Fiction: Six Cordes Métalliques (terminée)

Dans le lycée d'Hinata, la gloire suprême, c'est d'être sélectionné pour participer au grand concours de musique de fin d'année. C'est pour ça que quand Naruto relève aussitôt le défi qu'on lui balance au visage, Hinata marche aussi : monter un groupe et écraser le boy's band de Sasuke aux Portes Ouvertes ? Easy !
Humour / Romance | Mots: 113352 | Comments: 74 | Favs: 33
Version imprimable
Aller au
NeN (Masculin), le 24/05/2014
Nightwish – Nemo
Starsailor – Faith Hope Love
Iggy Pop – I Wanna be your Dog
Aerosmith – Dream On




Chapitre 2: Appoggiature



Comme il n'y a malheureusement pas d'endroit pour répondre sur l'espace commentaire, je le fais succinctement ici :

hane-chan > Merci beaucoup pour tes compliments et ton enthousiasme, ça me rend trop heureuse ! J'expérimente une nouvelle forme de narration dans cette fic, bien différente de celle de Portsall, alors je suis soulagée que ça te plaise. Contente aussi que les musiques t'intéressent, n'hésite pas à me filer des idées si tu en as…

Hiun > Merci à toi aussi, j'espère que la suite sera à la hauteur !

loid09 > Ha ha, merci aussi ! Espérons que cette fic reste magnifique X)

romain71one > Aaah, le coup des bassistes comme joueurs secondaires, c'est un à priori largement répandu auquel je compte bien m'attaquer au cours de cette histoire ! C'était bien un parti pris que de coller une basse à Naruto et j'espère qu'il saura montrer au monde qu'il n'a rien à faire dans l'arrière-scène. Pour l'Akatsuki, tu ne peux pas le savoir puisque je ne les ai exploités que sur Fanfic-Fr mais soit sans crainte : ma vision d'eux est loin d'être celle d'un groupe de méchants vilains.

akira41 > Cool, j'ai un musicos dans mes lecteurs ! Je compte sur toi pour traquer les erreurs alors. Oui, le rythme d'écriture est totalement volontaire, pourvu que j'arrive à le garder tout du long ! Pour Hinata, AC/DC était dans la playlist de Naruto mais elle va vite se plonger dans un tout autre style musical qui selon moi lui colle juste parfaitement. Et j'adhère totalement à ton opinion sur le sujet… Quant à l'Akatsuki et les Sabaku, bien sûr qu'ils vont intervenir, et pas qu'un peu, hé hé hé !

Seldin > Bon ben j'ai plus qu'à prier pour que cette fic continue à être, je cite, un oasis au milieu du désert des fanfictions… Et comme indiqué ci-dessus, la Fée Bleue a écouté tes prières puisque Temari, Gaara et Kankurô débouleront bientôt !

Merci à tous pour vos encouragements ! Et bonne lecture bien sûr.



Le dentifrice mousse dans sa bouche, coule un peu le long de sa brosse à dent, glisse sous ses doigts, mais Hinata l'ignore et continue de chanter dans sa tête en frottant de plus belle. C'est le seul moyen qu'elle a trouvé pour bien se brosser les dents pendant les trois minutes règlementaires : fredonner une chanson. D'habitude, elle se contente du dernier air entendu à la radio, mais ce jour-ci c'est l'un des innombrables morceaux qu'elle a découverts dans le mp3 de Naruto qui lui vient et c'est si prenant qu'elle commence à chantonner à voix haute.

Sa bouche pleine de menthe rend l'exercice un peu compliqué et elle rit soudain en se félicitant d'être seule. Cette petite pièce attenante à sa chambre n'a de salle de bain que le nom : il s'agit plutôt d'un placard d'un mètre carré dans lequel on a installé un lavabo et une tringle à vêtements. Mais c'est chez elle, alors pour rien au monde elle ne déserterait pour rejoindre les immenses sanitaires du bout du couloir.

Fin de la chanson, Hinata rince sa bouche, glisse sa brosse à dent violette dans le verre posé sur le lavabo et se bouge un peu plus vite quand elle constate qu'elle n'est pas si en avance que ça. Son sac, son violon, son gilet, et zou on dégage ; elle achève de s'habiller en parcourant les longs couloirs de sa maison et arrive devant la salle de musique au moment où le dernier bouton de sa veste est mis en place.

La porte coulissante est entrebâillée, comme toujours, et une mélodie en profite pour s'échapper dans le couloir et repeindre les murs d'arabesques soyeuses, comme souvent. A l'intérieur, c'est son cousin, qu'elle reconnaît et qu'elle ne reconnaît pas. Comme jamais.

Lorsque Neji joue, il devient soudain infiniment plus agréable qu'à l'ordinaire. D'une manière générale, dès qu'il ferme sa grande gueule, ça va déjà mieux, mais là c'est encore autre chose : il s'illumine de l'intérieur. Hinata a presque l'impression de voir ses ailes se déployer dans son dos pour accompagner les notes qui s'envolent et qui virevoltent et qui dansent et dieu que tout est magnifique alors…

Hinata ferme les yeux, oublie qui elle est, ne pense plus à son corps, à son cœur ni à son esprit : elle se dissout dans quelque chose de plus vaste qu'elle et elle prie pour que ça ne s'arrête jamais.

Mais ça finit toujours par s'arrêter, sur une ultime vibration de l'air, et il y a alors un silence incroyable qui fait autant partie de la musique que les dernières mesures. Puis Neji abaisse son archet, Hinata rouvre les yeux et ils redeviennent de bêtes masses de chair et d'os clouées sur terre par la force de la gravité. Et là, si elle n'a pas prit soin de déguerpir avant qu'il ne tourne la tête dans sa direction, c'est la tornade assurée.

— Qu'est-ce que tu fous là ?

Sa voix claque dans l'air comme une vulgaire lanière de cuir. Le son est si grossier en comparaison aux merveilles qu'il est capable d'émettre avec un archet que même lui se crispe davantage.

— Tu n'as rien de mieux à faire que rester plantée là comme une fleur en pot ? Fous le camp ! Va t'exercer !
Et Hinata s'enfuit en se disant que des deux, c'est sans doute lui qui regrette le plus de devoir interrompre sa musique.

*


Neji peut jouer tout et n'importe quoi. C'est sans doute son plus grand talent, et sa plus grande surprise aussi.

Il joue les Quatre Saisons de Vivaldi, Skyfall d'Adèle, Comptine d'un Autre Eté de Yann Tiersen, puis la Traviata de Verdi, Numb de Linkin Park, Carmen de Bizet, Get Lucky de Daft Punk, Fade to Black de Metallica… Tous les styles, tous les genres ; pour lui il ne s'agit jamais que de musique.

Les autres adorent. Il y a toujours un groupe d'admirateurs pour venir lui réclamer une chanson entre deux cours et si les élèves se montrent suffisamment insistants, Neji sort son violon et se plie diligemment aux exigences. Il a tout vu, tout essayé, tout réinventé. Les classiques, les rocks, les électro ; Hinata l'a même entendu jouer un jour un morceau de Lady Gaga pour faire taire Ino.

