Fiction: Six Cordes Métalliques (terminée)

Dans le lycée d'Hinata, la gloire suprême, c'est d'être sélectionné pour participer au grand concours de musique de fin d'année. C'est pour ça que quand Naruto relève aussitôt le défi qu'on lui balance au visage, Hinata marche aussi : monter un groupe et écraser le boy's band de Sasuke aux Portes Ouvertes ? Easy !
Humour / Romance | Mots: 113352 | Comments: 74 | Favs: 33
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NeN (Masculin), le 17/09/2014
BO du chapitre :
The Ramones – Rock'n'Roll High School
Talking Heads – Psycho Killer
John Murphy – Sunshine (Adagio in D minor)
Nightwish – Walking in the Air
Within Temptation – Frozen
Patti Smith – Smell Like Teen Spirit
Grace Potter and The Nocturnals - Paris




Chapitre 6: Adagio en D mineur



Le centre-ville est envahi d'une foule dense et mouvante. La nuit est tombée depuis longtemps mais on y voit comme en plein jour à cause des milliers de spots et de guirlandes lumineuses accrochées sur toutes les façades ; toutes ces ampoules doivent allègrement trouer la couche d'ozone mais pour une fois les écolos du coin n'en ont visiblement rien à foutre. Tout ce qui leur importe, c'est que l'ambiance soit à son comble pour ce grand festival et bon, on est un peu obligé d'admettre que c'est plutôt réussi.

Il y a des stands de bouffe et d'alcool partout, des marchands de cacahouètes ont dressés leurs étalages dans les moindres espaces et les rues sont si pleines qu'il est difficile d'avancer, alors les gens piétinent sur le pavé, lèvent le nez pour voir l'éclat d'une bolace enflammée s'envoler au loin, s'extasient devant les vitrines illuminées et se retournent pour essayer de voir d'où vient la mélodie qui se dégage soudain des autres, par-dessus les têtes, par-dessus les toits. Enfin ils arrivent devant une scène, c'est un groupe de folk, ils frappent des mains, cirent un coup, puis continuent jusqu'à la prochaine estrade où du rock rugit à fond la caisse.

Ils sont des dizaines ce soir-là, répartis dans le centre avec leurs instruments, et tous ces groupes cohabitent dans le vacarme des passants et l'éclaboussure des lumières. Il y a de tous les genres, de tous les styles. La musique s'envole et se répand, le quartier est à la fête.

Au milieu de l'agitation, Hinata parvient enfin à se dégager d'un groupe de touristes et court se caler contre une façade pour éviter le flux. Elle desserre un peu son écharpe, il a beau faire froid, la foule réchauffe l'atmosphère comme une coulée de lave. Puis elle tend le cou, essaye de reconnaître quelqu'un, ne voit que des inconnus et soupire un coup.

Elle n'est jamais venue à ce festival de musique annuel, l'entendre de loin lui suffisait. Mais Naruto en a tant parlé qu'il a éveillé sa curiosité et ils ont fini par se donner rendez-vous à la fontaine pour en profiter ensemble. Seulement, la fontaine, elle disparaît dans une mer de visiteurs et Hinata n'a même pas pu mettre le pied sur la place principale qui l'entoure.

Elle hésite à rester là, légèrement au-dessus de la foule sur son haut de trottoir, en se disant qu'elle aura plus de chance de voir Naruto arriver, mais la musique l'appelle, la tire tant et si bien par le cœur qu'elle se laisse retomber sur le pavé et dévie vers la scène la plus proche. Elle est occupée par un petit groupe de punk rock survolté qui clame haut et fort :

Well I don't care about history

Rock, rock, rock'n'roll high school

'Cause that's not where I wanna be

Rock, rock, rock'n'roll high school


Quelqu'un pousse Hinata sur le côté, mais elle se dégage et se rapproche encore de la scène. Les gens gigotent en rythme autour d'elle, elle sourit sans s'en apercevoir et balance la tête autant pour marquer les temps que pour inconsciemment exprimer son appréciation. Ils ne sont que trois sur scène, tous habillés à l'arrache de jeans déchirés et de Converses usées jusqu'à la corde. C'est un peu du j'm'en foutisme, du do it yourself à la punk rock en fait, et tant d'énergie dans si peu d'apprêt fascine Hinata. Elle détaille le guitariste, un mec tout mince aux cheveux presque blancs, puis le bassiste, un type énorme en comparaison, avec une tête de saut-du-lit, et revient au milieu où une fille se déchaîne derrière une batterie cabossée. Ses mèches auburn volent dans tous les sens, elle les rejette en arrière d'un geste sans cesser de battre le rythme de son corps entier, dévoile deux incroyable yeux charbonneux, échange un regard appréciatif avec le bassiste et le trio gueule de plus belle :

Fun fun rock'n'roll high school

Fun fun rock'n'roll high school

Fun fun rock'n'roll high school

Fun fun, oh baby !


Hinata applaudit de toutes ses forces quand la fille a plaqué la dernière basse d'un immense coup de poignet, elle a envie de hurler comme les autres autour d'elle qu'ils sont géniaux, mais le trio a déjà entamé le prochain morceau et l'intro est si prenante que Hinata en reste muette de ravissement.

I can't seem to face up to the facts

I'm tense and nervous and I can't relax

I can't sleep 'cause my bed's on fire

Don't touch me I'm a real live wire…


Ils ont vraiment quelque chose, se dit Hinata. Ils ont vraiment atteint un stade particulier dans leur pratique, ils ne sont pas si vieux pourtant, peut-être même qu'ils ont son âge ! Elle est si prise par la musique qu'elle fait un bond quand quelqu'un la choppe soudain par le bras :

— T'es là ! Viens, c'est de l'autre côté que ça se passe !

C'est Naruto, il la tire déjà en arrière pour se dégager des spectateurs mais Hinata est encore toute émoustillée et elle clame en se laissant entraîner :

— Ecoute ! Tu entends comme ils explosent ?

— Ouais, je sais ! C'est Kerosene !

— Qui ?

Naruto n'entend pas la question dans le vacarme, il est occupé à pousser un groupe de collégiens pour atteindre enfin la route légèrement plus dégagée. Sur l'autre rive, Tenten leur fait de grands signes et Hinata est moins joyeuse soudain : elle avait cru que ce soir, ce serait juste elle et Naruto.

— Bougez-vous, Sandblast nous attendent près du temple ! s'impatiente Tenten en sautant sur place, une canette de coca dans chaque main.

Oh, Sandblast est là aussi ? La nouvelle revigore Hinata qui se cale avec les deux autres pour traverser la rue en courant à moitié. Dans son dos, Kerosene a lancé le refrain :

Psycho Killer

Qu'est-ce que c'est ?

Fa fa fa fa fa fa fa fa fa far better

Run run run run run run run away !


— Tiens, c'est pas Neji et Sasuke, là-bas ? croit reconnaître Hinata alors qu'ils mettent le pied sur le trottoir d'en face.

— Possible, faut être con pour rater ce festival.

— Hum, s'étrangle Hinata qui l'a volontairement raté pendant des années. Et, euh… Ils vont jouer ?

— J'crois pas, non. Même s'ils pourraient, est forcé d'admettre Naruto.

— Ils sont forcément venus écouter Red Moon, ajoute Tenten en poussant deux touristes pour libérer le passage.

— Red Moon ? répète bêtement Hinata.

— C'est pour eux qu'on est là ! C'est pour eux que tout le monde est là, même.

Hinata n'est pas assez à la ramasse pour ne jamais avoir entendu parler de Red Moon, même son père les a déjà cités et pourtant il en faut pour le dévier de ses concerts classiques. Mais elle ignorait qu'ils seraient là ce soir et la perspective de les entendre pour la première fois l'émoustille.

— On a encore du temps, mais autant y être en avance pour avoir une bonne place, les tanne Naruto. C'est par là, venez…

*


Sasuke trébuche sur une canette vide, se raccroche à il ne sait qui et se fait aussitôt compresser entre deux types de la taille d'Asuma. Il se débat, il étouffe, est-ce qu'il va mourir ? Puis une main jaillit de la foule et le tire par le col de sa veste.

— Reste avec nous, playboy, fait Shikamaru en le ramenant près de lui, un sourire légèrement moqueur sur le visage.

