Fiction: Six Cordes Métalliques (terminée)

Dans le lycée d'Hinata, la gloire suprême, c'est d'être sélectionné pour participer au grand concours de musique de fin d'année. C'est pour ça que quand Naruto relève aussitôt le défi qu'on lui balance au visage, Hinata marche aussi : monter un groupe et écraser le boy's band de Sasuke aux Portes Ouvertes ? Easy !
Humour / Romance | Mots: 113352 | Comments: 74 | Favs: 33
Version imprimable
Aller au
NeN (Masculin), le 10/06/2014
Merci à tous pour vos commentaires !



Chapitre 4: Bull Dawg



La salle de spectacle est pleine à craquer. Les retardataires arrivent encore pourtant et les centaines d'élèves s'installent le long des gradins dans un brouhaha phénoménal, trouvant de la place là où il n'y en a plus. Cet amphithéâtre, il sert autant de salle de représentation que de forum pour les rassemblements généraux : cette fois, c'est pour une réunion d'information que les professeurs y ont fait s'enfourner leurs classes en ce début de journée prometteur.

Il en manque encore quelques-uns, Tsunade n'est toujours pas là non plus et les organisateurs vont et viennent en s'échangeant leurs notes tandis que dans les gradins, la foule trépigne. Le sujet du jour concerne tout le monde et c'est uniquement pour ça que personne n'a eu la témérité d'aller batifoler ailleurs : les Portes Ouvertes méritent bien une heure de bavardage assommant. Au premier rang, les Scarecrows attendent comme les autres que le briefing commence enfin et tout autour d'eux, ça bavarde, ça s'interpelle, ça glousse ; tout ce beau monde n'est guère habitué à rester planté là sans rien faire et l'énervement grimpe lentement.

C'est Tenten qui initie le mouvement, parce qu'elle est coincée entre les deux autres, qu'elle se fait foutrement chier et que c'est trop tentant de les inclure à son besoin viscéral d'animation. Droite, gauche, droite, gauche, elle tangue sur son gradin en bousculant alternativement Naruto puis Hinata qui s'écartent d'abord sans comprendre, mais ils ne peuvent pas aller bien loin sans pousser leurs propres voisins par terre alors, d'un clin d'œil furtif, ils adhèrent. Et hop, tous les trois ensemble, droite, gauche, droite, gauche, jusqu'à ce que la rangée entière en soit ébranlée. Naruto commence à claquer des mains en rythme, aussitôt joyeusement imité par Hinata, et les sourires s'étalent sur leurs visages. Puis Tenten lève les bras au ciel et clame en se calant sur leur mouvement de pendule :

— Live ! La laaa la la la ! Live is life !

Elle frappe du pied pour marquer les basses, Hinata claque les temps sur son plexus et les contretemps des doigts, Naruto fracasse ses grandes mains l'une contre l'autre et c'est presque un vrai accompagnement qui émerge de ce milieu de rangée occupé à beugler en chœur :

— Live ! La laaa la la la ! Live ! La laaa la la la ! Live is life !

Les autres suivent le mouvement de balancier sans vraiment pouvoir faire autrement, puis les conversations s'éteignent, les pieds commencent à marteler la mesure presque inconsciemment et le rang de derrière décide de participer au délire en engageant la choré en sens inverse. Et les voix sont de plus en plus nombreuses à s'élever alors que Shizune émerge de ses notes d'un air dérouté et que sur l'estrade, Asuma affiche un sourire bien involontaire :

— Live ! La laaa la la la ! Live is life !

When we all get the power
We all give the best
Every minute of an hour
Don't think about the rest
And you all get the power
You all get the best
And everyone gives everything
And every song… Everybody sings !

— LIVE IS LIFE !

— Yeaaaah, fait Tenten en levant deux doigts victorieux vers le plafond.

Tsunade fait soudain siffler le micro pour attirer l'attention de ses dissipés d'élèves et tout le monde sursaute : ils n'avaient pas vu qu'elle était enfin arrivée. Le silence revient et la directrice peut enfin en placer une.

— Bien. Comme vous le savez, le jour des Portes Ouvertes est particulièrement important pour notre établissement : chaque année, des milliers de personnes viennent découvrir les enseignements de ce lycée et il est crucial de les exposer de la manière la plus positive qui soit. Tout d'abord, je vous confirme la date, ce sera bien le dix-sept avril à partir de neuf heures. La journée se décompose en ateliers destinés à présenter notre programme et son sommet, bien sûr, est le concert dont vous serez les acteurs… Je rappelle que c'est également à cette occasion que se déroulera la sélection du groupe qui représentera le lycée à la compétition de l'Auditorium fin juin.

Tsunade laisse filer un silence, le temps de s'assurer que tout le monde est bien attentif, puis reprend sévèrement :

— La compétition de l'Auditorium est capitale. Vous y affronterez les meilleurs élèves des meilleures écoles de la ville dont le Conservatoire et le lycée Abura, pour ne citer qu'eux, et vous savez à quel point je suis intransigeante sur la qualité des représentations. Accéder à une place honorifique lors de ce concours, même s'il ne s'agit pas de la première, est un véritable label pour le lycée Senju, les professeurs qui y enseignent et pour vous tous : pensez à votre avenir. Sortir d'un lycée capable de se hisser dans le top 3 de l'Auditorium vaut tous les CV du monde.

— C'est pourquoi vous devez bien réfléchir avant de vous lancer dans l'aventure, prévient Shizune en prenant le relais. Nous encourageons tout un chacun à participer, mais soyez sûrs de pouvoir soutenir la comparaison avec vos futurs adversaires. Pour les groupes qui souhaitent s'inscrire, il faudra nous rendre ces fiches dûment remplies avant le mois prochain.

La secrétaire agite une liasse de feuille puis passe le micro à Asuma pour qu'il revienne sur le sujet des Portes Ouvertes.

— Bon, alors… commence-t-il en jetant un œil à ses notes. Il y a un changement tout récent dans l'organisation de la représentation du dix-sept avril : pour éviter de se retaper la honte de l'année dernière, nous avons décidé de faire un suivi des élèves qui se produiront sur scène. Tous les concernés ont donc rendez-vous pour des heures sup' dès vendredi prochain, dix-huit heure en salle Fa, pour commencer à voir où vous en êtes et réfléchir à comment on peut vous aider à ne pas être trop mauvais. Oui, parce que je vous rappelle que ce que vous ferez devant les visiteurs ce jour-là n'est pas seulement un concours pour l'Auditorium, c'est aussi la vitrine de cette école et autant vous dire qu'un boulet qui foire son morceau du début à la fin, c'est pas la pub idéale.

Les regards se croisent sur les gradins. Personne n'ose se sentir visé. Asuma poursuit déjà :

— On fera plusieurs répétions en commun, le programme est indiqué sur la paperasse de Shizune. Ensuite, pour ce qui est des affichages et des ateliers, on va répartir maintenant les thèmes par classes afin que vous ayez le temps de définir un planning de…

— Et voilà, on peut dire adios à notre effet de surprise, grogne Tenten sans écouter la suite. On a intérêt à gérer pour la première réu, les gars, parce que j'vous préviens, j'veux pas me taper l'affiche ! J'ai une réputation à tenir !

— T'inquièèète, la rassure nonchalamment Naruto en agitant la main.

De l'autre côté de Tenten, Hinata est trop occupée à faire de l'hyperventilation pour se joindre à la conversation. Elle a déjà mis un mois à avoir le cran suffisant pour avouer à Tenten qu'elle jouait de la guitare électrique et là, bim paf, elle a jusqu'à vendredi pour être prête à l'annoncer à tout le lycée ? A sa classe, à ses profs, à Neji ? Qui le dira à son père ? Qui le dira à sa mère ? C'est pas possible, c'est pas possible, c'est pas…

— Oh merde, Hina est tombée dans les pommes !

— Puterelle !

*


— Tu chantes indéniablement juste, Sakura. Mais il n'y a pas la moindre bride d'émotion là-dedans.

Et vlan dans les dents. Sakura se redresse, lève la tête, se force à ne pas détourner le regard, dissimule comme elle peut le profond gémissement qui jaillit dans sa poitrine. En face d'elle, Kurenai a planté son regard cramoisi sur le sommet de son crâne et ça brûle cent fois plus qu'un rayon laser.

Elles sont seules dans la salle de musique, c'est normal puisque tous les autres sont en pause déjeuner. Sakura n'a pas vraiment assez d'intérêt pour que Kurenai lui consacre ses précieuses soirées, mais elle en a quand même suffisamment pour cette heure volée entre deux cours et c'est toujours là qu'elle se prend ses claques hebdomadaires. Comme pour en remettre une couche, Kurenai ajoute :

— Le chant n'est pas qu'une question de technique et de théorie. C'est aussi le terrain de l'interprétation personnelle.

Elle le sait, ça, Sakura. Elle le sait qu'elle n'est bonne à rien, qu'elle n'a jamais su utiliser un piano, un violon, un ukulélé ou même un triangle, que le seul truc dans lequel elle soit un tant soit peu douée c'est le chant, et elle sait aussi que c'est là qu'elle ne fait aucun progrès. Parce que vu les talents naturels qui peuplent ce lycée, il faut avoir une sacrée volonté pour pouvoir soutenir la comparaison.

La volonté, c'est pas ce qui manque à Sakura. Le problème, c'est qu'elle ne dure jamais. Elle est du genre à se lever un matin en étant fermement décidée à remettre de l'ordre dans sa vie, puis un quart d'heure après ses efforts ne sont toujours pas productifs et elle laisse tomber en chouinant. C'est tellement plus facile de se convaincre que de toute façon, on n'est bonne qu'à regarder le dos des autres.

Elle ferme les yeux, pense à la musique qu'elle écoutait le matin même en allant en cours et sent les larmes revenir au triple galop quand elle se dit qu'elle ne sera jamais capable de chanter correctement un pauvre morceau de disco. "T'es une machine, Sakura", lui a jeté Sasuke ce matin. Et il a raison.

Parce que Sakura a une mémoire d'éléphant, Sakura est capable de retenir un dictionnaire entier de vocabulaire d'anglais, d'avoir vingt-et-un sur vingt à un devoir de maths, de réciter à l'envers le tableau périodique des éléments et de moduler à la note près n'importe quel morceau de heavy métal. Mais voilà : Sakura est incapable de se trouver là-dedans.

T'es une machine, Sakura. Une machine à apprendre, une machine à recracher. T'as toujours fait ce qu'on attendait de toi sans te demander ce que tu devais y apporter en plus pour que tout ça t'appartienne. Une machine à recopier la mode, une machine à imiter Ino, une machine à admirer les Hawks. Rien qu'un mannequin de vitrine sans aucune personnalité. Alors arrête d'essayer de chanter. C'est juste ridicule.

Et voilà, elle pleure, Kurenai s'impatiente, son mascara dégouline. Vie de merde.

Elle est obligée de passer par les toilettes pour se ravaler la façade avant de rejoindre Ino au self. La blonde est déjà installée au centre des Hawks, magnifique comme eux, somptueuse comme eux, et Sakura arrive pile au moment où Naruto, Tenten et Hinata débarquent avec leurs plateaux. Pour une fois, c'est les Hawks qui sont dans le passage et pas l'inverse.

— Alors, prêts pour l'humiliation publique de vendredi ? rigole déjà Kiba depuis la chaise dans laquelle il s'est vautré sans grâce.

— Bouffe ta moelle, Kib', on va vous éclater, renvoie Tenten.

— Et pas qu'à moitié, ajoute Naruto pour info.

— Pour ça, faudrait déjà que votre violoniste reste consciente jusqu'à la fin du morceau, fait remarquer Neji en une belle giclée d'acide.

Hinata pique un fard, Tenten et Naruto se regarde et choisissent d'en rire. Peut-être bien que Hinata s'est évanouie comme une merde l'autre jour, mais n'empêche qu'elle déchire à la guitare et le morceau qu'ils ont commencé à préparer, il commence sérieusement à roxer.

— Vendredi, c'est toi qui va tomber dans les vapes, Neji-j'me-la-raconte-Hyûga, lance alors Naruto.

— Ouais… Ça va faire deux mois qu'on entend le même refrain, Naruto-le-naze-Uzumaki, réplique Sasuke sans même décroiser les bras.

La pique s'enfonce profondément dans la fierté de Naruto qui se tourne vers lui en serrant les poings. Sasuke soutient calmement son regard, tout enfoncé qu'il est dans sa chaise, bien confortable dans son talent et au milieu de son groupe de surdoués. Il en a rien à foutre, Sasuke, il sait que c'est lui le meilleur. Mais Naruto ravale sa rage et s'arme d'un sourire un peu carnassier sur les bords pour envoyer en retour :

— Tu vois, la différence entre toi et nous, c'est que nous, en deux mois, on a évolué.

C'est plutôt rare de voir Naruto sortir une vraie réplique : d'ordinaire, il ne trouve rien de mieux qu'une insulte bien sentie. Sasuke sent l'entourloupe, il fronce les sourcils et Naruto lui renvoie un magnifique doigt d'honneur. Accroche-toi à ton gel, playboy, le vent tourne.

— Oh oh oh, mais c'est qu'ils sortent les crocs, les épouvantails, glousse Ino. On va rigoler vendredi. En attendant, on devait pas répéter ensemble, les mecs ?

Les mecs approuvent et se lèvent ; l'altercation a l'air d'être finie, puis dans le mouvement Ino prend le bras de Neji et vlam ! Une main aux ongles orange fluo la fait reculer d'un pas. C'est Tenten, et ses yeux brillent comme ceux qu'une louve devant sa proie.

— Bas les pattes, blondasse.

Malaise. Tenten n'aurait pas pu indiquer plus clairement que ce mec-là, c'est chasse gardée. La réaction étonne Hinata qui n'a pas imaginé une seconde Tenten avoir des vues sur quelqu'un, et encore moins que ce quelqu'un soit son cousin. Neji fait une sale gueule, il n'a visiblement pas apprécié. Il n'est la propriété de personne, merde ! Mais les deux filles ont déjà enchaîné :

— De quoi tu te mêles ? glapit Ino. Pisseuse !

— Allumeuse !

— Racoleuse !

— Salope !

— Pétasse !

— Grognasse !

— Euh… Mmmh…

— Essaye "sale pute", propose Kiba.

— Ah, ouais ! Sale pute !

— C'est de la triche ! proteste Tenten.

— Tu veux que je te défende ? propose Kiba d'un ton théâtral en se retournant vers elle. Tu n'as qu'un mot à dire, chérie…

— Ta mère dans un Kinder ! braille Tenten en l'écartant d'une grande impulsion.

Kiba est propulsé en arrière, percute violemment la table et s'écroule au sol, mais Tenten est déjà loin. Naruto et Hinata s'élancent à sa suite et Lee vient s'accroupir vers son ami qui gémit en se massant le dos :

— Elle m'a brisé le cœur ! Ah, non, seulement une vertèbre…

— Il faut vraiment qu'on fasse quelque chose pour ta tendance à recycler tes ex, fait remarquer Sasuke en lui tapotant l'épaule.

— Quelle tarée, cette meuf, fulmine Ino en regardant le trio des Scarecrows disparaître derrière les portes vitrées du self.

*


Hinata et Naruto ont eu beau courir comme des dératés, ils n'ont pas pu rattraper Tenten qui les as semés au bas des escaliers et comme ils ont cours, ils lâchent l'affaire pour filer retrouver Kakashi. Hinata pense déjà à autre chose, les vannes des Hawks lui ont encore mis la pression. Parfois, elle se dit que c'est assez pratique qu'ils soient là pour leur mordre les mollets, parce que ça les force à ne pas ralentir l'allure.

Alors voyons voir, comment s'améliorer déjà ? Elle a lu des tas de conseils sur Internet l'autre soir, les blogs sont pleins à craquer de musicos tout heureux de partager leur expérience. Ça l'a même émue, Hinata, de voir tous ces gens échanger avec autant d'enthousiasme sur une passion commune. Ce sont souvent les mêmes remarques qui reviennent d'ailleurs.

D'abord, trouver SON instrument. Mais ça, grâce à Naruto, c'est fait. Ensuite, trouver SA méthode et s'y tenir jusqu'au bout. Là, Hinata vole un peu entre deux pôles, mais ça lui réussi : ses années de solfège lui permettent de bien démonter chaque morceau et de comprendre ce qu'elle joue, et elle s'entraîne en même temps à reproduire les sons qu'elle entend sans partition. C'est loin d'être facile pour elle, elle est bien trop habituée à suivre des mesures précises, mais elle s'accroche.

Ensuite, la régularité. Là pas de problème, plus régulier qu'elle tu meurs. Elle ne fait quasiment plus que ça de sa vie. Conseil suivant, s'amuser : c'est peut-être pas encore ça mais ça viendra avec la maîtrise, pas vrai ? Et en dernier, s'exercer en groupe. Facile.

S'énumérer tout ça rassure Hinata. Elle a la conviction d'être engagée sur le bon chemin, d'aller quelque part et de le faire bien. Ça ne peut pas mal se passer. Alors elle soupire d'aise sur son cahier d'anglais et se masse le bout des doigts en laissant son regard errer à travers la salle. Evidemment, il s'arrête sur Naruto.

C'est marrant, parce qu'avant, Naruto, c'était son idole, un dieu inaccessible qu'elle n'aurait jamais l'occasion d'approcher. Et à force de le côtoyer, à force de mieux le connaître, son image du parfait héro se fendille et c'est un tout nouveau Naruto qui apparaît sous ses yeux. Un Naruto beaucoup plus proche, beaucoup plus humain, beaucoup plus normal – et donc beaucoup plus incroyable. Il en a, des lacunes et des faiblesses, mais il les affronte avec un grand sourire et ça la fascine. Avec lui, c'est comme si n'importe quel être humain pouvait devenir quelqu'un de merveilleux.

Parce qu'il regarde les gens droit dans les yeux. Parce qu'il fait confiance et inspire confiance. Parce qu'il place la vie, la vraie vie, au-dessus de tout le reste, de tout ce que les autres disent, de tout ce qu'on leur impose d'être. Parce qu'avec lui, le ciel n'a plus de limites.

Comme s'il sent son regard posé sur lui, Naruto abandonne ses verbes irréguliers et se retourne : ses yeux azur scintillent, Hinata a l'impression de plonger dans le cosmos. Elle aurait voulu s'envoler dans ces yeux-là, y entrer et ne jamais en sortir, y être libre et vraie. Son cœur bat à toute allure.
Ce Naruto qu'elle commence à connaître de mieux en mieux, ce n'est plus un Naruto qu'elle adule et vénère. C'est un Naruto tout simple, un Naruto dont elle pourrait tomber amoureuse.

*


— Hinata ? On répète ensemble ce soir ?

— Je… Je ne peux pas, il faut que je rentre. Sinon mon père va vraiment me poser des questions…

— Pas de problème ! J'ai qu'à venir chez toi !

— Euuuuuh ?

Mais ce n'était pas une question. Naruto a déjà ouvert la marche en sifflotant et Hinata n'a plus d'autre choix que de se dépêcher à sa suite. Ils partent tous les deux dans la ville assourdie par l'hiver en approche, discutent de tout et de rien, spéculent sur ce que peut bien faire Tenten puis Naruto ralentit en arrivant dans la rue de Hinata. Il n'a jamais été dans ce genre de quartier et à vrai dire, il n'aurait jamais pensé y mettre les pieds un jour. Les rues sont larges et propres, les arbres soigneusement encerclés de grilles ouvragées, les bancs ne sont pas tagués et même les feuilles mortes ont la décence de tomber directement dans le caniveau. Tout est grand et impeccable, ça a quelque chose de pas naturel.

Hinata s'arrête devant un immense portail en fer forgé, seule ouverture dans un mur d'enceinte d'un blanc immaculé. Elle pianote un code sur le clavier intégré à un pilier et zzzzz, les battants métalliques s'ouvrent comme par magie sur un petit chemin de graviers blancs. La maison qui s'élève au bout est différente de toutes celles qui bordent la rue : elle est plus ancienne, plus majestueuse, plus belle en fait. On dirait un vaste bâtiment traditionnel semblable aux maisons machiya du centre ancien auquel on aurait ajouté, au fil des ans, des éléments modernes tout en verre et en acier.

Naruto s'engage sur le gravier à la suite de Hinata, c'est doux et souple sous ses vieilles tennis, puis ils arrivent sous un auvent transparent qui abrite la porte d'entrée. Ça lui fait bizarre de découvrir tout ça. Il n'a jamais pensé à l'environnement dans lequel vit Hinata lorsqu'elle n'est pas au lycée.

— Voi… Voilà, bienvenue, balbutie celle-ci lorsqu'elle a ouvert la porte.

— Désolé du dérangement ! lance Naruto par habitude en franchissant le seuil.

Il émerge aussitôt dans un immense couloir parqueté. Les parois sont en papier de riz, un lustre dessiné par un grand designer scintille au plafond et tout au fond, une porte ouverte déverse un flot de lumière naturelle. C'est immense et épuré, faussement simple et luxueusement vide.

— La vache, siffle Naruto.

Une porte coulisse soudain et une petite tête apparaît par-dessus le cadre de bois léger :

— Papa ?

Ce n'est pas papa et l'enfant s'en rend compte rapidement. C'est une petite fille de dix ans à peine, toute menue dans son uniforme de collégienne au gros nœud papillon rouge cerise. Ses splendides yeux d'ivoire dévorent un visage émouvant d'harmonie et il y a quelque chose de flottant dans son regard, comme si elle voyait des choses invisibles aux autres. Elle ressemble tellement à Neji que Naruto s'exclame :

— C'est ta cousine ?

— N… Non, c'est ma petite sœur, Hanabi, rectifie Hinata sans trop savoir comment interpréter la confusion. Hanabi, je te présente Naruto…

La petite s'avance pour s'incliner sans maladresse, visiblement entraînée à se comporter impeccablement en toutes circonstances. Sa formalité gêne un peu Naruto, alors il agite la main avec un grand sourire.

— Salut la mioche !

Sans attendre de réaction, il la rejoint à grands pas et jette un œil dans la pièce que Hanabi vient de quitter :

— Ouah, c'est gigantesque ici ! C'est votre salon ?

— Non, c'est la salle de musique…

Impressionné, Naruto entre sans demander la permission et tourne la tête dans toutes les directions. C'est immense, comme le reste, sobre, comme le reste, d'une élégance oubliée, comme le reste. D'immenses fenêtres ouvrent le mur du fond sur toute sa longueur et le soleil tombe directement sur le parquet poli. Il y a un magnifique piano à queue noir sur la droite, une marque allemande sans doute, puis un unique pupitre planté au milieu de l'espace comme un arbre solitaire dans un champ d'herbe rase. Et juste à côté, posé en équilibre sur une chaise, un petit Stradivarius verni à la térébenthine de Venise et au santal.

— C'est le tien ? demande Naruto en se retournant vers Hanabi, restée en retrait près de la porte.

Elle fait "oui" de la tête, et ses cheveux cascadent devant ses yeux dans le mouvement. Naruto siffle encore :

— Décidément, tout le monde fait du violon ici.

— C'est… Une tradition familiale, explique Hinata.

Naruto se souvient seulement à cet instant que ben oui, c'est vrai, les Hyûga jouent effectivement tous du violon. Il entend encore les remarques extasiées de son père lorsqu'il était allé écouter la mère de Hinata à l'Auditorium, un ou deux ans plus tôt. Où est-ce qu'elle en est dans sa tournée, maintenant ? Russie ? Italie ? Naruto se dit soudain que c'était sans doute pas si facile pour Hinata de lâcher son violon pour la guitare électrique. Il comprend mieux pourquoi elle tenait tant à garder le secret.

— J'peux essayer ? fait-il en tendant la main vers l'instrument.

Hanabi n'a pas le temps de répondre, il a déjà saisi son violon et attrapé l'archet. Sa posture est tellement mauvaise que Hinata se met à rire et vient à sa rescousse :

— Non, attends, les doigts comme ça, le bras plus bas…

— Ah ouais !

Il pose l'archet sur les cordes et le miaulement infâme qui en sort arrache une grimace amusée à Hanabi. Elle s'extrait alors de sa timidité pour rejoindre sa sœur qui rigole vraiment maintenant et prend le poignet de Naruto.

— Tu dois être plus souple, n'appuie pas autant…

Naruto recommence, s'acharne, puis les premières notes de Seven Nation Army commencent enfin à se faire reconnaître. C'est tellement inattendu d'entendre autre chose que du classique quand cette salle de musique que les deux sœurs s'amusent de plus belle. Naruto enchaîne avec une version désastreuse de Sunday Bloody Sunday et c'est l'euphorie, une euphorie comme on n'en a jamais entendue dans cette baraque.

*


Hinata rigole beaucoup moins le lendemain matin, quand elle tombe sur son père en partant pour le lycée. Il n'a pas l'air commode, ce matin, papa Hyûga, et pendant un instant, Hinata a la trouille qu'il soit au courant pour le passage de Naruto la veille, ou pire, pour sa…

— Ton professeur m'a dit que tu ne venais plus à ses leçons, jette Hiashi d'un ton glacial. As-tu une explication ?

Oh. Elle avait complètement oublié ses cours de violon. Mais bon, ça va faire deux mois qu'elle les sèche, son père aurait pu le remarquer plus tôt. C'est bien la preuve qu'il n'en a vraiment plus rien à cirer de sa vie…

— Je… Je… bafouille Hinata en cherchant une excuse. J'ai décidé d'arrêter les cours particuliers.

L'information fait lever un sourcil sévère à Hiashi. Déjà qu'il n'a pas l'air sympa à la base…

— Pardon ?

— Oui, je répète au lycée maintenant, embraye Hinata qui se sent soudain gagnée par l'inspiration. Asuma nous a prêté son studio, il me donne des… Des conseils, et…

— Le professeur Sarutobi fait du saxophone, il me semble, pas du violon, coupe Hiashi. Et ce n'est pas à toi de décider d'interrompre les leçons que je paye depuis des années.

— Mais… Mais justement, je n'y arrive pas de toute façon, alors à quoi bon des leçons ? se désespère Hinata.

La remarque met Hiashi en colère. Il se dresse de toute sa stature, Hinata est pétrifiée.

— A quoi bon des leçons ? répète-t-il d'une voix puissante. Tu es la seule de cette famille à ne pas savoir jouer et tu te poses la question ? Même Hanabi est plus douée que toi et elle a six ans de moins !

— Alors donnez-lui mon professeur ! s'exclame Hinata en sentant sa gorge se serrer. Ça ne sert plus à rien pour moi, plus à rien ! Laissez-moi me débrouiller toute seule !

— Tu n'as jamais rien accomplie seule, Hinata, lui rappelle Hiashi.

La douche froide est dure à supporter de si bon matin. Hinata pense de toutes ses forces que c'est faux, qu'elle a une guitare électrique qui l'attend au lycée et que c'est ça, son instrument, mais savoir qu'elle déçoit son père lui plombe le moral.

— J'arrête le violon, affirme-t-elle cependant en retenant ses larmes. Je suis désolée, mais j'arrête.

Le regard de Hiashi est plus dur que du marbre. Hinata aimerait bien s'excuser encore, répéter qu'elle est vraiment, vraiment désolée de ne pas être digne de sa propre famille, mais si elle ouvre la bouche, elle va se mettre à pleurer à coup sûr.

— Lâche et incapable, voilà qui fait beaucoup pour une seule personne, laisse finalement tomber Hiashi.

Et voilà, les larmes vont sortir. Non, retiens-toi encore un peu, Hinata. Juste un peu. Tu pleureras dehors, quand tu seras toute seule, quand tu n'auras plus ce père en face de toi qui te projette ta honte au visage. Hinata murmure un dernier : "Je suis désolée" et s'enfuie en se cachant le visage. Hiashi a juste le temps de lancer l'ultime flèche dans son dos :

— Et je te laisse l'annoncer à ta mère, bien sûr.

*


Sasuke entre dans le studio de Kurenai, une grande pièce complètement vide – c'était une ancienne salle de cours – et salue sa prof avec réserve. Il sait qu'ils vont parler de la dernière répète des Hawks et il n'a pas trop envie d'entendre ce qu'elle a à en dire.

— Bon, Sasuke, soyons honnêtes : tu t'es lamentablement planté sur The Unforgiven, entame Kurenai sitôt ses fesses posées sur une chaise en face d'elle. Oh, bien sûr, le refrain mezzo, c'était parfait, très beau, très calé. Mais le reste, Sasuke, le reste…

Kurenai soupire et regarde son élève qui garde obstinément la tête baissée sans un mot. L'entretient commence fort, mais il n'y a pas de place pour l'indulgence dans l'apprentissage de la musique.

— Qu'est-ce qui bloque, Sasuke ? Pourquoi tu n'arrives pas à tout laisser sortir ?

— Je ne sais pas.

— Ces cours ne servent à rien tant que tu ne sauras pas.

— Je sais.

Nouveau soupir.

— Tu es déjà un excellent guitariste, Sasuke, tu n'es pas obligé de chanter. Tu n'es peut-être tout simplement pas fait pour ça.

Sasuke sursaute enfin. Pas fait pour ça ? Mais c'est tout ce qui l'intéresse ! La guitare et le chant, pour lui, c'est indissociable ! Comment pourrait-il prétendre faire de la musique sans être capable de la produire d'abord avec son propre corps ?

Ses poings se serrent, quelque chose gonfle dans sa poitrine. Est-ce qu'elle le pense, Kurenai ? Est-ce qu'elle pense vraiment qu'il n'y arrivera jamais ? Une montée brûlante de défiance grimpe alors en lui et il s'exclame :

— Mais je veux chanter !

— Alors prouves-le moi !

Kurenai a répondu du tac au tac, un ton plus fort que lui. Elle attendait qu'il réagisse, c'est évident. Il est tombé dans le panneau à pieds joints.

— Prouves-le moi, Sasuke ! répète-t-elle en criant presque. Parce que jusqu'à présent, je n'ai jamais eu l'impression que tu le veuilles suffisamment pour dépasser les limites de ta contenance. Le chant doit venir de toi, du plus profond de toi, car ta voix est l'expression directe de ce que tu es ! Comment veux-tu arriver à la faire sortir si tu as peur de toi-même ? Ne crois pas pouvoir te cacher quoi que ce soit dans cette discipline, car elle est intransigeante. Tu n'arriveras pas à chanter avec ta gorge sans chanter avec ta tête. Tu comprends ça ?

Sasuke se mord la lèvre, ballotté entre la confusion et la colère. Il a l'air si piteux comme ça, si jeune au fond, que Kurenai se calme. Ce n'est qu'un gosse, après tout. Un gosse dont l'incroyable talent finit par le dévorer jusqu'au cœur.

Elle revient vers lui et reprend plus doucement :

— Tout ça s'apprend, c'est parfois le travail d'une vie. Si tu le veux vraiment, on peut essayer. On va changer de méthode, avancer par objectifs, et on ne passera pas au suivant avant d'avoir atteint le précédent. Est-ce qu'il y a un morceau sur lequel tu aimerais travailler ?

Sasuke la regarde comme si elle n'est pas vraiment là. Il est un peu ailleurs, un peu en lui. Puis ses lèvres s'entrouvrent et le titre sort d'une voix si basse qu'elle n'est plus qu'un murmure fragile :

House of the Rising Sun. La version de Frijid Pink.

C'est un morceau brutal, peu subtil en comparaison du répertoire habituel des Hawks, mais Kurenai ne relève pas. Elle devine que ce combat dans lequel s'engage Sasuke avec elle aujourd'hui ne concerne personne d'autre que lui-même.

— Très bien, je ramènerais les partitions transposées la prochaine fois. En attendant, tu vas poursuivre les exercices que je t'ai montrés la semaine dernière et on verra ce qu'on peut faire jeudi…

Sasuke hoche la tête sans un mot, toujours un peu penaud, et ramasse son sac. Il se retourne cependant avant de sortir et demande :

— Professeur ? Est-ce que vous le pensiez, quand vous disiez que je n'étais peut-être pas fait pour chanter ?

Kurenai relève les yeux : elle a déjà commencé à ranger ses papiers. Son regard dérape sur l'océan d'encre qui la fixe et elle incline légèrement la tête sur le côté, ses boucles s'étalant souplement sur son épaule.

— Non, répond-t-elle alors avec gravité. Tu chanteras, Sasuke, et j'attends ce jour avec impatience.

La boule se détend un peu dans la poitrine de Sasuke. Il hoche la tête et se détourne en laissant échapper un simple :

— Merci.

*


La journée n'a été qu'une succession de trucs relous. Hinata a passé ses cours à essayer de trouver la formulation magique qui lui permettrait d'expliquer à sa mère pourquoi elle renonce à l'héritage de quatre générations, mais rien n'est venu et elle est passablement découragée lorsqu'elle s'engage dans les escaliers pour rejoindre le studio d'Asuma.

Peut-être qu'elle devrait dire la vérité, tout simplement. Peut-être qu'elle devrait lui montrer sa guitare, lui présenter Naruto et Tenten, lui détailler leur plan d'attaque et lui rappeler ce que c'est que la compétition de l'Auditorium. Après tout, elle y est passée aussi, sa mère.

Ou alors renoncer, revenir au violon ? A peine la supposition a traversé son esprit que Hinata l'éjecte d'un bon coup de pied : mais bien sûr ! Comme si elle allait revenir en arrière ! Bon, elle a encore le temps d'y penser, de toute façon sa mère ne rentre de sa tournée mondiale que dans un bon mois. Hinata entre dans le couloir en soupirant, puis se statufie de surprise : assis sur le carrelage, il y a Neji et Tenten.

Le simple fait de les voir ensemble aurait suffi à la prendre de court, mais il y a aussi ces deux mains emmêlées sur le genou de Neji qui indiquent définitivement trop de choses et elle reste plantée là, les bras ballants. La conversation qu'elle a interrompue n'avait pas l'air d'être une partie de franche rigolade, mais c'est trop tard pour les analyses : leurs doigts se séparent et un rai de vide se dessine aussitôt entre leurs épaules si proches une seconde auparavant.

— Salut, Hina, baby, lance Tenten en faisant visiblement un gros effort pour retrouver son habituel ton énergique.

Autant dire que la tentative échoue lamentablement.

— Euh, je… bafouille Hinata tout aussi brillamment.

Trop tard, Neji s'est déjà relevé. Il échange un dernier coup d'oeil avec Tenten puis repart d'un pas pesant, sans manquer l'occasion de foudroyer sa cousine d'un regard au passage. Il pousse la porte battante du couloir et le panneau se replie sur son dos, renfermant dans la foulée cet aperçu épisodique d'un tout autre cercle de vie. Car oui, la scène est bel et bien rangée dans la catégorie "terminé on n'en parle plus" : Tenten s'est déjà lancée dans le contenu de leur répète et la fermeté de son ton signifie bien qu'elle ne veut entendre rien d'autre.

— … Peut-être aussi reprendre ce morceau de Link Wray, c'est décidément un super moyen de te faire bosser tes solos… Et y'à encore Kiss qu'il faut qu'on revoie…

Hinata hésite à accepter de faire comme si elle n'avait rien vu, Tenten n'a définitivement pas l'air dans son assiette. Mais la batteuse plante soudain ses yeux dans les siens comme pour la mettre au défi de ne pas jouer le jeu et Hinata abdique, parce qu'elle est gentille, empathique et qu'elle a toujours su respecter les armures des autres :

— Oui, Link Wray, c'est une bonne idée. Et puisqu'on est dessus, on pourrait aussi reprendre l'intro de The Joker

— Ah ouais…

Elles sont encore en train de s'installer dans le studio quand Naruto débarque. Il aperçoit Tenten est gueule aussitôt :

— T'étais où, putain ? On te cherche depuis hier !

— Ça va, lâche-moi les basques, se défend Tenten. J'te demande pas c'que fait ta grand-mère à l'heure du thé.

— Ouais, mais ma grand-mère, elle joue pas dans mon groupe !

— J'ai une vie à côté, j'te signale !

— T'aurais au moins pu prévenir que tu répèterais pas avec nous !

— C'est ça, et j'te demande la permission quand j'veux aller pisser aussi ?!

Les joues de Hinata se gonflent d'air. Elle commence à en avoir un peu marre de leurs disputes à deux balles. Dans un sens, c'est assez marrant de voir que Naruto et Tenten peuvent s'entendre comme deux larrons en foire et la seconde d'après s'engueuler comme du poisson pourri, parce que ça prouve bien qu'ils sont devenus proches, tous les deux, bien plus proches que Hinata qui se sent un peu décalée. Elle est moins fun, elle, elle est moins cool. Elle a moins de raisons qu'eux d'être leur amie.

Mais bon, c'est pas le moment de se lamenter, son groupe braille alors qu'ils ont encore du boulot et soudain, elle claque des mains et s'entend lancer plus fort qu'eux :

— Dites donc, les filles, quand vous aurez fini de vous crêper le chignon, on pourra peut-être penser à commencer la répète ?

C'est pas une réplique à la Hinata, ça. C'est une réplique à la Tenten, à la Naruto, à la Sasuke, à la n'importe qui mais pas à la Hinata. Naruto et Tenten sont tellement ébahis qu'ils se taisent et Hinata se dit qu'elle est décidément plus influençable que ce qu'elle imaginait pour en venir à copier la façon de parler des autres.

— Ouais, t'as raison, on enchaîne, approuve Naruto en sortant sa basse de son étui.

*


Un étage plus haut, les Hawks aussi sont en répète. Ils sont encore dans Metallica, mais faut croire que ça piétine un peu parce que c'est Shikamaru lui-même qui interrompt le morceau pour couper court au carnage.

— On se réveille ! lance-t-il en agitant les mains. C'est quoi cette merde ?

— Ouais, ben viens jouer à notre place un coup, tu comprendras, réplique furieusement Kiba.

— J'vous rappelle que c'est ce morceau qu'on est censés présenter vendredi !

— J'en peux plus de Metallica !

— Okay, tout le monde inspire profondément, ordonne Ino.

Elle chante en duo avec Kiba pour ce coup, et sa présence qui d'ordinaire aide à alléger l'ambiance est sérieusement emmerdante aujourd'hui. Elle a raison pourtant, il faut se calmer et se concentrer, mais les garçons sont de mauvais poil et ça, personne peut rien y faire. Shikamaru se tourne vers Neji qui regarde par la fenêtre, son violon en carbone encore calé contre son menton :

— Neji ? Tu crois pas qu'on s'est calés trop haut ?

— Mh.

Quand Neji pense à autre chose, il est difficile d'extraire de lui beaucoup plus qu'une onomatopée parfaitement neutre. C'est déjà la croix la bannière pour obtenir son attention, alors une phrase entière… Shikamaru inspire profondément, échange un regard avec Ino, jette un œil à Sasuke qui fait la gueule, puis reprend la partoche avec courage.

— On reprend, un demi-ton plus bas. Kiba, Lee, vous êtes prêts pour l'intro ?

Ouais, ils sont prêts. Ino se racle la gorge, se remet les paroles sous le nez et se concentre :

Where do I take this pain of mine ?
I run, but it stays right by my side

So tear me open, pour me out
There's things inside that scream and shout
And the pain still hates me
So hold me, until it sleeps…

*


Ils ne sont pas les seuls à s'entraîner jusqu'à ne plus en pouvoir. Pendant toute la semaine, le lycée résonne d'un capharnaüm hétéroclite en provenance des studios, des salles de cours et même des couloirs : ils sont des dizaines à se présenter pour les Portes Ouvertes et il faut bien trouver la place de répéter quelque part.

Comme les autres, les Scarecrows s'acharnent, enfermés à double tour dans le petit studio d'Asuma. C'est étonnant que personne n'ait encore rodé que Hinata joue de la guitare électrique vu le vacarme qui s'en échappe dès que quelqu'un ouvre la porte.

Glooong… La dernière note sonne un moment, Hinata gère de mieux en mieux la pédale de distorsion, ça commence vraiment à rendre pas mal. Les Scarecrows échangent un regard, ils sont essoufflés, puis Tenten se retourne vers l'estrade :

— Alors ?

Sai incline la tête sur le côté. Il s'est adossé au bureau professoral, les bras croisés, et les pans de son gilet gris tombent comme de la soie sur son jean noir. Toujours aussi impeccable, celui-là, toujours aussi lisse et impénétrable. Mais un léger sourire vient animer son visage de porcelaine et un éclat luit dans ses yeux d'encre.

— Ça s'écoute, dit-il.

— Ouais, mais encore ? s'impatiente Tenten qui ne l'a pas ramené jusqu'ici pour entendre ce qu'elle sait déjà.

Sai se détache du bureau et fait deux pas dans leur direction :

— Naruto, tu n'écoutes pas assez la batterie, tu te décales trop facilement. Hinata, c'est juste mais pas assez rythmé : Link Wray, ça bondit, ça ne rampe pas. Et toi, Tenten, franchement, t'as l'air de t'emmerder ferme sur tes caisses.

Le petit groupe opine sans contester, déjà à penser comment régler tout ça. Sai sourit encore et ajoute :

— Mais c'était une bonne idée de choisir ce morceau. Et je dois dire que je ne pensais pas qu'une guitariste amateur saurait le jouer comme ça.

Le compliment fait rougir Hinata, elle n'a pas l'habitude d'en recevoir. Tenten et Naruto frétillent aussi, comme s'ils étaient concernés, et c'est avec une bonne volonté toute joyeuse qu'ils écoutent Sai poursuivre :

— Vous devriez recommencer en y allant chacun votre tour. Tenten et Naruto, ne marquez que les temps et les contretemps, laissez Hinata faire sa ligne. On la refera une seconde fois en n'écoutant que Naruto, puis une troisième pour Tenten. Vous verrez mieux ce que vous avez à faire…

— Ouais, bonne idée, approuve direct Naruto en recalant sa gratte sous son coude. Vous êtes prêts ?

Les deux filles acquiescent sans lui faire remarquer qu'il a décidément pris l'habitude de parler d'elles au masculin. Comme c'est pas vraiment un problème pour l'instant, elles laissent couler et se concentrent : c'est parti pour le nouvel essai, trois, quatre…

Les doigts de Hinata pianotent sur ses cordes et Sai sourit. Ils sont marrants, tous les trois, à faire de leur mieux pour s'en sortir alors qu'ils viennent de nulle part. Peut-être qu'il aurait dû accepter la proposition de Tenten, finalement. Mais il a vraiment autre chose à faire, alors il chasse sa nostalgie d'un mouvement d'épaule et quitte le studio en saluant le petit groupe de la main. Hinata, Naruto et Tenten restent encore un long moment avant de s'interrompre, à bout de souffle. Link Wray leur sort par les oreilles.

— Allez, on se défoule un coup sinon on va péter un câble ! déclare alors Naruto. Vous voulez jouer quoi ?

— Euh… Tirons au sort, propose Hinata.

Tenten se renfrogne sur ses caisses, elle est pas d'humeur. Ils feraient mieux de refaire leur morceau encore une fois plutôt que de déconner, vendredi c'est demain… Mais c'est plus vraiment elle qui commande maintenant, c'est Naruto et il a déjà empoigné la liasse de partitions qu'elle avait fourrée dans son sac.

— Am stram gram… Celle-ci, déclare Naruto en extrayant au hasard une feuille du fouillis. Oh tiens, j'savais pas que t'écoutais ce genre de truc, Tenten…

Hinata vient se pencher par-dessus son épaule pour lire la partition et s'étonne aussi, mais Tenten maugrée de plus belle. On peut bien aimer la daube de temps en temps ! Naruto déchiffre la ligne de basse en gratouillant son instrument, Hinata chantonne pour être sûre de la mélodie puis ils se regardent en battant la mesure avant de commencer.

Ça part bien, en même temps la partition n'est pas très compliquée, et tout de suite ils accélèrent pour venir se caler à la vitesse de croisière. La guitare et la basse s'accordent parfaitement, ça les fait rire et ils redoublent d'enthousiasme :

I'm gonna break your heart an get away with murder !
You should have known from the start that it wouldn't last forever
I cant control myself, I feel like someone else
I'm gonna break your heart and get away with murder !

Même Hinata chante, c'est vrai que ça défoule. Tenten remarque avec un temps de retard que sa main a déjà commencé à agiter ses baguettes, alors elle rejette sa mauvaise humeur dans un coin, rapproche son tabouret et rrrlam elle se jette dans la bataille à son tour.

— I'm gonna break your heart an get away with murder !

— Hey ! Hey ! Hey !

— You should have known from the start that it wouldn't last forever !

Badavlam, ils sautent sur place, en font des tonnes, jouent dix fois trop fort et gueulent encore plus en secouant leurs cheveux. Ça fait du bien de hurler, bon sang…

*


Kakashi lève les yeux de son bouquin, jette un œil à la neige qui dégringole dehors, sonde la classe du regard et demande à nouveau :

— Alors ? En quoi ce texte évoque l'apartheid aux Etats-Unis ?

Silence. Ses élèves sont à dix mille lieues de l'anglais, pas la peine d'être une flèche pour s'en rendre compte. La répétition générale pour les Portes Ouvertes est dans moins de vingt minutes et c'est évident qu'ils n'ont plus que ça en tête. Naruto trépigne derrière son bureau, Hinata se bouffe les doigts, Sasuke pianote sur son cahier et même Lee se trémousse. Non, pas la peine d'insister, décrète Kakashi en refermant son livre d'un coup sec.

— Allez, tout le monde dehors, lance-t-il.

Les têtes se relèvent, les regards volent, les élèves ne sont pas sûrs d'avoir bien comprit, alors Kakashi ajoute :

— Vous avez intérêt à assurer.

C'est le sursaut général : tout le monde bondit sur ses pieds, enfourne ses bouquins dans son sac et se jette vers la sortie en empoignant ses instruments au passage. Naruto frappe le chambranle de la porte pour presser Hinata et lui attrape le bras dès qu'elle sort enfin :

— Vite, faut aller chercher ta guitare !

Ils décollent et remontent le couloir à contre-courant tant bien que mal ; les élèves sont surexcités, c'est le grand bordel. Le souk redouble quand la sonnerie libère les autres classes et Naruto et Hinata interceptent Tenten en passant à l'étage des troisièmes années. Elle est aussi nerveuse que les autres.

— On se magne, on se magne ! gueule-t-elle en enfilant sa veste à l'envers.

Ils piquent un sprint pour atteindre le studio d'Asuma, défoncent les portes du placard, récupèrent la guitare violette et repartent aussitôt dans les étages. Lorsqu'ils arrivent dans la salle de musique, l'endroit est déjà bondé et ils peinent à se glisser contre le mur du fond. Tout le monde parle en même temps, les instruments s'accordent avec fracas, le brouhaha général s'accentue encore quand quelqu'un fait tomber une chaise puis Asuma, Shizune et Kurenai relèvent la tête de leurs calepins et gueulent un bon coup pour faire venir le calme.

— Premier groupe, c'est parti !

Personne n'ose y aller en premier, il faut qu'Asuma désigne quelqu'un au hasard pour que la répète commence enfin. Puis les groupes défilent les uns après les autres, au gré des applaudissements et des éclats de rire : il y a de tout dans ce genre de brainstorming, depuis le duo de classicos au quatuor de hip-hop. Les profs notent tout ce qui passe, froncent le nez parfois, soupirent devant l'étendue du boulot à faire encore, puis allez allez, au suivant, on enchaîne ! Et c'est au tour des Scarecrows.

Naruto et Tenten bondissent sur leurs pieds, tirent Hinata chacun par un bras pour la décoller du mur et s'avancent dans l'espace dégagé entre les rangées de chaises occupées. L'assemblée est si dissipée que personne ne leur fait vraiment attention, Hinata en profite pour s'installer rapidos et personne ne voit venir le début du morceau.

Il explose pourtant, dès les premières notes. C'est Hinata qui commence, elle tremble tellement qu'elle n'ose pas relever la tête et reste penchée sur sa guitare, mais bientôt elle entend la vague d'exclamation qui secoue les spectateurs et c'est la même incrédulité qui jaillit de toutes les bouches :

— Attends, c'est une guitare électrique ?!

Heureusement, Naruto et Tenten la rejoignent très vite et elle se sent moins seule, moins exposée. Son cœur bat à toute allure, elle s'étonne de ne pas s'être déjà plantée dans sa tablature. Les rires fourmillent, les corps s'agitent, Shizune s'est étouffée avec sa gorgée de café et la chaise de Neji a fait un grand bruit lorsqu'il a soudain cessé de se balancer pour se rétablir sur ses quatre pieds. Quelqu'un lance tout haut un "Putain !" parfaitement audible, mais quand Hinata se risque à lever les yeux, c'est le sourire de Naruto qu'elle rencontre et sa terreur se dissipe lentement dans l'azur.

Ils ont répété ce morceau des milliers de fois, ils peuvent le faire, elle le sait. Ils s'écoutent comme ils ne se sont encore jamais écoutés, Tenten est si concentrée qu'elle fronce les sourcils comme pas possible, Naruto tire la langue, puis ils arrivent à la fin de la première mesure et constater qu'ils sont arrivés jusque-là sans emmerde les détend soudain. Ils se redressent, se regardent avec triomphe sans cesser de jouer et tout est plus dynamique.

Le reste du morceau se déroule comme un rouleau de soie, évident et harmonieux, et ils arrivent à la dernière mesure comme s'ils glissaient sur une pente douce. Les gens se sont tus après l'instant de surprise et c'est un grand silence qui remplace la musique. Hinata voit tous les regards posés sur eux et son angoisse revient l'étouffer, puis Naruto lance :

— Ta dam !

Aussitôt, les murmures et les exclamations fleurissent sur toute la surface de la salle comme si c'était le signal qu'attendaient les autres pour se remettre à parler. Hinata a trop chaud et la brusque montée de stress l'empêche de comprendre si les réactions sont positives ou négatives, alors elle se retourne d'un air un peu perdu vers Tenten qui lui envoie un clin d'œil. Entre ses mains frémissante, sa guitare violette scintille comme jamais.

Plus personne ne rigole chez les Hawks. Ils commencent à deviner que la partie n'est pas tellement gagnée d'avance. Bien sûr, le niveau des Scarecrows est encore loin du leur, mais penser qu'ils ont réussi à faire ça en deux mois à peine et avec une guitariste amateur, ça en dit long sur les progrès qu'ils peuvent encore faire d'ici les Portes Ouvertes.
Ils se regardent, en silence. L'heure est grave, les mecs. Fini de jouer. Temps de s'y mettre.

— Bon, fait Asuma en se retournant vers le reste des élèves avec un grand sourire. Suivants ?

Le groupe d'après se lève, galvanisé par le coup de fouet, et les passages reprennent. Les Hawks éblouissent tout le monde avec Until it Sleeps, mais ce n'est pas une surprise et ils font une sale gueule quand ils se rassemblent au milieu de la cohue une fois la session terminée.

— Ouille ouille ouille, les mecs ! lance gaiement Lee en secouant la main.

— Tu l'as dit, fait Kiba alors qu'autour d'eux, les élèves s'éparpillent dans un joyeux vacarme et qu'Ino et Sakura émergent de la foule pour les rejoindre.

Shikamaru approuve, il n'a pas imaginé que les Scarecrows en seraient arrivés là. Neji, lui, ne décroche pas un mot mais son expression de dit rien qui vaille, puis Sasuke lâche avec colère :

— Non mais calmez-vous, Bull Dawg, c'est un morceau peinard, ils n'ont pas prit de risques…

— C'est un morceau peinard qui demande la masse de maîtrise, rectifie Lee. T'as vu le riff continu ? Et la ligne de basse ? C'est pas un truc qui se joue tout seul. Sérieusement, les gars, on les a sous-estimés et vous le savez.

— La ferme, Jiminy, lance Neji avec exaspération.

Aaah, ce surnom, ça fait des années et des années que Lee se le tape. Et pour cause : il est la conscience des Hawks, cette bestiole horripilante qui vous rentre dans la tête, ne veut jamais en sortir et qu'on aimerait bien écraser d'un coup de basket. Ce criquet crépitant qui énerve plus que tout parce qu'au fond, tout le monde sait bien qu'il a toujours raison…
C'est bien pour ça que les Hawks enfoncent leurs mains dans leurs poches en grognant sans qu'aucun d'entre eux ne contredise davantage Lee. Le batteur hausse les épaules et s'en va féliciter Tenten d'un pas bondissant. Ino le regarde s'éloigner, puis se tourne vers Sakura en croisant les bras.

— Tu sais pourquoi Lee a de gros sourcils ? Parce que sinon, il serait trop parfait pour exister. Ce type est le mec idéal, sérieux !

Sakura imagine la personnalité de Lee dans le corps de Sasuke et adhère tout de suite. Dommage que les types les plus cools soient aussi les plus ridicules. Quand elle regarde autour d'elle, les Hawks ont déjà disparus dans la foule et elle ne voit que le cercle qui s'est formé autour de Hinata :

— Une guitare électrique, sérieux, c'est quoi c'te blague ?

— Depuis quand tu joues ?

— D'où t'as arrêté le violon ?

*


Il faut un bon quart d'heure aux Scarecrows avant qu'ils puissent retourner ranger leur matos dans le studio d'Asuma. Ils sautillent, chantent à tue-tête, se bousculent comme des gamins : cette répète, c'est leur toute première victoire !

— T'aurais vu la gueule des autres ! clame Naruto en donnant une grande claque dans le dos de Hinata.

— La tronche de Shizune ! renchérit Tenten en s'y mettant à son tour. Elle a failli bouffer son gobelet !

— C'était énorme !

Hinata rit, elle se sent étonnamment bien. Ils ont réussi là où tout le monde les attendait au tournant et ça lui procure un étourdissant sentiment d'invincibilité. Elle se dit que son père a tord, qu'elle a véritablement accompli quelque chose et que ça ne fait que commencer ! Son état d'euphorie est tel qu'elle n'arrive même pas à s'inquiéter du fait qu'il apprendra la nouvelle tôt ou tard maintenant que le lycée entier est au courant. Elle pensera à son argumentaire plus tard, pour l'instant elle traverse le lycée en direction de la sortie avec son groupe et l'ambiance est à la fête.

Ça se refroidit d'un coup quand ils émergent dans la cour couverte de neige et qu'ils tombent nez à nez avec Neji. L'allégresse de Hinata s'envole d'un coup, Neji ressemble tellement à son père que ça l'a toujours déstabilisée, et il a la même sévérité dans le regard lorsqu'il lui lance :

— Qu'est-ce que c'est que ce délire ?

— Euh… C'est…

Naruto et Tenten seraient bien intervenus, mais dans le fond, ils savent que si ce n'est pas Hinata elle-même qui parvient à tenir tête à cet enfoiré, il ne lui fichera jamais la paix. Alors ils restent en retrait et Hinata se dépatouille comme elle peut avec ses mots et sa guitare qui lui encombre les bras :

— C'est mon nouvel instrument.

— Tu es une Hyûga, rappelle Neji comme s'il avait affaire à une attardée.

— Et ? se vexe Hinata. Le violon n'est pas inscrit dans nos gènes, quoi qu'on en dise !

C'est ce qu'elle aurait dû répondre à son père l'autre matin, mais c'est bien connu, les mots ne viennent jamais quand on a besoin d'eux. Comme il en faut plus à Neji pour qu'il lui foute la paix et qu'il a toujours eu le chic de mettre le doigt sur les points sensibles, il réplique :

— Tes parents sont au courant ?

Hinata rougit sans trouver quoi répondre. De toute façon, Neji la connaît parfaitement, la réponse. Si les Hyûga savaient que Hinata avait abandonné le violon pour la guitare électrique, ça se serait entendu dans la résidence et même au-delà.

— Tu es ridicule, lâche-t-il alors. Cette guitare, ce n'est qu'un engouement passager, tu ne pourras jamais rien en faire.

— Ce… Ce n'est pas à toi d'en juger, Neji !

— A qui alors ?

La question perturbe Hinata. Effectivement, qui peut juger du bien fondé de sa démarche ? Son père ? Ses professeurs ? Elle-même ? Elle n'en sait rien et se mord furieusement la lèvre en se maudissant de son manque de répartie. Neji lui a déjà tourné le dos, il s'éloigne sans un regard à travers la cour enneigée et elle ravale difficilement sa vexation. Pourquoi est-ce qu'il remporte toujours les duels verbaux, celui-là ?

Hinata est si contrariée qu'elle sursaute quand Naruto lui tapote soudain l'épaule :

— Vas-y, dégomme-le ! fait-il en lui tendant une boule de neige.

Hinata le regarde un instant, prise par surprise – décidément, tout ce que fait Naruto la prend par surprise – puis les dernières répliques de la dispute résonnent dans son esprit et elle s'empare de la boule de neige avec fougue.

— Hé, Neji !

Il s'est à peine retourné qu'il se prend le projectile en pleine poire. Hinata n'en revient pas : elle a osé ! Elle l'a touché ! Neji aussi a du mal à admettre ce qu'il vient de se passer et il reste planté là, incrédule, de la neige plein le col. Puis le rire de Tenten électrifie l'air et c'est la décharge : il se baisse vivement pour ramasser une poignée de neige.

— Très bien, tu veux qu'on la joue comme ça ?

Oh là là, panique Hinata en plongeant elle aussi les mains dans la neige. Mais elle n'a pas le temps de recharger ses munitions : elle est heurtée à bout portant et s'effondre lamentablement sur le sol. Avec un long cri de guerre, Naruto et Tenten se lancent alors dans la bataille, puis c'est Lee et Kiba qui viennent défendre leur ami et bientôt le bombardement martèle toute la surface de la cour.

— Hinata, couvre-moi ! supplie Tenten en venant se jeter derrière elle pour refaire une boule.

— Sasuke, viens nous aider, merde !

Sasuke renifle avec dédain sans sortir les mains de ses poches bien chaudes : il en faut plus que ça pour qu'il s'abaisse à… Puis plaf, c'était prévisible, Naruto l'a eu dans le mille.

— Ha ha, bouffe ça !

— Putain !

Lorsque Asuma et Kurenai sortent dans la cour, la lutte fait rage avec tant de fougue qu'ils s'arrêtent d'un même ensemble. Des dizaines d'élèves se sont allègrement joints au face-à-face des deux groupes et c'est un véritable champ de bataille sanguinaire qu'ils ont sous les yeux.

— Les jeunes, s'émerveille Asuma.

— Un peu de neige et ils ont de nouveau cinq ans, approuve Kurenai sur le même ton.

Ils admirent le spectacle quelques instants encore, puis Asuma lève son étui à trompette juste à temps pour parer un projectile. Il avise alors Hinata et Tenten faire bloc contre Sasuke pour permettre la fuite de Naruto, terré derrière un arbre, et met ses mains en porte-voix pour gueuler :

— HA HA, c'est ça ! Allez-y les Scarecrows, vous êtes les meilleurs !

Kurenai est outrée : c'est quoi ce favoritisme ? Depuis quand les professeurs prennent parti ? Et puis d'abord, les meilleurs, c'est les Hawks ! Hop, ni une ni deux, elle attrape une poignée de neige et la fourre dans le col de son collègue qui fait un bond. On est d'accord, c'est pas classe d'attaquer par derrière, mais en même temps vous avez vu la taille de ce type ?

— Trahison ! beugle Asuma en gigotant pour échapper au froid qui lui coule entre les omoplates.

— Au secours ! clame Kurenai en détalant ventre à terre pour se jeter dans la mêlée.

— Hey, les Hawks ! Dippermouth s'en est pris à notre prof adorée !

— On va lui faire sa peau !

— Bas les pattes ! s'interposent les Scarecrows.

Et la bataille redouble d'énergie.

Tsunade sursaute si fort lorsqu'un choc ébranle sa vitre qu'elle massacre la dernière ligne de sa lettre d'une belle traînée bleue. La série de jurons qui suivent font rappliquer Shizune à toute allure, mais la noble et distinguée directrice est déjà occupée à se jeter sur sa fenêtre pour l'ouvrir à la volée :

— Qui est le sale bâtard qui a…

Sa phrase s'interrompt en pleine course : sous ses yeux, c'est la guerre. La neige vole dans tous les sens, les élèves courent en hurlant, les rires et les bruits d'impacts couvrent le tout d'une belle cacophonie discordante et elle croit même reconnaître Asuma et Kurenai dans le tas. C'est la première fois que Tsunade voit tous ses élèves occupés à faire la même chose au même moment et cette réunification inattendue la laisse bouche bée. Comme quoi, la neige a vraiment quelque chose de magique.

Shizune vient se pencher à la fenêtre à côté d'elle et ouvre grand la bouche. Une boule de neige vient s'écraser sur l'allège, puis une autre passe entre leurs deux têtes et va percuter le portrait du vénérable Hashirama Senju, fondateur du lycée, accroché au mur d'en face. Désolée, grand-père, s'excuse placidement Tsunade avant de revenir s'accouder sur le rebord de pierre.

— Cette école a gagné en vivacité ces derniers temps, non ? note-elle à l'intention de sa secrétaire.

— Vous n'allez pas les arrêter ? s'éberlue Shizune.

— Oh, pas tout de suite, décide Tsunade en retournant s'installer à son bureau.

*


L'arrivée de Tenten s'annonce à travers sa voix pétillante qui résonne dans le couloir. Elle chante, comme souvent, et les paroles se font de plus en plus audibles au fur et à mesure qu'elle approche du studio :

… Oh, but if you want to have a go
I just want to let you knooow !

La porte claque contre le mur lorsqu'elle fait irruption en braillant avec plus d'enthousiasme que jamais :

Yeah ! Get off of my back ! And into my game ! Get out of my way, and outta my brain !

Get out of my face or give it your best shot, I think it's time you better face the fact ! enchaîne Naruto en fracassant les timbales avec un crayon.

Les deux musiciens se collent l'un contre l'autre pour poursuivre à pleins poumons :

Get OFF of my back !

Hinata est aux anges. Elle remue sur le tempo sans même s'en rendre compte, trop heureuse de retrouver cette énergie spontanée qui anime si bien leur petit groupe dès qu'il baigne dans un bon morceau de rock, et ses mains claquent joyeusement. Puis Tenten saute derrière ses caisses, dégaine ses baguettes et lance dans la foulée :

— Alors, on bosse quoi aujourd'hui ?

— Hina, tu connais ce morceau ?

— Non, mais dans le même genre, j'ai les partitions de Get off of my cloud des Rollings Stones…

— Yeah !

Tenten frétille déjà, ses baguettes trépidant sur les timbales avec impatience, et la basse de Naruto bondit toute seule de son étui pour venir se mettre en place sous ses doigts. Retenant un frisson d'hilarité hystérique, Hinata plonge sur sa guitare et met l'ampli en marche d'un coup de talon. Ils ne connaissent pas les paroles par cœur, mais s'en foutent et sortent du da-da-dum jusqu'au refrain qu'ils entonnent en chœur :

I said, hey ! You ! Get off of my cloud !
Hey ! You ! Get off of my cloud !
Hey ! You ! Get off of my cloud !
Don't hang around cause two's a crowd
On my cloud, baby !

Et ça gueule, et ça saute, et ça danse, et dans le couloir Shikamaru et Neji font marche arrière pour revenir jeter un œil intrigué dans le petit studio. Ils les écoutent un moment sans trop savoir quoi penser. Neji se dit qu'il s'agit là plus d'un gros délire que d'un entraînement, que la musique, c'est pas juste déconner avec des potes, que… Que c'est quand même sympa de les voir s'éclater autant sur un morceau qu'ils ne connaissent qu'à moitié. Shikamaru, lui, observe tout haut :

— Tu sais, je pense qu'ils ont compris un truc que nous, on n'a pas compris.




Chapitres: 1 2 3 [ 4 ] 5 6 7 8 9 10 11 12 13 Chapitre Suivante »



Veuillez vous identifier ou vous inscrire:
Pseudo: Mot de Passe: