Fiction: Six Cordes Métalliques (terminée)

Dans le lycée d'Hinata, la gloire suprême, c'est d'être sélectionné pour participer au grand concours de musique de fin d'année. C'est pour ça que quand Naruto relève aussitôt le défi qu'on lui balance au visage, Hinata marche aussi : monter un groupe et écraser le boy's band de Sasuke aux Portes Ouvertes ? Easy !
Humour / Romance | Mots: 113352 | Comments: 74 | Favs: 33
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NeN (Masculin), le 13/07/2014
Metallica – The Unforgiven
Daft Punk – Technologic
Pink Floyd – Wish you were Here
Scorpions – The Wind of Change
Adèle – Hometown Glory
David Guetta – Money ; The Alphabeat ; Stay ; Love is Gone




Chapitre 5: Power Ballad



Quand Sasuke se réveille au matin du 15 décembre, il a le visage humide et la neige tombe par seaux entiers dehors. Etendu de tout son long dans son lit, il fixe le plafond sans bouger en écoutant le silence inhabituel qui règne sur sa maison étouffée par la nuit à peine passée.

Il a fait un cauchemar, Sasuke. Il a rêvé qu'il marchait sur une immense étendue de glace scintillante, il n'avait pas peur parce qu'il suivait une lumière au loin, une magnifique lumière qu'il regardait avec une admiration sans bornes. Puis la lumière s'est soufflée tout d'un coup, elle s'est transformée en quelque chose qu'il n'a pas reconnu, alors il a paniqué et sous ses pieds, la glace s'est fendue.

Et il est tombé, tombé, tombé, toujours plus profondément dans l'eau noire…

Sasuke lève une main pour s'essuyer le visage et comprend qu'il ne s'agit pas de sueur mais de larmes. Un regard vers son réveil lui rappelle la date, tout lui revient soudain, il serre les dents et se lève d'une grande impulsion. Sa chambre est encore plongée dans la pénombre, le jour se lève tout juste et c'est à peine si on distingue les posters de rock placardés sur les murs. Il y a un peu de tout, Genesis, Nirvana, Black Sabbath, Deep Purple, Muse et les Ramones, tout un tas de groupes cachés dans le noir qui l'observent s'habiller sans rompre leurs poses immortalisées sur papier glacé.

Sasuke fait son sac en ramassant au hasard ce qui traîne sur son bureau, cherche son écharpe dans son armoire, ne la trouve pas, attrape un bonnet de laine à la place. Il enfile ses Converses noires, prend son temps pour les lacer puis choppe sa gratte par le manche et la glisse dans son étui de toile rude avant de quitter la pièce.

Les couloirs sont pleins de vide, il n'entend pas l'émission de radio qu'écoute sa mère tous les matins en préparant le petit-déjeuner, ni les commentaires de son père, ni la bouilloire siffler : rien que du silence et le bruit distant de la neige contre les carreaux. Puis il arrive devant la porte ouverte de la cuisine et ils les voit, ses parents : sa mère est enfouie dans les bras de son père et elle pleure de tout son corps.

Sasuke croise le regard de Fugaku par-dessus l'épaule secouée de sanglots et il est pétrifié. Fugaku n'a pas eu le temps de dissimuler son désarroi et lorsqu'il redevient le monument d'inébranlabilité qu'il est d'habitude, c'est trop tard. Alors Sasuke recule lentement, percute le mur du couloir et s'enfuit en courant vers la sortie.

Aujourd'hui, ça fait trois ans qu'Itachi a quitté la maison. Trois ans qu'il a quitté sa famille pour ne plus revenir. Trois ans qu'il l'a quitté lui, son unique petit frère. Trois ans que Sasuke a l'impression d'avoir au milieu de la poitrine un vide béant que rien ne peut combler.

Il se sent mal. La neige l'aveugle, les paroles du morceau qu'il est censé répéter avec Kurenai l'étranglent et il ne se sent plus capable de continuer à le travailler. Ça ne rime à rien, ça ne sert à rien. Il ferait mieux de se concentrer sur les Hawks, de se fondre dans le groupe et de s'oublier.

Il va la voir entre midi et deux pour lui dire qu'il arrête, merci d'avoir essayé, au revoir, mais Kurenai n'est pas seule dans la salle de musique : il y a Sakura avec elle. Les deux filles se retournent lorsqu'il entre sans frapper et Sakura a à peine le temps de s'essuyer les yeux avant qu'il ne soit devant eux. Décidément, tout le monde chiale aujourd'hui.

Sasuke est un peu étonné, il ne savait pas que Sakura bossait son chant. Du coup, il a un peu oublié ce qu'il est venu faire ici, il la regarde et sent un puissant sentiment de pitié lui étreindre le cœur. Il se fait de la peine à lui aussi, et s'en apercevoir l’écœure.

Kurenai a bien deviné pourquoi Sasuke débarque chez elle comme ça, en pleine journée. Elle s'y attendait à vrai dire, elle est parfaitement au courant pour Itachi et elle sait que Sasuke n'a pas choisi Frijid Pink au hasard. Mais elle n'est pas prête à le laisser tomber, comme elle n'est pas prête à lâcher l'affaire avec Sakura, alors elle les regarda un instant, ses deux élèves réguliers, si différents dans tellement de domaines… Et elle propose :

— Pourquoi vous ne travailleriez pas un duo ?

*


Tsunade s'est tapie dans l'ombre d'un mur, elle guette la sortie des deuxièmes années comme un renard près d'un terrier de lapins. Les élèves émergent de leur classe en un flot bruyant, y'en a partout, puis enfin elle repère ses proies et jette sa main à travers l'agitation comme un harpon fendant l'air.

— Halte-là, mes cocos ! J'ai deux mots à vous dire !

Hinata et Naruto sursautent, ils n'ont rien vu venir. Tsunade les tire par le col à l'écart du vacarme et les toise de toute sa hauteur en brandissant deux feuilles d'accusation :

— Vous savez ce que c'est, ça ?

— Heu… Nos bulletins ? s'étrangle Naruto.

— Non, contredit la directrice, ce sont deux ramassis de tôles. Vos notes ont dégringolé ces derniers mois.

