Fiction: Six Cordes Métalliques (terminée)

Dans le lycée d'Hinata, la gloire suprême, c'est d'être sélectionné pour participer au grand concours de musique de fin d'année. C'est pour ça que quand Naruto relève aussitôt le défi qu'on lui balance au visage, Hinata marche aussi : monter un groupe et écraser le boy's band de Sasuke aux Portes Ouvertes ? Easy !
Humour / Romance | Mots: 113352 | Comments: 74 | Favs: 33
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NeN (Masculin), le 07/10/2015
Hey ! Bon alors je voulais faire mon dernier chapitre comme prévu mais je viens de constater qu'il est environ deux fois plus gros que le maximum imposé par le site. Dooonc je suis obligée de le découper en deux chapitres distincts et c'est pas terrible pour le rythme ! Mais au pire on s'en fout un peu sur les bords, l'essentiel est d'avoir la fin de cette histoire pas vrai ?

Vous avez donc là la première partie de la fin (les deux tiers, je dirais même), et la deuxième arrive dans les prochaines 24h. Voilà ! Bonne lecture ! Hésitez pas à lire en musique ! Et MERCI à tous ceux qui me laissent leurs avis dans l'espace commentaires, vous imaginez pas à quel point ça m'a aidée à finir cette fic.

BO du chapitre :
Depeche Mode – Just Can't Get Enough
The White Stripes – Seven Nation Army
Ram Jam – Black Betty
Joan Osborne – What if god was one of us

Prestation des Hawks :
AFI – Miss Murder (intro)
Zack Hemsey – Vengeance
Muse – Feeling Good
Dean Grey – Boulevard of Broken Dreams




Chapitre 12: The more you want it



Naruto lui a envoyé un texto à trois heures du mat. Comme c'est à peu près l'heure où elle venait enfin de s'endormir, Hinata n'a rien capté sur le moment ; par contre, elle manque de basculer du lit quand elle découvre le message en émergeant le lendemain matin à sept heures pétantes.

"P'tit dèj chez Ichiraku demain ?" propose le texto.

Elle s'empresse de renvoyer un "Ce serait super" en priant pour qu'il ne soit pas trop tard, mais faut croire que la journée commence sous de merveilleux augures puisque Naruto répond dans la minute : "Génial, à tout de suite".

Comme "à tout de suite", ça ne donne pas d'heure et que de toute façon, s'ils veulent avoir le temps de déjeuner avant le lycée, ils ont intérêt à se bouger les fesses, Hinata se jette hors de son lit et enfile les premières fringues qui lui tombent sous la main. Pas le temps d'être coquette, elle a son premier rendez-vous avec l'homme de sa vie et les ramens n'attendent pas.
Elle est tellement pressée qu'elle oublie presque de prendre sa guitare. Dans la cuisine, Neji et Hanabi la regardent passer d'un air étonné par-dessus leurs bols de céréales, mais elle est déjà dehors la veste en vrac et l'étui de travers.

Chez Ichiraku Ramen, il n'y a encore personne à part Naruto qui pivote sur son tabouret quand il l'entend arriver. Il lui envoie un sourire immense :

— T'as fait super vite ! s'exclame-t-il alors que Hinata le rejoint devant le comptoir.

— Oui, je… J'ai un peu couru, avoue Hinata comme si ses joues rouges et la sueur qui dégouline de son front ne suffisaient pas à trahir le sprint qu'elle s'est tapé sur le chemin.

— T'as des cernes de mort-vivant.

— Toi aussi.

— J'ai eu trop de mal à dormir. Le stress.

— Pareil.

Ils se sourient, puis Naruto tend timidement la main pour arranger les longs cheveux emmêlés qui dégringolent sur les épaules de Hinata. Ça la chatouille, alors elle fait pareil et recoiffe ses épis blonds tandis que le cuisinier sort de l'arrière-boutique avec deux énormes bols de ramens et un clin d'œil complice en rab.

— Allez les amoureux, régalez-vous ! lance-t-il en posant le petit déjeuner sur le comptoir.

— T'es le meilleur, papi, jette Naruto en empoignant ses baguettes.

Hinata approuve et se penche sur son bol à son tour. Elle n'a même pas rougi en entendant "les amoureux" et elle se dit que c'est fini ça, les joues couleur tomate trop mûre à cause de Naruto. Parce que tout est dit maintenant : elle n'a plus qu'à être elle-même, et aujourd'hui, à quelques heures de la compétition des Portes Ouvertes, elle estime qu'elle n'a plus à rougir d'être elle-même.

C'est une magnifique évolution et elle commence tout juste à en être consciente.

— Désolé pour le texto en pleine nuit, fait Naruto en la regardant par-dessus sa première bouchée de nouilles. J'voulais juste qu'on soit un peu tranquilles avant le souk de la journée.

— C'était une bonne idée, sourit Hinata.

C'est clair qu'ils ont peu de chance d'être en tête-à-tête pendant la journée qui s'annonce. La journée de la mort, comme l'a appelée Tenten.

— En fait, reprend Naruto en repoussant son bol, j'me demandais… Est-ce qu'on est genre, ensemble, maintenant ?

Hinata pose lentement ses baguettes. Elle trouve curieux que ce soit Naruto le stressé du jour alors qu'elle-même se sent si calme, si parfaitement confiante. C'est bien la première fois qu'elle voit Naruto aussi peu sûr de lui.

— Si c'est ce que tu veux… dit prudemment Hinata. Si tu es d'accord avec ce que ça veut dire…

Naruto s'agite encore plus sur sa chaise, les cheveux déjà à nouveau ébouriffés :

— Ben en fait… J'sais pas vraiment ce que ça veut dire, explique-t-il en toute franchise, le souffle court. Mais j'veux essayer de comprendre. J'veux dire, j'veux essayer de… Ouais, on pourrait être ensemble. Enfin, être un couple, quoi.

Sa nervosité provoque un sourire à la fois tendre et amusé chez Hinata. Naruto plante soudain son regard bleu dans le sien :

— Mais c'est si toi aussi, t'es d'accord, insiste-t-il.

— Ça me rendrait très heureuse, dit simplement Hinata.

Alors Naruto a un sourire très particulier, le genre de sourire qu'on a juste avant un départ, quand on s'apprête à se lancer dans une aventure dont les détails et les étapes et même le but final sont complètement incertains. Ce genre d'aventure qui pourrait mal finir mais pour laquelle on est déjà prêt à tout donner, à tout affronter.

Ce genre d'aventure qui pourrait durer des mois, des années… une vie peut-être.

*


Ils étaient censés retrouver Tenten à huit heures pour vérifier les partitions, mais benêts comme ils sont, ils ont oublié que c'est précisément à cette heure qu'ils ont tous rendez-vous en classe pour le lancement de la préparation des Portes Ouvertes. Faut dire qu'avec leur passage sur scène, ils ont complètement occulté le fait que cette journée n'est pas uniquement constituée du concert.

Quand Naruto et Hinata arrivent dans leur classe, c'est déjà le foutoir. Ils sont un peu en retard, les préparatifs ont déjà commencé et Kakashi les assigne sans cérémonie au gonflage des ballons avec les autres retardataires tandis que les autres élèves s'éparpillent dans le couloir pour recouvrir le lycée entier d'un véritable tsunami d'animation.

Tout le monde court partout, les groupes affluent, le matériel circule, les ciseaux, la ficelle, les tables et les banderoles, les panneaux et les marteaux, les tréteaux et les nappes en papier – c'est l'avalanche. Sakura est responsable de leur salle, elle doit installer une expo sur l'Auditorium et elle gueule si fort qu'on ne s'entend plus gonfler son ballon de baudruche.

— Plus à droite, ce cadre, enfin ! Et là, il est de travers ! Là, y'à du scotch qui dépasse ! Là, tu fous rien ! Allez, on se bouge, ça va pas se faire tout seul !

C'est sympa de voir tout le lycée œuvrer pour une cause commune avec autant d'énergie, mais Naruto éprouve un soudain besoin d'être un peu seul et il tire Hinata hors de la classe dès qu'ils ont suffisamment de ballons pour pouvoir prétendre qu'il est temps de commencer à les accrocher. Ils s'échappent dans les étages, volent une échelle à droite, du Bolduc à gauche, puis s'arrêtent par-ci par-là pour larguer leur déco sur les murs. Evidemment, il ne faut que dix minutes à Tenten pour les retrouver parmi les centaines d'élèves en ébullition.

— J'en peux plus d'attendre, geint-elle en secouant l'échelle sur laquelle est grimpé Naruto.

— Tu peux faire gaffe, s'te plaît, implore Naruto. J'ai le vertige.

Comme d'habitude, il s'en est souvenu seulement une fois en haut. Tenten prend sa place au sommet de l'échelle et attache la grappe de ballon au plafonnier sans cesser de couiner :

— Sérieux, ils pourraient laisser les élèves qui jouent répéter au lieu de nous balourder la déco ! Ma classe est censée faire les banderoles de façade, ça fait une heure qu'ils s'engueulent parce que des connards nous ont chouré le Bolduc et…

— … et c'est pour ça que tu es restée les aider, achève Naruto d'un ton narquois.

— Neji m'a gavé, se justifie Tenten en s'emmêlant dans la ficelle. Ces putains de Hawks sont aussi nerveux que nous.

— Oui, on a vu ça, confirme Hinata qui se souvient encore de la gueule que tirait Sasuke ce matin.

Il est arrivé à la bourre lui aussi et sa mauvaise humeur ne s'est pas arrangée quand le ballon qu'il gonflait lui a explosé à la figure.

— Je me demande ce qu'ils ont préparé, ajoute pensivement Hinata en prenant les ballons que lui tend Naruto.

— Pfffrrr alors les Hawks, voyons, s'esclaffe Naruto en faisant semblant de réfléchir. Un bon petit Pink Floyd pour épater la galerie, puis un Metallica parce qu'ils ne savent rien faire d'autre et ensuite…

— Pas sûr que ce soit aussi prévisible, grogne Tenten l'air sombre. Neji avait son petit sourire insupportable sur la gueule. Ils nous réservent une bombe atomique.

La menace détend un peu le sourire de Naruto, mais il se reprend vite :

— Ben nous aussi, alors on sera quittes.

— A condition qu'on se foire pas sur le deuxième, tempère Tenten avec un stress visible. J'suis pas sûre qu'on a bien fait de choisir ça…

— Arrête ! s'impatiente Naruto. On s'est entraînés comme des bêtes !

Mais le regard de Tenten dérape vers Hinata et Naruto se tourne vers elle à son tour : Hinata se mord la lèvre. Ce dernier morceau, c'est elle qui l'a démembré, il n'est pas très compliqué, mais il demande quelque chose qu'aucun d'entre eux ne maîtrise parfaitement : le chant. Et pire que ça, il demande de la voix.

Or, la voix, Hinata est bien la plus handicapée pour ça. Pour Naruto et Tenten, c'est plus simple, ils n'ont jamais eu aucun problème à en donner. Ils ont plutôt du mal à ne pas gueuler, en fait.

— Je… Je me suis entraînée, assure Hinata sans grande conviction.

— Ha, fait Naruto.

— Ha, répète Hinata, comme ils l'ont déjà fait des centaines de fois.

— Haa !

— Haaa !

— HAAAA ! gueule Naruto.

— HAAAAAAAAA ! hurle Hinata.

Sa voix éclate dans le couloir, rebondit contre les murs. Elle est sortie de son ventre et pas de sa gorge, le son est profond et solide. Tenten est morte de rire.

— OK c'est bon, je te crois, rigole-t-elle.

Elle dégringole de l'échelle :

— Allez, on s'arrache.

Et ils cavalent le long du couloir en emportant échelle et ballons, s'égosillant à tour de rôle :

— HAAAA !

— WOOOH !

MY HEAAART !

IS BEATING FASTER !

I KNOW WHAT I'M AFTEEER !

— Hé, gardez-en pour tout à l'heure, s'esclaffe quelqu'un sur leur passage.

Il y a tant de bruit dans le lycée que leurs hurlements se perdent dans le vacarme ambiant. Ils croisent Shikamaru qui aide Asuma à installer le stand de jazz dans la cour, il a l'air déjà crevé, puis font un détour pour se moquer de Kiba qui est monté accrocher des ballons sur le panier de basket et qui n'arrive plus à redescendre. Au premier étage, Kurenai assure la préparation de son stand de chant avec ses élèves de première année, plus loin Gai souffle dans son tuba et Lee traîne une grosse caisse en chantant à tue-tête ; au deuxième, c'est Iruka qui engueule un groupe parce qu'ils ont laissé traîner des clous et que Shizune vient de marcher sur l'un d'entre eux et au troisième, Kakashi s'est planqué derrière une pile de cartons pour boire un café en douce.

A onze heures pétantes, pourtant, toutes les classes sont rassemblées en tas dans la cour et Tsunade s'avance sur l'estrade tout juste installée sous le self :

— Et maintenant, tonne-t-elle dans le micro, grâce à votre magnifique travail collectif, je peux déclarer ouverte cette deux centième journée de portes ouvertes du lycée Senju !

Huit cent élèves s'égosillent dans la cour, au milieu des ballons et des confettis jetés à pleines poignées. La grande banderole accrochée à la balustrade du self claque dans le vent, le soleil dégouline le long des bâtiments et le vent souffle joyeusement : l'air de fête s'engouffre à travers les moindres espaces libres.

— Les stands seront accessibles jusqu'à quinze heures, reprend la directrice. Pour le déjeuner, des sandwichs seront à disposition au self. Et à quinze heures trente…

Elle s'interrompt pour laisser le temps au parterre de se remettre à hurler d'anticipation, puis achève ce que tout le monde sait déjà :

— … à quinze heures trente, la compétition pour l'Auditorium débutera !

— Hum, intervient Shizune. Madame la directrice, c'est surtout…

— Je veux dire, se reprend Tsunade, à quinze heures trente la salle de concert recevra les groupes de ce lycée pour une démonstration des enseignements prodigués par cet établissement afin que les visiteurs extérieurs puissent se faire une idée.

Shizune approuve, soulagée, mais Tsunade ajoute déjà :

— Mais on sait tous que le véritable but de cette représentation est… !

— L'AUDITORIUM ! hurlent les huit cents élèves.

— Qu'on ouvre les portes ! clame alors Tsunade.

Iruka et Kakashi s'arc-boutent sur les lourds battants du portail et rabattent les grilles pour dégager l'entrée. Des gens attendent déjà à l'extérieur et le lancement de la journée est définitivement envoyé par la sono que Gai met en route sur l'estrade. Après une dernière ovation, les élèves bondissent dans tous les sens et s'éparpillent en direction des stands.

Il y en a près de quarante ; pour les deux tiers, il s'agit de stands d'informations qui présentent les spécialités propres au lycée Senju, les options et les activités extrascolaires. Mais le tiers restant est composé d'animations, de jeux et de barbes à papa : autant dire qu'ils sont rapidement pris d'assaut. Comme c'est déjà la cohue un peu partout, Hinata propose d'aller faire un tour vers les stands musicaux et les Scarecrows vont flâner près de l'allée couverte en accordant une oreille distraite aux musiques qui s'échappent de chacun des postes. Dans la cour, la sono braille :

I just can't get enough, I just can't get enough…

— Vous savez quoi ? lance Tenten alors qu'un groupe de jeunes visiteurs leur passe devant en regardant autour d'eux d'un air impressionné. J'aime jamais autant ce lycée que quand y'à des extérieurs dedans.

— Ouais, soudain on est fiers d'être d'ici, approuve joyeusement Naruto en dépassant deux filles du Conservatoire en arrêt devant les panneaux qui présentent les cours du soir.

— C'est à pas donner envie de partir, ajoute Tenten d'un air sombre.

Hinata se tourne vers elle avec surprise :

— Mais c'est vrai, c'est ta dernière année, souffle-t-elle. On n'y avait pas pensé. Tu vas où après ?

— Ooof, j'ai encore le temps d'y réfléchir, élude Tenten avec un geste nonchalant de la main.

— Arrête, t'as forcément une idée, insiste Naruto.

Tenten hausse les épaules :

— J'me disais… Enfin, c'est con, vous allez vous foutre de ma gueule…

— Alleeeez !

— J'me disais que ce serait canon d'être prof, grommelle Tenten en regardant ailleurs.

Naruto et Hinata échangent un regard surpris, puis un sourire.

— Je croyais que tu voulais continuer la batterie ? demande Hinata avec douceur.

— J'veux toujours ! proteste Tenten. Mais j'suis réaliste, j'sais bien que c'est quasiment impossible de vivre de sa musique. Pas tout de suite en tout cas. Alors que si je suis prof…

— C'est une idée de ouf, la coupe Naruto. Tu vas tout défoncer.

— Surtout tes élèves, souffle Hinata en aparté.

Elle voit d'ici la terreur que répandra le foutu caractère de Tenten parmi les classes. Nul doute qu'elle sera pire que tous leurs profs réunis.

— Tu reviendras nous voir, hein ? demande Naruto.

— Attend, évidemment que je reviendrai. Faut quelqu'un pour vous jeter des tomates à la compète des Portes Ouvertes de l'année prochaine.

Naruto rigole, mais Hinata est soudain inquiète :

— Vous pensez qu'il y en aura ? demande-t-elle nerveusement. Des tomates ?

— Mais non ! s'esclaffe Naruto.

— Euh… fait Tenten, moins optimiste. Dans ma classe, ils se sont cotisés pour acheter une cagette de salades, alors on ferait bien de se préparer la vinaigrette dès maintenant, les cocos.

— C'est original, des salades, fait remarquer Naruto.

— C'est pour l'effet de scène.

Ils rigolent bêtement, plus rien ne les atteint, l'échéance est bien trop proche pour se laisser démonter par ce genre d'appréhension. De toute façon, à ce stade, ça passe ou ça casse : plus la peine de se faire du mouron. Dans cinq heures, ils seront soit couverts de gloire, soit morts de honte. C'est quitte ou double, et c'est comme ça.

Enfin, c'est ce qu'ils se disent maintenant. Faudra voir leur état une heure avant le grand show…

Aux alentours de midi, ils ont fait le tour des stands en quatrième vitesse et vont se goinfrer de sandwichs à la cafétéria. Ils y croisent Ino et Sai, visiblement en excellents termes puisqu'ils discutent avec animation de tout un tas de trucs et pas seulement de musique, comme c'est toujours le cas dans ce lycée. Tenten a l'air de s'étonner de les découvrir déjà copains comme cochons alors qu'Ino lui a parlé de l'intérêt qu'elle porte à son ami seulement quelques jours plus tôt, mais elle ne dit rien. Hinata fait simplement remarquer que c'est rare de voir Ino sans Sakura ni aucune des filles qu'elle se coltine d'ordinaire.

— Faut croire qu'on n'est pas les seuls à évoluer, lance Tenten avec un haussement d'épaules faussement indifférent.

Ino lui a envoyé un clin d'œil dans le dos de Sai et la voir témoigner de la complicité la rend perplexe. Puis elle se dit qu'après tout, si ces deux-là finissent vraiment par devenir amis ou pire, amoureux, c'est peut-être pas plus mal qu'elle s'entende bien avec Ino. Parce que s'il y a bien une chose de sûr pour l'avenir qu'elle envisage, c'est qu'elle gardera contact avec Sai. Ce type est le seul mec du bahut qui ne l'a presque jamais saoulée et il gagne à être connu.

Vers treize heures, les Scarecrows ont le ventre plein à craquer et déambulent dans la cour sans parvenir à ressentir l'habituelle somnolence qui suit un repas copieux. Ils sont trop excités pour ça, l'activité du lycée est toujours à son comble et c'est difficile de faire deux pas sans remarquer un truc qui les fera rigoler, comme Gai qui joue toujours du tuba sous un arbre ou la sœur de Kiba qui a ramené son chien avec elle ou les élèves du lycée Abura qui tâtent la concurrence. Naruto, Hinata et Tenten vont et viennent dans la foule, énergiques comme jamais, et finissent par aller chercher leurs instruments pour se défouler vers les pelouses.

Les Hawks ont visiblement eu la même idée, parce qu'ils sont déjà installés là et que les vocalises de Sakura résonnent jusqu'au gymnase. En un clin d'œil, les deux groupes se charrient allègrement :

— Ha ha, vous vous la pèterez moins quand vous verrez ce qu'on vous a préparé !

— C'est à nous de dire ça !

Kiba se redresse de toute sa hauteur, le regard pétillant, et pointe un index défiant sur le petit trio des Scarecrows :

I'm gonna figth them all, a seven nation army couldn't hold me back ! entonne-t-il d'une voix guerrière.

Hinata répond du tac au tac, son regard amusé et complice vrillé dans le sien :

They're gonna rip it off ! Taking their time right behind my back…

And I'm talking to myself at night because I can't forget !

Tout en chantant, Kiba et Hinata ont machinalement empoigné basse et guitare et placés leurs doigts sur les cordes. Autour d'eux, les autres battent la mesure du menton, hilares et déjà prêts à entrer dans le jeu.

Back an forth through my mind behind a cigarette, se lance à son tour Naruto en décrochant sa basse de son épaule.

And a message coming from my eyes says leave it alone ! beuglent ensemble Hinata, Kiba, Tenten et Lee.

La dernière syllabe est à peine jetée que sept instruments rugissent en parfaite synchronisation pour balourder la ligne de force, puissante, monstrueuse, rlam pa pa pa pa pam, rlam pa pa pa pa pam pa pam , cette ligne mythique qui a fait de ce morceau un succès universel, intemporel. Sasuke, Neji, Lee, Kiba, Naruto, Hinata, Tenten, ils sont tous là à jouer et ça craque et ça pète et leur explosion collective est un merveilleux hommage aux White Stripes. Sakura et Shikamaru sont morts de rire, ils veulent participer aussi, se mettent à chanter la suite :

Don't wanna hear about it, every single one's got a story to tell, everyone knows about it from the Queen of England to the hounds of hell and if I catch it coming back my way I'm gonna serve it to you !

Le morceau défile comme ça jusqu'au bout, ils sont explosés, essoufflés, vibrants comme jamais, et les Scarecrows ne laissent le temps à personne d'attendre que l'ultime note s'éteigne : à leur tour de lancer un défi maintenant. Naruto commence une nouvelle ligne de basse alors qu'ils en sont à peine à la dernière mesure du précédent, les cordes claquent sous ses doigts et le son résonne plus haut que tous les autres. Hinata et Tenten s'envoient un sourire de triomphe connivent, elles ont reconnu le morceau, elles rejoignent Naruto sans une seconde d'hésitation :

Whoa, Black Betty, bam-ba-lam ! Whoa, Black Betty, bam-ba-lam !

C'est au tour des Hawks d'échanger des coups d'oeil entendus : Ram Jam, ils connaissent aussi. Complètement dans le délire, Shikamaru lève le bras, ses musiciens se tournent vers lui par réflexe et foncent dès que le manager baisse son poing avec la force d'un joueur de base-ball en plein match. Deux guitares électriques, deux basses, deux batteries, un violon en carbone, neuf chanteurs : la puissance du son est telle que les oiseaux s'envolent en catastrophe autour d'eux.

Black Betty has a child bam-ba-lam, The damn thing gone wild, bam-ba-lam ! She's so rock steady, bam-ba-lam ! And she's always ready, bam-ba-lam !

I said oh, Black Betty, bam-ba-lam ! Whoa, Black Betty, bam-ba-lam !

All right !

Ils sont tellement à fond que personne ne remarque qu'Asuma et Kurenai se sont arrêtés à l'angle du bâtiment de science. Debout sur le chemin de graviers, les deux professeurs regardent leurs élèves s'exciter sur leurs instruments en se demandant à quand remonte la dernière fois qu'ils les ont vus s'éclater autant. Derrière eux, les visiteurs ont commencé à affluer, attirés par le bruit, et une petite foule se forme peu à peu pour assister au spectacle en claquant des mains.

Les Hawks et les Scarecrows n'ont rien rodé, ils sont ailleurs, entre eux, ensemble à pieds joints dans le rock, et il faut que la foule se mette à applaudir à toute volée à la fin du morceau pour qu'ils relèvent la tête et s'interrompent pour de bon. Regardant d'un œil les visages soudain gênés des ados, Asuma lance à sa collègue :

— Les miens sont quand même plus impressionnants.

Kurenai s'offusque :

— Tu plaisantes ? Les Hawk maîtrisent comme jamais.

— Hé, enlève tes boules Quiès. On n'entend que les Scarecrows.

— Ha ! On verra bien qui aura le dernier mot tout à l'heure !

Les lèvres d'Asuma s'étirent en un sourire inhabituel : c'est une expression de défi qui naît sur son visage.

— Pari tenu, jette-t-il.

Autour d'eux, la foule s'est dispersée et Sakura entonne déjà à pleine voix :

What if god was one of us ? Just a slut like one of us ? Just a stranger like one of us ?

Et les derniers instants avant le début de la compétition s'envolent dans le fracas des instruments.

C'est Lee qui s'arrête le premier, un œil sur sa montre :

— Va falloir y aller.

Tout le monde se tait, les deux groupes se regardent. La rigolade est terminée, la parenthèse est fermée : ils se souviennent qu'ils sont rivaux et qu'à la fin de l'après-midi, l'un des groupes l'aura remporté sur l'autre.

Il est quinze heures quinze.

*


Les musiciens cavalent dans les allées, papillonnant d'un élève à un autre, de la vieille tante à la grand-mère, des toilettes à la scène, des coulisses aux vestiaires. La frénésie précédant tout spectacle a envahi le moindre centimètre cube de la salle de concert et la tension qui monte sourdement donne l'impression à Hinata de nager dans une nappe de mazout alors qu'elle se dirige vers l'accès aux coulisses. Sur la grande estrade tendue de noire, les techniciens du lycée achèvent de faire les réglages de lumière et le regard de Hinata s'attarde sur cet espace surélevé qu'elle va devoir affronter dans moins d'une heure.

Les spectateurs s'installent avec vacarme sur les rangées de sièges, les bavardages vont bon train, les parents se saluent entre eux, les familles se rassemblent, les enfants courent partout, les professeurs sont interpellés tous les deux mètres. Plus que dix minutes avant le lancement.

Hinata atteint enfin la porte qui donne sur les coulisses et se faufile à l'abri des regards avec soulagement. Les couloirs sont bondés d'élèves en stress, accrochés à leurs instruments, et des sons de tous les genres résonnent de toutes parts. Hinata traverse les îlots de musiciens en sentant la tête commencer à lui tourner. Elle arrive enfin dans les vestiaires, là aussi c'est noir de monde, elle fonce sur son casier, sort sa guitare, son ampli, entasse le tout à ses pieds, puis tend la main pour prendre sa pédale de distorsion.

Et là, ses doigts se referment sur le vide. Elle redresse la tête. Tâtonne dans son casier ostensiblement vide. Elle n'y croit pas encore. Elle cherche dans les angles. Rien.

— Non, souffle-t-elle en devenant livide d'un coup.

Elle regarde par terre, retourne son sac, ouvre l'étui de sa guitare, se jette à nouveau sur son casier vide. Ses entrailles se compriment violemment, disparaissent, il ne lui reste plus que ses yeux horrifiés et sa bouche entrouverte sur un hurlement épouvanté qui ne veut pas sortir.

— Ah Hinata, t'es là ! s'exclame joyeusement Naruto.

Il s'arrête immédiatement en voyant son expression.

— Quoi ? s'affole-t-il.

— J'ai oublié ma pédale de distorsion à la maison, dit Hinata dans un souffle.

Le visage de Naruto se teinte d'effarement. Derrière eux, les Hawks tournent la tête dans leur direction. Naruto s'est précipité sur le casier :

— T'es sûre ?

Hinata a déjà les larmes aux yeux. Tenten déboule, comprend, hallucine :

— Tu déconnes ?!

— Appelle Hanabi, coupe Neji depuis son propre casier. Ils ne sont peut-être pas encore partis, ils n'en ont que pour cinq minutes de trajet...

Hinata se jette sur ses poches pour récupérer son téléphone, elle a les mains qui tremblent comme des feuilles, contacts, Hanabi, appeler –

— Hanabi, t'es encore à la maison ? Vous êtes déjà partis ? Non ?

Le soulagement étreint le cœur de Hinata. Elle supplie précipitamment :

— Ma pédale, il faut absolument que tu trouves ma pédale et que tu me l'apportes, elle est dans la salle de musique, près du piano, c'est une petite pédale noire avec un câble… T'y es ? T'es dans la salle de musique ? Une petite pédale noire… Avec un…

Mais le visage de Hinata se décompose sous le regard appréhensif de Naruto, Tenten et la totalité des Hawks. Les larmes reviennent dans les yeux gris, elle murmure :

— Comment ça, elle n'y est pas ?

Naruto se détourne en se prenant le visage dans les mains. Tenten jure de toutes ses forces. Hinata insiste, elle ne veut pas abandonner, elle ne peut pas :

— Regarde encore, sous le piano, je t'assure… Vraiment, non ? Alors va voir dans ma chambre, on sait jamais… Non plus ? Et dans l'entrée ? La chambre de Neji ? Le… la cuisine ?

Mais Hiashi appelle Hanabi au loin et tous leurs espoirs s'envolent. Hinata laisse tomber son bras le long de son corps, son téléphone pendant dans sa main.

— Je… J'ai oublié ma pédale de distorsion, répète-t-elle misérablement comme pour se forcer à réaliser ce que ces quelques mots impliquent.

— C'est de ma faute, dit aussitôt Naruto. Je t'ai bousculée ce matin, avec mon message. C'est de ma faute…

— Bien sûr que non, c'est pas ta faute ! s'énerve Hinata que la panique rend impulsive. C'est la mienne ! C'est parce que je suis nulle, voilà ! Je rate toujours tout, de toute façon ! Je croyais pouvoir jouer aujourd'hui, mais non, faut que je fasse tout planter ! Je suis tellement…

— T'as qu'à prendre la mienne, l'interrompt Sasuke.

Son intervention est tellement inattendue que Hinata s'arrête net.

— Quoi ?

— Vous passez juste après nous, j'ai qu'à la laisser branchée, poursuit Sasuke, les joues rouges mais le regard vrillé dans celui de Hinata.

Hinata sent les larmes revenir de plus belle. La proposition de Sasuke la touche si profondément qu'elle aimerait se jeter à son cou, mais elle sait que c'est pas si simple, d'ailleurs Tenten le fait remarquer d'une voix dépitée :

— Ça marchera pas, vous utilisez pas la même marque.

— On s'en fout, l'adaptateur est pareil !

— Ouais mais pas la sortie. Ça marchera pas.

Silence consterné. Les Hawks sont embêtés malgré eux. Naruto dit d'une petite voix à Sasuke qui s'est renfrogné :

— Merci quand même.

Sasuke hausse les épaules, furieux. Il aurait aimé remercier Hinata pour ce qu'elle a fait pour lui, au sujet d'Itachi et tout ça, mais comme d'habitude il ne sert à rien. Ça lui fout les boules. Naruto frappe soudain le casier vide du poing :

— On peut peut-être trouver quelqu'un avec la bonne pédale qui voudra bien nous la prêter ! s'exclame-t-il vigoureusement. On cherche !

Le trio des Scarecrows s'éparpille aussitôt sous le regard atterré des Hawks. Le vestiaire se vide peu à peu, les musiciens se répartissent dans les coulisses, les ordres de passage circulent de groupe en groupe, les derniers sièges de la salle se remplissent. Les Hawks se sont rassemblés dans un couloir, silencieux, leurs instruments contre le mur. Ils écoutent la rumeur des conversations se tarir, imaginent les lampes s'éteindre, le projecteur s'allumer, puis la voix de Tsunade leur parvient depuis la scène :

— Bonjour à tous. C'est avec une grande fierté que je vous accueille en ce jour des deux centième Portes Ouvertes du lycée Senju et je suis très heureuse de vous voir si nombreux pour assister à la représentation des élèves qui…

Le discours se poursuit puis s'achève sans que les Scarecrows soient revenus. Shikamaru commence à s'agiter, ça l'énerve, il n'a pas besoin de stresser pour ses rivaux, y'à déjà bien assez à faire pour son propre groupe, merde ! Mais les autres sont pareils : Kiba et Lee jettent des coups d'oeils nerveux au fond du couloir, Sasuke mâchonne sa langue et Neji a l'air de réfléchir à toute allure. L'avantage, songe ironiquement Shikamaru, c'est que cette histoire les a détournés de leur propre peur. Normalement, ils auraient dû être actuellement en train de flipper leur race. Décidément, les Scarecrows les auront aidés à leur insu tout du long.

Shikamaru sursaute quand les accords du premier groupe résonnent depuis la salle, c'est toujours le classique qui passe en premier, il reconnaît du Vivaldi, puis une porte claque et Temari remonte le couloir en courant.

— Putain vous êtes là ! J'vous ai cherchés partout !

— Qu'est-ce que… T'avais dit que tu viendrais pas, proteste Shikamaru.

— Ouais mais y'à que les cons qui changent pas d'avis.

Temari arrive enfin à sa hauteur, elle lui plaque un beau baiser sur la bouche, salue les autres d'un geste.

— Gaara et Kankurô sont là aussi, dit-elle à toute allure. J'vais les rejoindre, on est au fond, à droite. Vous avez pas vu Tenten ?

— Elle, euh… Elle a un contretemps.

— Quoi ? Elle va pas jouer ?

— Oh si, répond Neji à la place de Shikamaru qui ne sait pas quoi dire. Elle jouera. Quoi qu'il arrive, elle jouera.

Temari le fixe d'un œil perçant, puis elle se retourne vers Shikamaru.

— J'compte sur toi, lui dit-elle.

Elle a disparu depuis longtemps quand les Scarecrows reviennent enfin, haletants et désespérés. Les Hawks étaient en train de ramasser leurs affaires pour se diriger vers les coulisses, le classique est presque terminé et Sakura est déjà venue les rejoindre parce que c'est elle qui commence, avec Sasuke.

— C'est foutu, geint Naruto en prenant appui contre le mur.

— Qu'est-ce qui est foutu ? s'inquiète Sakura dont le regard va du visage dévasté de Hinata à l'expression furieuse de Tenten.

— Rien ! gueule celle-ci. Rien n'est foutu ! Pédale ou pas, on montera sur cette putain de scène ! Fuck ! Hinata, tu vas te démerder, on te couvrira !

— Je… Je suis tellement désolée, je… bredouille la malheureuse Hinata.

Mais Neji se penche soudain entre les deux filles, le regard posé sur quelque chose au bout du couloir :

— Pas de panique, dit-il calmement. La solution arrive.

Hinata se retourne d'un bond et au lieu de s'apaiser, elle devient encore plus terrifiée. C'est Hiashi qui s'avance, immense et imposant, sévère et dur. Les adolescents le regardent approcher sans dire mot, impressionnés et redoutant ce qui va suivre. Instinctivement, ils reculent pour laisser Hinata seule face à l'ennemi. Seul Naruto revient sur cette impulsion et se rapproche d'un pas, décidé à l'épauler envers et contre tout.

Mais la précaution est inutile. Hiashi s'arrête devant sa fille, la toise de toute sa hauteur puis sort quelque chose de sa poche :

— Tu vas avoir besoin de ceci, il me semble.

Neji sourit. Hinata reçoit sa pédale de distorsion sans en croire ses yeux. Elle a le souffle coupé.

— Je voulais te le dire ce matin, mais tu es partie trop vite, poursuit Hiashi sans se départir de son visage interdit. Ta mère est arrivée cet après-midi. Elle est assise dans la salle.

Hinata lève des yeux immenses vers son père. Son ébahissement est tel que l'ombre d'un sourire traverse les traits rigides du grand Hiashi Hyûga.

— Ne nous déçoit pas, ajoute-t-il sévèrement pour donner le change.

Hinata ravale ses larmes, essaye de répondre quelque chose, puis finalement se jette dans ses bras. Hiashi ne s'attendait pas à ça, il est tout étonné, ne sait pas quoi faire de ses mains. Finalement, il tapote maladroitement la tête de sa fille est toussote un peu lorsqu'elle s'écarte.

— Bien, je vais… Je vais retourner à ma place.

Et il s'éloigne de la même façon qu'il est venu. Naruto a posé une main chaleureuse sur l'épaule de Hinata et lui envoie un grand sourire. Elle a un rire nerveux :

— Depuis quand est-ce qu'il savait ?...

— Depuis un mois environ, répond tranquillement Neji. Lorsqu'il a reçu l'autorisation pour le droit à l'image.

Hinata et Naruto se tournent vers lui d'un bloc :

— T'étais au courant ! s'offusquent-ils.

— Je crois qu'il ne reste plus grand monde qui ne soit pas au courant, persifle Neji.

Mais il ne peut empêcher son sourire de revenir s'inviter sur ses lèvres. Heureusement, Shikamaru intervient en signalant qu'à moins que ses oreilles ne l'abusent, ils en sont au jazz maintenant et qu'après c'est le rock donc ils feraient mieux de se mettre en place. Les Hawks récupèrent leurs instruments, lancent un dernier regard rieur aux Scarecrows et se faufilent dans les coulisses.

*


Me against the world ! gueule un groupe de première année sur la scène.

Tenten les regarde hurler, elle compte les fausses notes, sourit devant leur enthousiasme puis survole l'assemblée du regard sans pouvoir reconnaître qui que ce soit. Elle sait que ses frères sont là, quelque part : ils ne rateraient pas l'occasion de se foutre de sa gueule. Au premier rang, il y a tout le gratin de l'école, les professeurs alignés les uns à côtés des autres d'un air sérieux. Asuma est assis à côté de Kurenai. Il est venu voir les Scarecrows un peu plus tôt, pour tâter leur état, leur dire de bien respirer, de se concentrer et tout ira bien. Rien que pour lui faire honneur, rien parce que ce prof leur a un jour fait confiance, Tenten veut gagner.

Le groupe de premières années achève sa prestation sur un dernier accord et quitte la scène sous les applaudissements en évitant les salades qui parsèment déjà la scène. C'est toujours au rock que les gens jettent des salades. On n'a jamais vu de légumes pendant un concert de musique classique.

Tenten s'écarte pour laisser la voie libre à Sasuke, Lee et Sakura – qui est blanche comme un linge – puis estime qu'il est temps de retrouver ses Scarecrows et lâche la teinture noire qu'elle avait légèrement écartée pour regarder la scène. Elle s'est à peine faufilée dans l'un des couloirs des coulisses qu'une voix l'interpelle :

— Hé, Tenten !

Elle se retourne : c'est Neji. Elle est un peu surprise de le voir là, les Hawks ont le tour suivant, il devrait être en train d'accorder son violon. Neji laisse passer le groupe de premières années, la rejoint, attend que les autres soient éloignés pour parler :

— Avant qu'on y passe, j'voulais te dire…

Un sourire s'étire sur les lèvres de Tenten, ses yeux pétillent d'anticipation. En face d'elle, Neji a un visage de fierté gênée.

— … bonne chance, achève-t-il finalement. Ouais, c'est ça : bonne chance.

Le sourire de Tenten s'élargit :

— C'est tout c'que t'as à me dire ? Sérieux ?

Neji la fixe sans bouger pendant quelques secondes.

— Tu vas me détester si je gagne cette compète, prédit-il.

— Y'à du vrai.

Un silence plane entre eux. Sur la scène, on entend la batterie de Lee, la guitare de Sasuke et la voix de Sakura qui commence : There is a house in New Orleans, they call it Rising Sun… Tenten se redresse un peu, sourit encore, malicieuse :

— Si les Scarecrows perdent, tu sors avec moi pour me consoler ?

Neji la regarde en secouant la tête, il n'en revient pas.

— T'es grave, Tenten.

Puis il demande, le plus sérieusement du monde :

— Et si c'est les Hawks qui perdent ?

— Arrête, rigole Tenten, t'y crois pas une seconde.

— C'est pas faux.

Alors ils échangent un sourire, puis Neji glisse une main sur la nuque de Tenten et embrasse ses lèvres. Il s'apprête à se redresser aussitôt, mais Tenten l'a attrapé par le col de sa chemise et le baiser se prolonge dans les accords déchirés de Frijid Pink :

… My father was a gamblin' man down in New Orleans…

La voix de Sakura est sensationnelle, vraiment. Enfin, peut-être pas tant que ça, mais en cet instant précis, Tenten trouve tout magnifique. Neji et elle ont reculé dans l'ombre, entre les teintures noires, et jamais le rock ne lui a procuré une telle sensation d'extase que celle qu'elle éprouve maintenant, juste maintenant, simplement à cause de Neji.

Oh mother ! Tell your children not to do what I have done, spend your lives in sin and misery in the House of the Rising sun…

Le solo de guitare de Sasuke se déploie, il est parfait, vibrant, empreint d'émotion et de personnalité. Sakura lui répond, la voix tremblante d'intensité, elle ne chante plus, elle déclame :

There is a house in New Orleans

They call it Rising Sun

And it's been the ruin

Of many a poor boy

And God I know I'm one…


La voix de Sakura s'éteint sur le dernier mot, elle relâche sa prise sur le micro, ses épaules se soulèvent, haletantes. Elle est au bord des larmes alors qu'elle se tourne vers Sasuke et Lee qui finissent la conclusion, appliqués, rigoureux, puis Sasuke relève la tête, le souffle court.

Le morceau est fini, ce n'était même pas une part de sa véritable prestation et pourtant, il est gagné par un incroyable sentiment de devoir accompli. Voilà, ça y est, lui il a réussi ce qu'il voulait réussir, il a fait ce pourquoi il est monté sur cette scène branlante. Tout ce qui peut suivre n'aura pas la même importance… Tout ce qui suit, c'est juste pour le plaisir, celui de jouer avec son groupe qui monte à son tour sur scène.

Il se retourne, cherche Neji des yeux, accroche son regard serein entre deux mèches d'encre ; il intercepte le pouce levé de Lee, le rire triomphant de Kiba, cherche enfin Shikamaru dans l'obscurité des coulisses et distingue un sourire. Il se sent bien, entouré.

Les Hawks. Ils sont son cocon, son armure, son petit nid sécurisant dans lequel il a pu avoir le temps de se construire sans avoir peur. Il sait que c'est la dernière année qu'il passe avec eux. Son avenir, il a compris maintenant que c'était Kerosene.

Sakura quitte la scène en passant près de lui, il lui attrape la main pour la presser, c'est comme un remerciement, elle lui sourit puis s'efface dans les plis des teintures. Elle est encore essoufflée lorsqu'elle rejoint Sai et Ino près d'un poteau du côté des spectateurs.

— T'as été sensass ! piaille Ino à mi-voix.

Sakura glousse de joie, la pression retombe, ça lui fait un drôle d'effet. Puis elle se retourne vers la scène : l'apparition des Hawks a déclenché un véritable raz-de-marée d'applaudissements auquel elle se joint avec ardeur.

— Ceux-là, ils ont même pas encore joué une seule note que tout le monde les acclame, grogne Naruto depuis son poste dans les coulisses.

A côté de lui, Hinata est trop chamboulée pour lui répondre. Elle a le tournis. La bulle de panique provoquée par la peur de devoir jouer sans pédale de distorsion est toujours aussi grosse dans sa cage thoracique, et elle est écrasée par une autre bulle, énorme, de stupéfaction ; la petite bulle de soulagement peine à se frayer un chemin là-dedans et la bulle de stress n'est jamais partie et avec tout ça Hinata a l'impression qu'elle va bientôt exploser. Puis la main chaude de Naruto prend la sienne et c'est comme une porte qui s'ouvre : les bulles se bousculent pour passer et s'envolent haut dans le ciel. Hinata respire.

Elle serre les doigts de Naruto dans les siens, ils ne tremblent plus, ils sont fermes et tièdes, solidement refermés sur sa main. Naruto et Hinata n'échangent même pas un regard mais pas besoin, elle sait, elle sent : Naruto n'a plus peur.

Alors elle non plus.

— Tout va bien se passer, souffle Tenten en surgissant d'entre deux teintures, haletante.

— Bien sûr, assure Hinata.

— Quelle question, complète Naruto.

Tenten craque un sourire imprévu, vient mettre un bras sur leurs épaules, referme le cercle.

— Vous êtes les meilleurs, assure-t-elle. Enfin, en musique je suis pas sûre, mais pour le reste vous roxez à mort.

— Merci grosse, sourit Naruto en lui filant un coup sur l'épaule. T'es pas mal non plus.

— Enfin, pour le reste on n'est pas sûrs, mais pour la musique… ajoute malicieusement Hinata.

— Woah Hina, baby ! Tu te mets à vanner maintenant ?! T'as bouffé quoi ce matin ?

— Un demi kilo de ramens !

— Ben c'est efficace comme came, fait Tenten en hochant la tête. Et au fait…

Elle désigne leurs mains étroitement jointes :

— Vous auriez pu me prévenir !

— On n'était pas trop prévenus nous-mêmes en fait, explique Naruto en rougissant un peu.

C'est la première fois que Hinata voit Naruto rougir d'autre chose que de colère. C'est tellement craquant qu'elle ne l'aime qu'encore davantage. Elle ne savait pas que c'était possible. Alors elle comprend : Naruto, elle ne fait que commencer à l'aimer…

— J'vous préviens, j'veux être la marraine de votre premier gosse et avoir un droit sur le choix du prénom, continue Tenten.

— Hors de question, répond Naruto d'un ton catégorique. J'veux pas que mon aîné s'appelle Sharon ou une autre connerie du genre.

— Hein ?! Je choisirais jamais un truc comme ça !

Puis ils se taisent : sur scène, les Hawks ont lancé les premiers accords de leur introduction et la pression grimpe d'un coup. L'introduction est une étape fondamentale dans leurs prestations, les Scarecrows aussi l'ont bossée avec soin. C'est ces quelques mesures inachevées qui vont dissiper les bavardages de l'audience, éteindre les applaudissements, refermer les portes pour ne laisser plus qu'une ouverture : celle de la scène. C'est aussi l'introduction qui annonce la couleur, qui prépare le terrain pour tout ce qui va suivre. En somme, c'est l'étrave du navire.

C'est Shikamaru qui a commencé, il s'est mis au piano et Naruto s'étonne de le voir jouer – c'est plutôt rare. Les longs doigts de Shikamaru volent sur les touches, émettant une grappe de notes d'apparence sans lien, puis la mesure se dégage de l'ensemble et la mélodie se met en place, lente et épurée. Naruto n'a pas encore reconnu le morceau et ses yeux bondissent du piano à Kiba lorsque celui-ci entonne d'une voix grave :

This is what I brought you, this you can keep, this is what I brought, you may forget me ; I promise to depart, just promise one thing : kiss my eyes and lay me to sleep !

Et là, vlam, d'un coup, l'ensemble des Hawks abattent leur pied droit sur l'estrade, faisant sursauter tout le monde. Vlam, puis ils claquent des mains en contretemps, clac, et recommencent, vlam clac, vlam clac, vlam vlam clac ! Et Kiba reprend :

This is what I brought you, this you can keep ! This is what I brought, you may forget me ! I promise you my heart, just promise to sing…

Neji a empoigné son archet, Sasuke sa guitare, Lee ses baguettes – ils martèlent la mélodie dessinée par Shikamaru avec force tandis que les autres fracassent toujours le sol du pied – l'estrade tremble. Et Kiba poursuit, plus agressif que jamais : Kiss my eyes and lay me to sleep…

— OK wow, admet Tenten qui s'est tellement penchée qu'elle menace de basculer à travers l'ouverture des teintures.

Ils ont à peine le temps de se remettre du choc que les accords s'éloignent pour laisser à nouveau la place au piano. La mélodie a changé, ils transitent vers leur premier morceau, Shikamaru presse la même touche avec une régularité hypnotisante. Puis le violon de Neji se met à murmurer, les couleurs jaillissent, la scène disparaît, un nouvel univers s'ouvre sous les accords poussifs et envoûtants – ils voient l'océan, le ciel comblé de nuages noirs, le vent souffle, l'eau se soulève – et la voix de Kiba sort désincarnée, un écho, un va-et-vient lointain et lancinant qui s'infiltre dans les cerveaux et fait vibrer les artères.

Before I die alone… Let me have vengeance… Before I die alone, I will have vengeance…

L'archet de Neji se suspend au-dessus des cordes, battement de cœur, on n'entend plus que le piano l'espace de quelques notes, puis le pied de Lee s'abat sur l'une de ses pédales et la masse lourde et profonde de sa caisse vient creuser chaque temps d'un coup au cœur. Progressivement, Lee effleure ses timbales, Neji recommence à jouer, Sasuke réveille sa guitare, Kiba fait frémir sa basse, puis roulement de batterie et tout le monde redémarre – Before I die alone, before my time has gone, there's just one thing I have to do…

L'assemblée est subjuguée, ensorcelée par ce tour de magie hallucinant, ce film qui défile dans leurs têtes et qui prend naissance d'un simple ensemble de sons, le premier rang a arrêté de respirer. Contre Naruto, Hinata retient son souffle elle aussi. Elle est étreinte de la même émotion que celle qui l'avait envahie lorsqu'elle a écouté Red Moon pour la première fois. Elle les cherche du regard parmi les spectateurs, se demande s'ils sont là, si au moins Itachi est venu écouter son petit frère, puis se dit que c'est incroyable, ça y est, les Hawks ont franchi un nouveau palier, ils ont trouvé une identité – leur identité…

Le morceau s'éloigne, le volume baisse comme une vague qui se retire, laissant l'assistance dans un état de second. Les Hawks ont prévu le coup, la transition vers leur second morceau est toute en progression : encore une fois, c'est Shikamaru qui commence au piano puis à la voix. Hinata reconnaît aussitôt la musique, son père écoute souvent ça, mais elle réalise qu'elle a affaire à une toute autre version que celle de Nina Simone dès que les autres rejoignent le solo de Shikamaru d'un véritable débarquement rugissant.

Birds flying high, you know how I feel ! Sun in the sky, you know how I feel…

— J'y crois pas, ils ont osé faire ça ! s'éberlue Naruto.

— J'te parie que c'est l'influence de Temari, ricane Tenten sans perdre une miette du spectacle. Paraît que Shikamaru a traîné tout le monde à ses concerts de jazz, ça a dû leur court-circuiter le cerveau.

— Du jazz ? C'est du Muse !

— Ils ont fait que reprendre la version d'origine, tête de piaf !

Pour une reprise, c'est une sacrée reprise, songe Hinata alors que les pulsations soulèvent les spectateurs de leurs sièges. C'est d'une énergie redoutable, puissante et massive, impossible à éviter, et c'est assez dingue de voir les Hawks produire une telle force contrôlée.

— It's a new dawn, it's a new day, it's a new life for me… And I'm feeling good !

L'assemblée ne tient plus en place, elle hurle, applaudit alors que c'est pas fini, il reste encore un morceau. Au premier rang, Kurenai lance un regard de triomphe moqueur à Asuma qui l'ignore, et sur scène, les cinq garçons échangent un regard brillant avant de se jeter dans le dernier round.

Hinata est surexcitée : elle n'en peux plus d'attendre de savoir ce qu'ils ont préparé en conclusion. Elle n'est pas déçue : Boulevard of Broken Songs, Dean Gray. Evidemment, les Hawks ne pouvaient pas se contenter de reprendre la version de Grean Day, non, il leur fallait du défi. Evidemment, ils ne pouvaient pas résister à l'envie d'intégrer l'extrait d'Aerosmith qui clôture le morceau, non, un concert des Hawks sans Aerosmith ça n'existe pas. Dieu qu'ils sont dingues, songe Hinata avec exaltation.

— I walk this empty street on the Boulevard of Broken Dreams, where the city sleeps and I'm the only one and I walk alone…

C'est terriblement amusant de les voir jouer un truc aussi normal, aussi de leur âge, plutôt qu'un Metallica ou un Nightwish. Hinata se demande comment ils en sont venus à choisir ce morceau, sans blague. Peut-être qu'ils ont voulu se défouler ? Se faire plaisir ? Changer pour changer ? En tout cas, le plaisir qu'ils prennent à le jouer est tellement visible que Hinata ne peut s'empêcher de sourire.

Les Hawks sont descendus d'une marche dans leur estime d'eux-mêmes, mais ils en ont grimpé cent dans leur progression musicale.

C'est ce qu'on appelle une sacrée évolution…

— Sing with me, sing for the year, sing for the laughter, sing for the tear ! Sing with me, if it's just for today, maybe tomorrow the good lord will take you away !...

L'ultime note résonne encore entre les voûtes lorsque la salle explose en acclamations.

C'est un triomphe.

Et d'un éclair de panique viscéral, Hinata réalise que maintenant c'est leur tour.





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