket !

Ils se renvoient les paroles avec une facilité hallucinante et Shikamaru n'a jamais autant aimé chanter. Leur accord est tel que Tayuya déclare forfait après avoir tenté en vain d'intervenir une ou deux fois, et c'est l'arène toute entière qui gueule le refrain d'une même voix :

Kick your shoes off, let your hair down
(and go berserk) all night long
Grow your beard out, just weird out
(and go berserk) all night long !

Et tout le monde chante, et Temari bat la mesure du bras, et les canettes volent et la bière éclabousse le béton et la nuit rugit au-dessus de cette Arène illuminée par les projecteurs. Au centre, Shikamaru s'avance sans cesser de chanter et vient frapper la main de Tayuya d'un hight-five pacifique ; Tayuya est fair-play et lui répond en bonne perdante. Ce soir, le roi de l'Arène, c'est Shikamaru, et il choppe sa reine par le cou pour frimer de plus près : alors c'est qui le boss ? et pour lui apprendre à se la péter Temari lui plaque un beau grand baiser sur la gueule, les Hawks se lèvent en un magnifique raz-de-marée et les Scarecrows n'en peuvent plus de hurler sur leurs gradins.

— Surtout ne me laissez JAMAIS oublier cette nuit ! clame Tenten à l'intention de Naruto et Hinata.

Les deux rigolent, applaudissent encore, approuvent : jamais de la vie ! Derrière eux, même Sasuke est mort de rire. Naruto est tellement gobé par l'ambiance bouillonnante que sans réfléchir, il choppe Hinata par les épaules et la serre contre lui ; Hinata tressaille, se tend, il remarque enfin le malaise et la lâche brusquement en regardant ailleurs. Les autres n'ont rien vu, ils sont trop occupés à brailler, puis Shikamaru et Temari remontent et c'est la mêlée chez les Hawks.

— Vous voyez, c'est intéressant quand on change un peu de style, essaye de dire Shikamaru au milieu de la cohue.

Mais tout le monde se fout de ses leçons de pédagogie – pourtant, c'est pour leur montrer ça qu'il a accepté de faire la revanche en premier lieu. D'autres rappeurs sont descendus dans l'arène et les battles reprennent, et au milieu du bruit Hinata se raccroche à Kiba qui la tient contre lui d'un bras protecteur, et elle se sent ballottée dans le vide, à la fois émerveillée et effrayée, à la fois euphorique et un peu triste au fond. Parce que juste devant elle, Naruto frappe la mesure, rigole avec Tenten, jette des boules de papier sur les rappeurs, et elle ne voit que son dos et elle ne sait pas comment retourner à sa place habituelle, juste à sa gauche.

Puis soudain son cerveau se vide, trop de bruit, trop de musique, trop d'énergie, elle se dit qu'est-ce qu'on en a à faire finalement, de toutes ses questions ? Alors elle se détache de Kiba, glisse un peu sur la bière répandue partout sur les gradins, se débrouille pour atteindre Naruto et s'appuie des deux mains sur ses épaules sans cesser d'acclamer les chanteurs du parterre. Naruto rigole, lui donne une boule de papier à balancer et Hinata se laisse glisser à genoux contre son dos, adorablement accoudée à la poutre de ses épaules, le bras croisé sur sa nuque, et ils rient, ils rient, ils rient.

Cette place, c'est pas à sa gauche, mais c'est peut-être encore mieux.

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