Fiction: Six Cordes Métalliques (terminée)

Dans le lycée d'Hinata, la gloire suprême, c'est d'être sélectionné pour participer au grand concours de musique de fin d'année. C'est pour ça que quand Naruto relève aussitôt le défi qu'on lui balance au visage, Hinata marche aussi : monter un groupe et écraser le boy's band de Sasuke aux Portes Ouvertes ? Easy !
Humour / Romance | Mots: 113352 | Comments: 74 | Favs: 33
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NeN (Masculin), le 15/10/2015
Prestation des Scarecrows :

KISS – I love it Loud
AC/DC – Thunderstruck
Adam Lambert – Runnin'
Starsailor – Faith Hope Love




Chapitre 13: The last row



— Putain les costumes ! sursaute soudain Naruto en attrapant Hinata et Tenten chacune par un bras.

— Merde !

Ils ont complètement oublié de mettre leurs tenues de scène ! En un éclair, les trois ados ont lâché les teintures, dégringolé les marches, défoncé la porte des vestiaires. Tenten se jette sur son casier pour en sortir un sac de sport, elle le vide par terre, les mains jaillissent. Seule Hinata reste bras ballants devant la masse d'étoffes bariolées.

— Le tien c'est celui-là ! dit précipitamment Naruto en lui jetant divers tissus sur la tête.

Tenten a déjà enfilé un large pantalon de toile retenu par une corde, Naruto arrache son sweat-shirt pour mettre une chemise à carreaux dix fois trop grande. Sans discuter, Hinata enlève son pull et déplie les vêtements qu'il lui a donné : une vieille salopette trouée, un t-shirt abondamment rapiécé, une veste en jute difforme.

— Des épouvantails, se souvient Hinata d'un murmure.

Car oui, ne l'oublions pas : c'est le nom de leur groupe. Ce nom choisi par pure et simple provocation envers les faucons que représentent les Hawks… Ni une ni deux, Hinata glisse ses jambes dans la salopette sans même enlever son corsaire, hop le t-shirt, clic les bretelles, la veste –

— Oubliez pas la touche finale, rigole Naruto en enfonçant un grand chapeau de jardinier sur son crâne.

Les deux filles font de même puis tout le monde se regarde : la paille des chapeaux part dans tous les sens, les fringues sont trop grandes, les couleurs dépareillées. Ils éclatent de rire.

— On a la touche ! s'étrangle Naruto en resserrant le nœud de son foulard en patchwork autour de son cou.

— Y'à plus qu'à aller faire flipper les moineaux ! renchérit Tenten.

Le trac s'est volatilisé quand ils se sont aperçus qu'ils ne s'étaient pas habillés, mais dans la course jusqu'à la scène, Hinata le sent revenir au creux de son ventre comme un boomerang féroce. Ils croisent les Hawks qui ont un mouvement de recul en les voyant, déclenchant des ricanements victorieux de la part de Naruto et Tenten qui filent se mettre en place dans les coulisses d'en face.

Hinata reste seule de son côté, arrange sa frange pour la centième fois, vérifie qu'aucun cheveu ne dépasse de son chignon, tire sur son foulard qui l'étouffe. Elle a la trouille. C'est pas sa place, c'est pas son univers, elle se sent comme une déguisée qui s'est trompée d'adresse. Puis quelqu'un débarque soudain d'entre les teintures dans un nuage de parfum et de cheveux roses et lui envoie son sourire en pleine face. Sakura, bien sûr.

— Tu te sens d'attaque ? qu'elle demande.

Hinata a l'impression qu'elle lui parle en javanais. Sakura n'attend même pas de réponse, elle la détaille de haut en bas en se frottant le menton et finit par chopper son chignon à pleines mains.

— Bouge pas, ordonne-t-elle alors que la pauvre Hinata se débat pour échapper à l'agression.

En deux temps trois mouvements, Sakura a enlevé son élastique, secoué sa chevelure, les longues mèches dégringolent en vrac sur le t-shirt rapiécé. Après encore une seconde de réflexion, elle remonte aussi les manches de la veste en jute et desserre un peu le foulard de patchwork.

— Là, t'es parfaite, déclare-t-elle alors avec satisfaction. Tu te sens pas mieux ?

Hinata n'ose pas dire oui, elle en est même pas sûre. Sakura s'en fout et la pousse vers la scène en levant le pouce.

— Défonce tout !

Espace, lumière, craquement d'estrade. Leur apparition déclenche une vague de rires et d'exclamations moqueuses. Les sourires sont sincères pourtant et c'est ce qui rassure Hinata alors qu'ils se mettent en place sur le parquet de la scène. Les sifflements l'assourdissent tandis qu'elle prend sa guitare avec des mains tremblantes. Elle déglutit, relève la tête, sonde la salle sous la visière de son chapeau : sa mère est là, quelque part dans la foule. Trop de monde pour la repérer, et c'est pas le moment : il est temps de faire taire tous ces élèves braillards.

C'est Tenten qui ouvre le feu, avec une énergie inébranlable. Rlam rlam blam, rlam blam, rlam rlam blam, rlam blam… La puissance de la résonance est telle qu'un frisson gagne la salle entière alors que les pulsations vibrent entre les murs. Le morceau n'a même pas encore vraiment débuté qu'il évoque déjà quelque chose dans les esprits et le suspens grimpe à toute allure jusqu'à ce que les doigts de Hinata ripent enfin sur ses cordes. Exactement au même instant, Naruto empoigne le micro et –

— Stand up, you don't have to be afraid, get down – love is like a hurricane ! Street boy, no I never could be tamed, better believe it !

Pause, pendant une fraction de seconde, puis c'est aussitôt reparti :

Guilty 'til I'm proven innocent, whiplash, heavy metal accident ! Rock on, I wanna be President… 'cos I love it…

…loud ! gueule toute la salle.

Enhardi par la participation immédiate du public, Naruto poursuit le refrain de plus belle :

I wanna hear it loud, right between the eyes ! Loud, I wanna hear it loud, I don't want to compromise !

Ils ne pouvaient pas se tromper avec ce morceau, c'est un classique, tout le monde connaît, ça y est maintenant l'assemblée les écoutent, c'est sûr. Rien de tel qu'un KISS pour retenir l'attention. Comme prévu, ils arrêtent le morceau juste après le premier refrain, grognement frustré depuis la salle, c'était voulu, Hinata avait prévu le coup : lancer un truc dément juste le temps de chauffer les spectateurs, puis embrayer aussitôt sur le premier morceau du programme pour les maintenir en haleine.

Premier morceau, donc : cette fois, c'est Naruto qui commence avec une ligne de basse aiguë et précipitée. Hinata l'écoute avec angoisse, mais Naruto ne se plante pas une seule fois, ses doigts volent avec précision sur ses quatre cordes métalliques et Tenten a un petit sourire satisfait quand elle se met à battre discrètement les temps à la cymbale. Puis progressivement, la batterie s'anime, les caisses résonnent, de plus en plus fort, Naruto prend une profonde inspiration et Hinata sent son cœur s'affoler dans sa poitrine – ça va être à elle…

Thunder ! lâche Naruto en prenant soin de rester loin du micro. Thunder, thunder, thunder !

Escalade du volume, les doigts volent, les baguettes fusent, premier couplet enclenché – Naruto colle le micro maintenant :

I was caught in the middle of a railroad track, I looked round and I knew there was no turning back…

Le public hurle et siffle : ce morceau, personne ne s'y trompe, c'est la provocation ultime. C'est pas pour rien qu'il passe tout le temps pendant les compétitions de hockey sur glace. C'est le genre de truc qu'on a envie de hurler en regardant des gladiateurs se battre avec des bêtes féroces et cette violence folle est sensible à travers la hargne des Scarecrows qui fracassent :

Sound of the drums, beating in my heart, the thunder of guns tore me apart ! You've been…

Thunderstruck !

Depuis les coulisses, Sasuke a un rire nerveux. Lui aussi il a compris, il a envie de le gueuler à Naruto : c'est bon, j'ai compris. OK, t'avais raison : tu peux jouer du rock. D'accord, t'as pu former un groupe. Très bien, y'à moyen que tu me mettes la piquette à cette compète. Pas la peine de hurler !