Ce jour-là, c'est Sakura qui lui a extorqué Nemo de Nightwish et la mélodie éclate avec tant d'emphase depuis leur coin de parquet que la classe entière s'est interrompue dans son agitation frénétique pour se tourner vers l'origine de l'explosion. Les notes cascadent sur leurs têtes, dégringolent sur le sol, s'envolent à nouveau haut vers le ciel et le morceau se déploie ainsi dans l'espace comme un univers entier jailli du simple contact de son archet sur quelques cordes métalliques.

Hinata y est engloutie sitôt passé le seuil de la salle et comme les autres, elle perd pied. Basculée dans un monde lumineux et flamboyant, plongée dans un flot de couleurs et de volutes enivrants, emportée dans un envol féerique et fantastique. Il n'y a plus de salle, plus de lycée, plus rien de tangible : seulement et uniquement ce nouveau cosmos dans lequel tout est beau.

Puis tout s'arrête, trop vite, trop tôt. Elle entend vaguement Shikamaru observer que ça vaudrait le coup d'ajouter ce morceau à leur liste, puis Sasuke rétorquer qu'ils n'ont personne capable de chanter une chose pareille, mais elle n'y fait pas vraiment attention. Il lui faut plus de temps qu'aux autres pour remettre pied dans la réalité.

— C'est Red Moon qui joue ce genre de truc…

— Ouais, va trouver une meuf qui a autant de coffre que Konan…

— N'empêche…

Ino et Sakura écoutent sans rien dire, pour une fois. Lorsque les Hawks ont besoin d'une voix féminine, c'est à elles qu'ils font appel d'ordinaire. Mais là, Kiba a raison : elles sont loin de pouvoir soutenir la comparaison avec Tarja Turunen de la même façon que Konan.

Sasuke s'est rembruni dès que la conversation a dévié sur Red Moon. Le groupe de son frère, il l'a en travers de la gorge depuis toujours. C'est dur d'être lui parfois… Puis Naruto déboule et dissipe aussitôt ses ténèbres d'une remarque bien sentie :

— Ouais, vous avez raison, n'essayez même pas. Depuis quand vous prenez des risques ?

— Va chier, Naruto, claque Sasuke.

— T'as pas un groupe à former ? ajoute Kiba.

Alors là, aucune question n'aurait pu faire plus plaisir à Naruto. Il se redresse triomphalement, éblouit l'assistance d'un sourire lumineux et annonce :

— C'est fait !

Là, quand même, les gens s'étonnent. Sérieux, déjà ?

— Si tu parles de Hinata, j'appelle pas ça un groupe, avance Neji avec suspicion.

— Y'à pas que Hinata, réplique Naruto alors que la Hinata en question recule contre le mur. Y'à aussi Tenten !

Cette fois, c'est plus de l'étonnement, c'est de la stupéfaction. Quelques éclats de rire incrédules retentissent dans la foule, les têtes se tournent machinalement pour chercher la citée du regard – elle n'est pas encore arrivée – puis même les plus dubitatifs finissent par devenir méfiants face à l'expression victorieuse de Naruto.

— C'est vrai ? demande Shikamaru en premier.

Inexplicablement, il a posé la question à Hinata. Elle ne comprend pas pourquoi il ne fait pas confiance à Naruto et ignore encore plus par quel miracle il a noté son existence, mais il la fixe sans ciller alors elle se détache du mur pour hocher la tête.

— La traîtresse, rigole Lee.

Ça fait beaucoup moins rire les autres membres des Hawks, Neji en tête.

— Quand je pense au nombre de fois où on lui a demandé de nous rejoindre, grommelle Shikamaru. On peut décidément jamais faire confiance aux femmes.

— Ouais, finalement, un coup bas pareil m'étonne à peine de sa part, déclare Kiba. Quelle enfoirée.

— C'est de moi que tu parles, mon cœur ? lance une voix dangereuse depuis la porte.

Tout le monde se retourne : voilà, elle est arrivée, Tenten, avec ses baskets fluo et son baggy défoncé. Parfait timing. Elle se fraye un passage sans difficulté vers le quintet de garçons installé près de la fenêtre et relève le nez :

— Vous savez quoi ? P't'être bien que vous devriez vraiment commencer à vous inquiéter, les moineaux. Parce que c'est les Scarecrows qui vont gagner aux Portes Ouvertes.

C'est marrant, Naruto a dit la même chose hier et tout le monde s'en est royalement foutu. Là pourtant, ça sonne foutrement différemment. C'est à peine si on entend deux filles murmurer dans un coin.

— Heureux les simples d'esprit, finit par lâcher Neji avec dédain.

— J'vous souhaite bien du courage, renchérit Kiba en rigolant.

— Merci, mais c'est pas c'qui nous manque, réplique Tenten à qui il en faut bien plus pour se démonter. J'te rappelle que c'est de Naruto Uzumaki et de Hinata Hyûga que tu parles.

Là encore, la phrase instaure un silence inattendu. Qu'est-ce qu'elle veut dire par là, Tenten ? Personne s'est jamais posé la question. Alors tout le monde réfléchit soudain.

C'est vrai que Naruto, ça fait des années qu'il affirme vouloir être le meilleur et que la lourde succession de ses échecs n'a fait que renforcer sa détermination. C'est vrai qu'il a plus galéré que tous les membres des Hawks réunis. C'est vrai qu'il a progressé, lentement mais sûrement, pas au point de s'en sortir mais juste assez pour laisser entrapercevoir que peut-être, un jour, il y arrivera.

C'est vrai que Hinata, personne n'y fait jamais attention, pas plus les élèves que les professeurs, mais qu'elle est toujours là malgré tout. C'est vrai qu'elle a un sacré héritage à porter sur ses minuscules épaules, avec la gloire intemporelle qu'est sa mère et le succès commercial qu'est son père. C'est vrai qu'elle est toujours la dernière à quitter le lycée le soir parce qu'elle pratique au moins trois fois plus que n'importe quel élève dans cette salle.

C'est vrai qu'ils tiennent le coup, ces deux-là. C'est vrai qu'ils ont du courage. Le talent, par contre, ça reste encore à prouver…

La gorge de Hinata s'est serrée. Elle croise le regard de Naruto, aussi déboussolé qu'elle : est-ce que c'est pour ça que Tenten s'est finalement décidée à les rejoindre ? Est-ce que c'est parce qu'elle sait qu'ils y arriveront ?

L'entrée de leur professeur de solfège coupe court au silence ambiant et les élèves s'ébrouent pour se répartir le long des bureaux disposés en arc de cercle. Le flot évite Hinata comme si elle était un rocher au milieu de la mer et elle s'installe en bout de rangée sans lever les yeux, mais Naruto s'assoit sur la place vide à côté d'elle et lui envoie un grand sourire heureux. Elle se sent invincible soudain.

