Fiction: Six Cordes Métalliques (terminée)

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Hinata est penchée sur son cahier avec application. Un stylo à la main, les yeux fixés sur le papier, elle a tout l'air d'une élève concentrée qui suit le cours à la lettre. Sauf qu'en vrai, elle n'a rien écouté depuis le début de l'heure.

Shikamaru s'en est aperçu depuis un moment déjà. Lui non plus il n'écoute pas Kakashi et sa leçon d'anglais, il préfère regarder par la fenêtre en rêvassant. Mais comme il s'est déjà fait reprendre quatre fois en vingt minutes, il s'est détourné de la fenêtre et maintenant il regarde sa voisine de table. Elle marmonne des mots inaudibles, tape un rythme du bout des doigts et ajoute de temps en temps une ligne à sa feuille : Shikamaru a déjà compris qu'elle était en train de composer un truc.

Ça l'étonne, d'abord, parce qu'il ne savait pas que Hinata composait. Puis ça l'inquiète, ensuite : si les Scarecrows composent, ça veut dire que c'est parfaitement possible qu'ils arrivent aux Portes Ouvertes avec un morceau qui serait à eux et rien qu'à eux, et ça, ce serait un truc bien au-dessus de ce que les Hawks ont à proposer. Alors Shikamaru bouge sur sa chaise, s'approche mine de rien, croise les bras et jette un coup d'œil par-dessus le coude de Hinata. Les paroles s'enchaînent les unes au-dessus des autres, c'est de l'anglais, il ne sait pas pourquoi :

I saw you yesterday
You were alone in the crowd
All around people were dancing
The music was so strong
And you looked so lost

Like if you get the wrong place
Like if you get the wrong world

Then a man walked at you
Said something I couldn't hear
Your smile was bright
But right here in the crowed
With the music so strong and the people dancing
I saw perfectly that you were still out of way

Like if you get the wrong place
Like if you get the wrong world…

C'est pas du Metallica niveau paroles, considère Shikamaru, mais c'est sympa, et c'est sincère. En tout cas, on voit bien que c'est Hinata qui les a écrites. Est-ce qu'elle est en train de composer la mélodie en même temps ? Shikamaru essaye de la deviner en observant le tapotement de ses doigts, mais il n'arrive à rien et finit par soupirer de frustration.

— Hé, glisse-t-il en filant un coup de coude à sa voisine qui sursaute. C'est quoi, ça ?

— C'est rien, murmure aussitôt Hinata en cachant sa feuille, tout rouge.

— Vous allez jouer un morceau original aux PO ?

— N… Non, pas du tout, s'empresse de répondre Hinata. J'écris juste ça pour… Parce que…

Elle se dit un peu tard qu'elle aurait dû profiter du quiproquo pour filer la frousse aux Hawks : comme ils auraient stressé de s'imaginer que les Scarecrows jouaient un morceau de leur conception ! Shikamaru a l'air soulagé, il regarde ses paroles avec un intérêt qui l'intimide.

— Vous vous en sortez pour la programmation des Portes Ouvertes ? demande-t-il à voix basse.

Hinata hésite à répondre, après tout c'est secret, la programmation, et les Hawks sont quand même leurs rivaux directs. Pas très malin de tout déballer à leur chef. Mais Shikamaru a un petit sourire en coin :

— Allez, entre managers, on peut tout se dire.

— Je ne suis pas le manager des Scarecrows, dénie Hinata.

Shikamaru lève un sourcil, et la mimique suffit à instaurer le doute dans l'esprit de Hinata. En fait, c'est vrai que c'est un peu le job de manager qu'elle fait, puisque Naruto et Tenten lui ont refilé la responsabilité de leur programmation. Ils lui ont même refilé plein de responsabilités, depuis le début, et elle ne s'en était même pas rendue compte…

A côté d'elle, Shikamaru rit sous cape et s'apprête à lui poser une autre question quand la voix de Kakashi claque dans l'air :

— Shikamaru et Hinata, je sais que vous n'avez que les Portes Ouvertes en tête mais est-ce que vous pourriez attendre la fin du cours pour parler tactique ?

Les deux interpellés sursautent, toute la classe se retourne vers eux en ricanant et sur l'estrade, Kakashi baisse son manuel en soupirant.

— Vous n'avez pas l'air de comprendre que depuis l'estrade, on voit tout, explique-t-il. Par exemple, ça fait une heure que Kiba joue avec son téléphone et vingt minutes que Naruto essaye de ramasser le sien sans se faire remarquer.

Naruto et Kiba se redressent d'un même ensemble, l'air coupable et honteux de s'être faits repérés depuis le début. Kakashi se contente de lever les yeux au ciel et de reprendre son cours. L'incident est clos, mais pas pour tout le monde : dès la sonnerie, Naruto se jette sur le bureau de Hinata.

— D'où tu parles tactique avec Shikamaru ? s'exclame-t-il en désignant le mec qui a déjà rejoint Sasuke au premier rang. C'est notre ennemi !

— On parlait pas tactique, se défend Hinata. Il a juste remarqué que…

Elle s'interrompt d'un coup, se dit qu'elle n'a jamais révélé à son groupe qu'elle composait et se demande si elle a vraiment envie de le dire maintenant alors qu'elle est censée se concentrer sur la programmation des Portes Ouvertes. Mais Naruto la regarde droit dans les yeux, et elle n'a aucune envie de recommencer à lui mentir.

— J'écrivais une chanson, avoue-t-elle en tirant sa feuille de son cahier d'anglais. Il voulait voir.

Naruto lui arrache la feuille des mains, la parcourt du regard puis lève vers elle des yeux surpris.

— J'savais pas que tu composais, s'étonne-t-il.

— Tenten m'avait dit de le faire au début du groupe, se justifie faiblement Hinata.

— Ouais mais ce que dit Tenten…

Naruto replonge dans la chanson, en relit les paroles, ses lèvres bougent en même temps. Puis il regarde à nouveau Hinata, soudain plus grave, plus sérieux. Elle a l'impression qu'il voit directement dans son âme quand il est comme ça.

— "Like if you get in the wrong world" ? répète Naruto en secouant la feuille.

— Ce… C'était… bafouille Hinata. Juste…

— … le commencement, complète Naruto. C'est ça, pas vrai ? Cette chanson, c'est ton commencement.

Une chaleur sourde envahit la poitrine de Hinata. Naruto a compris. Il sait qu'elle n'a pas écrit ça parce qu'elle a toujours l'impression d'avoir à trouver sa place, mais bien parce qu'elle se l'est déjà créée. Il sait qu'elle n'est pas encore ce cafard rampant du début, et que c'est bien parce qu'elle ne l'est plus qu'elle peut composer dessus maintenant. Sur tous ces trucs de gens qui se sentent paumés et qui ont besoin que quelqu'un le remarque sans qu'ils n'aient à hurler au secours.

Naruto a un bref sourire, jette un dernier regard à la feuille et la lui rend :

— J'attends de voir les prochains couplets, dit-il simplement.

Sa main vient se poser sur le sommet de son crâne, Hinata sent ses doigts frotter ses cheveux. Le contact l'ébranle, c'est doux et agréable, c'est rassurant et confortable, c'est terrifiant. Elle a le cœur qui bat à cent à l'heure, Naruto a déjà retiré sa main et il retourne chercher ses affaires parce que maintenant ils ont cours avec Asuma et les troisièmes années et qu'Asuma ne supporte pas les retardataires.

Et le rêve s'éloigne avec lui, comme une bulle ronde et chaude qui lui collerait à la peau.


*

Dans sa classe, Tenten aussi se prépare pour rejoindre la classe d'Asuma. Elle est dans les vapes, Sai l'a réveillée à la sonnerie et elle n'en revient pas d'avoir encore passé le cours de maths à dormir.

— Je t'attends pas, lui lance d'ailleurs Sai qui est prêt depuis un moment.

Tenten grogne en retour et Sai s'en va, son sac en bandoulière et son petit foulard à carreaux bien roulé autour de son cou. Tenten vient tout juste de retrouver son cahier de gammes que Ino surgit devant son bureau.

— Salut Tenten, ça va ? qu'elle demande.

Tenten la fixe d'un air inexpressif, encore un peu endormie mais pas assez pour ne pas trouver louche que Ino vienne la saluer comme ça. Normalement, cette pouffiasse se contente de l'insulter ou de la snober.

— C'est Noël ou quoi ? finit par répondre Tenten.

— Ecoute, réplique Ino, on est peut-être parties sur un mauvais pas toutes les deux…

— Bon arrête ton char, qu'est-ce que tu veux ?

Ino laisse tomber les faux-semblants :

— OK. Alors voilà, j't'aime pas des masses et toi tu me détestes carrément, mais j'aimerais bien que tu me permettes de faire connaissance avec ton copain Sai.

La demande est tellement incongrue que Tenten en reste bouche bée. Ino patiente en battant le sol du pied, les bras croisés et pas l'air gênée pour un sou.

— Sai ? répète bêtement Tenten. Tu veux connaître Sai ? Pourquoi faire ?

— A ton avis ? s'impatiente Ino en agitant ses boucles d'oreilles dorées.

Tenten comprend enfin qu'Ino a des vues sur son pote. Elle éclate de rire.

— Pfuahahaha ma pauvre vieille ! s'esclaffe-t-elle en se redressant, son sac enfin prêt à la main. Tu veux te faire
Sai ? T'es pas sortie de l'auberge !

— Je te demande pas ton avis ! s'énerve Ino.

— Ben si, sinon tu serais pas là…

— Ouais, bon, écrase ! Je voulais juste…

— Tu perds ton temps, coupe Tenten. Sai ne s'intéresse pas à ce genre de personnes.

— C'est pour changer ça que je veux me rapprocher de lui, proteste Ino, sûre d'elle comme c'est pas permis.

Mais Tenten secoue la tête, partagée entre l'amusement et la consternation :

— T'as pas compris. Sai ne s'intéresse pas aux filles.

— Il a dix-sept ans, bien sûr qu'il s'intéresse aux…

Puis Ino comprend enfin le sous-texte, elle ouvre de grands yeux repassés d'eyeliner, sa bouche forme un O parfait puis elle rougit.

— C'est pas vrai ? souffle-t-elle en dévisageant Tenten comme si elle se payait sa poire.

— J't'assure, ça m'aurait bien fait marrer de te faire marcher avec ça, jure Tenten. Mais ouais, c'est vrai.

Ino n'en revient pas. Elle se passe une main dans les cheveux, se mord la lèvre, regarde autour d'elle. Puis elle revient à Tenten, encore une fois :

— Et, euh… T'es sûre ? Je veux dire, c'est…

— Définitif ? complète Tenten. Aucune idée. Comme tu disais, il a dix-sept ans. C'est pt'être bien qu'une crise hormonale. Mais bon… ça sert un peu à rien que tu tentes le coup j'pense.

Ino réfléchit. Tenten s'en fout. Elle se lève et part dans le couloir, laissant la blonde lui emboîter le pas en silence jusqu'à la salle de musique où elle la retient par le bras.

— Dis, Tenten… Si j'essayais, juste pour être sûre, tu vois ? Si j'essayais, est-ce que tu me filerais un coup de
main ?

— Tu veux que je t'arrange un rencart avec un homo ? reformule Tenten, éberluée. T'es pas blonde qu'à l'extérieur, toi…

— La blonde t'emmerde, s'énerve Ino. Je veux essayer, d'accord ? Au pire, il me remballera, et au mieux j'aurais un nouvel ami, et lui aussi. Tout le monde est gagnant.

C'est inattendu qu'Ino parle d'amitié, alors Tenten réfléchit. Si cette gourdasse est prête à tenter tout ça simplement pour se faire un nouveau pote, ça veut bien dire que Sai, c'est pas un coup de cœur passager pour elle : ça veut dire qu'il est une personne que Ino est susceptible d'aime en vrai. Alors Tenten se dit pourquoi pas, après tout. Et puis au moins, elle rigolera.

— Deal, fait Tenten en entrechoquant son poing avec celui d'Ino. Mais tu lâches les basques de Neji.

— Oh, pour ça pas de problème, rigole Ino avec un petit sourire malicieux. Je le dragouillais uniquement pour te faire chier. Ça fait plus d'un an qu'il m'a fait comprendre qu'il s'en foutait de moi.

Fière de sa ruse mesquine et outrageusement féminine, Ino passe devant Tenten pour entrer s'installer dans la salle de musique. Les autres sont déjà là et Asuma est en train de rassembler tout un paquet de partitions sur les pupitres installés au milieu de l'espace dégagé par les bureaux placés en U. Quand Tenten est enfin assise entre Naruto et Hinata, il ferme la porte et se plante devant sa classe pour mieux les toiser de toute sa hauteur.

— Bon, commence-t-il. Je sais que vous n'avez que les Portes Ouvertes en tête, et encore heureux parce qu'elles sont dans dix jours et que certains d'entre vous ont encore du boulot. Mais aujourd'hui, je veux votre attention et votre implication les plus totales, parce qu'on va faire un exercice difficile.

— Des appogiatures ? grogne Kiba.

— Très drôle, Inuzuka. Non, vous allez jouer avec n'importe qui.

L'annonce déclenche une vague de murmures étonnés dans les rangs. Asuma lève les mains et poursuit :

— Vous êtes habitués à jouer avec les membres de vos groupes, avec vos amis ou avec votre famille. Mais savoir s'accorder entre musiciens inhabituels est également très important, aussi vous avez trois minutes pour reformer des groupes de deux ou trois et sortir vos instruments.

Les élèves n'ont pas compris tout de suite que c'était parti, ils se lèvent en sursaut avec un temps de retard, échangent des regards désolés avec leurs copains et partent dans toutes les directions. Hinata est un peu penaude, elle n'a jamais vraiment eu d'autres amis que Naruto et Tenten dans cette classe, mais elle voit Kiba qui se moque de Lee et Tenten et décide de faire le premier pas.

— Kiba ? demande-t-elle le moins timidement possible en s'approchant. On se met ensemble ?

— Vas-y ramène-toi, répond aussitôt Kiba. On va tout défoncer.

— Les groupes qui sont prêts, venez choisir un morceau là-dedans, clame Asuma par-dessus le vacarme en secouant son tas de feuilles. Vous avez vingt minutes pour les déchiffrer.

Les premiers se précipitent, s'arrachent les feuilles, rigolent et râlent dans un beau foutoir. Il y a quelque chose d'excitant à changer de partenaires. Hinata n'ose pas s'approcher de la mêlée, alors elle attrape au vol une feuille volante et lit le titre :

— "La Grange" de ZZ Top…

— Génial ! gueule Kiba qui a regardé par-dessus son épaule.

— Tu connais ?

— Que dalle. Allez, on s'y met !

Ils vont s'installer dans un coin et bientôt, toute la classe résonne d'un capharnaüm d'instruments et de conversations. Tenten et Lee se sont mis avec une violoncelliste et ils font un truc qui ressemble à du hard rock ; plus loin, Naruto et Sakura répètent un morceau de folk et derrière c'est Neji, Sai et Ino (qui n'a pas perdu son temps) qui déchiffrent du Céline Dion. Le mélange des gens, des instruments et des styles est super étrange et pourtant ça marche, tout le monde a l'air de s'amuser, même Sasuke qui s'est retrouvé avec un accordéoniste et un harmonica.

C'est d'ailleurs son trio qui passe en premier à la fin des vingt minutes d'entraînement, ils font un extrait d'Ennio Morricone, "The Man with the Harmonica" qu'il s'appelle, et Hinata trouve que ça rend carrément canon. C'est marrant de voir Sasuke se détendre comme ça. Y'à un mois, il serait jamais allé vers des mecs qu'il fréquente à peine.

Naruto et Sakura se plantent en rigolant dans leurs accords lorsque c'est leur tour, mais Asuma se contente de soupirer et lance la suite. Les petits groupes défilent dans la rigolade générale, avec parfois de bonnes surprises, le plus souvent de bonnes barres, puis c'est Hinata et Kiba qui mettent l'ambiance en claquant leur petit ZZ Top bien foutu. Kiba est vraiment bon, ça aide beaucoup Hinata qui ne connaissait pas du tout le morceau, et ses cours avec Konan l'ont habituée au vieux rock des années 70 alors elle s'en sort pas si mal.

Bien sûr que leur prestation est loin d'être parfaite, c'est même plutôt la merde, mais ce qui compte c'est qu'elle s'amuse bien en la faisant et elle se rend compte, en retournant s'asseoir, qu'elle n'a absolument pas pensé qu'elle était en train de jouer devant deux classes réunies. Sa désinhibition est lancée et ça, c'est pas un fait négligeable. Surtout quand on sait que dans dix jours, c'est pas devant deux classes qu'elle jouera, mais devant le collège entier, le lycée complet et tous les visiteurs des Portes Ouvertes.

Il était temps qu'elle se sente à l'aise dans ses pompes en public, la petite Hinata.


*

Le cours d'Asuma a tellement décoincé les élèves que tout le monde débarque en récré en pétant le feu. Ça fait du bien de ne plus se prendre au sérieux. Ça fait du bien d'essayer des trucs qu'ils n'ont jamais essayé. Ça fait du bien de voir que tout est possible, et que l'éclate est dans les recoins les plus insoupçonnés de leur quotidien.

Hinata suit les autres dans la cour en regrettant de ne pas avoir pu emporter sa guitare, parce que l'ambiance est tellement électrique qu'ils auraient facilement pu lancer une petite session improvisée comme la dernière fois en perm, lorsqu'ils s'étaient retrouvés à jouer tous ensemble du David Guetta.

Pas grave, Naruto est là pour les idées de secours. Il brandit un ballon et lance à Hinata et Tenten :

— Allez, on va aller défier ces lavettes de Hawks à un sport d'hommes.

Et c'est parti, le ballon est propulsé dans la gueule de Sasuke, il ne fallait que ça pour que la compétition prenne vie et aussitôt la partie commence, n'importe comment. Puis les élèves des autres sections viennent compléter les équipes en se bidonnant, parce que les Scarecrows et les Hawks sont peut-être bons en musique mais en foot c'est rien que des merdes, et le jeu grimpe en intensité à toute allure. Hinata court, elle ne sait pas vraiment jouer mais elle a envie de bouger, d'être avec les autres, d'être dans l'équipe, et elle fait ce qu'elle peut, elle rate une passe, une deuxième, réussit à peu près la troisième et lève les bras au ciel en signe de victoire, puis le ballon passe entre ses jambes et vient marquer un but magnifique contre son équipe.

Les joueurs protestent, se bousculent, reprennent la partie, puis c'est Asuma qui débarque et met ses quatre-vingt dix kilos de muscles à la poursuite du ballon, c'est le triomphe dans l'équipe des Scarecrows jusqu'à ce que Gai s'en mêle en rejoignant les Hawks. Puis Kurenai arrive, puis Iruka, puis Kakashi, et peu à peu les profs s'approprient le jeu et la balle et les élèves restent là à regarder bouche bée leurs enseignant s'affronter comme sur un champ de bataille. Limite ils auraient des haches et des massues que ce serait pareil.

Hinata s'est reculée pour mieux observer le spectacle, elle se retrouve sur le bord du terrain avec Sakura et elles se tiennent l'une à l'autre pour s'empêcher de s'écrouler de rire sans même réaliser qu'elles n'ont jamais été déclarées comme copines jusqu'à présent. Mais l'occasion est trop belle, et Ino vient se plier en quatre avec elles quand c'est Tsunade qui émerge des bâtiments pour participer.

Le match ressemble à un combat rapproché entre deux clans vikings bien vénères. Les élèves sont en délire. Le surveillant en oublie de sonner la fin de la récré. Les cuisiniers ont accouru le long de la rambarde du self.

Et effondrée avec les autres, Hinata n'en peux plus de gober à gorgées entières toute cette joie hilare qui n'en finit pas de l'inonder.

*
Lorsqu'elle se retrouve dans le studio d'Asuma ce soir-là, Hinata se dit qu'ils ont eu bien besoin de se défouler pendant la journée. Parce qu'ici, les choses sérieuses commencent et s'agit plus de faire le mariole.

— Alors, commence Tenten en épinglant une liste sur le mur, on a notre programme, merci Hina, baby, t'as géré. Est-ce que t'approuves, Naruto ?

— Yep.

— Le premier, on va assurer, poursuit Tenten en contemplant la liste de la mort. On a déjà fait ce genre de truc, on a bien bossé notre régularité et les rythmes lents… Le deuxième on verra bien ; celui qui m'inquiète c'est le dernier.

— Tu déconnes ? proteste Naruto. C'est le plus facile !

— Que dalle, conteste Tenten. Il a l'air simple comme ça, mais si on veut se démarquer, il faut qu'on arrive à le rendre unique. Inimitable. Irremplaçable. Le dernier morceau, c'est notre signature. C'est notre engagement, c'est notre représentation, c'est celui qui fera toute la différence.

— Hinata, largue tes idées, lance alors Naruto en se tournant vers la guitariste. Tu composes, tu sais faire les agencements.

— Quoi ? sursaute Hinata.

— Ouais, vas-y, appuie Tenten. Tu proposes quoi ?

Hinata hésite, se mordille la lèvre, commence doucement :

— Alors, euh… Pour commencer, on pourrait envisager de le chanter tous les trois…

— Tous les trois ensembles ?

— Non, enfin si, enfin pas exactement… Je me disais, ça rendrait bien que ce soit un dialogue à trois, et qu'à la fin on se rejoigne pour, genre, le dernier couplet et le dernier refrain… Vous savez, pour donner du peps. Parce que pour un dernier morceau, il en manque un peu.

Naruto et Tenten la dévisagent deux secondes puis approuvent derechef. Proposition validée, d'autres idées ?

— Euh… reprend Hinata, toujours déroutée de les voir lui faire autant confiance. Faut qu'on retravaille l'intro…

Là pareil, les deux autres la suivent les yeux fermés. Tenten promet de voir ça puisque c'est elle qui est censée ouvrir. Ils discutent encore du morceau du milieu, pour savoir s'ils le gardent ou pas, décident qu'ils verront plus tard et passent à la pratique. Ils n'ont pas de temps à perdre. Leur programme est ambitieux. Il réunit tout ce qu'ils avaient décidé de ne pas faire, il les force à croire que tout est possible, qu'ils sont capables de n'importe quoi. Ils sont conscients qu'ils vont devoir y cracher leurs tripes.

Mais ils y croient. Ils y croient à mort.


*

Ils ne sont pas les seuls. Tous les groupes du lycée sont dans un état de tension hystérique qui rend le moindre haussement de ton apocalyptique. Shikamaru a anticipé le coup, il a isolé son groupe, ils déjeunent dans leur studio maintenant, pas question de se laisser divertir par des conneries. Huit jours avant la date fatidique, Asuma leur a fait réviser tous les exercices de base enseignés depuis le début de l'année. Six jours avant, le cuisinier a fait des frites pour encourager les troupes. Quatre jours avant, Tsunade a arrêté d'essayer d'interdire de répéter dans les couloirs. Deux jours avant, Kakashi a renoncé à faire cours et les laisse bosser leurs trucs.

Et pendant ces dix derniers jours, les Scarecrows s'acharnent sur le plus long sprint de leur vie. C'est la dernière ligne droite, les dernières heures avant la fin, le temps des ultimes espoirs et de tous les doutes. Ils bossent à chaque pause, à la récré, à midi, le soir, chez Tenten, chez Naruto et même dans le métro sur le trajet du lycée : la préparation des Portes Ouvertes leur bouffe la moindre seconde de temps libre.

Ils répètent et répètent et répètent leurs trois morceaux, jusqu'à les connaître mieux qu'eux-mêmes, jusqu'à avoir le tournis, jusqu'à s'effondrer sur leurs instruments en cherchant de l'air. C'est Naruto qui les pousse à bout comme ça, il l'a dit dès le début, il a dit : no sleep until you get it right. Hinata s'est dit que cette menace ferait une bonne chanson et elle l'a notée dans un coin, en attendant de pouvoir écrire la suite.

No sleep until you get it right.

Jamais ils ne se sont autant investis dans ce qu'ils faisaient. Parfois, Hinata se dit que c'est de la folie. Que c'est impossible qu'ils ne gagnent pas vu tout ce qu'ils mettent pour être les meilleurs. Qu'ils vont finir par en crever.

Quand ils ne jouent pas, ils programment leur passage, cherchent l'ordre des morceaux, comment les enchaîner, est-ce qu'on fait une transition entre le premier et le deuxième, est-ce qu'on balourde l'intro du troisième sans prévenir ? Et ils se retrouvent à élaborer des stratégies, à analyser ce que les autres groupes sont susceptibles de faire, à anticiper et à planifier. Hinata a l'impression qu'ils sont en train de préparer un assaut.

Et c'est finalement un peu ça, ce qui les attend. Ils vont devoir prendre d'assaut le lycée, le public, les profs, l'avis populaire, les Hawks. Tous, ils doivent les attaquer, les encercler, les ensevelir et les écraser pour gagner. Alors ils y mettent leurs tripes, et parfois Hinata se demande pourquoi ils tiennent tant à gagner. C'est quoi pour eux, cette victoire, en fait ?

— C'est la gloire, dit Tenten.

— C'est la reconnaissance, fait Naruto.

— C'est l'aboutissement, considère Hinata.

Et la vérité, c'est que c'est les trois à la fois.

Puis un soir, une fois que le surveillant est passé pour leur dire de se bouger le cul parce qu'ils sont encore les derniers et qu'il va fermer le lycée, Tenten repose ses baguettes et regarde les deux autres droit dans les yeux. Elle a l'air sérieux, et c'est pas courant chez elle.

— Bon les mecs, c'est notre dernière entrevue au calme avant le jour de la mort alors j'crois qu'il est temps qu'on se balance nos quatre vérités à la gueule.

— Quoi ? fait Naruto qui voit pas le rapport.

— Y'à des trucs qu'on doit se dire avant demain, insiste Tenten. Parce que quoi qu'il se passe, qu'on gagne ou qu'on perde, on doit savoir. Je commence, okay ? D'abord, j'vous avoue que je suis entrée dans ce groupe principalement pour faire chier Neji, mais là j'vous apprend rien.

— Pas vraiment, non, grogne Naruto.

— Mais quand même, je me serais jamais lancée là-dedans si j'avais pas pensé qu'on s'en sortirait, poursuit Tenten qui s'est concentrée comme elle ne le fait que pour jouer d'habitude. Bon, j'avoue, j'ai eu de sérieux doutes en cours de route et j'ai même failli lâcher l'affaire. Deux fois. Mais j'suis contente d'avoir tenu, parce que sérieux, c'était cool de faire ça avec vous. Vous avez progressé comme c'est pas permis.

Comme les compliments de Tenten sont aussi rares que ses jours de bonne humeur, Naruto et Hinata les reçoivent avec un mélange d'étonnement et de joie profonde. Ça les touche, ce petit discours mal foutu mais sincère.

— Après, Naruto, reprend Tenten, j't'informe que je supporte pas quand tu mâchouille tes médiators, et Hina, baby, faut vraiment que tu fasses quelque chose pour ta coiffure ringarde.

Hinata porte la main à son chignon, un peu désemparée, mais Naruto rigole alors elle rit aussi. C'est plutôt cool de pouvoir tout se dire, en fait.

— Okay, à moi, enchaîne Naruto avec enthousiasme.

— Ah non, c'est à Hina, coupe Tenten.

— Hé, pourquoi ça ?!

— Parce que ! Hina, à toi.

— Euh…

Hinata triture ses doigts un moment, puis repose ses mains à plat sur ses jambes.

— Alors, euh… Je suis très heureuse d'avoir pu intégrer ce groupe. Les Scarecrows m'ont énormément apporté et, euh… en fait, ça a carrément changé ma vie.

Naruto sourit comme un soleil. Sa chaleur recouvre Hinata d'un voile bienfaisant qui la pousse à continuer :

— J'en reviens pas de ce qu'on a réussi à faire ensemble, vraiment pas. Je ne pensais pas être capable de ça, et même si on perd demain, je garderais cette année comme le souvenir d'une grande victoire. C'est… c'est très important pour moi. Ensuite, je suis ravie d'avoir pu mieux vous connaître et, euh… de vous avoir désormais comme amis…

— C'est réciproque, balance Tenten en passant, parce qu'elle a oublié de dire ça aussi.

— Et pour finir, euh… bafouille Hinata. Je voulais juste vous dire merci.

— C'est tout ? proteste Naruto. Même pas une petite vacherie à la Tenten ?

— Euh… cherche Hinata. Ben, les pics de mauvaise humeur de Tenten n'étaient pas toujours super agréables à supporter, mais elle s'en est occupée alors… Et pour toi, Naruto…

Hinata s'interrompt. Elle a bien quelque chose à lui reprocher, mais c'est trop personnel, trop intime. C'est du domaine de la conversation privée, de la confidence, du truc qu'elle ne doit pas dire tant que Tenten est là pour écouter. Naruto a comprit qu'elle retient quelque chose mais il n'insiste pas.

— Bon, ben à moi alors, lance-t-il. Moi aussi j'voulais vous dire merci. C'était un peu une connerie, ce groupe, dans le contexte de sa création j'veux dire. Mais vous êtes venues et finalement c'est devenu un truc génial, alors voilà, c'est cool. Ensuite, ça m'a fait comprendre plein de choses sur moi-même, ça aussi c'est dément. Et puis y'à aussi le fait que je me suis plus jamais senti seul depuis le fondement des Scarecrows.

Un silence s'installe, furtif mais intense. Hinata sent son cœur s'étreindre en entendant Naruto parler avec autant de franchise de ce rejet dont il faisait preuve au début de l'année. Elle n'y avait plus pensé depuis, mais lui visiblement, ça ne lui est jamais sorti de la tête. Et en effet, ça a dû changer sa vie autant que celle de Hinata…

Même Tenten est un peu pâle, c'est rare qu'elle soit émue celle-là. Naruto dissipe le blanc en s'éclaircissant bruyamment la gorge et reprend sur un ton plus humoristique :

— Et pour finir, Tenten t'es qu'une grosse chieuse.

— Mais je t'emmerde ! sursaute Tenten. Et puis pourquoi y'à que moi qui prend ?

— Parce que Hinata est parfaite, réplique Naruto en lui tirant la langue.

— Y'à du favoritisme, grogne Tenten.

Le petit groupe rigole doucement, Hinata a rougi, puis le calme revient. Le soir est tombé. Le lycée va fermer. La dernière entrevue des Scarecrows est terminée. Il est temps de se séparer pour la dernière fois.

— Bon, fait Tenten en se levant la première. Maintenant que tout est dit, j'rentre me pieuter. Vous couchez pas trop tard, et on se retrouve demain à huit heures pour checker les partoches.

— Oublie pas les tenues de scène, lui rappelle Naruto au passage.

— Vous les avez vraiment faites ? s'étonne Hinata qui avait complètement oublié.

— Ben tiens ! rigole Tenten. J'ai tapé dans les fringues de Casse-Couilles, on n'a pas eu grand-chose à faire pour les transformer en déguisements d'épouvantails.

Elle récupère ses baguettes, c'est à croire qu'elle dort avec, puis se barre en agitant la main. Naruto ne l'a pas suivie, Hinata se demande ce qu'il attend. Mais elle aussi est restée assise, et la pièce sombre soudain dans l'obscurité lorsque le surveillant coupe l'alimentation de l'étage quelques couloirs plus loin.

L'ambiance change d'un coup dans le petit studio. Ils sont seuls tous les deux, l'un en face de l'autre sur leurs tabourets, dans le noir et dans le silence. Ils attendent. Ils se regardent. Ils savent tous les deux qu'ils ont encore des choses à se dire. C'est Naruto qui parle en premier, à voix basse comme pour ne pas effrayer le silence :

— Hinata ?

Elle frémit, comme d'habitude. Elle n'a pas eu le temps de préparer ce qu'elle a à lui dire. La tension lui bouffe les entrailles. C'est cent fois pire que lorsqu'elle a joué pour la première fois devant la classe de musique.

— Je sais que t'as autre chose à me dire, insiste Naruto.

— Oui, je…

L'obscurité est telle qu'elle discerne à peine son visage. Ils sont à peine éclairés par les lampadaires de la cour. Les ténèbres lui font du bien, elle se sent protégée. Alors elle s'engage sur la pente glissante en commençant par les abords sécurisés :

— Hum, je voulais… te remercier pour la guitare. C'est grâce à toi si j'en suis là aujourd'hui.

— C'est pas moi qui ai mis les doigts sur les cordes, Hinata.

— Oui, mais… Si tu ne m'avais pas donné cette ouverture… Et puis même, tu ne le sais pas mais…

Hinata s'interrompt soudain. Elle se trouve nulle, elle a l'impression de redevenir un petit truc grouillant sur le sol. Alors elle rassemble ses pensées, elle se redresse, elle se retrouve. Elle devient celle qu'elle voulait devenir, et elle pose sa question, sa longue question teintée de reproche et d'amertume, cette question qu'elle a gardée en elle comme un poison toutes ces fois où elle a vu Naruto rigoler avec Sakura, déconner avec Sasuke ou faire le dingue avec quiconque d'autre :

— Naruto, c'est toi qui m'as ouvert la voie pour le rock, c'est toi qui m'as donné ta guitare et c'est toi qui m'as fait sortir de ma boîte. Alors pourquoi tu m'as ensuite abandonnée à moi-même ?

Voilà, c'est dit. Hinata respire. Elle se sent déjà mieux. Elle avait besoin de demander ça, de savoir pourquoi il est allé aider le duo Sasuke-Sakura alors que c'est ses rivaux, pourquoi il s'est donné autant à tous ces gens autour de lui alors qu'il avait à peine commencé à s'occuper d'elle.

En face d'elle, dans l'obscurité, Naruto fait un sourire qui ressemble un peu à une grimace. Il a incliné la tête comme pour refouler quelque chose et n'a pas l'air vraiment surpris du reproche. Puis il relève le menton pour la regarder et ses yeux bleus sont flous lorsqu'il explique simplement d'une voix un peu rauque :

— Parce que je savais que tu n'avais pas besoin de moi.

Il n'ajoute rien d'autre, tout est dit. Tu n'avais pas besoin de lui, Hinata. Tu pouvais tout faire toute seule, tu as toujours pu. Tu es venue le rejoindre dans ce couloir toute seule, tu t'es intégrée aux Scarecrows toute seule, tu as appris la guitare toute seule. Tu as tracé ton chemin, tu as surmonté les obstacles, tu as triomphé, toute seule. Parce que c'était en ton pouvoir, et que Naruto est la seule personne à l'avoir toujours su.

Prends-en pour ton grade, Hinata. Ce que tu as pris pour du désintérêt était en réalité la confiance la plus pure. C'est à double tranchant, ce genre de chose. Tu peux t'offusquer, lui dire qu'il a eu tord et que tu lui en veux, ou alors tu peux comprendre, accepter et admettre que ce que tu as toujours recherché chez lui, c'était simplement une idée.

Les larmes emplissent les yeux de Hinata, mais seule l'une d'entre elle s'échappe d'entre ses cils et roule le long de sa joue. L'émotion est telle qu'elle n'en voit pas les limites, c'est quelque chose d'infiniment immense qu'elle n'a encore jamais éprouvé jusqu'alors et c'est bien au-delà des pleurs. Naruto sourit une nouvelle fois, ce même sourire tordu qui noie ses yeux d'azur, et il entrouvre les lèvres pour inspirer une bouffée d'air un peu tremblante. Tout est vrai en cet instant. Finis les non-dits, terminées les spéculations : il n'y a plus qu'eux, juste eux.

— Moi aussi, j'avais une question à te poser, dit alors Naruto de sa voix rauque. Mais je sais pas trop comment faire, et si ça se trouve c'est une question complètement conne. Mais voilà, tu vois, je te connaissais pas des masses avant les Scarecrows, et pourtant j'ai eu l'impression que le courant est tout de suite passé, avant même l'arrivée de Tenten, tu vois ? Et puis après, je sais pas, je l'ai plus senti. Alors ouais, c'est vrai que j'ai pas toujours été là. Mais toi, Hinata… Pourquoi est-ce que t'es restée tout ce temps ?

Hinata essaye de sourire elle aussi, elle n'y arrive pas mieux. Alors elle respire profondément, plonge son regard dans celui de Naruto et se retrouve soudain, entièrement, puissamment. Plus rien ne tremble chez elle quand elle lève le menton et lui répond d'un murmure clair :

— Ben… parce que je t'aime.

Qu'elle est belle en disant ça, qu'elle est magnifique dans sa splendide intégrité. Elle est arrivée au bout de son chemin, Hinata. Elle a rassemblé tous ces morceaux d'elle-même éparpillés aux quatre vents, elle a construit quelque chose d'inébranlable et enfin elle peut le lui dire sans honte ni crainte, enfin elle peut lui offrir ces mots comme le plus beau des cadeaux et plus comme un fardeau.

Et oui, Naruto a l'air de celui à qui on vient de remettre une pile de lingots d'or. Il les regarde, ses lingots d'or, sans oser y croire, puis il les regarde encore, pour bien comprendre ce qu'on vient de lui donner. Il repense à toutes ses conversations avec Sakura, il se souvient comme il n'aimait pas voir Hinata et Kiba devenir potes, il revoit ce moment où Hinata est venue le retrouver dans le couloir, il avait vu ses pieds d'abord, chaussés de petites ballerines bleues, puis il avait relevé la tête, son visage était terrifié mais décidé, et ses yeux miroitaient.

Et comme ça, tout d'un coup, il n'avait plus été seul.

Alors les lèvres de Naruto s'étirent dans le noir pour former un sourire profondément gravé dans son âme, un sourire que seule Hinata aura jamais le privilège de voir. Et il dit, de sa voix rauque :

— Reste près de moi.

La demande s'enroule dans le silence, prend des airs de promesse éternelle. Hinata sent sa gorge se serrer, elle ravale ses larmes, elle assure :

— Je n'ai jamais eu l'intention de m'éloigner.

Alors Naruto se penche sur son tabouret, il coule son menton sur son épaule et la serre contre lui de toutes ses forces. Hinata referme ses bras autour de son cou, elle a la tête qui tourne, le rythme cardiaque qui s'affole et les yeux qui pleurent. C'est comme si un feu d'artifice explosait dans sa poitrine.

Et ils restent ainsi à s'étreindre dans le noir, à respirer l'odeur de l'autre et à écouter leurs souffles frémir d'un même rythme en s'émerveillant : c'est la plus belle mélodie qui leur a jamais été donnée d'entendre.

— T'avais raison, Hinata, souffle Naruto d'une voix cassée sans relever son nez de ses cheveux. Cette année, c'est une victoire, et cette victoire c'est grâce à toi qu'elle est arrivée.

C'est grâce à toi.
*
Hinata a l'impression que le monde entier a changé lorsqu'elle rentre chez elle ce soir-là.

Elle a tellement de choses dans la tête qu'elle aurait aimé pouvoir les sortir et les trier. La voix de Naruto se mélange aux tablatures, l'éclat de ses yeux dans le noir se superpose à l'image de la liste épinglée au mur du studio d'Asuma. Tout s'éparpille et s'emmêle et revient par brides de murmures et de paroles et sa vie s'est transformée et son avenir aussi et elle ne parvient même plus à se souvenir de la Hinata qu'elle était avant tout ça, avant les Scarecrows.

Puis elle finit par se coucher, ses yeux grands ouverts fixent le plafond de sa chambre, et elle sait qu'elle ne va pas dormir de la nuit.

Parce que ça y est.

C'est demain.

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