Les deux fautifs se regardent en se mordant la lèvre. C'est vrai qu'ils ont passé tout leur temps à répéter depuis la formation des Scarecrows et même pour une bonne élève comme Hinata, si on ne révise pas son interro de maths, forcément, on se plante. Tsunade baisse les bulletins et annonce sévèrement :

— Ce lycée a autant pour ambition de vous faire progresser en musique que de vous faire réussir vos études. L'un ne va pas sans l'autre, alors c'est très simple : si vous ne récupérez pas trois points de moyenne générale avant la fin du deuxième trimestre, je dissous les Scarecrows.

L'ultimatum est lancé, pas de négociation possible. Hinata se dit que ça ne devrait pas être trop difficile pour elle, suffit de s'organiser, par contre pour Naruto c'est une autre histoire. Tsunade fait signe que c'est tout ce qu'elle avait à leur dire et les autorise à partir ; elle ajoute cependant au dernier moment :

— Malgré tout, bravo pour votre essai de vendredi dernier.

Alors Hinata et Naruto ont le même sourire lumineux.

*


Ils décident de s'y mettre le soir même et Tenten est OK : elle aussi, faut qu'elle surveille sa moyenne, surtout que le bac, elle le passe cette année. Alors ils tirent les bureaux au centre du studio d'Asuma, rangent leur matos contre les murs et se donnent deux heures avant de jouer. On commence par la physique, c'est parti…

— Vous voulez faire quoi plus tard ? demande distraitement Naruto au bout du troisième exercice.

— Skateboardeuse professionnelle, répond Tenten sans lever les yeux de sa calculatrice.

— Sérieux ?

— Bien sûr que non, tête de piaf ! J'veux jouer.

— Ouais, moi aussi !

— Mais… C'est pas si simple, ose faire remarquer Hinata. Il y a très peu de gens qui arrivent à vivre de leur musique.

— Ouais, seulement les meilleurs, lance Tenten.

Hinata admire tellement sa confiance en elle. Si elle avait eu le talent de sa mère, ou un tiers de celui de Neji, peut-être qu'elle aussi elle aurait pu affirmer avec autant d'aplomb qu'elle ferait carrière dans la musique. Mais elle est Hinata et elle vient tout juste de tout recommencer à zéro, alors elle en est plutôt à envisager des plans de secours.

Ils arrêtent la physique pour se mettre à l'économie puis enchaînent avec l'anglais et ces putains de verbes irréguliers à apprendre. Hinata les sait déjà, Tenten aussi depuis le temps, mais le cerveau de Naruto semble s'être décidé à fermer ses frontières.

— To swim, swam… Swunk.

— Putain t'es un cas, s'exaspère Tenten en se rejetant en arrière.

— J'ai jamais rien pu retenir par cœur ! se défend Naruto. J'marche à l'instinct, moi !

Hinata s'inquiète, elle n'a rien contre l'instinct mais c'est pas ce qui va lui donner une bonne note à l'interrogation orale de mercredi. Elle cherche un moyen mnémotechnique qui pourrait l'aider pendant que Tenten s'acharne à lui faire réciter la liste et finalement, elle a une idée :

— Je… Je sais, attends, Naruto… Et si tu essayais de les chanter ?

Elle fouille dans sa mémoire pour trouver une mélodie pas trop galère, tombe sur Daft Punk et rigole en se disant que c'est LE morceau parfait. Naruto et Tenten la regardent d'un air un peu what-the-fuck alors qu'elle se lève pour aller brancher sa guitare.

— Bon, c'est pas du rock mais ça vaut tout l'or du monde, affirme Hinata qui est toujours plus sûre d'elle lorsqu'elle parle d'electro. Tu connais Technologic ?

Sans attendre la réponse, elle frappe les temps du plat de la main sur sa caisse violette et entonne le premier couplet :

Buy it, use it, break it, fix it,

Trash it, change it, mail - upgrade it,

Charge it, point it, zoom it, press it,

Snap it, work it, quick - erase it,

Write it, cut it, paste it, save it…


Il est long et elle se concentre pour ne pas perdre sa respiration, s'en sort bien jusqu'aux dernières phrases. Naruto et Tenten l'écoutent bouche bée, c'est toujours impressionnant d'entendre ce morceau et Hinata n'a pas fait une seule coquille. Faut croire qu'elle s'est déjà entraînée à le chanter. Elle a embrayé le deuxième couplet en jouant la discrète ligne de basse qui va avec :

Name it, rate it, tune it, print it,

Scan it, send it, fax - rename it,

Touch it, bring it, pay it, watch it,

Turn it, leave it, start - format it…


Elle s'interrompt soudain, Naruto et Tenten retiennent leur souffle, Hinata marque les temps dans le vide de la tête, toujours aussi concentrée, puis claque le refrain :

— Technologic… Technologic… Technologic… Technologic…

Elle s'arrête là et les deux autres la regardent avec le même air éberlué, ils s'attendent à ce qu'elle continue. Hinata commence à expliquer comment tout ça va aider Naruto à retenir ses verbes irréguliers, mais ils ont l'air du mal à comprendre son baratin alors elle reprend sa guitare et décide de leur montrer directement. Pam, pam, les temps sur la caisse, et elle recommence à zéro :

To be, was, been, être,

To bear, bore, borne, supporter,

To beat, beat, beaten, batter,

To become, became, become, devenir,

To begin, began, begun, commencer…


— Ha ha, c'est génial ! s'exclame Naruto, complètement émerveillé.

En fait, c'est pas si génial. C'est même beaucoup plus compliqué d'apprendre comme ça qu'en suivant simplement la liste, parce qu'il faut aller vite et les enchaînements sont super rapides. Mais ça, Hinata ne le dit pas à Naruto : ce qu'il lui faut, c'est un élément motivant et tant pis s'il est plus difficile que l'original.

Tenten va se mettre derrière sa batterie et ils répètent le morceau jusqu'à ce que Naruto puisse le faire sans sa liste. Il recommencent alors en mélangeant les verbes, à l'endroit, à l'envers, ça demande tellement de concentration qu'ils y passent la soirée et sont tout étonnés quand Asuma ouvre la porte et s'étonne de les voir encore là.

— Le lycée est en train de fermer, vous savez, informe-t-il en jetant un regard suspicieux sur le bordel qui jonche son joli petit studio.

— On faisait de l'anglais, explique Naruto avec entrain. Vous voulez écouter ? Trois, quatre…

Asuma s'apprête à les arrêter, le concierge est vraiment en train de passer dans les couloirs pour fermer les salles à clés, mais le trio a déjà commencé à jouer et il est tellement surpris qu'il oublie le reste et s'adosse contre le chambranle avec un demi sourire étonné. Ils en ont, de l'imagination, ceux-là.