— Bien, commence le professeur en tirant une chaise au milieu de l'espace. Comme vous le savez, la prochaine étape est la représentation des Portes Ouvertes.

Asuma s'installe en équilibre sur le dossier de la chaise et s'appuie sur ses genoux. C'est un grand massif, carré des épaules, ténor sans tergiversation. Hinata se demande souvent comment il peut encore chanter avec les kilos de cigarettes qu'il s'enfile à longueur de journée, et encore plus comment il parvient à jouer de la trompette. C'est pourtant sa principale activité, à tel point qu'il en garde une empreinte sur les lèvres. Même qu'elle lui a valu le surnom de son artiste de référence, Louis Armstrong : Dippermouth, "bouche plongeante", tenez votre trompette autrement si vous voulez éviter pareil patronyme…

— Comme d'habitude, vous avez jusqu'en décembre pour vous inscrire. Ceux qui souhaitent participer en plus à la compétition pour l'Auditorium, le secrétaire m'a confirmé que ça fonctionnait encore par groupes cette année. On fait un premier point en novembre pour vous transmettre les détails…

— Dites, m'sieur, intervient Ino en levant la main. Pourquoi est-ce qu'ils refusent les solos à l'Audito ?

— Parce qu'ils sont cons et bouffis de frics, grogne Asuma. Ils disent que les groupes attirent plus de spectateurs. Mais on est sur le coup, vous en faites pas. Ça changera un jour.

— Un jour…

Les élèves savent bien que comme dans tous les autres domaines, l'univers de la musique n'est pas épargné par la maléfique influence de l'argent. La représentation de l'Auditorium est un sacré tremplin pour tous les artistes en herbe ; permettre à des musiciens de s'y produire en solo serait un pas immense de pris sur la toute-puissance financière des producteurs…

— Bon, allez, on s'y met maintenant, ordonne le professeur en interrompant les murmures florissants d'un claquement de mains. Quel que soit le groupe choisi pour représenter le lycée, je vous préviens qu'il est hors de question qu'on arrive derrière le Conservatoire, alors au boulot.

C'est mettre la barre un peu haut, quand même, pensent les élèves tout en déballant leurs affaires. Il y a légèrement un gouffre immense entre la pratique du Conservatoire et celle d'un simple lycée spécialisé. Mais bon, ils avaient été prévenus dès l'inscription : on vise le sommet ou on se casse vite fait.

La rivalité entre les deux établissements vient surtout de leurs directeurs, à vrai dire. Tsunade versus Orochimaru, une longue guerre que viennent annuellement alimenter Jiraya et son école de musique. Il paraît que ces trois-là sont en fait amis, mais n'importe qui les ayant déjà vus s'affronter du regard à l'Auditorium en douterait.

Hinata pense un instant à sa petite sœur, entrée au Conservatoire deux ans plus tôt. Est-ce qu'elle s'en sort ? Est-ce qu'elle est à la hauteur ? Elle, elle n'a pas su, c'est pour ça qu'on l'a fortement incitée à déguerpir pour plutôt rejoindre le lycée Senju. Sur le coup, elle l'a vécu comme une rétrograde, mais maintenant elle se dit que la légende qui veut que les élèves d'Orochimaru soient plus doués que ceux de Tsunade est complètement ridicule.

Il y a véritablement des étoiles dans ce lycée. Les Hawks en sont la preuve vivante.

Machinalement, son regard s'envole loin des mesures alignées sur le tableau pour aller se promener du côté de son cousin. C'est différent avec Neji : lui, il n'y a jamais mis les pieds, au Conservatoire. Ça ne l'empêche pas d'être la future gloire montante de la ville.

— L'appogiature permet de retarder la note qui la suit en s'incluant à sa durée générale. Il en existe deux sortes, la longue et la brève. Nous allons aujourd'hui étudier la longue à travers quelques exercices mélodiques qui vous permettront de comprendre comment l'annoter…

Asuma gribouille le tableau blanc de son feutre Velléda en se retournant à intervalles réguliers pour s'assurer qu'il ne perd pas l'un de ses petits poulains en route. Hinata fait mine d'écouter une seconde puis contemple à nouveau le beau visage de son cousin.

Peut-être que si Neji est si acide lorsqu'il ne joue pas, c'est parce qu'il sait bien que lui non plus n'a rien à faire dans ce monde-là. Peut-être aussi qu'il sait parfaitement qu'il n'est sincère que lorsqu'il a un violon dans les mains et que sa musique le révèle infiniment plus que tout ce qu'il peut dire ou faire à côté.

Peut-être qu'il a conscience qu'il se trahit lui-même à chaque fois, peut-être même qu'il sait que les autres savent. Et Hinata se demande alors : mais pourquoi ça le dérange tant qu'on le voit tel qu'il est véritablement ? Pourquoi est-ce qu'il préfère passer pour un type affreux plutôt que pour la personne magnifique qui apparaît entre deux envolées lyriques ?

— Alors, Naruto ? Quelle exécution pour cette appogiature ?

Hinata sursaute comme si c'est elle qu'on vient d'interpeller. A sa gauche, Naruto bafouille, se passe une main sur la nuque, fixe le tableau comme s'il allait lui révéler la réponse comme ça, gratos. Les sourires ironiques s'allument les uns après les autres le long des bureaux et Hinata s'apprête à lui souffler la solution – les appogiatures, elle connaît – quand soudain il lâche :

— Deux croches noires.

La déclaration est aussitôt validée par le professeur et les yeux moqueurs se rembrunissent, pris par surprise. Ben oui, il est pas si branque, votre boulet notoire, triomphe silencieusement Tenten. Ino hausse les épaules, elle s'en fout, et Sakura est trop occupée à recopier la mesure sur son cahier pour s'intéresser aux échanges de regards qui s'entrecroisent par-dessus sa tête. Rabaisser les nazes, ça l'amuse dix minutes, mais elle a quand même d'autres ambitions dans la vie.

— Bien, et maintenant, si on écrit cette mesure-là…

La leçon de solfège s'enchaîne avec celle de maths puis d'économie, et c'est comme ça jusqu'au dernier cours de la matinée. L'attention décroît toujours quand approche l'heure du déjeuner et pour une fois, Hinata non plus n'écoute pas le blablatage du professeur planté devant le tableau. C'est rare, elle est une élève assidue d'habitude. Mais là, l'invasion de la Chine par les Huns, elle en a franchement rien à battre et elle préfère de loin peaufiner sa toute première chanson.

Les paroles lui sont venues assez facilement, ça l'a surprise. Elle n'a pas trop réfléchi avant de les écrire, ça aussi c'est rare. Peut-être que c'est complètement stupide, d'ailleurs, se dit-elle en se relisant.