C'est lui qui a insisté pour qu'ils aillent à ce festival tous ensemble. Pour faire un peu autre chose que des répètes, a-t-il dit. Parce que c'est vrai qu'en dehors de leurs séances de boulot, ils n'ont pas vraiment l'habitude de faire des trucs juste entre eux. L'initiative a été trop soudaine pour que Sasuke ne suspecte pas l'influence des Scarecrows – venant de Shikamaru, on peut s'attendre à tout – mais comme Shikamaru a rarement de mauvaises idées, il s'est traîné jusqu'ici malgré tout.

Sasuke se dégage avec mauvaise humeur – il a décidé d'être chiant aujourd'hui, en fait – et remet sa veste en place tout en regardant autour de lui. Lee et Kiba sont déjà devant, ils s'arrachent le programme du festival en pointant des doigts dans toutes les directions, et Neji regarde l'agitation ambiante du haut de son mètre soixante-douze et de sa dignité imperturbable, plus sphinx que jamais. Ils ne sont plus loin du square ; un plus haut dans la rue, les premières mesures d'un célèbre morceau d'Offspring éclatent dans l'air glacé de décembre. Sasuke reconnaît machinalement The Kids aren't Alright, il le jouait plus jeune, puis quelqu'un se met à chanter et il trébuche à nouveau.

Il connaît cette voix. Il la connaît même très bien. Il n'a pas besoin que la foule se fende devant eux pour laisser apparaître le nom du groupe écrit en lettres noires sur la caisse principale de la batterie installée au milieu de la scène pour s'en souvenir : bien sûr que c'est Kerosene. Il aurait dû reconnaître le doigté de Suigetsu dès la première note.

Lee et Kiba ont trouvé le moyen d'accéder aux premiers rangs et ils hurlent en brandissant le poing : le punk rock, ça les a toujours branchés. Sasuke hésite un peu à s'avancer, puis il suit finalement Shikamaru et Neji qui se glissent vers les deux autres pour mieux voir. Ils sont tous là : Karin, Suigetsu, Juugo. Leurs jeans déchirés, leurs t-shirts informes, leurs regards enflammés, leurs chevelures ébouriffées. Sasuke a l'impression de ne les avoir quittés que la veille.

Kerosene, c'est le groupe le plus improbable qui soit. D'abord par sa composition : ces trois-là, fallait qu'ils se trouvent, parce que rien ne les prédestinait à avoir un avenir commun. Par sa logique ensuite, sa logique punk rock plus tellement à la mode ces derniers temps, plus depuis que le genre s'est commercialisé. Et enfin, par la répartition des instruments…

Chances thrown

Nothing's free

Longing for what used to be

Still it's hard

Hard to see

Fragile lives, shattered dreams…


Parce que franchement, comme ça, personne n'aurait mis Karin à la batterie, ni Juugo à la basse, ni Suigetsu à la guitare. C'est comme s'ils avaient échangés leurs rôles. Mais Sasuke sait comment ça s'est passé, ils sait qu'ils ont essayé un peu de tout et que finalement, c'est ainsi que ça doit être et pas autrement. Il sait que Juugo est infiniment plus lui-même avec une basse, le truc pas au premier plan mais qui soude le reste, que Suigetsu a assouvi son éternel besoin de reconnaissance en choisissant la guitare, même si son truc à l'origine c'est plutôt le chant, et que Karin est née pour être batteuse, c'est-à-dire pour être la fille qui ne mène pas mais sans qui on n'irait pas loin.

Sasuke dévisage ses anciens amis en se sentant un peu bizarre. Ça fait des années qu'il ne les a pas vus, depuis qu'ils sont passés au lycée en fait, et il réalise sans vouloir se l'avouer que jouer avec eux lui a manqué. Ils formaient un groupe, avant, Boomslang qu'il s'appelait. C'était du rock, du gros rock à la Nirvana et à la AC/DC, puis Sasuke a découvert le heavy metal, les autres se sont intéressés au punk, ils ont progressivement glissés sur deux longueurs d'ondes différentes et pour finir, Sasuke est entré au lycée Senju tandis que le reste était reçu au Conservatoire.

Sasuke sait qu'il aurait pu les suivre, Orochimaru l'avait repéré dès le collège, mais il l'avait pas trop senti et comme c'était l'année où Itachi et Red Moon commençaient à percer, il avait eu besoin de changer d'air. Depuis la dissolution de Boomslang, il n'a plus suivi ce que devenaient Karin, Suigetsu et Juugo – faut croire qu'ils ont réussi, au moins aussi bien que lui.

Ils ont enchaîné avec un morceau de Joan Jett, Karin chante comme elle n'a jamais chanté. Elle est à sa place là-dedans, c'est son univers et ça se voit. Elle peut y arriver, elle, elle peut percer et se faire un nom dans l'univers de la musique. Sasuke a mis du temps à s'en apercevoir mais maintenant il en est certain.

I saw him dancing there by the record machine

I knew he must have been about seventeen

The beat was going strong

Playing my favorite song…


C'est fou de penser qu'il y a des gens qui ont quelque chose dans les tripes et d'autres pas, s'émerveille Sasuke alors que Karin rejette encore sa crinière en arrière pour mieux poursuivre. C'est particulièrement évident en cet instant, entre une Karin et une Sakura, y'à tout un cosmos. C'est pour ça que Sasuke est plutôt d'accord avec Neji quand il dit qu'on ne devient pas musicien, on naît ainsi.

La bouille effrontée de Naruto lui revient soudain en mémoire comme le parfait contre-exemple, mais il l'écarte vite fait en se disant que putain, ce con vient le faire chier même quand il est pas là. Il croit un instant voir le regard de Suigetsu s'attarder sur lui, mais la seconde d'après le guitariste a enchaîné l'air de rien et Sasuke se détend légèrement. Très légèrement. Sur la scène, Karin est tellement à fond qu'elle achève son couplet avec un brio époustouflant :

And I could tell it wouldn't be long till he was with me, yeah me

And I could tell it wouldn't be long till he was with me, yeah me

Singing, I love rock and roll

So put another dime in the jukebox, baby

I love rock and roll

So come and take your time and dance with me

Ow !


Elle lève ses baguettes au ciel, la foule explose en applaudissements et commence à bouger. Sasuke fait aussitôt volte-face et lance aux Hawks avec mauvaise humeur :

— Bon, on y va ?

Mais une cavalcade retentit derrière lui, les gens s'écartent et Sasuke a à peine le temps de se retourner que Karin lui tombe dans les bras.

— Ourf ! fait Sasuke en manquant de s'écrouler sous le choc.

— Comment tu m'as trop manqué !

La meuf l'étrangle à moitié, il ne voit plus rien, elle sent le henné et le tabac à la vanille. Quand elle le relâche enfin, ses yeux brillent comme des étoiles.

— T'es venu nous écouter ?

— J'suis là par hasard, grogne Sasuke.

— T'as vu, on est devenus Kerosene !

Ouais, il a vu, il est pas con. Juugo s'est approché à son tour, il s'accroupit sur le rebord de la scène et lui temps un poing en souriant sans rien dire. Sasuke écarte un peu Karin pour venir entrechoquer ses jointures contre les siennes, ça faisait longtemps, puis Juugo demande :

— Tu deviens quoi ?

— Je suis toujours au lycée Senju… Et vous, le Conservatoire ?

— Ça fait longtemps qu'on s'est barrés, Orochimaru est vraiment trop… bizarre.

La phrase disparaît dans un sifflement furieux : Karin est visiblement loin de partager le même avis que Juugo. Elle remonte sur la scène pour s'y asseoir tandis que le bassiste garde un silence prudent – visiblement, leur départ du Conservatoire s'est fait sur un vote inégal.

— On est au lycée Abura maintenant, avec Jiraya, achève tout de même Karin.

Sasuke opine distraitement, son attention a déjà dévié : Suigetsu s'approche à son tour, sa guitare toujours accrochée autour de son cou. Il y a un léger malaise entre les deux garçons. Suigetsu a toujours considéré le départ de Sasuke comme une désertion et comme c'est un peu ça sur les bords, Sasuke a toujours eu un désagréable sentiment de culpabilité vrillé dans les entrailles. C'est peut-être ce qui l'a empêché de demander des nouvelles. Il en a laissé, des cadavres, sur le bord de sa route…

Juugo et Karin fixent Suigetsu d'un regard un peu inquiet, pleins d'un espoir inavoué. Sasuke n'a aucune idée de ce qu'ils attendent et il est prêt à repartir, mais finalement, Suigestu lève deux doigts en un salut un peu raide :

— Salut, Sasuke.