Mais l'excitation bouillonne dans ses veines et il a juste envie de faire comme Kiba, de frapper le sol du pied, de lancer le poing en l'air et de s'égosiller : Thunderstruck !

Noyé au milieu des spectateurs survoltés, Hiashi fixe la scène d'un air ahuri. Il ne reconnaît pas la jeune fille accrochée à sa guitare violette, là-bas, qui abat ses doigts sur ses cordes avec une assurance troublante, qui rejette en arrière ses longs cheveux noirs, son chapeau tombe, ses yeux se lèvent, flamboyants, rugissants, elle est fière, heureuse, vigoureuse. Il n'a jamais vu Hinata aussi maîtresse d'elle-même. Il ne l'aurait jamais imaginée aussi massivement réactive, aussi spectaculairement énergique, et cette découverte le laisse cloué sur son siège. Même la main réconfortante que pose son épouse sur son bras ne suffit pas à le faire s'en remettre.

— Notre petite fille s'est envolée, souffle simplement sa femme à son oreille.

Thunderstruck ! braille une dernière fois Naruto.

Hinata se redresse, le souffle court. L'extrémité de ses doigts la brûlent. Le vacarme de l'assemblée la recouvre comme un raz-de-marée, si imposant qu'elle ne parvient pas à savoir si c'est positif ou négatif, tout ce bruit. La seule chose qui est sûre, c'est qu'au moins plus personne n'est indifférent, et elle, elle a donné le meilleur d'elle-même.

Elle se dit que c'est l'essentiel.

Naruto croise son regard, la sueur dégouline sur son visage radieux. Tenten rit toute seule, ses baguettes tournent à toute allure entre ses doigts. Et au milieu des cris, tout en reprenant leur souffle, les trois Scarecrows échangent un large sourire victorieux.

A ce stade, c'est déjà évident pour tout le monde : si quelqu'un en doutait encore, le choix du groupe représentant le lycée Senju à l'Auditorium se fera entre les Hawks et les Scarecrows. Tous les autres peuvent aller se rhabiller.

Mais pas le temps de penser : deuxième morceau. Le coeur de Hinata bat à toute allure. Ça y est, on y est. Cette fois on y est ! Leurs regards se croisent une ultime fois pour vérifier qu'ils sont bien ensemble, prêts à se jeter là-dedans d'un même saut. Puis Tenten commence, abattant son pied sur les pédales de ses caisses avec une puissance inébranlable :

Steel to my trembling lips, how did the night ever get like this ? One shot and the whiskey goes down, down, down…

C'est Naruto qui poursuit le couplet, il enchaîne sans temps mort, c'est fluide, impeccable :

Bottom of the bottle hits, waking up my mind as I throw a fit, the breakin' is takin' me down, down, down…

Puis c'est au tour de Hinata, elle place sa voix bien haut, se concentre tout en s'apprêtant à envoyer le premier son sur sa guitare :

My heart's beating faster, I know what I'm after…

Roulement de batterie, rugissement de basse, éclatement de guitare, et le match de ping-pong continue, plus serré, plus vif, les paroles volent de bouche en bouche avec la fréquence d'un tir de mitraillette :

I've been standing here my whole life…

… everything I've seen twice…

… now it's time I realize…

…it's spinnin' back around now…

… on this road I'm crawling !

Save me cause I'm falling…

… now I can't seem to breathe right…

Et Naruto claque le premier refrain, reprenant la parole à Hinata avec un naturel qui lui arrache un frisson – c'est comme s'ils ne formaient plus qu'un et il a beau être le seul à chanter, elle a l'impression qu'il parle pour elle aussi, pour eux, pour tous les Scarecrows qui sont là derrière lui à abattre la musique sur ses pas :

Cause I keep runnin', runnin', runnin', runnin'

Runnin', runnin', runnin', runnin'

Runnin' from my heaaaart !