There's a new road

Right behind my feet

There's a new life

Right in front of my eyes


Oui, c'est stupide, admet-elle en soupirant. Mais au lieu de raturer les premières lignes, son porte-mine écrit le deuxième couplet sans lui demander son avis :

Life is fast runner

Hard to reach

Hard to get


I just have to make the first step

I just have to take the first pulse…


Elle tapote son bureau du bout de son crayon, celui où il y a la gomme comme ça ne fait pas trop de bruit. Mi, sol, do… bémol ? Silence. Mi, sol, do, fa dièse, appogiature en mi…

Oh how I wish I could

How I wish I could…


Elle griffonne encore lorsqu'elle se retrouve au self, assise comme d'habitude sur la table où personne ne vient jamais. Elle est si concentrée qu'elle fait un bond monumental quand quelqu'un se laisse brusquement tomber à côté en s'exclamant :

— Hey, Hina, baby, ça sonne bien ton truc !

Un t-shirt jaune canari, des tas de pendentifs multicolores, deux chignons ébouriffés : Tenten. Tenten qui lui arrache sa feuille à carreaux des mains et relit l'ensemble en hochant la tête en fonction des accords placardés au-dessus des syllabes.

— Ouais, sérieux, c'est cool. Tu t'es inspirée d'un truc ?

En un éclair, Hinata pense aux heures qu'elle a passées à écouter tout ce qui lui passait sous la main sur Nicovideo au lieu de dormir la veille et quelques noms émergent de la masse sans pour autant se distinguer par une influence particulière. Elle bafouille alors le premier dont elle parvient à se souvenir en entier :

— Heu… Gorillaz ?

Les sourcils en antenne de papillons disparaissent sous la frange ébouriffée : sérieux, Gorillaz ? T'as rien trouvé de mieux ? On fait du rock, baby ! M'enfin c'est pas grave, faut de tout pour faire un monde. Et là, t'es sûre que tu veux laisser le bémol ?

Naruto arrive au milieu de la recomposition et se penche sur la feuille que Tenten lui plaque aussitôt sous les yeux. Hop hop, il survole le morceau, fredonne sans s'en rendre compte puis finit par relever la tête pour demander :

— Pourquoi en anglais ?

Tiens, bonne question, semble considérer Tenten en se tournant elle aussi vers Hinata qui s'éclaircit la gorge :

— Pa… Parce qu'après tout, on doit l'arrivée du rock à l'occupation américaine. Alors ça ne sert à rien de faire semblant… Non ?

Les deux autres la regardent avec un air déconcerté, puis rigolent finalement : ouais, t'as pas tord.

— Au fait, et le local ? se souvient Tenten.

— Dans la poche, triomphe Naruto en brandissant le trousseau de clés sur lequel il a déjà ajouté une mascotte en plastique.

Tenten n'en revient pas.

— Comment vous avez géré !

— Eh ouais, qu'est-ce que tu crois ! Alors on y va ?

— Tu parles si on y va !

Clac clac, les affaires sont pliées, la table débarrassée et le petit groupe cavale en direction de leur nouveau royaume, les étuis en vrac et les sacs battant en rythme contre leurs flancs. Le studio d'Asuma est une grande pièce encombrée de bureaux et pupitres. Des placards s'alignent le long des murs, deux hautes fenêtres se dressent en face et le parquet est vernis d'un bel acajou ; il y a tout un tas de recueils de partitions sur l'une des tables et une flopée d'instruments qu'ils n'ont encore jamais vus de leur vie s'accumulent près d'un tableau monté sur trépied au milieu de l'espace.

Il y a encore quelques notes écrites sur la première feuille du bloc fixé sur le tableau, Hinata reconnaît un célèbre morceau de jazz. Ils entrent prudemment, conscients de pénétrer un sanctuaire encore largement imprégné du propriétaire légitime des lieux, et se déchargent des nombreuses pièces de la batterie de Tenten qu'ils ont transbordés de l'étage supérieur.

Tenten remonte le tout en un clin d'œil pendant que Naruto branche sa basse et que Hinata sort ses papiers. Ça y est, ils sont installés. C'était rapide pour un changement de dimension. Et la première réunion du groupe commence.

Et c'est le carnage.

*


Ils se sont engueulés sur le choix du premier morceau à travailler. Ils se sont engueulés sur les accords. Ils se sont engueulés sur l'organisation. Ils se sont engueulés sur les objectifs et les ambitions. Ils se sont engueulés sur absolument tout et n'importe quoi.

"Ils", c'est Tenten et Naruto. Hinata, elle était trop occupée à se tasser sur sa chaise d'un air effaré pour prendre part à la bataille. Ça n'a pas aidé non plus. S'ils avaient eu un troisième avis, sans doute qu'ils se seraient quittés de meilleure humeur. C'est pas si simple de former un groupe, découvre Hinata. C'est pas si simple de côtoyer les autres. Et elle, elle sert toujours autant à rien.

Ça la démoralise. Elle traîne son cafard dans le lycée tout l'après-midi en redoutant la répétition du soir même, celle que Tenten a ordonnée parce qu'elle refuse de rester sur le vide intersidéral de la réunion de midi, et elle n'a même plus le cœur de reprendre sa chanson alors qu'elle n'a sincèrement que ça à faire en cours d'anglais.

Deux bureaux plus loin, Naruto a enfoncé son menton dans sa paume et fixe le tableau d'un air renfermé. To break, broke, broken, énumère Kakashi en arpentant l'estrade. Peut-être qu'ils auraient dû s'en douter, après tout. Leurs trois personnalités ont toujours été diamétralement différentes. Naruto a toujours le regard planté vers l'avenir, difficile de le forcer à s'arrêter pour réfléchir au présent. Tenten a toujours fait seule, impossible de lui demander un peu de patience et encore moins de l'empathie. Et Hinata… C'est Hinata.

Un cafard rampant.

To sink, sank, sunk, poursuit Kakashi qui est entre-temps retourné derrière son bureau.

Hinata a une boule dans la gorge. Elle se sent inutile. Le regard de Tenten l'a brûlée tout à l'heure, quand elle a récapitulé les rôles de chacun des membres du groupe : moi à la batterie, Naruto à la basse, Hinata au… Ah non, c'est vrai, tu joues pas.

Elle ne l'a pas ajouté, mais Hinata a bien entendu ce qu'elle a retenu entre ses dents : "Alors tu sers à quoi ?" Si au moins elle avait le caractère adéquat pour canaliser les tempéraments défroqués des deux autres !

— T'es vraiment qu'un crevard ! feule quelqu'un sur sa droite.

Hinata sursaute, se tourne : c'était Sasuke. Sur le bureau voisin, Naruto lui renvoie un regard venimeux et réplique aussitôt en s'efforçant de parler à voix basse ; entre eux, bien en évidence sur le sol, le sujet de la soudaine dispute répand son encre sur le parquet. Il n'y a vraiment qu'eux pour se sauter à la gorge à cause d'une simple cartouche écrasée.

— Tu pourrais au moins t'excuser, crache Sasuke en secouant son pied piqueté d'encre.