— Salut.

— Tu joues toujours ? demande Suigestu un peu au hasard.

— Ouais, je…

— Il a un nouveau groupe, intervient Lee avec un sourire éclatant en se glissant soudain au premier rang. Avec moi, lui, lui et lui… On est les Hawks.

— Ah ouais, j'en ai entendu parler, se souvient Karin en tendant le cou pour voir les membres désignés à la va-vite par Lee. Vous êtes dans le heavy metal, c'est ça ?

— Yep !

— C'est cool.

Nouveau silence. Les jeunes se regardent, les gens bougent autour d'eux, la nuit continue. Puis Suigetsu recule d'un pas et esquisse un sourire.

— Allez, invite-t-il alors en montrant la scène d'un geste. Viens gratter un morceau avec nous.

La proposition est parfaitement inattendue. Sasuke hésite, mais Lee le pousse dans le dos en sautillant d'enthousiasme, alors il s'approche de l'estrade et grimpe à la lumière. Suigetsu lui tend sa guitare, il est content, il va pouvoir chanter tranquille, et Sasuke redécouvre avec un brin de nostalgie cet instrument qu'il a toujours connu.

— En souvenir du bon vieux temps… Smell Like Teen Spirit ! déclare Suigetsu en décrochant le micro de son support. La version de Patti Smith, bien sûr.

Karin et Juugo frétillent de joie et les doigts de Sasuke dérapent sur les cordes luisantes de la guitare de Suigetsu. Il a toujours adoré cette version. C'est celle qu'il préférait jouer à l'époque de Boomslang, c'est celle qu'il savait chanter mieux que personne, c'est celle qui lui a fait aimer Nirvana et le punk.

Alors il savoure, il se délecte des basses, du tempo poussif, du chant suave. Il sort sa voix rauque, profite de ne pas être obligé de la forcer, presse les cordes métalliques avec un plaisir oublié. Il est revenu cinq ans en arrière, quand il n'était qu'un collégien occupé à se marrer avec ses potes et à jouer ce qu'il voulait dans le garage de Juugo. Quand ils se droguaient aux Smarties, quand ils torchaient leurs devoirs en une demi-heure avant de retourner jouer, quand Itachi venait le chercher en faisant exprès d'arriver une heure en retard pour lui laisser plus de temps avec ses amis et quand sa mère l'attendait à la maison avec des tomates farcies. Quand il était un gosse heureux.

Il a l'impression que la nuit s'enroule dans du velours.

Load up on guns and bring your friends

It's fun to lose and to pretend

She's over bored and self assured

Oh no, I know a dirty word


Hello, hello, hello, how low ?

Hello, hello, hello !


With the lights out, it's less dangerous

Here we are now, entertain us

I feel stupid and contagious

Here we are now, entertain us

A mulatto

An albino

A mosquito

My libido

Yay !



*


Hinata, Naruto et Tenten n'ont jamais retrouvé Sandblast, la foule est trop dense et le bruit trop intense pour se repérer à l'aide des téléphones. Ils se disent tant pis, on le croisera sûrement plus tard, autant avancer vers la place ! Alors ils avancent, ils se fondent dans les milliers de passants en s'accrochant les uns aux autres pour ne pas se perdre, se passent les canettes de coca en rigolant et s'arrêtent toutes les deux minutes pour jeter un œil aux vitrines. Puis quelque chose change dans l'atmosphère alors qu'ils arrivent enfin en vue de la place principale, une infime tension dans l'air qui fait relever le nez à Hinata et plisser ses yeux.

Elle a senti juste : toutes les lumières s'éteignent soudain, la rue est plongée dans une obscurité impénétrable et le brouhaha de la foule s'atténue comme une vague s'échouant sur une plage. Puis une note résonne, dense et profonde, une seule note, assez grave, jouée sur un piano invisible, et les murmures surexcités s'interrompent enfin pour laisser place à un grand silence.

Un souffle préenregistré balaie la rue brusquement immobile, lentement, passe au-dessus de leurs têtes et revient vers la scène que Hinata ne voit toujours pas. Un autre son s'éveille, comme un écho lointain, puis le chant poussif des violons émerge doucement de la pénombre et Hinata a l'impression qu'un voile de velours se lève sur le monde. Loin au-dessus de la foule, elle aperçoit une lumière rasante éclore progressivement pour n'éclairer que la caisse vernie des instruments et le lent mouvement des archers sur les cordes. La musique enfle peu à peu, gagne en décibels jusqu'à ce qu'un frémissement de timbales l'accompagne à mi-voix ; Hinata a le cœur qui bat à toute allure. Le décor est posé, l'ambiance installée : jamais elle n'a vécu une entrée en scène pareille.

Les violons gémissent de plus en plus fort, atteignent un paroxysme d'émotion, puis tout d'un coup redescendent pour laisser entendre le piano qui reprend la mesure par touches vibrantes. C'est un adagio, reconnaît Hinata, un splendide adagio en D mineur magnifié par un savant jeu d'éclairages colorés qui laisse les musiciens dans l'ombre pour n'illuminer, par vagues successives, que les instruments à leur œuvre. Puis un faisceau traverse la nuit et vient se poser sur un visage au milieu de la scène, le laissant dans un clair-obscur mystérieux ; les lèvres repassées de violet s'entrouvrent et une voix éblouissante s'en échappe, une voix de soie et de satin, une voix d'océan et d'infini qui se glisse à travers l'espace pour ne prononcer que deux phrases qui suffisent à hisser la prestation à sa monumentale apogée de poésie et d'élégance :

Only dream I ever have,

Is it the surface of the sun ?

Every time I shut my eyes it's always the same…


Hinata est prise d'une phénoménale bouffée d'émotion, elle pleure sans se souvenir de quand les larmes ont commencé à couler et elle vrille son regard sur cette scène encore obscure qui vacille sous la montée aléatoire des coulées de lumière. C'est comme si elle voyait un lever de soleil pour la première fois de sa vie, c'est comme si elle découvrait les sons que peuvent produire un violon, c'est comme si elle n'avait jamais entendu une voix humaine s'élever auparavant. En trois minutes et vingt secondes, Red Moon a redessiné le cosmos.

La foule frémit autour d'elle, le même saisissement fasciné s'est emparé de tous et Naruto a le cœur qui bat la chamade lorsqu'il baisse les yeux vers sa voisine pour partager son admiration avec quelqu'un, n'importe qui. Il voit ses larmes, s'apprête à sourire et quelque chose le retient soudain, quelque chose de puissant et d'instinctif. Quelque chose qui lui dit qu'il a en face de lui quelqu'un qu'il n'a pas atteint encore.

Parce que ce n'est pas la première fois qu'il voit Hinata aussi émue par ce qu'elle entend – elle fait la même tête lorsque c'est Neji qui joue. Ce n'est pas la première fois qu'il la surprend si pleine d'émerveillement, éblouie et tremblante, et il comprend finalement que c'est parce que Hinata appartient à un autre monde que lui. Le monde de ceux qui savent se laisser toucher jusqu'au cœur…

Parce qu'elle, elle voit sans se contenter de regarder. Parce qu'elle, elle écoute sans se contenter d'entendre. Parce qu'elle, elle ressent sans se contenter de sentir. Parce qu'elle, elle est capable de toucher du doigt la toile fragile de la beauté pure, d'en éprouver la magnificence à travers ses strates infinies, de l'appréhender dans toute sa perfection et de se laisser rattraper par ce qu'elle raconte.

C'est une sensibilité unique, extraordinaire, incroyable, et Naruto le sait. Il sait aussi qu'il ne la possède pas, cette sensibilité, et réaliser que Hinata comprend cet univers lui fait bizarre. Oui, c'est bien ça : ce monde d'élégance et de splendeur qui se révèle à eux à travers la magie de Red Moon ou le violon de Neji, c'est un monde que Hinata a toujours su pénétrer. Parce qu'elle y appartient…

Elle y appartient comme Neji ou Itachi, elle y appartient comme tous ceux qui sont déjà au-dessus des autres, comme tous ceux qui voient, entendent, ressentent, comme tous ceux qui ne s'arrêtent pas aux limites du ciel mais cherchent toujours au-delà. Comme tous ceux qui savent créer plus loin que la Terre et qui savent dessiner plus loin que l'horizon, comme tous ceux qui sont déjà là-bas dans l'azur, dans l'éther, dans les étoiles, si loin dans les étoiles…
Alors Naruto s'écarte soudain, oh, rien qu'un peu, mais il recule devant tant d'inaccessibilité. Il a peur soudain, il a l'impression d'avoir voulu toucher quelque chose qui s'est toujours trouvé hors de sa portée. Et il se tourne plutôt vers Tenten pour lui dire :

— Ils sont vraiment forts.

Sa voix tremble un peu, mais Tenten est trop plongée dans la féerie de l'instant pour s'en apercevoir et elle se contente de hocher frénétiquement la tête. L'adagio s'est poursuivi dans la nuit, toujours plus beau, toujours plus haut, et s'achève finalement dans une apothéose qui laisse tout le monde à bout de souffle. Puis les projecteurs s'allument pour de bon, éclaboussant la scène d'une marée d'or mouvant, et la foule explose en acclamations. La fille debout derrière le micro sourit et met son violon en place contre son épaule : le spectacle ne fait que commencer.

*


Neji cligne des yeux pour s'habituer à la soudaine luminosité puis se passe une main dans les cheveux : Red Moon est toujours aussi démentiel. Ils ont réussi à mettre des centaines de personnes en transe avec un simple adagio à peine plus enlevé qu'une brise d'été. A côté de lui, Lee a agrippé son bras et il le serre avec tant de force qu'il lui fait mal.

— Ils sont… Ils sont… bégaie Lee avec un sourire béat.

— Je sais.

Sur la scène, les trois violonistes ont relevés leurs archets et un lent gémissement enfle autour d'eux avant que le pianiste ne modèle la première mesure et que la fille ne commence à chanter de sa voix stupéfiante d'intensité :

We're walking in the air

We're floating in the moonlit sky

The people far below are sleeping as we fly


I'm holding very tight

I'm riding in the midnight blue

I'm finding I can fly so high above with you…


Les hurlements hystériques déferlent dans l'assemblée. Lee lâche enfin son bras pour se joindre aux applaudissements et Neji en profite pour jeter un œil par-dessus son épaule : trois pas en arrière, Sasuke regarde la scène avec de l'orage plein les yeux.

Il préfère éviter d'aller écouter Red Moon, Sasuke, mais à chaque fois la tentation est trop forte et il se retrouve devant ce groupe qu'il commence à bien connaître, de loin. Ils sont neuf, tous entre vingt et trente ans, tous vêtus du même élégant costume noir, différenciés par la couleur de la chemise qu'ils portent col ouvert en dessous. Celle d'Itachi est d'un rouge sanglant, la teinte trop vive contraste magnifiquement avec l'encre de sa veste et Sasuke a l'impression qu'on ne voit que lui.

Il n'a pas changé, se dit-il alors en dévisageant son frère, si droit et si beau ainsi debout sous les projecteurs avec son alto calé sous le menton. C'est à peine si ses cheveux ont poussés, mais c'est difficile de s'en rendre vraiment compte puisqu'il persiste à les attacher. Autour de lui, les silhouettes noires de ses co-membres se dressent avec la même présence étourdissante, disséminant dans le néant de la nuit les taches vives de leurs chemises, et ils sont les seuls à sembler réels en cet instant alors que la place est bondée de monde.

We're surfing in the air, we're swimming in the frozen sky… Les archets glissent, les doigts volent, les notes jaillissent. La chorégraphie des musiciens en action est captivante, Sasuke ne se lasse pas d'observer le ballet des bras au-dessus d'un violon, d'une basse, d'un piano. Il reconnaît Deidara à la batterie, vêtu d'une chemise du même blond que sa chevelure folle, puis Sasori au synthétiseur, d'une agilité inégalable, à croire qu'il a quatre mains. Kisame au violoncelle, lui est en bleu, un beau bleu outremer ; Yahiko à la basse, à côté de Hidan et sa guitare électrique ; puis Nagato à la contrebasse, Kakuzu et son violon, juste derrière Itachi, et enfin, au milieu de l'orchestre, Konan qui éclabousse la rue de sa voix d'opéra.

Ils sont plus qu'un groupe de metal symphonique, ils sont plus qu'un assemblage de musiciens venus de partout et de nulle part : ils sont un équipage aux commandes d'un immense vaisseau spatial qui les emmène droit vers des galaxies inexplorées.

Ils achèvent Nightwish pour mieux se lancer dans Within Temptation et la nuit se déploie avec toujours plus d'ampleur autour de cette scène à la fois proche et inaccessible. Alors Sasuke ferme les yeux et il voyage.

I can't feel my senses

I just feel the cold

All colors seem to fade away

I can't reach my soul

I would stop running, if knew there was a chance

It tears me apart to sacrifice it all but I'm forced to let go


Tell me I'm frozen but what can I do ?

Can't tell the reasons I did it for you

When lies turn into truth I sacrificed for you

You say that I'm frozen but what can I do ?...


*


Le concert a duré plus d'une heure, mais lorsque la dernière note s'évanouit dans le ciel, Hinata a l'impression que tout s'est terminé trop vite. La foule acclame, les musiciens saluent, remercient, reculent. La magie imprègne encore chaque molécule d'air, elle peine à se dissiper et pourtant ! Et pourtant les instruments disparaissent dans leurs étuis, la rumeur des conversations enfle, Yahiko adresse un dernier geste d'adieu et Red Moon s'évapore dans la nuit comme un rêve que l'on dissipe.

L'instant a quelque chose d'irréel. Hinata cherche encore, fouille l'obscurité du regard, mais il n'y a plus personne sur cette scène illuminée une minute plus tôt et elle doit s'y résoudre : terminé l'envol, fermé le portail vers les étoiles, Red Moon s'est volatilisé dans l'air.

Elle entend encore leurs derniers accords alors qu'elle se tourne vers les autres, un peu perdue. Elle sent encore leurs basses, elle voit encore leurs trémolos, et elle a l'impression que Naruto et Tenten lui parlent à travers un brouillard trouble lorsqu'ils se penchent vers elle pour l'emmener plus loin.

— … Pas vrai que ça valait le coup !

— Ces mecs sont des dieux. Si seulement je pouvais jouer de la batterie comme ça…

— J'crois que je comprends pourquoi les Hawks n'ont jamais osé taper dans leur répertoire. Difficile de se sentir à la hauteur…

— Tu m'étonnes ! Hina, baby, ça va ?

Hinata secoue la tête, bredouille que oui oui ça va, galère un peu à remettre les pieds sur Terre. Naruto la regarde en coin, elle ne sait pas trop pourquoi, puis Tenten avise un stand un peu plus loin et les tire par le bras :

— Maintenant, un p'tit vin chaud pour nous remettre de nos émotions !

Bonne idée, approuve Hinata qui a bien besoin de ça. Ils jouent des coudes pour atteindre le stand pris d'assaut et y arrivent en même temps que les Hawks. Ils se marchent tellement dessus au quotidien que Hinata s'étonne de ne pas être tombée sur eux plus tôt.

— Salut les nazes ! envoie Kiba avec son insolence habituelle. Personne vous a dit que ce festival était réservé aux vrais musiciens ?

— Qu'est-ce que tu fous là alors ? balance Tenten en le grugeant sans se gêner pour commander : Trois verres, siouplaît !

— Huit, rectifie stoïquement Neji.

— Vous avez vu Red Moon ? demande Lee en frétillant.

— Evidemment ! Ils sont encore plus incroyables que ce que j'croyais !

— Et toi, cafard, t'as aimé ? demande Kiba en filant une bourrade à Hinata qui ne dit rien.

Elle sursaute, ne remarque même pas qu'il se fout – encore – de sa gueule avec le dossier cafard et balbutie, trop émerveillée pour ne pas être honnête :

— Ils sont stupéfiants.

Kiba lui sourit, elle est trop mignonne, puis Neji lui marche sur le pied et il pousse un juron qui disparaît dans la dispute qui a déjà commencé entre Sasuke et Naruto. En ce moment, ces deux-là, impossible de les placer à moins de deux mètres l'un de l'autre sans que ça craque.

— Répète un peu ? s'énerve Sasuke en levant les poings.

— Ça doit être dur de passer après Itachi, répète impitoyablement Naruto. Surtout quand on lui arrive pas à la cheville.

— Non mais tu te prends pour qui ?!

— Ooookay, fermez-la et prenez vos verres, coupe Tenten en revenant avec des gobelets plein les mains. Oh, ben vous voilà !

Tout le monde se retourne pour voir arriver le trio des Sabaku, essoufflé par la bataille de coups de coude dont ils sortent tout juste. Cette foule, bon sang ! Temari atteint Tenten la première et lui prend son verre des mains pour se l'enfiler cul sec.

— Aaah, ça va mieux, exhale-t-elle ensuite en jetant le gobelet par-dessus son épaule comme un colonel russe dans un saloon. On crève de chaud dans ce souk.

— Salut, ça va ? s'enquiert Gaara, plus civilisé que sa sœur.

Naruto et Hinata opinent, tout sourires, ils sont contents de les voir. Derrière eux, les Hawks ont levé des sourcils surpris. Le cirque continue.

— Oooh, les Scarecrows ont des amis, vanne Kiba. Si c'est pas mignon.

— Kiba… soupire Shikamaru en enfouissant son visage dans sa main.

— Qu'est-ce qu'il bave, le rase-mottes ? interroge Temari en se retournant vers Kiba qui, c'est vrai, est le plus petit de la bande. Oh tiens… Hyûga Neji.

— Hé, je suis là moi aussi ! signale Lee en agitant joyeusement la main. Ça faisait longtemps, vous trois !

— Vous vous connaissez ? s'étonne Shikamaru en émergeant de sa main consternée.

Ben oui, eux aussi étaient dans le même collège que Tenten. Six ans qu'ils se la coltinent, c'est dire ! Shikamaru secoue la tête, il avait oublié ce détail et pour ainsi dire, il s'en foutait un peu jusqu'à maintenant. En face, Naruto et Hinata entraînent déjà les quatre autres pour éviter une nouvelle altercation, mais c'est peine perdue, Temari aussi a tendance à rentrer dans le lard de quiconque croise son chemin.

— Balai-dans-l'cul et Sonic, s'émerveille la blonde. Vous êtes toujours potes ? Ça, c'est une nouvelle.

— Dis donc, tu nous avais caché ce charmant surnom, Neji, s'amuse Kiba en se tournant vers le violoniste qui tire une sale gueule.

— La ferme, le rase-mottes.

— Allez, on continue, tente désespérément Hinata en tirant Gaara par le bras. Il y a encore plein de groupes qui…

Mais Gaara pose sur elle un regard empreint de pitié, c'est pas lui qu'il faut traîner au loin. Kankurô se marre en douce, il est occupé à boire le vin chaud de Naruto, Naruto défie Sasuke du regard sans la moindre raison, Sasuke soutient le duel visuel sans faire attention à Kiba qui sort les crocs à son tour, Neji s'apprête à faire de même quand Tenten s'en mêle, Lee continue ses retrouvailles sans s'apercevoir que personne ne l'écoute, Shikamaru essaie de calmer le jeu avant que ça dégénère et bientôt, gagné, c'est le boxon.

— Mais c'est bon, vous laissez pas provoquer par une meuf !

— T'as un problème, toi ?

— Hein ? Mais non !

— Non mais dis-le ! Vas-y, dis-le !

Hinata est ébahie. Temari fait du jazz, elle joue du saxophone et fréquente des clubs plutôt bien mis, mais faut croire que ça ne suffit pas à amortir le choc de sa vraie nature, un truc incertain et carrément racaille sur les bords. Elle a été élevée où, dans le bronx ? s'effare Hinata alors que la blonde vient bousculer le malheureux Shikamaru qui n'a jamais rien voulu faire d'autre que désamorcer le conflit.

— Tu t'crois supérieur, avec ton service trois-pièces et ta clope au bec ? J'te démonte quand tu veux, moi !

— Woh, c'est le vin chand ou t'es toujours comme ça ? se défend Shikamaru en levant les mains devant lui. Personne t'a agressée, miss !

— Tu me parle pas comme ça, OK ? Et d'abord, baisse les yeux quand j'te gueule dessus !

— Mais t'es complètement dingue !

— Et tu continues, en plus ?!

Hinata tend une main complètement vaine en direction du duel, puis se retourne pour chercher de l'aide. Mais c'est peine perdue : Naruto regarde Tenten qui regarde Gaara qui regarde Kankurô qui regarde Lee qui regarde les Hawks et soudain, tout ce beau monde s'étrangle de rire. Faut dire que c'est rare de voir Shikamaru se faire prendre d'assaut, il est si peinard d'habitude.

— Tu vas voir si je suis dingue ! Donne un lieu et une date, que j'te rape ton petit cul de bourge !

— Yes, une battle ! s'enthousiasme Kiba en se mettant au milieu de la dispute. Tu fais quoi, miss ? Rock ?

Temari renifle d'un air dédaigneux :

— Garde ta musique de camé, c'est du jazz ou du hip-hop ou rien.

Kiba éclate de rire, Lee aussi : comme le hasard fait bien les choses ! Shikamaru essaie comme il peut de faire comprendre à ses potes que ce serait sympa qu'ils se mêlent de leurs propres emmerdes, mais les deux garçons sont trop excités pour tenir compte de ses coups de coude.

— Shika aussi kiffe le hip-hop, se réjouit Kiba. Tu connais l'Arène ? Samedi vingt heures là-bas ?

Temari entrechoque son poing avec celui du bassiste et assure :

— Tu parles si j'y serais.

Elle jette un dernier regard enflammé à Shikamaru qui est encore en train de comprendre qu'il vient de se faire embarquer dans une battle d'impro sans qu'il ait son mot à dire, puis se détourne pour rejoindre une Tenten morte de rire. En quelques secondes, les Scarecrows ont dégagé le plancher et les Hawks se retrouvent plantés sur le pavé comme des cons. Les garçons se regardent dans le dos de Shikamaru, toujours bouche bée les bras ballants, puis retiennent comme ils peuvent un fou rire incontrôlable. Même Neji est obligé de se cacher derrière son verre pour faire style que ça ne l'atteint pas alors qu'en fait si.

— Putain, merci les mecs, reproche Shikamaru en reprenant ses esprits.

— Muahaha, comment elle t'a appelé déjà ? s'étouffe Kiba. Tronche d'ananas, c'est ça ?

— Ouais, super original, on me l'avait jamais faite, ronchonne Shikamaru qui bataille pour se frayer un passage à travers la foule, déterminé à rentrer chez lui déprimer tranquille. Bordel j'y crois pas, une battle ! Vous avez abusé, sérieux !

— C'est pas courant de te voir sur le cul, note Sasuke qui s'amuse mais qui ne l'avouera jamais.

— La ferme !

— "Baisse les yeux quand j'te gueule dessus" !

— Pffuhahahahaaa !

Shikamaru lève les yeux au ciel, serre les dents et se force à ne pas se retourner. Quels cons, ceux-là. Pourquoi est-ce qu'il se tue à être leur manager, déjà ? Il traverse la rue tant bien que mal, émerge sur celle d'à côté et est soudain pris d'une brillante inspiration – de quoi détourner l'hilarité de cette bande de crevards.

— Sasuke ? Pourquoi vous avez dissolu Boomslang ?

Gagné, Sasuke quitte enfin ce demi sourire qu'il s'imagine que personne ne voit et s'assombrit immédiatement. Déjà un de moins.

— Est-ce que c'est juste parce que vous étiez plus dans le même bahut ? demande encore Shikamaru qui aimerait bien savoir malgré tout.

— On était jeunes, s'énerve Sasuke sans se rendre compte que c'est pas une réponse. C'était qu'un groupe de collégiens.

— Et pourquoi vous avez choisi un nom aussi craignos ? interroge à son tour Kiba, prêt à se moquer haut et fort.

Sasuke lui jette un regard noir :

— C'est le nom d'un serpent venimeux.

— Ha ha, super original !

— Il peut tuer un homme d'une seule morsure, ajoute Sasuke, déterminé à faire comprendre à cet abruti que ce serpent, c'est trop la classe.

Mais ça ne marche pas et Kiba se fout de sa gueule sur tout le trajet du retour. Sasuke finit par l'ignorer et se dit qu'entre Boomslang et les Hawks, il doit faire une fixation sur les noms d'animaux. Peut-être qu'il en était un dans l'une de ses vies antérieures. Genre un loup géant ou un dragon.

*


Sitôt rentrée, Hinata s'est jetée sur son ordinateur pour récupérer l'intégrale de Red Moon. Elle est si pressée qu'elle a à peine pris le temps d'enlever son manteau et elle trépigne sur sa chaise de bureau en attendant que la musique se télécharge tout en surveillant d'une oreille les bruits du couloir.

C'est une maison étrange, la résidence Hyûga. Elle est immense et rarement pleine, alors on a facilement l'impression d'être seul au monde à l'intérieur, et d'un autre côté, elle est faite de parois si minces qu'on entend tout ce qu'il s'y passe à vingt mètres à la ronde. Par exemple, là, Hanabi est en train de jouer dans la salle de musique et quelqu'un a mis de l'eau sur le feu. Puis une porte s'ouvre, le parquet grince et la voix de Hiashi tonne dans le couloir :

— A qui est cette guitare ?

Hinata fait un tel bond qu'elle se retrouve debout devant son bureau. Son rythme cardiaque s'affole, elle aussi, elle se mord la main et se précipite vers la porte de sa chambre pour mieux s'y tapir : elle a complètement oublié de ranger sa guitare électrique avant le festival. Mais son père n'était pas censé rentrer ce soir non plus ! Qu'est devenu son super concert à l'Opéra ?

Le violon de Hanabi s'est tu, Hinata devine qu'elle tourne la tête vers le couloir en se demandant ce qu'il se passe, puis une porte coulisse à l'étage et Neji met un pied hors de sa chambre. Hinata reconnaîtrait son pas entre mille et elle panique de plus en plus sans se résoudre pourtant à sortir à découvert et aller s'expliquer avec son père. De l'autre côté de sa porte, Neji a descendu l'escalier et elle entend sa voix posée répondre calmement :

— C'est celle de Kiba. Il l'a oubliée au lycée avant les vacances, je l'ai ramenée.

Hinata ne voit pas le regard méfiant que lance Hiashi, mais elle l'imagine assez bien et de toute façon, elle est trop bouche bée pour y penser longtemps. Neji l'a couverte ! Pourquoi ? Ça bouge dans le couloir, Hiashi est retourné dans la cuisine et le pas souple de son cousin se dirige vers sa chambre. Hinata sursaute à nouveau et se précipite à son bureau ; elle s'y est à peine assise que Neji fait coulisser la porte et balance la guitare violette sur son lit.

— Tu pourrais faire attention à tes affaires, lui reproche-t-il avec condescendance. Pense un peu à qui pourrait tomber dessus.

— Ah, euh… Oui, je…

Hinata hésite à lui dire que ce n'est pas la peine qu'il fasse semblant, elle a entendu la conversation, mais Neji lui a déjà refermé la porte au nez et s'éloigne en la laissant complètement déboussolée. Elle ignore ce qu'il lui est passé par la tête, à Neji, mais elle lui en doit une. Hinata se relève lentement et vient récupérer son instrument. Elle s'assure qu'il n'a rien puis le glisse sous son lit en se disant qu'il faut qu'elle lui trouve une vraie cachette, parce que la femme de ménage n'aura sans doute pas la même complaisance que son cousin le jour où elle trouvera l'objet du crime en faisant la poussière.

Hinata se relève tout juste quand un tapotement discret retentit sur la porte de sa chambre. Quoi encore ? s'inquiète-t-elle en se retournant, mais le panneau coulisse et ce n'est que la bouille de Hanabi qui apparaît. La petite fille lui adresse un sourire timide, entre et referme soigneusement la porte dans son dos, puis elle jette un regard circulaire sur la pièce.

— C'était la tienne, pas vrai ?

Que Neji ne profite pas de l'occasion pour la vendre à son père l'a déjà stupéfiée, alors que Hanabi soit au courant également, ça lui coupe carrément les jambes. Hinata ouvre la bouche, la referme, l'ouvre à nouveau : elle a l'air d'un poisson tout juste sorti de l'eau.

— Comment tu…

— Tes doigts, explique Hanabi en souriant à nouveau, un peu nerveusement. Ils sont pleins de corne. On n'a pas de corne quand on joue du violon.

Hinata regarde bêtement le bout de ses doigts et se souvient qu'ils sont effectivement recouverts d'une peau dure et blanchâtre. Elle ne sait pas comment Hanabi a remarqué un truc aussi discret, mais ça la laisse ébahie.

Elles échangent un regard, sans savoir quoi dire. Ça fait un moment qu'elles ne se sont pas retrouvées face à face, toutes les deux. En fait, ça fait même depuis la naissance de Hanabi. Hiashi les a tant et si bien élevées séparément que Hinata connaît sans doute moins sa sœur que Neji, ce cher cousin germain qui la déteste. Mais la voilà maintenant, toute menue dans son corsaire et son immense pull bleu marine qui lui tombe sur les genoux, avec sa révélation et cet espoir au fond des yeux – cet espoir que sa grande sœur l'autorise à rester dans la confidence.

Parce que Hanabi a toujours admiré sa grande sœur, qu'elle joue du violon, de la guitare électrique ou du ukulélé, et elle a longtemps cherché le courage comme l'occasion d'établir un contact. Hinata n'est pas vraiment habituée à ce qu'on la tienne en estime alors elle ne comprend pas vraiment tout ça, mais elle se souvient de la joie qu'elle a éprouvée le jour où on lui a annoncé qu'elle aurait une petite sœur et de sa déception quand elle a compris qu'on lui refusait le rôle de l'aînée – elle serait juste le premier essai, l'exemplaire raté avant la perfection. Alors elle apaise sa crainte d'être percée à jour et sourit.

C'est comme si elle avait ouvert une porte. Hanabi se détend, cesse de triturer le revers de son pull et s'avance d'un pas bondissant :

— C'est génial ! s'exclame-t-elle. Comment tu as décidé de t'y mettre ? Qu'est-ce que tu joues ? Est-ce que c'est pour ça que Naruto est venu l'autre jour ?

Alors Hinata s'assied sur son lit et s'apprête à lui raconter toute l'histoire, mais la soirée n'est pas terminée : le pas lourd de son père retentit dans le couloir et bientôt, la porte s'ouvre en grand.

— Ah, Hanabi, tu es là aussi, remarque-t-il en avisant sa cadette assise à côté de Hinata sur le lit.

Il s'avance au milieu de la pièce pendant que les deux filles sautent sur leurs pieds, un peu nerveuses. C'est rare que Hiashi vienne leur parler comme ça. Et il a une ride au-dessus du front qui n'augure rien de très cool.

— Comme vous le savez, le Nouvel An approche, commence Hiashi, ouvertement nerveux lui aussi. Et… Voilà, j'ai reçu un appel du manager de votre mère. Elle… ne pourra pas être là.

La nouvelle met un moment à pénétrer dans l'esprit des deux filles. Hinata a comme un grand blanc, elle oublie que Hanabi est à côté d'elle, qu'elle ne s'entend pas avec son père, que ce n'est pas à elle de contester les choix de carrière de qui que ce soit : tout ce qu'elle a dans la tête à l'instant, c'est qu'elle a attendu le retour de sa mère comme la pluie dans le désert et qu'on lui expliquait qu'il allait falloir encore attendre un long moment avant la prochaine oasis.

— Elle nous l'avait promis ! s'exclame-t-elle dans un sursaut de désespoir.

— Je sais, dit Hiashi d'une voix inhabituellement basse. Mais elle a été invitée à un gala à Moscou et c'est une opportunité qu'elle ne peut laisser passer.

— Mais elle nous l'avait promis, répète Hinata dans un souffle.

Toute son énergie s'est fait la malle par la grande porte. Elle n'est plus qu'une gosse sans sa mère. Elle a envie de pleurer. Hanabi se retient bravement à sa droite, elle garde la tête haute et se mord la lèvre, mais ses yeux ne regardent que le vide. Hiashi a un mouvement d'hésitation. Pendant une seconde, c'est comme s'il allait venir s'agenouiller à leur hauteur, les prendre dans ses bras et dire que lui aussi, il est triste, courage, mais le balai qu'il a dans le cul l'en empêche et il se contente de retourner vers la porte en ajoutant avant de partir :

— Hanabi, ton professeur de violon va arriver d'une minute à l'autre.

Alors la petite fille jette un pauvre regard à sa sœur et se traîne à travers la chambre sans grande motivation. Le petit Stradivarius pleura longtemps ce soir-là.

*


Au lycée le lendemain, c'est l'hystérie.

Tout le monde court partout, personne n'écoute en cours, les rires hurlent et les portes claquent. Hinata a failli se faire écraser par une meute de premières années en route vers l'étage supérieur puis par Tsunade qui traversait le couloir ; Sakura et Ino discutent non-stop en gloussant plus fort que jamais, Tenten frappe tout ce qui passe à sa portée et Lee bondit partout comme un lutin en overdose de caféine. Un passant extérieur pourrait se demander ce qui le retient d'appeler l'asile psychiatrique, mais Hinata connaît bien la raison de ce délire collectif : dans quelques heures, tout ce beau monde est en vacances.

Bon, c'est qu'une semaine, à peine le temps de préparer le Nouvel An en fait, mais après le trimestre qu'ils se sont tous farcis, c'est comme si ce qui les attendait était deux mois sous le soleil des tropiques. Hinata est moins impatiente que les autres : la désertion de sa mère lui pèse lourd sur le cœur et elle ne peut même pas se consoler en se disant qu'elle pourra jouer tout son saoul à la maison puisque son père va et vient en permanence et que le lycée sera fermé.

Elle est en train de se dire que c'est le gros bad en fait quand Naruto arrive, les mains enfoncées dans la poche de son éternel sweat-shirt orange et ses cheveux plus ébouriffés que jamais. Il lui donne un coup d'épaule en guise de bonjour et se laisse tomber sur une chaise, déjà fatigué alors qu'il est à peine midi.

— Cette journée ne finira-t-elle donc jamais ? déplore-t-il alors dans un élan de théâtralité plutôt inhabituel. Dire qu'on n'a même pas cours cet aprèm mais qu'on est obligés d'attendre cette putain de sonnerie pour être libres…

— Tu as des projets pour les vacances, Naruto ? demande doucement Hinata en s'interrompant dans ses devoirs.

Le self n'est pas le meilleur endroit pour bosser, mais bizarrement, il est en ce moment plus calme que les salles de perm. Surtout quand la cloche du déjeuner n'a pas encore sonné.

— Aucun, répond triomphalement Naruto comme s'il était particulièrement fier de pouvoir passer les vacances à glander dans sa chambre. Et toi ?

Hinata hausse les épaules avec un sourire fuyant. Des projets ? A part nettoyer la maison du sol au plafond avant le Nouvel An, non, pas vraiment, mais elle est loin de s'en auto-congratuler comme son compatriote. Naruto baille à s'en décrocher la mâchoire, dévoilant une dentition parfaite, puis se passe une main dans les cheveux. Il a l'air d'avoir un nid sur la tête. Un nid sauvagement attaqué par une horde de féroces faucons.

— Y'à un truc qui va pas ? demande-t-il ensuite en jetant un regard en biais à sa voisine.

Hinata sursaute, elle ne pensait pas que son air abattu crèverait les yeux avec autant de force.

— Euh, huuum… Non, tout va bien…

— Allez, Hina.

— C'est… C'est ma mère, avoue alors Hinata, incapable de garder pour elle ce fardeau. Elle a dit qu'elle serait là pour le Nouvel An, elle me l'avait promis, mais elle… Elle a changé ses plans…

— Oh, fait Naruto.

Et c'est comme si une lumière s'éteignait dans le fond de ses yeux bleus. Il se redresse un peu, détourne la tête et son regard erre dans le vide. Il est encore là pourtant, il essaye :

— Tu sais, ça ne veux pas dire qu'elle ne pensera pas à toi. C'est comme ça, les mères. Même très loin, ça aime…

Il ne sait pas trop ce qu'il dit, ça y est, il décroche. Ailleurs. Hinata le voit bien et ça la remplit d'horreur. Elle se dit qu'elle n'est qu'une petite idiote pour se plaindre alors que Naruto, lui, n'a carrément plus de mère du tout. Elle est stupide aussi de s'être laissée allée à se livrer, quel résultat ! Naruto était si serein une minute auparavant, avec rien d'autre en tête que les vacances à venir, et voilà qu'il déprime à son tour. Hinata, tu n'es qu'une gourdasse. La pire !

— Euh, Naruto…

— Tu sais, ma mère adorait le Nouvel An, coupe Naruto en lui envoyant le fantôme d'un sourire. Elle passait toujours des jours entiers à décorer la maison, et c'était la meilleure aux cartes.

Il s'interrompt brusquement, comme à bout de souffle, puis lâche :

— C'est plus pareil maintenant.

Ce ne sera plus jamais pareil. Hinata ne sait pas quoi dire. Alors à tout hasard, elle s'excuse :

— Naruto, je… Je suis désolée.

— Non, c'est moi, fait-il avec un rire nerveux et se passant une main dans les cheveux. Je voulais te consoler et finalement…

Ils se taisent un instant, échangent un regard puis un soupir, et Naruto laisse finalement tomber sa tête contre la table recouverte de livres et de cahiers. Et il reste là, affalé et inerte, la joue écrasée contre un bouquin d'histoire, tandis que la cloche sonne quelque part dans les étages et que la rumeur bruyante des élèves en mouvement enfle autour d'eux. Les gens commencent à affluer dans le self, ils rient et se bousculent, se battent pour un plateau et se disputent une chaise ; leur agitation paraît tellement vaine à Hinata en comparaison du drame qui plane au-dessus d'elle et de Naruto qu'elle se laisse à son tour basculer front contre table. Naruto tourne la tête pour la voir et lui adresse un sourire misérable qu'elle lui renvoie avec pathétisme. Il n'y a plus qu'eux et leur chagrin. Ils se sentent stupides et ensemble.

— Ben les mecs, vous en tirez une tête ! s'exclame alors une voix au-dessus d'eux. Quelqu'un est mort ?

Tenten. Son absence de tact lui vaudra des ennuis un jour. Pour l'instant pourtant, personne ne le relève et elle se penche au-dessus de la table pour agiter une main entre leurs visages échoués.

— Allô ? Vous me recevez ? On est en vacances, mes chéris !

Naruto émet un grognement étouffé qui scandalise Tenten. Elle se redresse de toute sa hauteur et croise les bras :

— C'est tout l'effet que ça vous fait ?! Putain vous craignez. Qu'est-ce qu'il se passe, vous avez eu une interro en anglais ?

Hinata et Naruto soupirent de concert. Il n'en faut pas plus pour que Tenten perde patience. En même temps, elle n'en a jamais eu des masses.

— OK les gars, ramenez vos pitoyables petites fesses sanglotantes par ici, je vous embarque.

*


La perspective de changer d'air – et d'idées par la même occasion – a arraché Hinata et Naruto de leur table et ils ont emboîté le pas à Tenten avec espoir. Ce qu'elle ne leur a pas dit, c'est que cette opportuniste avait surtout besoin de leurs mains pour trimballer sa batterie du studio d'Asuma à chez elle.

— J'ai pas du tout l'impression d'être une poire, grommelle Naruto en poussant sur la grosse caisse pour la faire passer dans le portique du métro. Mais alors pas du tout.

— Ouais, mais j'pouvais pas la laisser là toutes les vacances, faut que je joue aussi, se défend Tenten qui galère autant que lui avec les cymbales. Oh Hina, tu te magnes ?!

— Ça va, ça va, halète la pauvre Hinata, les bras chargés de trucs métalliques et pointus. Oups, pardon…

Elle manque de transpercer un quatrième passant puis un cinquième en se précipitant dans la rame en instance de départ. Lorsqu'ils sont bien tous à l'intérieur et que le métro s'ébranle, tout le monde pousse un soupir de soulagement.

— T'habite super loin ! fait remarquer Naruto en regardant défiler les stations.

— Ouais, ben, on n'a pas tous la chance d'être nés avec une cuillère en argent dans la bouche et un bail en plein centre-ville, réplique Tenten d'un air mauvais. C'est la prochaine…

C'est encore toute une aventure pour sortir du métro, puis enfin ils émergent à l'air libre avec tout leur barda. Tenten les entraîne le long des rues, passant devant les alignements de maisons pavillonnaires jusqu'à ce qu'ils arrivent devant un petit portail à la peinture rouge écaillée. Elle le pousse du pied, shoote dans le ballon de rugby qui traîne dans le passage et guide la troupe jusqu'au perron.

— Woh, y'à quelqu'un ? braille-t-elle alors en donnant un coup de cymbales sur la porte. J'ai pas mes clés !

— On va pas faire comme si ça nous étonnait, maugrée une voix à l'intérieur.

Il y a un bruit de pas qui se rapproche, puis le cliquetis du loquet qu'on fait coulisser. Curieux, Naruto et Hinata se penchent de chaque côté de Tenten pour voir qui leur ouvre : c'est un jeune homme d'une vingtaine d'années, grand et mince, avec tout un tas de mèches brunes qui lui tombent sur les yeux.

— Woah, Tenten a enfin ramené une fille à la maison ! s'exclame-t-il par-dessus son épaule en avisant Hinata.

— Et Temari, c'est de l'eau de boudin ? grogne Tenten en le poussant pour entrer.

— Temari n'est pas une fille. C'est une démone à face humaine. Celle-ci a au moins le mérite d'être mignonne.

— C'est moi où t'es en train de draguer une lycéenne ? lance une deuxième voix plus loin dans le couloir.

La tête qui vient d'apparaître appartient à un type un peu plus âgé que le premier, de trois ans peut-être. Ils se ressemblent comme deux gouttes d'eau, mis à part la frange rabattue sur le côté et la couleur des fringues. Complètement dépaysés, Naruto et Hinata s'avancent à pas prudents dans le hall encombré de chaussures et de parkas pendant qu'un troisième larron entre en foire. Celui-là doit avoir vingt-cinq ans, ses cheveux sont d'une teinte plus foncée que les autres et il a un air blasé sur le visage lorsqu'il découvre sa sœur et ses amis en train de se débarrasser de la batterie en pièces détachées.

— Tenten, je t'ai déjà dit de ne pas ramasser n'importe quoi dans la rue. Va remettre ça où tu l'as trouvé.
— Si p'pa et m'man avaient fait pareil avec toi, j'aurais peut-être la paix aujourd'hui, grommelle Tenten.

— T'étais vraiment obligée de ramener ta ferraille ? intervient le type du début. J'ai pas refait mon stock de boules Quies.

Tenten émet un sifflement irrité entre ses dents et se tourne vers Naruto et Hinata :

— Les gars, j'vous présente Casse-Couilles, Casse-Gueule et Casse-Pipe. Y'a encore l'aîné mais il rentre toujours tard, contrairement à ces branleurs.

— Eh, on n'y peut rien si les horaires sont cool à la fac.

— Salut, lance bravement Naruto.

Les trois frères répondent à peine, ils sont déjà en train de repartir vaquer à leurs occupations. Ça va parfaitement à Tenten qui en profite pour emmener les autres dans le garage où elle a installé un petit studio de fortune. Basiquement, ça veut dire qu'elle a foutu des posters sur les murs et tiré un vieux fauteuil entre les vélos et la machine à laver, mais elle leur présente l'endroit comme si c'était son Eldorado.

Et elle n'a pas tord. Ce petit coin de garage, c'est un endroit pour elle, à elle, et franchement, quel ado au monde n'en a pas rêvé ? Hinata aurait adoré avoir un lieu comme ça, dans lequel elle puisse faire ce qu'elle veut sans avoir peur qu'on l'entende ou qu'on vienne lui dire de ranger son bordel.

Sous les indications de Tenten, ils remontent la batterie entre les vélos et une vieille mobylette puis tirent des câbles afin de brancher guitare et basse. Une demi-heure plus tard, ça y est, leur petit royaume est installé et Tenten ouvre grand la porte métallique du garage pour faire entrer un peu d'air frais. La rue est vide devant, assombrie par la nuit qui tombe.

— Ben voilà, on n'a qu'à répéter ici pendant les vacs, dit alors la batteuse en revenant vers le coin musique.

— Cool ! s'enthousiasme Naruto en premier. J'aurais jamais eu la place de caser ta batterie chez moi.

— Allez, on s'y met !

Les trois ados prennent place derrières leurs instruments, règlent leurs sangles et allument les amplis. Retrouver sa guitare et les Scarecrows fait un bien fou à Hinata. Evidemment, ça n'efface pas ses problèmes, mais ils deviennent soudain moins graves quand elle réalise que quoi qu'il arrive et quel que soit le nombre de fois que sa mère lui fera faux bond, elle aura toujours la musique avec elle.

La musique et ce petit groupe déterminé à jouer quoi qu'il arrive.

Hinata jette un regard à Naruto pendant que Tenten fouille dans ses partoches : il a l'air d'aller mieux lui aussi. La preuve, il gratte quelques accords funky, se fait rire tout seul et lui envoie un sourire lorsqu'il voit qu'il est observé. Tout ira bien, se dit alors Hinata. Tout ira bien…

— Okay les mecs, on se refait Grace Potter and The Nocturnals ? braille Tenten qui a enfin remit la main sur la partition qu'elle cherchait.

— Envoie la sauce !

En fait, ils sont en train de chercher un nouveau morceau en ce moment, un truc qui les changerait de ce qu'ils ont déjà répété plein de fois, mais comme ils ont trop d'idées, pas moyen de choisir LA perle qui les boostera. Alors en attendant, autant refaire un machin bien rythmé histoire de garder la forme…

You got me down on the floor

So what'd you bring me down here for ?

You got me down on the floor

So what'd you bring me down here for ?


If I was a man I'd make my move

If I was a blade I'd shave you smooth

If I was a judge I'd break the law

And if I was from Paris

If I was from Paris

I would say

Ooh la la la la la la la…


Ils jouent jusqu'à ce qu'un grand type de vingt-sept ans vienne les appeler à la bouffe en hurlant pour se faire entendre. Le trio lâche son rock pour suivre Kotetsu – parce que c'est son nom – dans la cuisine où il a empilé des pizzas ; ils dînent au milieu de cette grande fratrie suspicieusement bagarreuse étant donné l'âge moyen des garçons tous censés être à peu près adultes, puis vont s'affaler dans le canapé du salon pour mater le premier DVD qui tombe sous la main de Tenten.

Ils sont tellement claqués qu'ils s'effondrent littéralement, enfoncés dans les coussins et les yeux à moitié fermés alors que le générique de début n'est même pas terminé. Hinata est coincée entre les deux autres, Tenten s'est à moitié couchée sur elle et Naruto la tire contre lui pour la serrer dans ses bras comme si elle s'était soudain transformée en nounours géant ; le contact aurait dû gêner Hinata mais étrangement, elle fait à peine attention à ses joues qui s'enflamment. Parce qu'elle est incroyablement bien comme ça, avec le nez de Naruto dans ses cheveux, son torse sous son dos et Tenten étalée entre ses jambes comme une flaque de peinture en fin de vie. C'est comme si elle avait toujours été faite pour être ainsi. C'est comme si c'était parfaitement normal.

Ouais, elle se sent magnifiquement bien. Sereine, en sécurité. Heureuse.

Et alors qu'Iron Man débute sous les accords déchirés d'AC/DC et que dans le canapé, les trois ados sombrent dans l'assoupissement, Naruto remue un peu et lâche d'une voix endormie :

— C'est ça qu'on va jouer la prochaine fois. Back in Black.

— Quitte à faire du AC/DC, j'préfèrerais Highway to Hell, baragouine Tenten d'un ton tout aussi ensommeillé.

— Naon, Back in Black.

Highway to Hell.

Back in…

Hell Bells, tranche Hinata en baillant.

Les autres se mettent aussitôt à bailler à leur tour.

— Adjugé vendu…




Désolée pour le temps qu'il m'a fallu pour poster ce chapitre ! Le prochain sera là plus vite, juré. Merci d'avoir lu !



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