Le concierge vient se joindre à lui dans les rangs des spectateurs et ils applaudissent en chœur lorsque le morceau se termine, à moitié moqueurs et à moitié admiratifs.

— "Apprenez l'anglais avec la French Touch", dit Asuma en déroulant dans les airs un titre invisible. Ça ferait fureur comme méthode d'enseignement.

— Trop tard, le brevet est à nous, anticipe Tenten en faisant tournoyer ses baguettes d'un air malicieux.

Asuma rigole et s'en va parce que le concierge rappelle qu'il est plus que temps de boucler le lycée, mais il sourit encore en parcourant les couloirs déserts. Naruto s'en tire mieux que ce qu'il imaginait en chant, en rythme aussi. Pas tout le monde n'est capable de moduler un tel morceau avec des paroles inadaptées et sans perdre son souffle.

Il a un don naturel, celui-là, celui de contrôler sa respiration. Ça paraît pas grand-chose, mais pour un joueur de trompette comme Asuma, c'est énorme.

— C'est qu'ils vont y arriver, à l'Auditorium, ces mioches, lance tout haut Asuma en sortant dans la cour.

*


Hinata est toute guillerette lorsqu'elle rentre chez elle ce soir-là. Il est déjà tard, ils se sont arrêtés en chemin pour manger des nouilles chez Ichiraku Ramens et la première chose qu'elle remarque en arrivant sur le petit chemin de graviers, c'est que la voiture de son père n'y est pas. Elle se souvient alors qu'il devait emmener Hanabi à un concert et se réjouit à la pensée d'avoir la maison pour elle toute seule.

Elle évite son père depuis leur dernier échange, et comme Neji semble ne pas avoir encore vendu la mèche pour la guitare, lui non plus n'est pas revenu la voir. Tout va bien, chantonne Hinata en poussant la porte d'entrée. Elle a à peine mis les pieds dans le couloir et enlevé son duffle-coat qu'un frémissement se glisse jusqu'à elle sur le parquet poli. Aussitôt, elle tend l'oreille : elle aurait dû se douter que Neji profiterait de l'absence des autres pour utiliser la salle de musique.

Avec d'infinies précautions, Hinata pose son sac et son manteau par terre et avance en direction de la porte entrebâillée. Heureusement, elle connaît bien le plancher et sait quelles lattes éviter pour ne pas le faire craquer et elle arrive jusqu'à l'ouverture sans un bruit. Neji joue un vieux morceau familier, du Pink Floyd si elle entend bien.
Doucement, Hinata se laisse glisser au sol pour s'y asseoir et pose sa tête contre le mur. C'est beau. C'est toujours beau. La musique est mélancolique, lente et un peu poussive, c'est un morceau que Neji est habitué à jouer. Elle l'aperçoit à travers la fente de la porte, il est debout au milieu de la pièce toujours aussi vide et il n'a pas allumé les lumières. Il n'y a que lui et la lune qui balaie le parquet de ses rayons argentés.

Hinata ferme les yeux. Quelque chose l'émeut plus que d'habitude dans le chant du violon de son cousin, quelque chose est différent. C'est plus aérien, plus sombre et plus profond, c'est comme s'il parlait d'une voix fragile. Il déroule les mesures sans s'arrêter, il descend une longue pente bordée de silence, fait pleurer ses cordes et glisser les notes, puis son archet revient doucement le long de son flanc et les paroles s'échappent de ses lèvres entrouvertes :

— How I wish, how I wish you were here…

Il n'a chanté qu'une seule mesure, d'une voix si basse qu'elle a été à peine audible, et pourtant Hinata en est secouée au plus profond d'elle-même. Le souffle court et le cœur battant, elle se plaque contre le mur et étouffe le bruit de sa respiration précipitée entre ses mains, mais ça ne suffit pas à refouler ses larmes et bientôt, c'est l'inondation.

Sa poitrine lui fait mal, ses souvenirs la torturent, ses sanglots l'étranglent. Elle voudrait être capable de se relever immédiatement pour aller prendre Neji dans ses bras, mais elle sait qu'il serait furieux, elle sait qu'il la repousserait et qu'il se vengerait d'une rafale de remarques venimeuses. Pourtant, l'imaginer tel qu'il doit être à l'instant, immobile et silencieux au milieu de la pièce, avec son violon inerte entre les mains et le visage de sa mère ancré dans l'âme, ça la rend malade.

Alors elle enfouit sa tête entre ses genoux et elle pleure, elle pleure, elle pleure à sa place.

*


— C'est quoi, une power ballad ?

— Disons, un morceau de heavy metal un peu plus mélancolique que les autres. Genre Dream On d'Aerosmith ou I'm Still Loving You des Scorpions.

— Dans un concert, c'est le moment où tout le monde sort son briquet, ajoute Tenten.

Hinata opine, elle a compris. Ça ne l'aide pourtant pas plus à comprendre pourquoi ils parlent de ça.

Ils sont assis dans le couloir, par terre comme des gueux, et entre leurs sacs, leurs instruments et les jambes étendues, c'est le parcours du combattant pour les passants. Hinata, Naruto et Tenten s'en foutent un brin, ils regardent déambuler le troupeau sans vraiment réagir et reprennent leur conversation :

— Le truc qu'ils ont joué vendredi, The Unforgiven, c'est aussi une power ballad, dit Naruto en suivant distraitement du regard Sakura qui passe devant eux d'un air pressé.

— Vous voulez qu'on en joue une ? essaye de comprendre Hinata alors qu'un prof enjambe leur bordel d'un air un peu fatigué.

— Non, c'est trop chiant.

— Ouais, ce serait cool.

Tenten et Naruto ont répondu en même temps, ça les fait rire. Ils ne se souviennent plus de qui a lancé le sujet.

— On a déjà fait Bull Dawg dans le genre poussif, j'aimerais bien un truc qui bouge, argumente Tenten.

— Ouais, mais faut aussi savoir jouer de tout, contre argumente Naruto.

Tenten hausse les épaules et plonge la main dans le paquet de bonbecs posé sur les genoux de Hinata. Elle, rester dans le rock lui va très bien. A la rigueur, une power ballad bien sentie, du style Wind of Change puisqu'on parle des Scorpions… Par réflexe, elle se met à siffloter l'intro et Naruto chantonne à sa suite :

I follow the Moskva

Down to Gorky Park

Listening to the wind of change…


Hinata ne connaît pas les paroles par coeur, mais elle pianote déjà sur son téléphone et parvient à ouvrir la page à temps pour le second couplet :

The world is closing in

Did you ever think

That we could be so close, like brothers

The future's in the air

I can feel it everywhere

Blowing with the wind of change…


Naruto fait exprès de chanter d'un ton dramatique, ça fait rire Tenten et ils commencent à se balancer de gauche à droite en agitant un briquet imaginaire à bout de bras. Les élèves passent en leur jetant de drôles de regards, certains se prennent d'ailleurs les pieds dans leurs jambes, et ils poursuivent avec une théâtralité inspirée :

— Taaaake me to the magic of the moment…

— On a glooory night, where the children of tomorrow dream awaaaay…

— In the wind of chaaaaange !

Ils finissent en s'étranglant de rire et ne voient pas que Kiba, Lee et Sasuke ont ralenti en arrivant à leur hauteur. Le premier rigole aussi et applaudit violemment tandis que Sasuke lâche d'un air méprisant :

— Toujours à se faire remarquer…

— Ha ha, tu peux parler ! explose Naruto.

Sasuke fronce le nez mais ne répond pas, il n'est pas vraiment dans le délire. Sa passivité rend Naruto méfiant et il le regarde s'éloigner d'un air soupçonneux. Lee, lui, est resté pour s'agenouiller :

— Alors, c'est quoi votre prochain plan d'attaque ?

— Espionnage industriel ! dénonce Tenten en pointant sur lui un index accusateur. Tu peux te gratter pour qu'on te le dise !

Lee rigole et n'insiste pas.

— Bonne chance ! lance-t-il en repartant.

— C'est ça !

Tenten attend qu'il soit hors de vue pour se retourner vers les deux autres :

— Bon alors, c'est quoi notre prochain plan d'attaque ?

Naruto se tourne vers Hinata qui se tourne vers le vide. Ben non, c'est bien elle qu'il regarde. Pourquoi est-ce qu'elle doit décider soudain ? La responsabilité lui fait peur.

— Euuuuh… Je pense qu'on ne devrait pas se focaliser sur un seul morceau mais faire un peu de tout. Ça nous fera du bien de jongler d'un truc à un autre…

— Grave ! approuve Tenten qui a encore Bull Dawg en travers de la gorge.

Ils enfournent en même temps leur main dans le paquet de bonbons et le silence s'installe entre eux, à peine perturbé par les bruits de mastication. Le couloir est toujours aussi animé, les gens vont et viennent, ils ont un peu l'impression d'être des vaches en train de regarder passer des trains.

— Dites, il joue de quoi, Kakashi ? demande Naruto lorsque le prof en question traverse le couloir à son tour.

— Alors là, c'est le grand mystère du lycée, révèle Tenten. Ça fait des années que tout le monde essaye de savoir. Pas moyen de lui arracher l'info et les autres profs restent bouche cousue.

— Peut-être qu'il est simplement prof d'anglais, suggère Hinata sans trop y croire.

— Impossible.

Ils se taisent à nouveau pour réfléchir tout en mâchouillant des crocodiles pleins de gélatine fluo. Un groupe de filles passe en gloussant devant eux, puis une haute silhouette apparaît au bout du couloir et arrive à leur hauteur en quelques enjambées. Le trio cligne un peu des yeux, il faut toujours un temps d'adaptation quand Gai se pointe devant vous sans prévenir.

— Eh bien alors, les jeunes ? On regarde voler les mouches ?

Il a un sourire immense, éblouissant. Hinata a toujours pensé qu'il a fait de la pub pour dentifrice avant de se mettre à la musique. Son sourire est d'ailleurs la seule jolie chose chez Gai, parce que le reste, on dirait un peu un Ken accidenté de la route. C'est un prof de troisième année, il s'occupe des cours de cuivres et c'est d'ailleurs assez rare de le voir sans son tuba. Car oui, Gai joue du tuba.

Hinata se dit que ça lui va bien, un truc aussi énorme et détonnant. Le tuba, ça demande un sacré souffle, quelques abdos bien formés et surtout beaucoup d'autodérision : parfait pour Gai qui ne s'est jamais pris au sérieux, ou alors qui le fait à un point tel que ça donne l'effet inverse. Il est difficile à cerner, ce type, difficile à comprendre et difficile à anticiper. On ne sait jamais où sont les limites de sa déconnade. Peut-être parce qu'en vérité, il ne déconne jamais.

Il s'est planté devant eux, il ébouriffe les cheveux de Tenten qui se dégage en protestant, lève un pouce victorieux en direction de Naruto et lance un clin d'œil à Hinata. Il a entendu parler de leur prestation de vendredi, explique-t-il avec emphase, et il tenait à les encourager. Parce que c'est vrai, il sait ce que ça fait que d'être considérés comme des musiciens de seconde classe…

— On pensait pas être des merdes à ce point, grogne Tenten.

— Ce n'est pas ce que je voulais dire, voyons…

— Vous vouliez dire quoi alors ?

— Eh bien, que parfois on n'est pas apprécié à sa juste valeur et que les gens ne croient pas tout de suite en…

Tenten n'est pas convaincue, l'échange s'éternise et à côté, Naruto lance un sourire un peu surpris à Hinata. C'est marrant de voir Tenten s'entendre aussi bien avec un adulte. Naruto prend appui sur le carrelage pour se redresser un peu et se laisse glisser contre l'épaule de Hinata. Sans remarquer son sursaut, il tend la main et farfouille au fond du sac posé sur ses genoux pour y trouver un autre bonbon tout en sifflotant et miam, il l'avale tout rond.

— On est trop calés, ici, lance-t-il alors en se remettant à observer le passage.

*


— Mais concentre-toi, putain !

Sakura s'étrangle, elle est complètement démolie, elle va encore pleurer. Le souffle court, Sasuke la foudroie du regard. Il en veut à Kurenai de lui avoir imposé ce partenariat à la con, il en veut à Sakura d'être aussi lente dans ses progrès et il s'en veut de ne pas être capable de l'aider. Ça fait beaucoup d'un coup pour quelqu'un qui n'a jamais eu une grande capacité émotionnelle.

Les larmes noient les beaux yeux verts de Sakura, alors il s'exhorte au calme et va ramasser le pupitre qu'il a envoyé valser en jurant. Il le remet en place, dispose à nouveau les partitions sur la tablette et lance sèchement :

— On reprend. A partir de la cinquième mesure.

Mais les sanglots strangulent la gorge de Sakura qui suffoque et galère à retrouver sa voix. Elle essaye pourtant, de toutes ses forces, se réfugie dans les lignes rassurantes de la partition pour retrouver un repère, mais le résultat n'est guère plus convaincant que tous les essais précédents et Sasuke finit par laisser filer un soupir exaspéré entre ses dents étroitement serrées.

— OK, regarde-moi, ordonne-t-il alors en relevant la tête. Dans les yeux.

Les yeux verts hésitent un peu, dérapent sur l'ébène de ses iris puis s'y accrochent enfin. Sasuke attend d'être sûr d'avoir son entière attention et lève une main pour battre la mesure en prenant soin de ne pas rompre le contact visuel :

— Trois, quatre… I've been walking in the same way as I did…

Sakura suit, presque par réflexe. Puis comme son regard glisse nerveusement vers la partition, Sasuke attrape son menton entre deux doigts et la force à lui faire face à nouveau sans cesser de chanter.

— And missing out the cracks in the pavement…

Ils poursuivent alors, yeux dans les yeux, lisant dans le regard de l'autre la partition qu'ils ne suivent plus et qui repose inutilement sur le pupitre dressé entre eux. Et pour la première fois, ils chantent le morceau jusqu'à sa toute dernière note sans s'interrompre.

Shows that we ain't gonna stand shit

Shows that we are united

Round my hometown, memories are fresh

Round my hometown, uuh, the people I've met


Are the wonders of my world, are the wonders of my world

Are the wonders of this world, are the wonders of my world

Of my world, yeah, of my world, of my world, yeah…


La dernière syllabe tinte longtemps entre les murs de la pièce. Sasuke et Sakura ne se sont toujours pas quittés du regard, ils comprennent que quelque chose a définitivement changé, juste là, juste entre eux. Quelque chose de simple et de joli, comme un léger parfum ou une tonalité de silence différente, et ils n'osent pas trop rompre leur immobilité par crainte de dissiper la sensation. Il le faut bien pourtant, ils ne vont pas passer la nuit ici non plus, alors Sasuke ferme les yeux et se détourne en se raclant la gorge.

— Bon, comme quoi c'est possible, grommelle-t-il en parcourant les murs du regard. Reste plus qu'à le chanter bien.

Sakura hoche la tête, un peu penaude, et effleure la partition du bout des doigts. Elle se sent étrangement calme alors qu'au fond d'elle, son cœur tambourine comme pas possible. Dommage que l'instant d'harmonie soit déjà passé, évanoui avec les dernières lignes de la chanson. Ne subsiste plus qu'une poignante émotion qu'elle n'est pas sûre de reconnaître – un mélange de mélancolie et de plénitude ? Alors elle tente d'en rattraper les brides qui s'effilochent à travers les secondes et propose :

— On la refait ?

Sasuke pivote pour lui jeter un œil, hésite un instant puis se rapproche lentement. Pas à pas. Prudent.

— Ouais.

— Trois, quatre…

*


Pendant que Sasuke galère avec son duo, Kiba, lui, il rentre chez lui avec du Iggy Pop à fond le casque. Il ouvre la porte de sa maison en sifflant, jette son sac contre le mur et se fait aussitôt sauter dessus par un chien de la taille d'un lion. Il est tombé en arrière sous le choc et frotte la crinière blanche de l'animal en rigolant :

— Salut, Akamaru !

Le chien répond en jappant de plus belle et sursaute quand une voix tonne soudain dans le couloir. Kiba grimace, mais ça n'empêche pas sa mère de jaillir d'une porte avec un tablier de cuisine rose qui contraste beaucoup avec la touffe de cheveux sauvage qui explose autour de son visage furieux. Il enlève son casque à temps pour entendre la suite :

— Qu'est-ce que c'est que ça ? hurle-t-elle en jetant une enveloppe au visage de son fils.

Kiba la récupère et y jette un œil : aïe, les relevés de notes sont déjà arrivés. Il se relève lentement, prêt à affronter l'ouragan trimestriel.

— J'ai gagné deux points de moyenne en anglais…

— Et tu en as perdu quatre en économie ! renvoie sa mère en plantant ses mains sur les hanches, une cuillère en bois encore dans l'une d'entre elles.

— Mais on s'en fout, de l'économie !

— Va dire ça à ta future université ! Tu dois avoir un bulletin IMPECCABLE si tu veux un avenir !

— Mon avenir, c'est le rock, m'man !

— Je parle d'un avenir réalisable ! s'époumone la douce maîtresse de maison.

Kiba se rembrunit : et voilà, on est repartis. Il sait bien qu'il n'y a que très peu de gens qui s'en sortent en jouant de la musique, mais il est jeune et il a l'impression que tout lui est possible. Il a aussi encore du mal à comprendre qu'on ne fait pas forcément d'une passion d'adolescent un projet d'avenir.

— J'fais partie des premiers de la classe dans les matières musicales, se défend-t-il avec fougue.

— Tu n'auras pas ton bac sans avoir aussi la moyenne dans les autres, réplique abruptement sa mère. C'était le deal, jeune homme, et tu le sais très bien : tu restes dans ton groupe tant que tu parviens à gérer le reste avec !

— Ouais, je sais, je sais ! s'énerve Kiba. Pas la peine d'en faire un flan ! Viens, Akamaru, on va se promener.

Le chien bondit à côté de lui tandis qu'il ouvre la porte d'entrée et Tsume Inuzuka ajoute avant qu'il ne parte :

— Je te préviens, ce week-end, on le passe à réviser tes cours !

Kiba sort en grommelant. Ce week-end, il devait aller jouer au base-ball avec les voisins. Mais il n'a plus le choix, c'est tout simplement impossible d'aller contre l'avis de sa mère. Ses fesses gardent encore les traces de la dernière fois qu'il a essayé, et ça remonte à huit ans.

*


Mercredi. Neji se traîne dans les couloirs en se passant une main dans les cheveux, il est fatigué. Tout est lent cette semaine, tout est lourd et les répètes des Hawks ont considérablement perdu en énergie. C'est comme si tout le monde était pris d'un blues incurable.

— Hey, Neji !

Il se retourne pour voir débouler Tenten, son sac de travers et la veste en vrac. Elle glisse jusqu'à lui comme une comète multicolore, puis dérape sur le carrelage et s'arrête à vingt centimètres de l'impact. C'est drôle, cette façon qu'elle a de respecter avec lui une distance qu'elle franchit sans réfléchir avec tous les autres. C'est comme si elle n'osait pas. C'est comme si elle avait peur.

— Tu répètes ce soir ? demande-t-elle.

— Pas toi ?

— Ben si.

Neji lève un sourcil, à quoi bon poser la question alors ? Tenten hausse les épaules et lui emboîte le pas en direction de leur salle de cours. Ils ont maths avec Anko et ils en baillent d'avance. C'est toujours comme ça entre eux : un jour ils se bouffent le nez et le suivant ils se baladent tranquillement l'un à côté de l'autre comme si c'était la chose la plus naturelle qui soit.

Ils sont compliqués. Mais avoir dix-sept ans, c'est compliqué.

*


Naruto pousse la porte du palier d'un grand geste et entre dans le couloir de deuxièmes années en chantonnant. L'endroit est blindé de monde, évidemment Kakashi est en retard et comme c'est lui qui a les clés de la classe, les élèves stationnent dans le couloir en révisant à la hâte leurs verbes irréguliers en vue de l'interro imminente. Naruto traverse la foule en jetant des regards de tous les côtés, tire la langue à Kiba, ralentit une seconde pour tapoter l'épaule de Hinata et avise enfin sa cible : Sasuke s'est mis à l'écart, plus loin contre le mur blanc.

Il est accroupi, ses bras tendus sont posés sur ses genoux et il observe le vide d'un regard fixe, figé dans cette drôle de pose qu'il prend souvent. Naruto le détaille un instant, lui et son air ailleurs, lui et sa silhouette si souple pliée comme celle d'un chat posté en haut d'un toit, lui et sa veste si neuve qu'elle tombe sur ses hanches sans une ride, puis il se décide enfin à avancer.

Sasuke n'est pas droit dans ses baskets depuis quelques jours, ça crève les yeux et ça énerve Naruto. Il est son rival, merde ! Il n'a pas le droit de se trimballer avec une gueule pareille, il n'a pas le droit de rester retranché derrière ce nuage d'orage impénétrable ! Il doit exploser, il doit se relever, il doit continuer à se battre, sinon… Sinon… Tout ça n'a plus aucun sens.

— Hey, playboy ! lance Naruto en s'accroupissant devant lui. C'est la talonnade qu'on vous a mis vendredi dernier qui te fout dans c't'état ?

Sasuke lève les yeux, un peu surpris – il n'a rien vu venir, il pensait à autre chose. Il reconnaît Naruto, incline un peu la tête pour faire glisser les mèches brunes qui encombrent son champ de vision et ses longs sourcils se froncent lentement, comme un trait d'encre qu'on allongerait d'un fin coup de pinceau.

— J't'ai pas sonné, Naruto.

C'est rare qu'il l'appelle par son prénom. Les traits de Naruto se durcissent, il n'aime pas ça, il n'aime pas ça du tout.

— Si j'avais su qu'il suffisait d'un morceau de Link Wray pour mettre les Hawks à plat…

— Je suis pas les Hawks, OK ? s'énerve Sasuke en redressant la tête.

— Ouais, approuve Naruto avec sérieux. T'es pas les Hawks.

Son expression soudain attentive déstabilise Sasuke qui se demande si ce con n'est pas en train de se foutre de sa gueule. Il n'y a que de la sincérité pourtant dans les yeux bleus, un peu de provocation aussi sans doute, mais pas la moindre once de méchanceté gratuite. Après tout, c'est Naruto, mais Sasuke a un peu du mal à s'en souvenir.

— Mais fous-moi la paix ! s'emporte-t-il alors. Qu'est-ce que tu viens me faire chier alors qu'il est même pas huit heures du mat ?

— Techniquement parlant, il est huit heures quinze, rectifie Naruto en jetant un œil à sa montre. Kakashi est encore à la bourre.

— J'en ai rien à branler ! Dégage !

Mais Naruto se laisse tomber à côté de lui sans l'écouter et se met à fanfaronner tout en tapotant un rythme imaginaire sur l'étui de sa basse :

— Et tu vois, c'qu'on a fait vendredi, c'était que la partie émergée de l'iceberg. Pendant que vous en chiez sur votre heavy metal, nous on s'éclate avec du vrai rock et on va tellement mettre l'ambiance aux Portes Ouvertes que vous aurez l'air d'un groupe de retraités à côté.

— Non mais faut calmer tes chevilles, tête de plomb ! s'emporte Sasuke en se redressant enfin. J'te rappelle que t'es encore dans les sous-sols de cette école avec ta guitare de pauvre ! Et d'où le heavy métal c'est pas du vrai rock ?

— D'où ma basse est une guitare de pauvre ? proteste Naruto en baissant les yeux vers son étui.

— Pas tout le monde n'est capable d'utiliser six cordes à la fois, explique Sasuke d'un ton cinglant.

La vanne est tellement débile que Naruto ouvre de grands yeux.

— Pfffuahahaha ! explose-t-il alors. Tu t'imagines que c'est plus facile, la basse ?

— C'est de l'instrument d'arrière-plan.

C'est la première fois que Naruto entend un truc pareil. Enfin, peut-être pas, c'est un cliché largement répandu, mais il n'y a jamais fait attention auparavant et il doit dire qu'il ne s'attendait pas à ce que Sasuke, qu'il a toujours considéré comme étant un vrai musicien, fasse partie de ceux qui pensent ce genre de chose.

— Alors là, t'es dans le black-out complet, affirme-t-il. Et j'te le prouverais.

Sasuke renifle d'un air dédaigneux, mais il est déjà moins sombre qu'un instant auparavant : rien de tel qu'une bonne prise de bec pour le réveiller. Depuis l'autre côté du couloir, Sakura s'en est aperçue et elle en veut un peu à Naruto de réussir là où elle ne parvient qu'à énerver davantage Sasuke. Qu'est-ce qu'il a de plus qu'elle, ce type ? Un peu vexée, elle se détourne et essaye d'écouter le monologue ininterrompu d'Ino à sa droite, mais la vie de son amie ne l'intéresse pas aujourd'hui. Heureusement, Iruka arrive et coupe court à l'inaction du couloir :

— Kakashi ne viendra pas aujourd'hui, allez en salle de perm…

Les élèves se relèvent en râlant et se réjouissant à armes égales : putain de prof, il aurait pu prévenir ! Super, pas d'interro d'anglais ! Iruka les fait évacuer le couloir plus vite que ça, il a du boulot, lui, et la classe va rejoindre les troisièmes années qui sont en révision dans la salle de musique. Tenten est toute étonnée de voir débouler Naruto et Hinata et elle plaque aussitôt ses maths pour aller s'installer avec eux près de la batterie montée sur l'estrade.

La salle de musique n'est pas très grande, ils sont un peu les uns sur les autres et c'est difficile de s'ignorer. Ça tombe bien, Sakura a bien envie de se venger un peu de Naruto pour tout à l'heure ; comme elle n'ose pas s'en prendre directement à lui, elle s'attaque plutôt à Hinata.

— Alors, qu'est-ce qu'il t'est passé par la tête pour abandonner le violon ?

Hinata est un peu perdue, elle n'a quasiment jamais parlé à Sakura avant et de ce dont elle se souvient, elle n'avait pas de problème particulier avec elle. D'une manière générale, Hinata n'a de problème particulier avec personne, faudrait interagir un minimum avec les autres pour ça, mais elle comprend qu'en faisant partie des Hawks elle a prit un parti et que ça implique forcément deux camps. Derrière elle, Naruto installe sa basse en l'observant à la dérobée, ça lui met la pression.

— J'ai voulu essayer autre chose, bafouille-t-elle.

Pas de chance, Ino a rejoint a copine et elle est encore pire, alors elle s'en prend plein la gueule :

— T'aurais pu tenter le triangle, c'est plus de ton genre, rigole la blonde. Parce qu'une Hyûga qui fait de la guitare électrique, sérieusement…

Ino n'est pas méchante, elle est simplement un peu trop rentre-dedans et elle ne se rend pas compte de l'impact que peuvent avoir ses paroles sur les autres. Elle vanne parce que c'est sa façon d'être, parce qu'elle est bouffie de confiance en elle-même et qu'elle n'a peur de rien. Les gens comme ça n'ont souvent aucune idée de la sensibilité de leurs interlocuteurs.

— Et tu vas oser jouer en cours maintenant ? renchérit Sakura. Parce qu'aux dernières nouvelles, tu te défiles toujours.

— Faut savoir jouer pour ça, Saku, rigole Ino.

Elles gloussent, les autres autour bavardent de plus belle, le bruit enfle dans la salle de musique et exaspère Neji qui aimerait bien continuer à bosser tranquille. Les autres troisièmes années ont laissé tombé et participent au vacarme tandis que près de l'estrade, le petit duel se poursuit :

— Non mais sérieusement, tu penses vraiment que tu va pouvoir gagner aux Portes Ouvertes ?

— Ouais, parce qu'apprendre la guitare juste pour éclater les Hawks, c'est un peu vain comme tentative…

— Pour moi, la musique n'est pas une compétition, se défend enfin Hinata, piquée au vif. C'est au contraire ce qui rassemble les gens.

Les deux filles se regardent puis explosent de rire. Dans le fond, la phrase n'est pas si fausse, mais bon, ça vient de Hinata ! Sakura se raccroche à Ino pour maîtriser son équilibre et se penche vers elle :

— Dis la fille qui ne joue pas !

— Toi non plus, tu joues pas, envoie aussitôt Tenten qui attendait de voir si Hinata allait répliquer toute seule.

— Mais moi, je chante.

— Hinata aussi chante. Tout le monde chante, ici.

Sakura se gonfle de vexation. Elle réplique alors :

— Très bien. Vas-y, Hinata, on t'écoute !

Hinata rougit et se met à balbutier. Elle sait à peu près chanter, d'accord, mais franchement pas au point d'en faire une scène ! Elle en veut un peu à Tenten d'avoir provoqué le défi, puis soudain Naruto sauve les meubles en s'interposant :

— C'est tous ensemble ou pas du tout, déclare-t-il. Toi, donne-nous un genre !

La fille désignée au hasard sursaute et cherche rapidement avant d'annoncer : électro house !

— OK les Scarecrows, lance Naruto en se retournant vers son groupe. Money, vous êtes prêts ?

Tenten hoche la tête, ses baguettes déjà en suspension au-dessus de ses caisses, et Hinata se jette sur sa guitare. Elle a à peine le temps de la brancher que Naruto commence déjà :

She don't care, 'bout education,

Money is, her motivation,

He don't live, but love and passion,

When he can buy, his satisfaction…


Hinata s'est emmêlée les pinceaux sur les premières mesures, elle n'a encore jamais joué ce morceau et elle a confondu avec le Money de Pink Floyd. Elle le connaît pourtant, il fait partie du recueil de partitions qui traîne dans le studio d'Asuma, sans doute apporté là par Naruto d'ailleurs, et comme la tablature n'est pas très compliquée et qu'elle s'est entraînée à se repérer à l'oreille elle finit par s'y retrouver. Après tout, elle en a écouté, du électro house !

Money, Money !

Get rich, or die tryin'…


Ça y est, ils sont partis, les Scarecrows. Ils sont dans l'ambiance, ils sont dans le mouvement, ils s'éclatent et ils échangent des regards hilares au milieu des notes qui volent dans tous les sens, puis soudain une puissante distorsion les coupe en pleine course et ils s'arrêtent en catastrophe : c'est Kiba qui a branché sa basse à son tour et qui module un autre morceau avec défi.

Lee bondit aussitôt derrière la deuxième batterie installée contre le mur, sort ses baguettes et hop, l'accompagnement est lancé. Pam pam papapam, l'intro s'arrache, les deux garçons se tournent vers Sasuke et Neji pour qu'ils sortent leurs instruments mais ils n'en ont pas le temps : les Scarecrows ont profité de l'instant d'hésitation pour poursuivre plus fort – et avec un mélodique.

Can you hear us, watch the sun on my skin ?

And the world that I'm in makes me delirious

Can you hear us with a smile on my face ?

On a far different place I'm delirious…


Dziiiiinouiing, un riff surgit depuis le fond de la salle et déchire leur petit délire : Sasuke a branché sa guitare. La mesure est géniale, monumentale, tout le monde a reconnu The Alphabeat et Lee vient s'ajouter au solo illico presto. Y'à pas à dire, ça claque, et la classe entière s'est tourné vers Sasuke d'un air complètement subjugué. Les Scarecrows aussi écoutent bouche bée, ce type-là sait décidément tout faire !

Puis Naruto s'ébroue, il a intercepté le regard flamboyant que Sasuke lui a envoyé entre deux mèches de jais et ça lui a fait l'effet d'un électrochoc. Ils sont désormais en battle officielle, c'est clair et net, et il ne perdra pas la face !

Memories, lance-t-il avec défi à ses coéquipières.

Et c'est reparti, à leur tour de couper les Hawks dans leur prestation :

All the crazy shit I did tonight

Those will be the best memories

I just wanna let it go for the night

That would be the best therapy for me…


Hop, les Hawks interviennent à nouveau, c'est Neji qui lance le morceau cette fois, il a dégainé son violon électrique et les autres se calent aussitôt sur les accords frénétiques de l'instrument. Far Away… Les Scarecrows se consultent en panique, on fait quoi maintenant ? I Wanna go Crazy, ordonne Tenten en clamant déjà plus fort que le violon :

— Let's go !

Et les morceaux s'enchaînent, le répertoire est vaste, la musique fait des allers-retours à toute blinde à travers la salle. Winner of the Game, Delirious, Just a Little More Love, Revolver, c'est un vrai match de ping-pong surdosé aux amphetamines. Les élèves suivent comme ils peuvent, les regards se tournent d'un bord à l'autre, les deux groupes vont toujours plus vite, toujours plus fort, puis soudain Sakura bondit au milieu des autres, la tête bien haute, et sa voix résonne clairement au milieu du capharnaüm :

Feeling in your kiss

I can see you in the stars

I don't believe in magic

But I know just who you are

I'm not gonna leave you

Cause you've giving me a reason to stay, to stay, to stay...


Elle tient magnifiquement la dernière note, tout le monde s'est tu, c'est un moment magique. Puis Hinata empoigne sa guitare, monte le son et module d'instinct le riff de base : la mélodie craque sous ses doigts. Sakura lui jette un regard ébahi, déconcertée de la voir l'accompagner au lieu de lancer autre chose, puis lui renvoie finalement son sourire – girl power ! – et reprend avec plus d'emphase que jamais :

Feeling in your kiss

I can see you in the stars

I don't believe in magic

But I know just who you are…


Tenten et Lee envoient les basses exactement au même instant, rla-pa-pa-pam, rla-pa-pa-pam, Naruto décroche l'accompagnement et Hinata leur adresse un regard brillant avant de répéter le refrain. Ino se rapproche de Sakura pour entonner la deuxième voix, les deux filles échangent un sourire radieux, Kiba leur jette un clin d'œil en s'y mettant aussi avec sa basse ; les élèves claquent des mains en criant autour d'eux et finalement, même Neji remet son violon en place contre son cou.

In my mind

We belong together

In your eyes

I believe in,

I can see forever…


Ça pète dans tous les sens, les deux batteries martèlent les contretemps comme des furies, les basses bourdonnent plus intensément que jamais et les deux chanteuses bondissent sur place, imitées par les spectateurs survoltés. L'énergie de l'orchestre improvisé est telle que Sasuke finit par se laisser embarquer lui aussi. Ses doigts volent sur les cordes, sa voix s'échappe de ses lèvres et finalement, tout le monde gueule d'un même ensemble :

Feeling in your kiss

I can see you in the stars

I don't believe in magic

But I know just who you are

I'm not gonna leave you

Cause you've giving me a reason to stay, to stay, to staaaay...


— C'est quoi ce cirque ?! hurle soudain une voix furieuse. Vous êtes en permanence, pas en répète !

Débandade générale ; la masse des élèves s'éparpille aux quatre coins de la salle, les instruments s'étranglent et tout le monde se rassoit. Le surveillant balaye une dernière fois la classe redevenue silencieuse puis repart d'un pas méfiant.

Ambiance. La frénésie du moment à peine passé résonne tristement entre les têtes et c'est un camaïeu d'expressions déçues qui s'aligne le long des bureaux. Dans un pénible effort de bonne volonté, les élèves ouvrent leurs cahiers et sortent leurs stylos, mais Hinata n'a pas lâché sa guitare.

Elle regarde Tenten, le menton dans la paume, qui balance mollement ses baguettes derrière sa batterie, puis Naruto qui fixe la fenêtre d'un air boudeur, et un soupir s'échappe de ses lèvres. Machinalement, elle pince une corde puis deux ; les bulles de son viennent voleter près de ses voisins qui relèvent la tête.

Elle se recale alors sur sa chaise, ajuste ses doigts et glang, glang, glang, bat le même riff plusieurs fois de suite avant de le répéter un ton en dessous. Glong, glong, glong, glang, glang, glang, le thème lui rappelle quelque chose mais elle ne se souvient plus… C'est Naruto qui lui rafraîchit la mémoire en sifflotant la mélodie par-dessus ses enchaînements. Ils échangent un grand sourire, puis Tenten intègre un discret battement de cymbale du bout d'une baguette.

Derrière leurs cahiers d'histoire, Sakura et Ino échangent un regard scintillant. Elles battent un doigt pour s'assurer du tempo sans se quitter des yeux, puis sur un accord tacite clament d'un même ensemble :

What are we supposed to do ?

After all that we've been through

When everything that felt so right is wrong

Now that the love is gone !


Les visages s'éclairent à nouveau. Quelques regards se glissent avec inquiétude vers la porte, mais Sakura et Ino s'en foutent et bondissent sur leurs pieds pour chanter encore plus fort. Galvanisée, Tenten attrape sa deuxième baguette et y va franco :

There is nothing left to prove,

No use to deny this simple truth.

Can't find the reason to keep holding on,

Now that the love is gone !


En quelques secondes, la musique a repris possession de la salle et cette fois, personne ne s'arrête lorsque le surveillant déboule en gueulant. Tout le monde joue trop fort, tout le monde chante trop haut, c'est l'hystérie, une rafale d'allégresse à l'état pur et on s'en fout des fausses notes ; les élèves dansent debout sur les tables, Kiba glisse à genoux sur le parquet, Ino et Sakura s'égosillent avec leur trousse en guise de micro et Hinata rit tellement qu'elle ne sent même plus la douleur de ses doigts écorchés. Musique ! Musique n'importe où, musique n'importe quand ! Musique avec n'importe qui, pour n'importe quoi !

Got to find a reason

Got to find a reason

Got to find a reason...

Got to find a reason to hold !

Love,

There's nothing left for us to say !


Et c'est Naruto qui conclut au milieu du vacarme, d'une voix claire et puissante dans laquelle résonne une joie débordante :

— Alors comme ça, la musique ne peut pas rassembler les gens ? En tout cas, David Guetta, lui, il y arrive super
bien !



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