Dans un sens, c'est un morceau qui est moins énergique que le précédent. Moins connu, aussi, plus modeste. Le défi, cette fois, n'est pas dans la reproduction : il est dans l'interprétation. Les Scarecrows le savent, ils sont concentrés comme jamais, ils s'écoutent comme jamais, ils sont ensemble comme jamais. Et le public le sent, il sent venir le truc, il attend, retient sa respiration, espère tandis que le deuxième couplet défile comme le premier – phrase après phrase, chanteur après chanteur. Enfin, c'est Hinata qui marque la transition, elle transpire, tremble de se planter, se recentre puis ouvre la bouche – attention à chanter assez haut, assez juste…

My heart's beating faster, I know what I'm after…

Et là, alors que tout le monde attend la régularité du troisième couplet, Naruto enchaîne directement avec le cœur de la chanson, un cri, un appel sonnant impossible à éviter :

Woah ohhhhh, I'm coming alive ! Woah ohhhhh, wake up now and live oh !

Tenten reprend en écho, même puissance, même force, le volume des instruments se dédouble brusquement :

Woah ohhhhh, I'm coming alive ! A life that's always been a dream, wake up now and live oh !

Un temps de battement assourdissant instaure une respiration dans toute la salle, fraction de seconde en apesanteur, puis vlam Tenten enfonce la pédale de sa caisse et Naruto repart :

I've been standing here my whole life…

Tenten coupe aussitôt – effet de surprise :

My heart's beating faster, I know what I'm after !

I've been standing here my whole life, everything I've seen twice… reprend Naruto de sa mélodie tranquille.

Deuxième interruption, Tenten et Hinata cette fois, les deux ensembles :

Now it's time I realize…

Naruto reprend illico :

… it's spinning back around now…

Les filles recoupent illico :

… on this road I'm crawling !

Save me cause I'm –

… falling !

Now I can't seem to –

… breathe right !

Tout le monde a compris le jeu maintenant, ils ont capté, d'abord Naruto chantait seul, puis ils ont chanté les uns après les autres, puis peu à peu ils se sont ajoutés, un par un, deux par deux, et on n'attend plus que le final, ce moment où – tout le monde le sait, tout le monde l'anticipe – ce moment où enfin ils chanteront tous les trois ensembles, comme une seule personne, comme un seul groupe, comme un seul être. Et oui, ce moment arrive, oui c'est le final, les instruments vibrent, les doigts ripent sur les cordes, les baguettes s'abattent sur les caisses – ils inspirent comme un seul homme, sans même se regarder, ils savent, et c'est une superposition incroyable de leurs trois voix si différentes – Hinata, Naruto, Tenten – et pourtant si bien assorties, c'est comme une unique clameur qui jaillit de la scène pour atteindre le plafond – c'est le dernier refrain :

Cause I keep runnin', runnin', runnin', runnin'

Runnin', runnin', runnin', runnin'

Runnin' from my heart !


Cause I keep runnin', runnin', runnin', runnin'

Runnin', runnin', runnin', runnin'

Runnin' from my heart !


Cette fois, un grand silence suit la fin du morceau. Puis lentement, progressivement, comme la vague monstrueuse d'un tsunami, une longue acclamation s'élève de la masse des spectateurs qui se dressent rangée après rangée – standing ovation ! Naruto exulte, c'est plus que ce qu'il n'a jamais osé rêver, seuls les Hawks avaient droit à ça dans ce lycée. Il veut hurler merci à Hinata, merci d'avoir choisi ce morceau, merci de l'avoir décomposé, merci d'avoir insisté pour qu'on le joue – tu vois, nos efforts ont payé !

Plus que le dernier morceau maintenant, s'agit de profiter de l'excitation générale, tout le monde est déjà debout c'est parfait, tout devient facile, tout devient magnifiquement naturel – ils n'ont plus qu'à se laisser surfer sur la vague des spectateurs en délire. Ils n'ont plus qu'à se laisser aller, à s'immerger complètement, à ne plus réfléchir – ils n'ont plus qu'à jouer. Hinata n'en peut plus d'attendre, elle frémit d'anticipation, on y va ? Quand est-ce qu'on y va ? Elle est enfin totalement dans le truc, elle ne pense plus à ses doigts douloureux, aux fausses notes, à la pression, à la compétition – elle a juste hâte, hâte de se mettre à courir, de foncer, de sauter, de se jeter la tête la première dans le rock, son rock – leur rock !

Elle se retourne, Tenten et Naruto la regardent, ils ont la même expression de joie sauvage sur le visage, ils sont essoufflés, les joues rouges, les yeux crépitants, et Hinata sait qu'elle a exactement la même tête qu'eux en cet instant. L'émotion qui bat ses flancs depuis leur montée sur scène enfle jusqu'à ne plus pouvoir être contenue, Hinata a l'impression d'exploser. Elle a envie de hurler aux deux autres qu'elle les aime, qu'elle est heureuse d'être là avec eux, putain qu'elle est heureuse ! que le rock c'est génial, que la guitare c'est sa vie maintenant, merci les gars, vraiment, merci, Tenten, Naruto, vous imaginez même pas à quel point je vous aime !

La salle hurle toujours, les gens frappent les sièges, impatients au point d'en crever, et sur scène Naruto a les yeux qui pleurent. Alors il redresse la tête, vrille son regard bleu dans celui de Tenten, puis de Hinata, et il compte les temps du menton – trois, deux, un…

Faith ! beuglent-ils tous ensemble. Hope ! Love ! Be ! ...

… E-nough ! s'époumone l'assemblée dans un déferlement d'allégresse.

La guitare violette, la basse à quatre cordes métalliques et la batterie défoncée approuvent sauvagement, dans un grand fracas, dans un débordement de musique instinctive et décomplexée. Hinata ne voit plus rien, ne pense plus à rien : elle entend seulement, et elle ressent. Profondément jusque dans ses veines, elle ressent : les basses de Tenten, la voix de Naruto, les hurlements de sa guitare. Elle est toute entière habitée par la musique qui rugit, cavale, ravage – et ça continue :

Tired of living in this modern land, too many ideals to meet with its demands…

Tired of looking for sympathy, got to learn to stand on my own two feet…

Dans leur apocalypse, Naruto fait le plein d'air pour la phrase intermédiaire, mais l'énergie est tellement contagieuse, tellement vivifiante, tellement exubérante, que Hinata inspire profondément elle aussi – et elle chante, en même temps que lui, ça sort tout seul, ça fait une deuxième voix à la puissance phénoménale et magnifique :

If I ever let you down, would you ever feel the ground ?

De surprise, Naruto en éclate de rire. Le groupe redouble de vigueur, ils explosent, ils exultent – de la joie pure. Et ils répètent le refrain, tous les trois, de toute leur voix, de toutes leurs tripes, à éclabousser de bonheur la salle qui gueule avec eux bras levés :

Faith ! Hope ! Love ! Be ! E-nough !

Les Hawks s'égosillent en choeur depuis les coulisses, hilares, poussés dans le dos par tous les autres groupes qui ont accourut. Les professeurs se balancent sur leurs sièges sans même s'en apercevoir, Asuma et Gai se sont levés et ils brandissent le poing comme les centaines d'élèves derrière eux. Les grand-mères protègent leurs oreilles, stupéfaites et submergées ; les parents ont le sourire hagard de ceux qui ont peine à y croire, les gosses sautent sur place. Parce que ce n'est pas seulement Naruto, Hinata et Tenten : c'est Faith ! Hope ! Love ! ; la foi, l'espoir et l'amour, trois choses que tout le monde connaît, trois choses en lesquelles tout le monde croit, que tout le monde espère, que tout le monde aime.

C'est trois mots d'ordre qui font du monde un univers illuminé.

Faith ! Hope ! Love !

C'est plus que du rock. C'est une avalanche de joie de vivre. De foi. D'espoir. D'amour.

Elle avait tout prévu, Hinata. Elle avait réfléchi, elle avait planifié, elle avait insisté pour que leur enchaînement ait un sens, leur sens ; elle voulait qu'ils ne se contentent pas de jouer, elle voulait qu'ils racontent quelque chose, leur histoire à eux, les Scarecrows. Alors ils l'ont écoutée, et le résultat ils l'ont sous les yeux.

Ils ont commencé par la provocation, avec AC/DC, parce que c'est comme ça que leur groupe c'est formé : par un défi relevé. Ils ont poursuivi par la preuve incontestable d'un travail d'équipe avec le découpage de Runnin, parce qu'ils sont un groupe, un assemblage de trois personnes qui sont devenue une seule entité en s'appuyant les unes aux autres. Puis ils finissent ainsi, avec Starsailor, parce que c'est un morceau qui concerne tout le monde, pas seulement eux, tout le monde ; parce qu'ils ont besoin de hurler que la musique c'est pas s'enfermer dans une piaule avec sa gratte sous le coude, que pour eux c'est être tous ensemble, c'est une passion commune, un élan de masse, un cri du cœur soulevé par des centaines de milliers de personnes qui brûlent — que la musique rassemble les gens, qu'elle réinvente le monde – et mieux encore, elle le révèle.

Alors voilà, c'est ça, leur prestation pour les Portes Ouvertes. C'est leur histoire. C'est leur impact sur le monde, c'est la magie pure de cet art ultime qu'est la musique. C'est les Scarecrows.

Ils font trembler les vitres.

*


Le couloir retentit de cris étouffés. Ça vole dans tous les sens, ça rebondit contre le faux-plafond, ça file au loin vers les escaliers, et au milieu de l'ouragan, les Hawks et les Scarecrows se regardent en silence.

Ils sont tassés sur le carrelage, plaqués contre les murs à cinq mètres de la porte fermée du bureau de la directrice. A l'intérieur, c'est visiblement la Guerre des Etoiles version atomique. Ils n'entendent pas tout ce qui se dit, mais aucun doute : les vainqueurs sont difficiles à départager. Tant de hargne les pétrifie et ils sont un peu penauds, ces ados si fiers une heure plus tôt sur leur scène illuminée. Ils comprennent que ce n'est pas si simple de définir qui sont les meilleurs, que la vie, ça ne marche pas toujours avec des premiers et des seconds.

— Les Hawks n'ont jamais été aussi excellents ! gueule quelqu'un.

— Et les Scarecrows ont un potentiel énorme ! Ce serait complètement injuste de ne pas leur donner l'opportunité de…

— On ne peut pas jouer la réputation du lycée sur un pari aussi risqué !

Et ça hurle, et ça tremble. Les jeunes ne savent plus quoi penser. Neji et Tenten se regardent par-dessus la tête de Lee, ils pensent à leur promesse, ou leur défi, ils ne savent plus. Sasuke garde les yeux rivés sur ses mains, Shikamaru a fermé les siens. Kiba tord un médiateur entre ses doigts, le bout de plastique se casse en deux, il continue de le plier et en bout de masse, Naruto et Hinata sont figés épaule contre épaule, silencieux.

Puis la porte s'ouvre brusquement et tout le monde se remet debout d'un sursaut. Kurenai et Asuma fulminent, Anko a l'air furieux, Tsunade crache des flammes. Elle traverse le couloir, se plante devant Shikamaru et hisse un sourire sur son visage :

— Bravo, dit-elle simplement.

Puis elle fait volte-face pour retourner dans son bureau, laissant les autres professeurs s'en aller d'un pas vif et les adolescents restent là, assommés par le coup de marteau, le verdict tombé comme une enclume, l'ultime son de gong qui résonne, résonne, résonne.

Shikamaru se retourne vers son groupe qui le regarde sans trop savoir quoi dire. Ils n'ont pas du tout l'impression d'avoir gagné.

— J'aurais préféré perdre plutôt qu'avoir cette espèce de demie victoire, soupire Lee, toujours aussi entier dans sa tête.

C'est exactement ce qui traversait l'esprit de Sasuke. Il a comme une boule amère dans la gorge, il se sent déçu et irrité. Il a eu ce qu'il voulait pourtant, on lui a encore donné la première place, celle au-dessus de tous les autres… Mais il sait bien au fond de lui que c'est injuste, que cette place, il ne l'a pas plus méritée que Naruto et son groupe.

Les Scarecrows se sont rapprochés les uns des autres, trop dépités pour parler. Naruto passe un bras autour des épaules de Hinata pour la serrer contre lui, tend l'autre main pour la poser sur le cou de Tenten. Ils ont le regard dans le vide, le souffle de cette victoire qui leur est passée sous le nez les a ébouriffés de l'intérieur. Ils n'ont pas encore le cœur ni l'énergie de relever le menton et de se dire que c'est pas grave, ils continueront malgré tout. Ils savent qu'ils le feront pourtant, Auditorium ou non, parce que c'est leur groupe, parce qu'ils s'aiment et qu'ils adorent leur musique, parce qu'ils peuvent être fiers de ce qu'ils ont accompli jusqu'ici et parce qu'ils savent que ça vaut le coup de poursuivre. Mais là, il leur faut un peu de temps pour accuser le choc. Ils y avaient tellement cru…

Sasuke les regarde, personne ne parle, à peine un murmure entre Kiba et Lee. Les échos lointains du brouhaha des autres élèves se fait faiblement entendre au bout du couloir et ils ont l'impression d'appartenir à une autre planète. Puis, sans jeter un œil à son groupe, Sasuke traverse le no man's land qui le sépare des Scarecrows et se plante devant Naruto.

— Rejoignez-nous, lance-t-il alors.

— Quoi ?

Shikamaru, Neji, Lee et Kiba se sont redressés, ils échangent un regard, se rapprochent. Sasuke répète :

— Rejoignez-nous. Intégrez les Hawks. Venez avec nous à l'Auditorium.

— Tu déconnes, là ? croasse Naruto.

— J'ai l'air de déconner ? s'énerve Sasuke.

Derrière lui, le reste de son groupe s'est rassemblé. Ils ne font plus qu'un. Ils fixent les trois visages ébahis des Scarecrows sans rien objecter. Ils approuvent. Naruto a la bouche grande ouverte, il a un léger mouvement de recul, se tourne brièvement vers Hinata et Tenten qui ont la même expression de stupeur panique.

— Elle voudra jamais, s'empresse alors d'objecter Naruto.

— Qu'est-ce que c'est que ce délire ? tonne en effet Tsunade deux minutes plus tard, les huit adolescents alignés devant son bureau.

— On a tous mérité d'aller à l'Auditorium, insiste Sasuke.

— Les Hawks ont été choisis et ça n'a pas été facile, rappelle Tsunade en fronçant les sourcils.

— Justement, appuie Sasuke en se faisant violence pour dire un truc pareil. On peut pas assumer. On n'a pas gagné en vrai. C'est pas possible.

— Le groupe de l'Audito est censé représenter le lycée Senju, pas vrai ? intervient Shikamaru de sa voix posée. De ce point de vue-là, les Scarecrows le représentent bien mieux que les Hawks. Après tout, nous, on est juste le rassemblement des meilleurs musiciens du bahut. Eux, ils ont tout construit, de A à Z.

— Et c'est parce qu'ils ont été là qu'on a pu gagner ce concours, ajoute Lee. Et inversement. On s'est améliorés d'un même ensemble, parce qu'on s'est mutuellement secoués les puces, et inspirés aussi, et ça, vous le savez très bien.

Tsunade les observe les uns après les autres, en silence. Ils se sont tus, ils attendent, le souffle court. Alors la grande directrice du lycée Senju se laisse aller contre le dossier de son fauteuil et fronde les sourcils :

— Il ne reste que deux mois avant l'Auditorium. Et vous pensez pouvoir reformer un groupe comme ça, à temps ?

C'est Neji qui répond, d'une voix calme, inébranlable de sérénité et d'assurance :

— On y arrivera. On est déjà un seul groupe.

— Ouais, intervient Naruto d'une voix flamboyante. On est les… les Scarehawks, improvise-t-il.

Il se retourne vers les autres pour demander leur avis du regard. Tenten se dit qu'au pire, on pourra toujours changer le nom plus tard.

— Ouais, approuve Kiba.

— Exactement, confirme Hinata.

— Tout à fait, ajoute Lee.

Et d'un même ensemble, les Scarehawks se retournent vers Tsunade, un feu brûlant et crépitant dans leurs yeux.





Epilogue



C'est le lycée Senju qui a gagné la compétition de l'Auditorium cette année-là, et celle d'après également. C'est avec regret que Tsunade a laissé partir ses élèves pour la suite de leur parcours, mais elle s'est consolée en se disant qu'elle a fait du bon boulot et que papi Senju serait fier d'elle.

Sakura est entrée en fac de médecine après le bac, elle est aujourd'hui une pédiatre confirmée. Ino a réalisé son rêve d'enfant et est devenue orthophoniste ; les deux filles habitent pas loin l'une de l'autre et vont danser tous les vendredi soirs sous les accords savamment déchirés de Crawling Cockroach qui résonne dans toutes les boîtes dignes de ce nom.

Sasuke a rejoint Kerosene qui a repris son nom d'origine, Boomslang, et ils enregistrent leur troisième album ce mois-ci. Il est aussi graphiste dans une boîte de com, mais c'est surtout pour arrondir ses fins de mois – enfin, ça, c'est ce qu'il prétend, parce que tout le monde sait qu'il adore son métier. Neji a intégré un groupe de musique orchestrale, il s'est définitivement passionné pour la musique de film et travaille actuellement sur la bande originale du prochain blockbuster.

Kiba a complètement changé de voie pour s'occuper d'un élevage de chiens sauveteurs, et il reprend sa basse de temps en temps pour jouer à ses bêtes quelques mesures nostalgiques. Lee est devenu journaliste, il parcourt le monde pour interviewer des pays entiers et ça lui arrive d'écrire un article sur un groupe naissant, pour le souvenir.

Shikamaru est resté manager, il a simplement changé de groupe. Maintenant, c'est Sandblast qu'il supervise et même si ce n'est pas toujours facile, ça lui permet de suivre sa femme où qu'elle aille – c'est qu'ils vont avoir leur premier gosse en avril, ces deux-là !

Les Hawks se retrouvent encore parfois, pour jouer ensemble autour d'un verre en s'amusant du bon vieux temps, puis ils posent leurs instruments et écoutent Crawling Cockroach en discutant de tout ce qu'ils ont à faire encore.

Sai et Tenten sont devenus les professeurs les plus appréciés du lycée Senju. Ils ont chacun un groupe à charge et c'est parfois un peu la guerre entre eux, mais ça met de l'animation. Surtout depuis qu'ils se sont mis en tête de forcer Kakashi à jouer en public.

Naruto a ouvert la plus géniale des boutiques de CD de tous les temps, mais son vrai boulot, c'est producteur, et sur les murs de son royaume s'étalent triomphalement les posters du dernier concert de Crawling Cockroach, sa plus grande fierté. Il passe régulièrement au lycée Senju pour animer des ateliers et les rumeurs disent qu'il est favori pour relayer Tsunade à la tête de l'établissement. Parce que l'heure de la retraite approche pour les vieux, il est bientôt temps de passer le flambeau…

Et Hinata ? Hinata, vous la trouverez entre deux festivals, debout sous les projecteurs avec son casque sur les oreilles ou derrière son ordinateur les mains sur ses platines. Avec un peu de chance, vous arriverez à traverser les hordes de fans et lui arracher un autographe, ou alors vous vous contenterez de collectionner ses albums en montant encore un peu plus le son. Vous en entendrez parler sur toutes les grandes scène de l'electro et vous vous direz que de tous, c'est bien elle la plus vraie. Son dernier morceau fait fureur à travers le pays, les paroles sont dans toutes les bouches et on n'entend que ça dans les couloirs du lycée Senju :

Hey you can't give up

No you can't give up

No sleep until you get it right

Do you hear that ?

No sleep until you get it right…


Tenten sursaute et se retourne pour chopper le gosse par le col :

— Tu chantes quoi, là ?

Le gamin a eu peur, tout le monde sait qu'il faut faire gaffe avec Tenten ! Mais le professeur ne l'a pas intercepté pour l'engueuler cette fois, alors il s'exclame en ajustant sa guitare électrique violette sur son épaule :

— Sérieux, m'dame ? Vous connaissez pas Crawling Cockroach ?






And that's the very end guys !! Merci d'avoir lu jusqu'au bout ! C'était vraiment cool d'écrire cette fic avec vous tous derrière, Special Thanks aux commentateurs dont la présence régulière m'épate (ils se reconnaîtront !), vous avez été géniaux les gars. Et c'est teeeerminééé ! MERCI tout le monde !



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