— Oh, désolé que ta basket de minet anorexique ait été dans le passage !

— Tu veux voir où elle va aller, ma basket d'anorexique, gros con ?

— Comme si t'en avais les couilles !

Le ton monte, de moins en moins discret, de plus en plus agressif. Et les insultes fusent d'une table à l'autre : sac à merde ! Bouseux ! Bouffon ! Péteux ! Raclure ! Ils finissent par crier à moitié, les joues rouges de colère et prêts à se lever pour en venir aux mains. Pétrifiée derrière son pupitre, Hinata regarde Sasuke, si beau dans ses fringues hors de prix et son corps de mannequin, puis Naruto, si brouillon dans son sweat orange et sa crinière ébouriffée, et elle comprend soudain.

Elle comprend pourquoi Naruto ne supporte pas Sasuke. Ce type, c'est comme si un démon s'était penché sur son berceau à sa naissance et avait inscrit sur son front : "Tout ce que les autres feront et seront, tu pourras le faire et l'êtres en mieux". Et il arbore cette affirmation depuis, sans même s'en rendre compte peut-être, mais avec une application rigoureuse. Naruto arrache un quinze en maths ? Il a seize. Naruto gagne son match douze-zéro ? Il remporte le sien à treize. Naruto court vingt kilomètres ? Il en parcourt vingt-et-un. Quoi que fasse Naruto, quel que soit le niveau qu'il parvient enfin à atteindre, Sasuke le dépasse déjà d'une foulée, le plus souvent de toute une longueur.

Y'a de quoi avoir la rage au ventre.

— Uchiwa et Uzumaki ! claque soudain Kakashi depuis le tableau. Si vous tenez tant que ça à vous insulter, faites-le au moins en anglais !

La réclamation est entendue et aussitôt appliquée :

Son of a bitch ! gueule Naruto.

Motherfucker !

— … Sans impliquer vos pauvres mères qui n'ont rien fait de mal sinon vous mettre au monde, précise Kakashi d'un air fatigué.

Les deux autres hésitent, cherchent dans leurs mémoires des injures sans affiliation familiale et galèrent un peu.

Asshole ! trouve Sasuke en premier.

— Euh… Dumbass !

Jerk !

Et ça reprend de plus belle : wanker ! Cunt ! Dickhead ! Bastard ! Smart-ass ! Jusqu'à ce que Kakashi soupire :

— Si seulement vous pouviez avoir autant de vocabulaire dans les autres catégories… Bon, allez donc voir chez la directrice si j'y suis.

Les chaises raclent le sol et les deux garçons se dressent lentement en se foudroyant du regard. Ce que Hinata retient de la scène, c'est qu'il ne vaut mieux pas chercher Naruto quand il n'est pas d'humeur, et encore moins quand on s'appelle Sasuke Uchiwa. Elle se dit aussi que c'est finalement assez rare qu'ils se prennent ouvertement à la gorge comme ça. D'habitude, ils s'engueulent plutôt par membres interposés et rien ne semble pouvoir traverser le gouffre de dédain qui les sépare.

Faut croire que cette histoire de groupe leur monte à la tête.

*


Asuma est venu leur donner un coup de main. En fait, à l'origine, il était simplement passé récupérer des partitions dans son studio, mais ils ont dû lui faire pitié puisqu'il a fini par se retourner et séparer les deux boxers du centre de la pièce.

— Vous commencez trop vite, a-t-il dit. Vous n'avez jamais joué avec quelqu'un d'autre, essayez déjà des exercices basiques de rythme et d'accord. Faites des gammes. Apprenez à vous écouter. Et il vous manque définitivement un mélodique : Hinata, tu vas chanter pour leur donner une ligne sonore à suivre.

Alors voilà, il était reparti et ils en étaient là :

— Non, c'est pas ça, tu dois vraiment cracher les paroles… Comme si les mots étaient des parties de toi que tu voudrais arracher, tu vois ?

— Non, je vois pas ! finit par se désespérer Hinata. Je peux pas ! J'y arrive pas !

— T'essayes même pas !

Le reproche la frigorifie de l'intérieur et Hinata abaisse ses partitions en sentant les larmes monter à toute allure. Ça va faire deux heures qu'ils sont enfermés dans ce studio, deux heures qu'elle crispe ses doigts sur les accords d'un morceau de Starsailor, deux heures que Tenten essaye de le lui faire chanter de manière convaincante. Deux heures qu'elle échoue.

Elle a pourtant l'air d'avoir été écrite pour elle, cette chanson. Hinata en connaît les paroles par cœur et les déteste pour ce qu'elles appellent au fond d'elle. Le pire, c'est qu'elle parvient à la chanter juste. Elle n'arrive simplement pas à la chanter vrai. Comme Tenten tapote impatiemment le bureau d'un bout de baguette, Hinata ravale ses pleurs et pose à nouveau les yeux sur sa feuille.

Tired of living in the modern world… Another casual flag left unfurled by love…

La phrase suivante lui écorche le coeur, énième entaille depuis le début de la répétition, et elle la sort d'une voix massacrée : Tired of living inside my mind…

— Bordel, non ! Non, non, non ! T'y crois même pas, putain !

Tenten a enfoui les mains dans ses chignons, exaspérée, et Hinata se sent tomber en miettes. Il faut qu'elle chante. Il faut qu'elle fasse quelque chose. Sinon, c'est simple : elle n'a aucun rôle dans ce groupe. Elle n'a aucune place… Assis sur une table un peu plus loin, Naruto écoute la scène en silence, son regard voyageant entre les deux filles et la fenêtre emplie de nuit. Son absence de réaction mortifie Hinata : est-ce que lui aussi, il se demande ce qu'ils vont bien pouvoir faire d'elle ?

— Le rock ne se chante pas à moitié, attaque à nouveau Tenten en secouant Hinata par les épaules. Ça doit gueuler, ça doit claquer ! Casse-toi, Hinata ! Casse-toi à l'intérieur, laisse-toi sortir !

Sa gorge se serre davantage et elle secoue frénétiquement la tête, incapable d'ouvrir les lèvres sans se mettre à pleurer. Insensible, Tenten poursuit avec plus de virulence que jamais :

— Tu sais chanter, alors fais-le en vrai maintenant ! Arrête d'avoir peur, putain !

Puis soudain, enfin, la voix calme de Naruto s'interpose, inhabituellement posée :

— Arrête, Tenten.

— Hein ?

— Ça sert à rien de continuer. Tu lui demandes d'être quelqu'un qu'elle n'est pas. On peut pas exiger d'un poisson qu'il se mette à voler comme un oiseau.

Hinata est tellement soulagée qu'il comprenne qu'elle fond en larmes. Tenten, par contre, est complètement paumée. Pour elle, on peut tout faire si on le veut assez fort. Elle n'a pas pensé à l'impact de l'identité sur la volonté. Peut-être parce qu'elle n'a jamais essayé de faire un truc qu'elle n'a absolument pas envie de faire.

— Je suis désolée, sanglote Hinata en s'essuyant le visage des deux mains. Je suis désolée…

— T'as pas à l'être, lui assure Naruto. Chacun son truc.

Mais il a beau lui offrir son sourire, il a beau la tranquilliser avec son indulgence, Hinata sent un poids énorme lui peser sur l'estomac. Et elle gonfle, cette boule, elle gonfle jusqu'à ce que Tenten finisse par arrêter là la répétition et l'autorise à filer. Sans s'attarder, Hinata récupère son violon inutile et s'enfuit dans le couloir en s'essuyant le visage avec Starsailor.

Elle se sent minable. Elle se sent méprisable. Pourquoi ne peut-elle pas être comme Tenten, comme Sakura, comme toutes les autres filles ? Pourquoi ne peut-elle pas se "casser à l'intérieur" pour tout laisser sortir ? Pourquoi n'a-t-elle pas confiance ? Pourquoi est-ce qu'elle n'accomplit jamais rien ?

Son état de déprime est tel qu'elle ne voit pas les Hawks qui sortent eux aussi de répétition, un étage plus bas, et elle s'encastre en plein dans Kiba. Il était en plein délire avec Lee et Sasuke, alors ça ne le rend que plus hilare et il balance en la redressant :

— Salut, Kiba, dieu du rock.

— Salut, Hinata, cafard rampant, se présente-t-elle d'un ton las.

C'est en voyant la tête des autres qu'elle réalise ce qu'elle a dit. Panique à bord. Kiba rigole : lui, il l'a toujours trouvé mignonne, Hinata, quoiqu'un peu beaucoup effacée. Hinata est complètement catastrophée, heureusement que Neji est encore dans la salle, elle vire au rouge sanglant et se barre à toute vitesse avant d'empirer la situation.

Elle est fatiguée, la petite Hinata, pour dire n'importe quoi à ce point-là. Et puis elle a envie de s'en ficher, elle aussi, de faire comme tous les autres et de ne plus se prendre la tête. Mais est-ce qu'elle a le droit ? Est-ce qu'elle en est capable ? Comme en réponse impitoyable à ses questions, la chanson qu'elle a bafouillée en vain des heures durant revient s'imposer en fond sonore de ses pensées alors qu'elle court vers la sortie.

Tired of living in this modern land

Too many ideals to meet with its demands

Tired of looking for sympathy

Got to learn to stand on my own two feet


Faith Hope Love

Be Enough


Too much, too soon, to see it through

Look back at your life with some kind of pride…


*


Il lui faut tout le courage du monde pour retourner en cours le lendemain. Elle fait exprès d'arriver en retard en espérant échapper ainsi au regard de Naruto, mais elle a oublié que Kakashi aussi est doué pour ce genre d'entourloupe et l'objet de ses craintes vient l'intercepter alors qu'elle est encore en chemin dans le couloir :

— Paraît que t'es de la famille des cafards ? lance Naruto d'un ton goguenard. J'savais pas qu'on allait si loin dans la théorie de l'évolution.

Les joues de Hinata s'enflamment, elle a envie de disparaître. C'est dingue comme les rumeurs vont vite dans ce bahut. En face, Naruto la regarde par-dessous : pas besoin d'être une lumière pour comprendre le pourquoi du comment de l'affaire cafard. Même lui y voit à peu près clair.

— C'est beau d'avoir une telle estime de soi, continue-t-il ironiquement. Franchement, qu'est-ce qu'il t'a pris ?

— R… Rien, laisse tomber, bredouille-t-elle. J'ai dit n'imp.

Il voit bien qu'elle est mal à l'aise, alors il continue parce qu'il est naïf et qu'il s'imagine qu'il suffit de lui dire qu'elle se trompe pour que tout rentre dans l'ordre.

— J'vois pas d'où tu sors un truc pareil. Perso, même si t'avais six pattes et des antennes, j'aurais du mal à retrouver un air de famille avec les....

— Tu comprends pas, Naruto ! s'exclame-t-elle, à la fois désespérée et irritée de voir le mec qu'elle aime lui parler tranquillement de sa personnalité cafardeuse.

Elle le plante là et il reste comme un con au milieu du couloir, contrarié de voir qu'il ne l'a pas convaincue. Comme Tenten lui fiche la paix toute la journée et laisse voler la répète du soir, Hinata espère que l'affaire est momentanément oubliée. C'est sans compter sur l'obstination de Naruto qui revient à la charge dès le lendemain, alors que le derniers cours est terminé et qu'elle est restée pour s'avancer.

Elle a sursauté quand il a brutalement posé une boîte d'allumettes sur son devoir de maths. Surprise en plein travail, Hinata dévisage son expression de défi alors qu'il plante ses yeux dans les siens :

— C'est un cadeau pour toi, lui dit-il.

— Euh… Ah bon ?

Il acquiesce et elle déglutit. Elle ne sait pas trop si elle doit être contente ou inquiète. Quelque chose lui dit qu'elle ne s'attend pas à ce qu'il y a dans ce paquet. Elle prend la boîte d'une main légèrement tremblante, fait coulisser le petit tiroir de carton pour jeter un œil à l'intérieur.

— Aaaah ! Il y a une grosse bête dans cette boîte !

— Un cafard, Hinata. C'est un cafard.

Horrifiée, Hinata regarde tour à tour la bestiole qui gigote au fond de la boîte d'allumettes et le visage déterminé de Naruto en se demandant où bien il essaye d'en venir avec cette mauvaise plaisanterie. Indulgent, Naruto ne se fait pas prier pour expliquer :

— J'ai eu du mal à l'attraper. Maintenant je te laisse en tête-à-tête avec ton pote. Pose-toi juste une question : est-ce que c'est vraiment à ça que tu t'assimiles ?

Il se laisse tomber sur une chaise et croise les pieds sur une autre sans la quitter des yeux, tout à fait détendu. Troublée, Hinata se penche à nouveau sur l'abominable insecte. Il a une espèce de carapace transparente qui laisse voir ses articulations, tout un tas de pattes grouillantes et il court en rond avec une frénésie repoussante et pathétique. Elle a beau l'observer sous tous les angles, elle ne parvient pas à le trouver autrement que parfaitement dégueulasse.

— Alors ? demande-t-il devant son silence. C'est toi ou pas ?

— Je…

— C'est toi ou pas ? répète-t-il plus fort.

— N… Non…

— J'entends paaaas !

— Non, ce n'est pas moi !

— Bon.

Il se lève, reprend la boîte et la jette par la fenêtre grande ouverte, par-dessus la tête de Sasuke qui bosse dans son coin. Il réalise trop tard qu'il aurait plutôt dû mettre la bestiole dans le cou de celui-ci plutôt que de la suicider. Tant pis, il note l'idée dans un coin de sa tête. Après tout, les cafards, c'est pas ce qui manque chez lui. Il se retourne vers Hinata :

— Tu vois, Hinata-le-cafard-rampant n'a jamais vraiment existé, lui dit-il. Va falloir te trouver une autre référence. Maintenant viens avec moi, et prend ton violon.

*


Le jour tombe doucement sur la rue, s'accrochant encore un peu aux branches des arbres dépouillés par l'automne. Naruto l'a entraînée dans un quartier qu'elle ne connaît pas et est maintenant occupé à chercher les clés d'une maison recouverte d'enduit blanc. Il les trouve enfin, ouvre la porte et se retourne en l'invitant à entrer d'un geste du menton. Hinata ajuste la sangle de son étui sur celle de son sac de cours, franchit timidement le seuil et se prend aussitôt les pieds dans une pile de livres. Le mur la retient de justesse, alors elle se redresse en regardant les environs avec étonnement.

Le grand couloir qui s'étend devant elle est placardé de bibliothèques. Une fenêtre percée au fond déverse un flot de lumière dorée et une grande ouverture sur la gauche dévoile un salon chaleureusement meublé de bois clair ; au plafond, un lustre de verre coloré tinte doucement, surveillé par les immenses plantes installées le long des plinthes. Et partout, des livres.

Des livres étalés sur le sol, des livres alignés sur les étagères, des livres empilés dans l'encadrement des portes. Des centaines de milliers de bouquins qui crapahutent, prennent leurs aises, roupillent ou se réunissent en conciliabules mystérieux entre deux palmiers aux larges feuilles ; c'est l'invasion, une véritable architecture de papier grimpant jusqu'au plafond et dessinant des allées à travers toute la maison.

Hinata n'en a jamais vu autant et pourtant, son père a toujours eu une sacrée collection. L'endroit est rempli d'une délicieuse odeur de papier frais qui la ravit. Elle a l'impression d'être entrée dans un autre monde, un univers de plénitude et d'apaisement. Tous ces bouquins, c'est comme une foule de petits êtres accueillants qui murmurent et chantonnent sur son passage, avec entre leurs pages des foules de choses à découvrir encore.

— Hinata ! appelle Naruto depuis la cuisine. Tu veux du lait dans ton thé ?

— Non merci, répond Hinata qui trouve l'idée bizarre.

Du lait dans du thé ? Mais bon, que Naruto fasse des trucs aussi étranges finit par ne plus l'étonner. Elle continue sa lente progression le long du couloir sans pouvoir s'empêcher de caresser du bout des doigts les couvertures tendues vers elles. Les livres ronronnent sur son passage, elle a presque l'impression d'entendre un chuchotement courir à travers les empilements. Lis-moi, ouvre-moi… Non, moi ! Par ici ! Par là !

Tous ces livres, c'est magique.

— Ton père est écrivain ? demande-t-elle lorsqu'elle entre enfin dans la petite cuisine.

— Editeur, rectifie Naruto qui s'affaire autour de la bouilloire. Et comme tu l'as sans doute remarqué, il est aussi bibliophile.

— Sans blague, s'amuse Hinata.

— Il dit que la maison a toujours été comme ça, poursuit Naruto en dosant le thé avec concentration. Les gosses normaux ont des Legos ou des Kaplas ; moi, j'ai fait des constructions avec des bouquins.

— Ça devait être chouette.

— Ouais, s'enthousiasme Naruto, une lueur soudain ranimée dans le regard. Mais le plus cool, c'est les cabanes. J'ai fait de véritables forteresses avec ses encyclopédies ! J'te jure, j'étais à deux doigts de révolutionner l'histoire de l'architecture !

Hinata rit : la découverte de ce nouvel univers lui fait totalement oublier son stress et les raisons de sa présence ici. Elle imagine parfaitement Naruto édifier un mirador avec des piles de livres et jouer à défendre son château des romans policiers déterminés à venir à bout du règne des encyclopédies.

— J'aurais bien aimé avoir un terrain de jeu pareil, avoue-t-elle alors en prenant la tasse qu'on lui tend.

— Tu jouais à quoi, quand t'étais petite ?

— Euh… A faire des gammes ?

— Putain… T'as pas dû rigoler tous les jours.

Hinata a soudain un sourire qui le perturbe un peu, empreint d'un savant mélange de douceur et de mélancolie qu'il n'est pas habitué à voir. Mais elle ne dit rien et trempe ses lèvres dans son thé, puis ferme les yeux une seconde, comme si elle savourait le meilleur breuvage de tous les temps.

— Et ta mère ? demande-t-elle ensuite.

— Ma mère est morte dans un accident quand j'étais petit.

Il s'attend à un air horrifié, à des excuses et des désolations, mais ce n'est qu'un nouveau sourire qui effleure le visage si pâle de la jeune fille et elle dit simplement :

— Je vois.

Inexplicablement, ça le rassure. Pas de fausse compassion, pas de pitié ni d'embarras. Simplement de la sincérité sans masque. Il se sent compris et accepté, bêtement, juste comme ça. Alors il sourit à son tour.

— Bon ! clame-t-il ensuite en repartant dans le couloir. On n'est pas là pour ça.

*


Hinata inspire un grand coup et fait glisser son archet sur les cordes de son beau violon vernis. L'Adagio d'Arcangelo Corelli s'élève au milieu du bordel qui recouvre la moindre surface de la chambre de Naruto. C'est beau et juste, simplement sans âme. Naruto n'a rien contre le classique, mais il se met soudain à hurler :

— Ok, stop ! Stop ! STOP !

— C'est si nul que ça ? se désespère Hinata en abaissant son archet.

Mais il ne l'écoute pas et ouvre un placard à la volée. Un fatras de boîtes en tombent et s'ouvrent sur le sol, déversant un flot de vêtements et de vieux jouets, mais il s'en fout et tire du fond de la penderie une basse violette. Il l'époussette, satisfait. Elle est en parfait état, mis à part quelques éraflures à droite à gauche.

— Le violon, c'est pas ton truc, lance-t-il à Hinata sans même avoir conscience de l'impact que peuvent avoir ses paroles.

Il vient de lui confirmer qu'elle est bien la honte de sa famille et que les douze années passées à pratiquer comme une folle ont été vaines. Autant dire à un poisson qu'il n'est pas fait pour nager.

— Par contre, la mélodie, tu gères, continue-t-il en lui fourrant l'instrument dans les mains. A partir de maintenant, tu vas essayer avec ça.

— Une basse ?

— C'est pas une basse, c'est une guitare électrique. Tu vois, elle a six cordes métalliques. La basse n'en a que quatre.

Jouer de la guitare électrique ? Elle ? Impossible, pense-t-elle, y'a une erreur de casting. La guitare électrique, c'est pour les filles cool et branchées. Pas pour les cafards timides et mal dans leur peau. Pourtant, elle fait glisser ses doigts le long du manche, passe sa paume sur la caisse luisante, pince une corde puis deux. Elle a l'impression d'avoir un vaisseau spatial entre les mains.

Elle sourit.

C'est plutôt sympa.

*


Sasuke croise de moins en moins de gens au fur et à mesure qu'il s'enfonce dans les étages. La plupart des élèves ne restent pas au lycée après les cours, soit parce qu'ils ont des profs particuliers qui les attendent chez eux, soit parce qu'ils ne sont pas assez motivés pour se coltiner des heures supplémentaires alors qu'ils pourraient être en train de s'éclater dans le karaoké du coin. Sasuke, lui, il a soit une leçon de chant avec Kurenai, soit une répète avec son groupe.

Ce soir, c'est la répète, c'est pour ça qu'il s'arrête au quatrième niveau et qu'il enlève son casque en entrant dans le couloir carrelé de jaune. La porte de la salle qui leur est réservée est grande ouverte et un flot de lumière s'en échappe ; il a à peine fait trois pas dans sa direction qu'un riff sauvage et brutal s'arrache de l'embrasure et explose dans le couloir.

Sol fa dièse mi, la mesure est magnifique, elle résonne contre les murs, rugit, s'impose avec une férocité jouissive. Les distorsions produites par la guitare lui donnent encore plus d'écho, encore plus d'agressivité, puis rrrrrrlam, la batterie s'en mêle et le morceau prend forme. Sasuke l'a déjà reconnu à ses premières notes inégalables, mais il attend que la voix de Kiba commence à cracher les paroles pour se mettre à chanter dans sa tête.

So messed up I want you here

In my room I want you here

Now we're gonna be face-to-face

And I'll lay right down in my favorite place…


Il entre dans la pièce en décrochant sa guitare de son épaule et répond au signe de tête que lui envoie Neji, assis en tailleur sur un bureau. Entre eux, Kiba et Lee poursuivent avec la même frénésie cet étalage de punk rock pas si loin finalement de leur répertoire habituel :

And now I wanna be your dog

Now I wanna be your dog

Now I wanna be your dog

Well c'mon !


C'est vrai que ça change d'Apocalyptica. Un peu trop enragé pour leur style pourtant, pas assez heavy metal, pas vrai ? Mais Sasuke comprend, finalement. Il comprend la joie sauvage avec laquelle Kiba enfonce sa pédale de distorsion, il comprend l'enthousiasme exalté avec lequel Lee matraque ses caisses. Il comprend tellement bien qu'il branche sa guitare et gratte quelques riffs à la suite.

Now I'm ready to close my eyes

And now I'm ready to close my mind

And now I'm ready to feel your hand

And lose my heart on the burning sands

And now I wanna be your dog

And now I wanna be your dog

Now I wanna be your dog

Well c'mon !


La fin du morceau original s'effectue sur une baisse de volume progressive qu'ils ne peuvent pas reproduire comme ça, sans matos, alors Kiba clôt le vacarme d'une impro démentielle. Les dernières notes vibrent encore quand un applaudissement blasé retentit près de la porte : le manager est arrivé.

— C'est votre prochaine sortie ? interroge-t-il avec ironie.

— Ce boulet de Naruto a raison, Shika, lance Kiba. On n'ose pas claquer du hard comme ça.

— Parce que Nirvana et Led Zep, c'est pas du hard, peut-être ?

— Sérieusement, on pourrait s'éclater si on se laissait un peu aller, insiste Lee depuis sa batterie. Pourquoi on tente pas un truc complètement nouveau ? Iggy Pop, c'est quand même une référence…

Le regard de Shikamaru va d'un visage à un autre, s'attarde sur celui de Sasuke, finit par s'arrêter sur Neji qui hausse les épaules : lui, de toute façon, il joue de tout.

— Vous êtes sûrs ? demande alors Shikamaru.

— Ouais ! C'est toi qui parlais de Nightwish ce matin. Ça reste dans notre domaine et ce serait une sacrée expérience.

— T'es mignon, mais personne ici peut chanter sur du Nightwish, intervint Sasuke. Sur du Iggy Pop non plus. Ça passe quand Kiba gueule comme ça, mais sur scène c'est une autre histoire.

Shikamaru est content de pas être le seul à voir ce qui capote dans leurs beaux projets. Malheureusement, il faut plus que le bon sens de leur manager et la mauvaise volonté de leur guitariste pour que Lee et Kiba renoncent.

— Neji déchire sur du Nightwish, c'est quand même carrément dommage de pas s'en servir !

— Et puis chanter grave, ça s'apprend. J'croyais que tu continuais tes cours avec Kurenai ?

Sasuke s'irrite, se détourne, racle ses cordes avec fureur. Il sait qu'il est le seul à avoir le ton de voix adéquat pour ce genre de truc, mais il sait aussi qu'il est parfaitement incapable de le maîtriser. C'est pas pour rien qu'il se tape des cours particuliers !

Et puis, Nightwish, pour lui, ça sonne trop haut, trop brillant, trop hors de portée. C'est pourtant pas plus difficile que Metallica, mais rien à faire, c'est ce que joue son frère et ça suffit pour que ça lui paraisse inaccessible. Il ne veut pas subir l'humiliation de se voir comparé à Red Moon sur le même morceau.

— On va faire un truc nouveau, tranche Shikamaru. Mais en restant tranquillement dans le heavy metal. Dream On, ça vous tente ?

Les têtes se relèvent, les regards s'illuminent. Si ça les tente ? Putain oui ! Aerosmith, ça fait un bail qu'ils en rêvent et qu'ils en grattent à couvert, alors bosser sur leur plus grand morceau, tu penses s'ils marchent ! Même Sasuke s'est retourné, les doigts déjà en place le long de son manche.

— J'ai les partoches, ajoute Shikamaru en secouant la liasse de feuilles qu'il vient tout juste de photocopier. Toutes les transpositions, on devrait s'en sortir avec ça. Et vous savez quoi ? Je pense que le mieux serait d'avoir la voix de Neji sur ce coup.

Les garçons pivotent avec appréhension : effectivement, Neji s'est déjà tendu. Il ne chante pas, lui, c'est bien connu. Et le verdict tombe comme prévu, implacable et non négociable :

— Non.

— Bon, soupire Shikamaru, j'aurais essayé. Sasuke, t'es ok ?

Hochement de tête ; tant qu'on ne lui demande pas de forcer, il peut. Les partitions circulent, les accords bégaient, quelques mesures prennent forment puis c'est parti pour le premier essai. Neji a posé son archet, il pincera ses cordes pour cette fois, Lee assouplit ses poignets, Kiba écarte sa pédale de distorsion et Sasuke martèle son plexus solaire du poing pour bien sentir passer l'air.

Every time when I look in the mirror

All these lines on my face getting clearer

The past is gone

It went by, like dusk to dawn

Isn't that the way

Everybody's got the dues in life to pay…





Chapitres: 1 [ 2 ] 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 Chapitre Suivante »



Veuillez vous identifier ou vous inscrire:
Pseudo: Mot de Passe: