Fiction: One More Night

« Quand je m'étais rendu compte que je ne pouvais plus me relever, j'avais aussi réalisé que c'était parce qu'il avait passé ses bras mous autour de ma nuque. Il souriait. Son regard suivait le mien. J'étais certain qu'il me voyait ne serait-ce qu'un peu. Une image floue et lointaine. C'était peut-être ce que j'étais, après tout. »
Drame | Mots: 8320 | Comments: 2 | Favs: 4
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Angel Of Hell (Féminin), le 02/09/2012




Chapitre 1: One More Night



C'était deux mois après la Quatrième Grande Guerre des Shinobis. J'étais épuisé de tous ces combats, en même temps d'être soulagé car Sasuke était rentré sain et sauf au bercail. Il était un peu amoché, tant physiquement que psychologiquement, mais en général, il allait assez bien.

Physiquement; car il était resté un mois à l'hôpital sans pouvoir bouger d'un centime, et psychologiquement; car durant le mois suivant sa sortie, il restait enfermé chez lui, il ne parlait plus – quand bien même il n'avait jamais été très bavard, là, c'était simplement anormal – et ne mangeait plus aussi. J'étais d'ailleurs le seul qu'il voulait voir. Tsunade m'avait donc mis en charge de lui apporter, chaque soir, un repas complet car son poids inquiétait tout le monde autour de lui et des comprimés pour ses blessures encore douloureuses. J'étais son « garde-malade », comme qui dirait.

La vie avait lentement reprit son cours au village. Sakura avait monté d'un niveau dans la hiérarchie de l'hôpital. J'étais fier d'elle, alors que Kakashi était devenu l'assistant de l'Hokage; Shizune avait malheureusement dû rendre son dernier souffle pendant la guerre.

Quant à moi, eh bien, je m'améliorais de jour en jour. Les missions n'avaient toujours pas recommencées étant donné que le village était, à ce jour, en ruines, mais je continuais à m'entraîner durement pour ne pas perdre la forme. Tous les ninjas se donnaient un coup de main pour reconstruire ce qui était jadis Konoha, le village de la feuille. Suna, Oto, Kiri, tous les autres pays étaient dans la même situation.

Mais enfin, ce n'est pas ça qui est important. C'est Sasuke, c'est lui qui est important. Bien sûr, quand il est rentré, j'ai été le plus heureux du monde. Mes luttes acharnées avaient enfin porté ses fruits. Sakura lui apportait des roses à sa chambre à tous les jours, les changeait, les nourrissait, les arrosait. Elle adressait chaque matin un sourire éblouissant à celui qu'elle aimait encore autant – il n'y avait qu'à la regarder dans les yeux pour le savoir – et ce même si le concerné n'était pas en état de les lui rendre. Moi, je ne faisais que sourire comme un idiot à attendre qu'il dise quelque chose. Je restais là, jour et nuit, assis à ses côtés à lui tenir la main férocement : j'avais peur qu'il disparaisse d'un coup brutal. J'avais peur de tant de choses...

Les jours ont passé. Sasuke a eu l'autorisation des médecins – dont Tsunade – de rentrer chez lui. Je l'ai aidé à tout remettre en ordre dans son vieil appartement. Je l'ai aidé à s'installer, et je l'ai aidé à manger parce que son corps était encore fragile et ses vilaines blessures n'étaient pas totalement guéries.

Mais toujours aucune parole. Aucun regard, de toute façon c'était un peu normal, son combat contre son frère lui avait coûté la vue. Il était aveugle, et ça faisait un peu étrange de le regarder dans les yeux, ceux-ci de la couleur opposée à celle d'avant. Plus de noir sombre, plus de profond chagrin dans les pupilles onyx que je connaissais si bien. Non, juste du blanc. Comme si un rideau avait été baissé pour cacher encore plus ses sentiments. C'était difficile à croire, mais il était plus mystérieux et distant qu'avant. Je n'arrivais pas à l'approcher, je n'arrivais pas à le toucher, à communiquer avec lui. J'aurais même cru, si on ne m'avait pas assuré du contraire, qu'il était sourd et muet en plus de ne plus voir.

Ça faisait mal de penser qu'il ne voulait pas me parler malgré le fait qu'il m'entendait cinq sur cinq.

Les jours ont continué de s'écouler. Maintenant un an que tout était, en quelque sorte, rentré dans l'ordre. Je m'étais un peu, et malgré moi, éloigné de Sasuke. Il ne pouvait plus être ninja parce que son corps était sérieusement amoché, ses blessures mettraient un temps indéfini à complètement disparaître et par-dessus cela, il ne voyait rien. Bien sûr, ses autres sens s'aiguisaient et il pouvait se battre, mais Tsunade préférait l'empêcher de se tuer en l'envoyant en mission dès maintenant. C'était encore trop tôt pour ça. Je m'étais éloigné parce que forcément, nos occupations étaient différentes. Lui, il broyait du noir chez lui, plus seul que jamais, alors que moi, je m'acharnais toujours pour devenir Hokage. La distance que je mettais involontairement entre nous me brisait le cœur.

Alors je poursuivais les missions avec Sakura, Saï et Kakashi. Les mois passaient aussi vite que les jours, et j'avais commencé à fréquenter Hinata. Les choses allaient plutôt bien entre nous, alors que, parallèlement, Sakura sortait avec Saï. À l'époque, je ne m'en étais pas rendu compte, mais quelque chose manquait à mon bonheur. Quelque chose n'était pas... là. Il y avait un goût amer dans chaque baiser qu'Hinata me donnait. J'étais heureux, certes, pas assez. Une arrière-pensée me possédait à chaque fois que je me retrouvais seul avec elle, en « amoureux ». Cette arrière-pensée n'était autre que ce meilleur ami que j'avais inconsciemment délaissé. En effet, je pensais à Sasuke, partout où j'allais avec Hinata, et en faisant n'importe quoi avec elle.

C'était plus fort que moi, et je me sentais mal d'être si hypocrite. Hinata était la femme la plus heureuse du monde en marchant avec moi dans les rues de Konoha, se tenant la main, et moi je pensais à lui, à sa douce silhouette que j'imaginais sous une couverture, à se bercer dans une chambre sombre et isolée, torturé par son passé qui resurgissait maintenant plus que jamais. J'embrassais Hinata; et c'étaient ses lèvres roses pâles que je voyais dans ma tête. Je faisais l'amour avec elle; et c'était lui que j'imaginais sous mon corps.

Deux ans maintenant. Saï mourut brusquement en mission, s'étant sacrifié pour protéger Sakura d'une attaque ennemie. J'ai moi-même pleuré sur sa tombe, reconnaissant de l'avoir sauvée. Ma meilleure amie avait mis du temps à s'en remettre. J'étais toujours avec elle, à la consoler, à la bercer pour qu'elle s'endorme, gagnée par ses larmes. J'étais épuisé à chaque soir que je rentrais à la maison, et Hinata m'avouait qu'elle en avait marre que je passe mes jours avec elle. Elle disait se sentir seule et elle disait aussi que je donnais l'impression d'avoir une complicité amoureuse avec Sakura. C'était ridicule, et j'étais si fatigué ce jour-là que je lui ai rit au nez en lui disant qu'elle était complètement paranoïaque, et bien sûr, j'ai passé deux semaines dehors.

En y réfléchissant bien, j'ai compris pourquoi Hinata était fâchée. Que ce soit en me voyant avec Sakura ou avec n'importe qui d'autre, elle avait, en quelque sorte, « vu » que je n'avais pas de sentiments aussi forts pour elle qu'elle en avait pour moi. La réciprocité n'était pas assez forte. J'avais de la peine de faire autant souffrir Hinata, surtout en me disant intérieurement qu'il y avait des années qu'elle attendait, qu'elle rêvait qu'un jour je porte enfin mon attention sur elle. Mais faire semblant de l'aimer, c'était encore pire, et les dégâts à long terme ne se répareraient peut-être jamais si je continuais dans cette direction.

Alors en retournant chez elle deux semaines plus tard, je me suis excusé et l'ai quittée. Elle méritait mieux que moi : un homme qui ne penserait pas à son meilleur ami en faisant l'amour avec elle.

Le seul hic ? Elle était enceinte.

Trois ans se sont écoulés. Sakura se remettait à peine d'une longue période de dure dépression suite à la mort de son petit ami, et mon fils était né. Comment allait Sasuke ? Pas mal. Miraculeusement, il avait effectué deux missions de rang B sans aucune égratignure. Tsunade n'en revenait pas. Après tout, les Uchiwa avaient ce don inné du combat. Sasuke ne faisait pas exception à la règle. Il vivait du combat et était un ninja.

D'ailleurs, la vieille nous avait mis en duo pour l'AMBU. J'étais heureux de pouvoir le revoir. Le revoir debout et vivant. Sa présence silencieuse était si apaisante qu'avec lui, en entraînement comme en mission à l'étranger, je me sentais bien, j'arrivais à oublier mes problèmes. Oublier que mon fils me détesterait dans quinze ans, qu'il me traiterait de salaud fini et c'était peut-être ce que j'étais. Oublier aussi le fait que j'avais désespérément perdu le nord. Oublier que ma vie commençait à chavirer et sombrer. Depuis qu'Hinata et moi c'était terminé, et bien que ce fut moi-même qui avait mis un terme à cette relation, j'avais besoin de remplir ce vide étrange en moi. Je couchais à gauche et à droite, quelques femmes par-ci, quelques hommes par là. Je buvais de l'alcool le soir, plutôt que de noyer ma peine dans mes dix bols de ramens quotidiens. Ichiraku me manquait, mon enfance me manquait. C'était peut-être ça, aussi, le problème avec moi. La nostalgie, la peur de vieillir, les souvenirs qui me font du mal quand j'y repense.

Trois ans et six mois. Kiba et moi nous étions battus à coups de poings. Il me détestait pour avoir mis Hinata enceinte et pour l'avoir délaissée, elle et son fils. Mais ça n'était pas surprenant, et Neji aussi me haïssait. Pour tout dire, je ressentais aussi une certaine rancœur envers tous les ninjas de ma promotion, ainsi que Neji et compagnie. Ils m'avaient tous délaissé les premiers, lorsque j'avais ramené le « traître » au village, et ça, je n'avais jamais pardonné personne d'avoir porté un œil accusateur sur mon ami presque mort que j'avais tiré par les pieds jusqu'à l'hôpital.

Quatre ans. Je venais de fêter mes vingt ans. Tsunade m'avait organisé une petite fête privée rien qu'elle, Kakashi, Sakura, Sasuke, et moi. J'aurais voulu qu'Iruka soit là, mais il était en mission importante et puis, bon, la fête s'était bien déroulée et j'avais été satisfait de ce que ça avait donné. Sasuke avait même prononcé plus qu'un « baka ». Il m'avait souhaité bon anniversaire et il m'avait confectionné une jolie carte avec une signature de sa main maladroite et d'un « merci ». J'ai eu envie de pleurer en lisant ça, mais je me retins jusqu'à ce que tous partent et qu'il ne reste que lui et moi. À ce moment-là, et même si cela m'avait un peu rendu confus et effrayé, j'avais compris quelque chose que je gardais en moi durant longtemps : j'aimais Sasuke plus qu'amicalement.

Sakura avait quitté rapidement, prétextant qu'elle avait la nausée, qu'elle était fatiguée. Kakashi était lui aussi parti une heure après elle, et Tsunade nous avait laissé entre amis, fermant la porte de son bureau derrière elle. J'avais longuement regardé la porte, la carte toujours pliée dans le creux de ma paume mouillée de sueur et où palpait nerveusement mon cœur.

- Merci, avais-je murmuré.
- C'est à moi de te le dire, avait-il répondu timidement en détournant le regard.

Il était adorable, à croquer. J'aurais voulu m'avancer et le prendre délicatement dans mes bras, contre moi, le serrer pour qu'il entende les battements effrénés et précipités de mon cœur, mais malgré tout, malgré la tendresse du moment et les émotions fortes qui étaient dans l'air, je le sentais encore trop loin de moi. Il était là, certes, pas là en même temps.

Le soir venu, je l'avais raccompagné, étant donné que mon appartement était dans la même direction. Je l'avais laissé avec une brève étreinte qu'il eut, sans doute, vu comme amicalement et purement fraternelle. Mais pour moi, ça avait une toute autre signification.

Cinq ans désormais. Mon fils avait un an et demi. Hinata me laissait le voir de temps à autre, même si je sentais qu'encore, elle m'en voulait d'avoir fait semblant de l'aimer. Elle souffrait de devoir s'occuper seule de cet enfant, peut-être – non, sans aucun doute – avait-elle rêvé de l'élever avec moi, que nous formerions une famille parfaite et unie. Je ne pouvais pas la blâmer de souffrir parce qu'elle n'avait pas ce qu'elle voulait, ce qu'elle désirait. Parce que j'étais dans sa situation. Mes sentiments pour Sasuke croissaient et chaque jour en mission, je le regardais en me demandant si un jour j'aurais la chance de le toucher, de l'aimer plus que simplement pour moi-même. Et cette douce obsession amoureuse me rendait fou... si fou qu'encore une fois, je me noyais dans l'alcool et les parties de jambes en l'air sans lendemain.

J'étais certain d'avoir mis une autre kunoichi enceinte. Je baisais à droite et à gauche, je n'avais plus de sens de l'orientation, je l'avais perdu en même temps que ma raison. Je faisais pitié à voir, je me sentais comme le pire des coureurs de jupon, chose que je n'avais jamais vraiment été. Ils étaient loin les jours où je disais vouloir devenir Hokage. Mais ce rêve s'était éteint après l'épisode d'Hinata. J'avais honte de moi, j'avais honte de l'homme que je voyais dans le miroir.

Durant les mois qui ont suivi, je m'étais mis à me haïr. À haïr mon reflet, à haïr mes cheveux blonds, mes yeux bleus qui affichaient une pureté et une bonté que je n'avais plus. À haïr tout ce que je pouvais être. Ce que j'étais, ce que je n'étais pas, ce que je pouvais être. Je haïssais l'hypocrisie qui m'habitait, les sourires amicaux que j'adressais à Sasuke – qui lui commençait lentement à s'intégrer au village et à reprendre des couleurs – alors qu'en vérité, je n'avais qu'une envie et c'était de lui faire l'amour toute la nuit, sauvagement, férocement, tendrement, passionnément...

Six ans désormais. Mon état était lamentable et même Tsunade m'avait convoqué pour me parler en privé. Me parler de mon comportement inacceptable. Avec Hinata et mes anciens « amis » qui me méprisaient, mon fils que j'avais l'impression de ne pas avoir le droit d'approcher, Sakura qui s'éloignait, peut-être ou sans doute dégoûtée par l'alcoolique que j'étais devenu, mes sentiments refoulés pour mon meilleur ami, mon besoin désespéré de sexe, tout ça avait fait de moi quelqu'un que je n'étais pas. Il n'existait plus le Naruto Uzumaki du passé. Il n'existait plus.

Sept ans. Iruka mourut dans une mission qui avait duré cinq mois. J'étais à l'aube de mes 24 ans, quand on m'avait annoncé cette nouvelle qui me détruisit, moi et ce qui restait de moi. J'étais désemparé. Je n'avais plus de repères. Je ne comprenais pas. Quand Tsunade me l'avait dit, seul à seul dans son bureau, j'étais resté longuement debout, fixant le vide, fixant le village à travers la fenêtre derrière la vieille. C'était une journée maussade, triste, sombre, grise, pluvieuse. C'était le 9 octobre, un jour avant mon anniversaire. Iruka. Iruka était parti. Il m'avait laissé derrière. Iruka. Iruka mon presque père.

J'ai toujours espéré que Tsunade ait compris mon excès de colère. J'avais brusquement frappé le mur, j'avais hurlé, j'avais jeté par terre tout ce qui reposait sur le bureau de l'Hokage. J'étais fou de rage. J'étais sorti et la pluie tombait comme si la journée et ma vie n'étaient pas déjà assez tristes. J'ai couru jusqu'à chez moi. J'ai dévalisé mon frigo à la rechercher d'une goutte, d'une seule goutte d'alcool. Mais rien.

Je n'avais plus la force de foncer au premier supermarché pour m'en procurer encore. Je n'avais plus la force de me traîner jusqu'au salon pour rester affalé sur le canapé jusqu'à ce que le soleil se montre. Je m'étais écroulé là, entre le comptoir et le frigo, je m'étais caché le visage dans mes bras croisés, mon corps tout recroquevillé en petite boule, et j'ai pleuré. J'ai pleuré parce que je ne comprenais rien. J'ai pleuré autant la perte d'Iruka que de moi-même. Où étais-je donc ? Je ne savais pas. J'étais perdu dans le néant. Mes forces me manquaient. Je ne me retrouverais sans doute jamais.

Ce jour-là, le soir tomba très vite. L'obscurité m'enveloppait quand j'eus décidé de me relever. J'avais une envie pressante alors j'ai foncé à l'étage pour soulager un peu ma vessie. Dans ma chambre, une photo semblait me regarder. Je m'étais avancé, jusqu'à voir, sur la photographie vieille de dix ans, trois enfants. Il y avait entre autre Sakura et ses longs cheveux de jeune fille, et Sasuke, avec sa moue adorablement boudeuse. Derrière, Kakashi, qui souriait sous son masque. Et de l'autre côté, un petit blond. Moi. Ou l'ancien moi. Le vrai moi. Enfin bref, quelqu'un qui aujourd'hui n'existe plus.

Sans trop savoir pourquoi, j'avais pris mes clés et j'avais quitté mon appartement. Dans les rues sombres de Konoha, j'avançais, avec une seule destination en tête. Je me demandais pourquoi je n'avais pas songé à cet endroit, à lui. Il était le seul en ce moment que j'avais envie de voir. Et mon poing s'était abattu sur la porte de son appartement. Je cognais plus fort. Toujours plus fort. Je me déchaînais sur cette foutue porte, allait-elle bientôt s'ouvrir ? J'avais de nouveau les yeux bourrés d'eau. Des larmes de rage, des larmes de désespoir.

Puis des bruits de pas précipités s'étaient fait entendre, ce qui m'eut calmé. J'avais laissé mes bras retomber contre mes flancs. Le ruissellement de la pluie et le bruit du verrou étaient tout ce qui comblait le silence de cette nuit d'octobre, quand Sasuke se fut enfin montré. Là, en le voyant dans son kimono blanc de nuit, léger comme son corps fin, j'avais ouvert tout grands les yeux. Il n'était pas assez habillé pour espérer terminer la soirée toujours vierge et je m'étais fait très fort pour ne pas le plaquer sur le mur du hall d'entrée.

S'il avait pu voir mes yeux rougies et mes joues ruisselant de larmes, je suis certain qu'il se serait approché pour me consoler. J'en avais la certitude. En temps normal, Sasuke n'aurait jamais fait ça. Mais je n'étais pas le seul qui, depuis le temps, avait changé. Et les surprises restaient à prévoir. Surtout après la carte d'anniversaire signé de sa propre main dans laquelle Sasuke Uchiha me remerciait. Je pouvais m'attendre à tout, mais je ne savais pas si j'en avais conscience.

Ce fut quand j'avais reniflé misérablement qu'il comprit que je pleurais. Ses lèvres s'étaient mises à trembler, il avait froncé les sourcils.

- J'ai su pour Iruka, furent les mots qu'il souffla, tout doucement comme une prière muette. Je suis sincèrement navré.

Il gardait la tête basse, à chaque fois qu'il parlait à quelqu'un. Au début, j'avais du mal à m'habituer au fait qu'il ne voyait rien, et que c'était inutile qu'il lève la tête alors qu'il ne saurait pas où regarder. C'était aussi bizarre que Sasuke, celui qui, d'ordinaire, n'avait absolument pas peur de faire face à quelqu'un, garde les yeux bas. Comme s'il était soumis... Mon cœur s'emballait quand je le regardais. Il fallait que j'oublie ces sentiments empoisonnés. Il y avait plus de trois ans maintenant que je ressentais ces choses et je ne pouvais plus me retenir plus longtemps. Moi qui croyais que j'avais fait une croix définitive sur lui, je m'étais bien trompé.

Mon envie avait pris le dessus sur tout mon corps, mon cerveau, le centre de contrôle de mes gestes et décisions. J'avais perdu la raison depuis trop longtemps pour m'empêcher maintenant d'avoir ce que je voulais... Et Sasuke, je le voulais trop. J'aurais pu faire n'importe quoi pour avoir la chance de toucher sa peau avec la mienne, de ne faire qu'un avec lui.

Je m'étais doucement approché. Il devait l'avoir senti puisqu'il avait reculé de quelques pas. D'une main, j'avais envoyé valser la porte, qui s'était fermée dans un vacarme. J'avais lâché quelques sanglots, et c'était sans doute le son qui avait figé Sasuke sur place, moulant ses deux pieds dans une marre d'asphalte car, à partir de là, il ne bougeait plus d'un pouce. Doucement, j'avais porté ma main à sa joue, sous son oreille, descendant vers son cou fragile, de là où je sentais battre son cœur et les pulsations de ses veines. Cette chaleur était si divine que j'en fermais les yeux, ma bouche frôlant ses lèvres.

Il devait sans doute me rester une once d'humanité, car j'avais détourné la tête. Je ne voulais pas le brusquer, ni qu'il soit confus. Je ne voulais pas le dégoûter de moi. Avec lui, j'avais envie d'être – ou plutôt, de redevenir – celui que j'avais toujours été.

Ma main était toujours sur son cou, gardant cet endroit au chaud, alors que je posais mon front sur son épaule, me penchant très légèrement car nous étions presque de la même hauteur.

- J'ai besoin de toi, avais-je soufflé d'une toute petite voix tremblante. Oh, Sasuke, j'ai tant besoin de toi.
- Je suis là, avait-il répondu, un peu nerveusement, quelques secondes plus tard. Je suis là, Naruto, je suis là.

Il continuait de répéter ces mots alors que sa main s'était posée dans mes cheveux, sur ma tête, me rassurant comme si je m'étais transformé en petit enfant inoffensif et effrayé. Je m'étais laissé consoler lentement, profitant effrontément de lui. Mon envie de lui n'avait jamais été aussi forte qu'à ce moment-là, et si j'avais su me contrôler avant, là, je ne savais même plus ce que ce mot signifiait.

Puis ce qui devait arriver arriva. Je commis l'erreur la plus fatale de toute ma vie. Je commis l'irréparable, l'impardonnable. J'avais relevé la tête et avais doucement dégagé les mèches qui m'empêchaient d'admirer son beau visage, ses lèvres tentatrices et attirantes qu'il mordait nerveusement. J'avais commencé à le toucher. À le toucher d'une façon... d'une façon qui n'était pas appropriée pour deux simples amis. Mais ce n'était pas ça qui me surprenait le plus. C'était le fait que Sasuke m'avait laissé faire. Il m'avait laissé faire quand j'avais posé ma main sur sa cuisse, quand j'avais glissé mes doigts baladeurs sous son kimono, que j'avais remonté jusqu'à ses hanches nus sous ce léger morceau de tissu. Il m'avait laissé faire quand, de l'autre main, je lui tâtais les fesses, quand je l'embrassais du bout des lèvres.

Il m'avait laissé découvrir les mille et uns secrets de son intimité.

Quand je m'étais réveillé le lendemain matin, et que j'avais réalisé que j'étais là où je ne devais pas être, j'avais paniqué. À mes côtés, Sasuke dormait, nu, parmi les couvertures souillées par ma semence et quelques gouttes de sang. Je m'étais pris la tête à deux mains. J'avais versé plusieurs larmes et j'avais failli hurler, m'étant retenu de près en me mordant la langue violemment. Mais qu'est-ce que j'avais fait, bon sang ? J'étais, à partir de ce moment-là, le pire salaud que la terre avait porté. Je ne savais cependant pas ce qui était le pire : avoir fait ce que j'avais fait, ou m'être enfui de chez lui lâchement avant même qu'il n'ouvre un œil ? Quoiqu'il en soit, j'avais si mal, j'avais si honte, j'avais tellement horreur de moi qu'en arrivant à mon appartement, en ce 10 octobre qui marquait ma vingt-quatrième année, je m'étais ouvert les poignets pour soulager ma peine intérieur.

Huit ans, déjà. Ma vie commençait à aller un peu mieux. J'avais dépassé les périodes noires. Mon fils avait appris à marcher. Il disait déjà « maman » et « papa », quand je passais le voir à l'occasion. Sasuke et moi poursuivions les missions ensemble, en duo, malgré le fait que j'avais toujours aussi honte devant lui. Il ne me parlait jamais de la nuit où l'on avait fait l'amour, et je ne savais pas si je devais être soulagé. C'était comme si, pour lui, ça n'avait jamais eu lieu. Comme si ça ne s'était jamais passé. Ça me faisait mal mais je ne pouvais m'en prendre qu'à moi-même. Et puis, ce n'était pas comme si Sasuke m'avait rayé de sa vie. Au contraire, chaque fois que j'avais envie de pleurer, il m'offrait son épaule. Mais c'était tout ce qu'il m'offrait. Je n'osais même plus lui prendre la main comme j'avais l'habitude de le faire pour féliciter cette équipe d'enfer que nous étions.

Pour les 25 ans de Sakura, ses parents avaient organisé une méga fiesta. Tout le monde y serait. Toute la bande, tous les ninjas de ma promotion qui furent tous mes amis un jour lointain. Je ne savais pas trop si j'avais envie d'y aller. Voir Hinata, voir Kiba, voir tous ceux qui me regardaient d'une façon méprisante, ça n'allait pas m'aider à me sentir mieux. Et puis, il allait y avoir de l'alcool, et ce n'était certainement pas en me forçant de résister que j'allais résister. La tentation serait trop forte et je savais d'avance que j'échouerais à coup sûr. Mais Sakura insistait pour que je sois là. Alors j'ai cédé.

Je n'ai pas su résister au saké que Sakura offrait à tous ses invités, et à cause sans doute du fait que je me suis rapidement retrouvé bourré comme le dernier des soûlons, il s'est passé quelque chose d'incroyable. Quelque chose que je n'arrive toujours pas à comprendre même aujourd'hui, même en ayant pris du recul : je me suis durement disputé avec Sakura, après m'être battu avec Kiba et après avoir foutu le bordel dans sa maison et après avoir complètement gâché ce qui devait être la plus belle soirée de sa vie.

Quand elle m'a pris à part pour me jeter dehors, elle m'a crié mes quatre vérités, plus fâchée que jamais. Ce qui a fait le plus mal, c'est qu'elle n'avait même pas l'air d'être réellement fâchée. Elle était plutôt déçue. Déçue de mon comportement, déçue de moi, de ce que j'étais. Tout ce que j'avais lu dans ses yeux ce soir-là, je le comprenais mieux que quiconque. Pourquoi personne ne voyait que moi aussi je souffrais? Pourquoi personne n'entendait mes appels au secours?

Oui, il y avait une personne. C'était aussi cette personne chez qui je me réfugiais après cette soirée catastrophe. Je me sentais encore plus mal quand Sasuke m'ouvrit ses bras, quand il me fit entrer, quand il me laissa pleurer contre lui sur le seul canapé de son salon. Ça n'était pas la première fois que je trouvais le moyen de me mettre les pieds dans les plats, de faire de ma vie une série de catastrophe. Ça n'était pas la première fois que je décevais mes amis, mon entourage, les gens que j'aimais. Sasuke le savait pertinemment. Il le savait parce qu'encore une fois cette nuit, il me laissa le toucher. Il me laissa évacuer ma peine et assouvir mes envies.

Je ne m'étais jamais autant dégoûté.

Je n'avais pas pu fermer l'œil de toute la nuit. Tant qu'au petit matin, je fixais le plafond sans bouger, sans penser, sans sentir mon cœur battre. Au cours des huit dernières années, ma vie avait pris le mauvais tournant. J'avais accumulé erreurs sur erreurs. Et je continuais d'en commettre. Je continuais d'en faire. Il n'y avait personne pour mettre un frein à tout ça. Personne pour me secouer un bon coup et me dire que la vie avait mieux à m'offrir si je me prenais en main.

Quand je voulus m'enfuir pour oublier que j'avais encore une fois souillé et sali le trésor le plus précieux au monde, une main attrapa mon poignet. Surpris, je m'étais tourné d'un bond. Sasuke ne dormait pas. Sasuke avait les yeux ouverts, fixés sur le matelas. Il était couché sur le flanc, la couverture à la poitrine. Mon cœur s'était serré, et depuis longtemps je pouvais le sentir. Depuis longtemps j'avais une réaction humaine.

- Sasuke, eus-je chuchoté.

Mes minables excuses restaient coincées dans ma gorge.

- Qu'est-ce que je suis pour toi ? avait-il enfin murmuré, d'une voix douloureuse et blessée.

Je pouvais entendre son cœur battre avec difficulté. Je pouvais entendre le son que ça faisait.

- Je...
- À chaque fois que tu as besoin de coucher, tu arrives en pleurant chez moi, tu fais ton numéro dramatique et moi je te crois, naïvement, continua-t-il et sa voix se faisait de plus en plus sombre.

Je restais assis au bord du lit, près à partir. J'avais mes vêtements qui gisaient par terre. J'étais nu et lui aussi. Je me mordais les lèvres car il comprenait mal mes sentiments. Mais après tout, devais-je vraiment le blâmer ? Non, pas du tout. Il avait raison dans un sens : à chaque fois que ça allait mal pour moi, je débarquais en larmes chez lui et ça se finissait dans son lit, je défoulais ma rage et ma peine en lui. Je profitais de sa patience mais comme tout le monde, elle avait une limite. Je l'avais dépassée depuis trop longtemps pour m'en souvenir.

- C'est la deuxième fois, mais... poursuivit-il. Ce sera la dernière. Je... je ne suis pas un jouet.

J'aurais voulu placer un mot. J'aurais voulu le prendre dans mes bras, m'excuser et lui dire « je t'aime, pauvre idiot ! ». Mais mes poumons en manque d'air, ma gorge irritée et mon cœur tordu m'empêchaient de penser clairement. Et les mots me manquaient. Il y avait tant de choses que je voulais lui dire. Tant de choses que je ne savais pas comment expliquer.

- Tu n'es pas un jouet, avais-je réussi à articuler.
- Pas un jouet ?

Sa voix tremblait. Il serrait les draps férocement.

- Explique-moi alors pourquoi je ne te vois qu'en mission, pourquoi tu ne viens jamais me voir pour autre chose que pour du sexe. Explique-moi pourquoi un baiser sur le front ça ne te suffirait pas, pourquoi une longue soirée à ne rien faire, à juste se coller l'un contre l'autre ne te ferait pas autant plaisir. Explique-moi pourquoi tu as absolument besoin de me mettre dans le lit et de m'écarter les jambes ! Explique-moi pourquoi je me sens comme une putain à chaque fois que je me réveille et que tu es parti comme un lâche !

Je me mordis les lèvres et un filet de sang glissa sur mon menton. Sasuke avait les yeux fermés. Des larmes sillonnaient ses cils noirs et roulaient sur ses joues. Il se cachait la tête sous sa couverture. J'aurais voulu être l'aveugle de nous deux, pour ne pas le voir souffrir ainsi. Pour ne pas voir que j'étais la cause de ça.

Là, je m'étais penché. J'avais doucement posé mes lèvres sous son oreille, puis contre sa joue. J'avais cueilli les perles brillantes qui coulaient encore sur son visage. Son visage que j'avais ensuite pris dans mes mains. Ce trésor si précieux que j'avais détruit au même titre que je m'étais détruit moi-même. J'ai longuement hésité entre m'excuser, ou simplement partir. Je savais que des excuses, ça ne serviraient à rien, que ça restaient des mots au final. Et partir encore sans rien dire, ça serait creuser ma tombe plus bas, non ?

Je l'ai embrassé une dernière fois, puis suis parti en priant pour qu'il fasse une croix sur moi, sur l'homme que j'étais et qu'il ne méritait pas.

Il y avait maintenant déjà dix ans que la Quatrième Grande Guerre des ninjas avait eu lieu. J'allais bientôt avoir 27 ans. Mon fils avait 6 ans. Je ne le voyais que très peu, car Hinata m'interdisait de le voir depuis que j'étais redevenu alcoolique. Après Sasuke, j'avais réellement sombré. Il était ma source d'équilibre, il était tout ce qui m'aidait à aller de l'avant. Et je l'avais perdu parce que j'étais égoïste. Parce que j'avais brûlé les étapes de ce qui aurait pu être une merveilleuse histoire d'amour comme on en voyait si peu dans la vraie vie.

J'étais jeune, et pourtant je me sentais vieux. Et ma vie commençait à aller de plus en plus mal. Mes poignets étaient couverts de marques. Certaines étaient vieilles, cicatrisées, d'autres, toutes récentes et rouge écarlate. Mes missions se faisaient plus dangereuses parce que je prenais des risques, et Tsunade m'avait changé de duo d'AMBU. Je n'étais plus avec Sasuke, parce que c'était lui-même qui ne voulait plus de moi pour un moment, pour m'« oublier ». Je ne lui en voulais pas. Je n'avais pas le droit de lui en vouloir.

Et pourtant ça faisait mal.

Onze ans. Comme si ma vie était un long tour de montagnes russes, je continuais à monter et descendre. Sakura et moi étions de nouveau en bons termes. J'avais réussi à arrêter de boire. Hinata m'avait même laissé emmener mon fils pour une escapade en nature, juste lui et moi. J'avais l'impression que c'était mon devoir, que je me devais d'apprendre à le connaître, à rattraper le temps perdu avec lui. Et ce jour-là, c'était comme si je le voyais pour la première fois. Il avait les yeux de sa mère : deux byakugans puissants – et je m'en rendis compte quand il voulut se battre avec moi pour tester ses apprentissages de l'académie – et il avait mes cheveux. Une masse épaisse de blé couleur soleil.

Je l'ai porté sur mes épaules sur le chemin du retour. Hinata m'avait remercié de l'avoir ramené sain et sauf, et elle s'était rendue compte en même temps que j'étais redevenu responsable, que j'avais fait des progrès avec ma santé mentale, que je faisais des efforts et que je voulais vraiment faire partie de la vie de mon fils. Le sourire d'Hinata m'avait fait un bien énorme. Je commençais vraiment à regagner la confiance de mes amis, en commençant par elle, et par moi-même, bien entendu.

Durant la même semaine, j'allais m'excuser auprès de Kiba, de Neji, de tout le monde. On avait même organisé une fête à Konoha, en août, pour fêter en même temps le renouvellement de nos amitiés et la fin de l'été. En septembre, cependant, le noir retomba. Moi qui pensais que le pire était derrière. Moi qui pensais que ma vie ne pouvait qu'aller de mieux en mieux. J'avais à la fois pensé que tout irait bien, et que mes sentiments pour Sasuke n'existaient plus. Il y avait bien quoi, un an, que je n'avais pas été lui rendre visite ? Je pensais encore égoïstement, car je me disais que d'un côté, il serait plus heureux sans moi, et de l'autre, je me disais que Sakura était là pour lui. Mais une nouvelle tragédie me frappa. Un vilain coup de poing au visage, et même encore aujourd'hui je pense que j'en ressens encore le choc. Sasuke était tombé malade. Gravement malade.

C'était en rentrant d'une très longue mission. Je n'avais pas toute ma tête, d'autant plus que mon coéquipier avait été tué, que j'avais dû le laisser derrière, son cadavre n'aurait été qu'un poids inutile. J'étais blessé et on m'avait emmené à l'hôpital parce que je m'étais écroulé de fatigue en franchissant les frontières du village.

Tsunade avait une tête d'enterrement quand j'avais ouvert les yeux. Sakura se retenait de pleurer, les yeux rougis et enflés, et moi je me demandais ce qui pouvait bien se passer. Je sentais mon cœur battre très fort et nerveusement, parce que quelque part j'avais un mauvais pressentiment. Quand Sakura pleurait de cette façon, quand elle pleurait si durement, quand elle pleurait d'une si profonde tristesse, je savais ce qu'en était la cause.
C'est pourquoi je me suis relevé brusquement dans mon lit blanc, faisant sursauter Tsunade qui pansait mon bras injurié.

- Que se passe-t-il ?

Ma voix était dure, ma colère aussi.

- Calme-toi, Naruto.
- Je me calmerai quand vous me direz ce qui se passe ici. Je n'ai plus quinze ans alors vous n'avez pas le droit de me cacher la vérité !

Le silence m'avait rendu encore plus fou si c'était seulement possible. Je le savais. J'avais déjà deviné sur les traits de Tsunade et dans les sanglots de Sakura, adossée à la porte, éloignée de moi. Dans son regard, je lisais le même chagrin que celui d'une centaine d'années. Comme si, l'espace d'un instant, je m'étais imaginé être couvert de bandages, le cœur labouré d'ecchymoses et Sakura qui m'entendait, de l'autre côté de la porte, dire à Shikamaru que Sasuke m'avait échappé.

J'avais secoué la tête pour chasser ces mauvais souvenirs.

- Qu'est-il arrivé à Sasuke ?
- Naruto, écoute ce que j'ai à te dire. C'est très grave.

Un nouveau coup de poing.

J'avais ravalé ma salive trois fois de suite.

- Dites-moi.
- Sasuke est mourant. Je suis sincèrement désolée.

Sakura fondit en larmes, cessant de retenir ses pleurs. Quand j'eus posé mon regard confus vers elle, elle s'était éclipsée en courant.

La douleur que j'avais ressentie à ce moment-là était si intense qu'aujourd'hui, je ne sais pas comment la décrire. Je ne me souviens plus comment j'ai réagi. Je sais que j'ai eu atrocement mal, comme si quelqu'un s'amusait à brûler mon cœur à petits feux. Ensuite, j'ai ressenti de la haine. Envers qui ? Je n'aurais su le dire. J'en voulais à la terre entière. Je ne comprenais pas. J'étais encore plus confus que le jour où m'avait annoncé la mort d'Iruka.

Le jour suivant, Tsunade m'avait guidé jusqu'à la chambre de Sasuke. Il était assis sur son lit, plus pâle que jamais, des cernes violets sous ses yeux ternes et vides. Il toussait sans cesse, sa voix était rouillée et il crachait même du sang de temps à autre. Tsunade m'avait expliqué qu'il souffrait d'une maladie héréditaire de la famille Uchiwa, qui se transmettait de génération en génération, qui touchait au moins 2 membres de la famille sur 10. Itachi en était atteint. C'était maintenant au tour de Sasuke. Une maladie du cœur. Une maladie qui rongeait l'organe vital le plus important du système. Mon cul, ouais, que les Uchiwa étaient invincibles et inépuisables !

J'avais attrapé sa main et l'avais serrée un peu trop fort. Il avait grogné, sachant que c'était moi. J'aurais dû partir. Je sais que j'aurais dû partir, le laisser tranquille au moins une fois dans sa vie. Mais elle achevait, je le savais, même si je le niais.

- Je croyais que t'étais un hors la loi ! avais-je lâché dans un excès de colère involontaire.
- Je croyais que je t'avais dit de ne plus me parler, avait-il dit et au moins, ça avait le mérite d'être clair.
- T'as pas le droit de faire comme ton frère, de crever d'une façon aussi stupide !
- Je m'en fous de ce que tu penses, insistait-il en gardant le regard fixé sur la fenêtre, me tournant le dos.
- T'as pas le droit de me laisser !
- Pourquoi ? continuait-il toujours de cette voix sarcastique et cruelle. Parce que t'auras personne avec qui coucher quand je serai mort ? Va voir ailleurs si j'y suis, salaud.
- Non.

Ma voix était dure. Je ne voulais pas refuser. Je ne pouvais pas ne pas tenter ma chance. J'avais refoulé trop longtemps la vérité, et je refusais d'attendre qu'il soit dans son cercueil pour lui montrer le vrai moi, celui qui est fou de lui.

- Ça fait deux ans que je ne t'ai pas touché, avais-je murmuré doucement, timidement.
- Félicitations.
- Tu ne sais pas tout ce qui m'est tombé dessus en dix ans, avais-je sifflé, menaçant et en colère malgré moi.

Il restait silencieux. Rien de ce que je disais ne l'aurait fait tourner la tête. Il avait bien le droit de me haïr, finalement.

Le silence était lourd. Pas un mot de mon côté, pas un seul du sien. Je n'arrivais presque pas à entendre sa respiration.

Puis il s'était mis à tousser. À tousser violemment. Son corps était secoué de soubresauts et je m'étais surpris à poser mes yeux sur sa carrure de squelette. Il perdait vraiment beaucoup de poids, et je me demandais depuis combien de temps il était dans ce lit. Je me demandais aussi combien de temps il resterait dans ce lit.

En voyant que sa toux ne se calmait pas, je m'étais dirigé au fond de la chambre, où il y avait un lavabo. J'avais pris un verre que j'avais ensuite rempli d'eau et le lui avais tendu en espérant qu'il ne me l'éclabousserait pas au visage. Mais il le prit. Il le prit sans dire merci. Ses doigts froids avaient frôlé les miens. Quelques gouttes de sang teintèrent la couleur transparente de l'eau et j'avais détourné les yeux, mal à l'aise et profondément dégoûté par cette vie qui était injuste.

Douze ans. Sasuke était toujours malade. Ma vie ne valait plus rien. Et, alors que je commençais à penser à m'enlever la vie moi aussi, un miracle s'était produit, m'avait sauvé, moi, ainsi que Sasuke. Je ne savais pas pourquoi on m'offrait cette deuxième chance, je ne savais pas pourquoi Dieu avait décidé finalement de ne pas me punir en emportant Sasuke au paradis.

Je me souviens encore. C'était un 19 juillet. Il allait avoir 29 ans dans quelques jours. J'étais certain que c'était la fin pour lui. Je suis passé le voir comme j'étais passé le voir chaque jour depuis son hospitalisation. Il était si pâle. Quand je suis entré dans la chambre, il était allongé sur le dos, livide. J'ai cru que j'arrivais trop tard. Mais il bougeait doucement, sa respiration était calme et douce, je l'entendais. Je me suis approché, et me suis assis à ses côtés. Ma main a tout naturellement rejoint la sienne, qui gisait sur les draps, morte.

- Comment te sens-tu ? ai-je chuchoté.

Il avait mis un moment à répondre.

- Mal.
- Sasuke, avais-je continué, le cœur bourré de remords.
- Ne dis rien.

Il avait changé la position de nos mains, et ce fut la mienne qui se retrouva ensevelie par ses doigts fins. Il caressa ma peau doucement, et sa main descendit jusqu'à mon poignet.

J'avais fermé les yeux, comme pour essayer de me voiler la face, de nier l'évidence.

- Pourquoi tu as fait ça ?

J'ai ouvert les yeux sur mes cicatrices qu'il touchait du bout des doigts. J'en avais des frissons. Il y avait longtemps que je n'avais pas enfoncé de nouvelle lame de rasoir dans ma peau, longtemps que je n'avais plus rien à mettre en cause de mes mutilations. Sasuke déglutit. Je le sentais à bout de forces. J'aurais voulu mourir à sa place.

- Parce que je n'ai trouvé aucun autre moyen de soulager ma conscience, ai-je répondu.
- J'ai cru que tu faisais semblant.
- Semblant de quoi ? m'étais-je écrié, les yeux ronds, affolé.
- Semblant d'avoir l'air de souffrir quand je t'ai chassé de chez moi, quand je t'ai interdit de continuer à me voir.
- Et... ? Maintenant tu crois quoi ?

Ma voix n'était plus qu'un chuchotis, un son égaré dans ma gorge.

- Je pense... je pense que tu étais sincère quand tu m'as dit... quand tu t'es excusé.
- Je ne me suis pas excusé, lui avais-je rappelé.

Il ne pouvait pas l'avoir vu dans mes yeux parce qu'il était aveugle.

- Je l'ai senti dans ta façon d'être en colère contre moi.

Je pleurais.

- Je crois que...

Je t'aime, pensai-je à ce moment précis.

- Je crois que je t'aime moi aussi.

Habituellement, dans ces moments-là, on déballe notre sac et on se dit toutes les phrases les plus fleurs bleues et les plus romantiques qui soient. Mais ma vie n'était pas un conte de fée. La vie d'un ninja n'était pas fleur bleue.
J'avais reniflé, tourné ma main dans la sienne pour serrer ses doigts contre les miens. Mes yeux étaient fixés sur nos mains enlacées. Sur ce semblant d'histoire d'amour qui aurait dû voir le jour des années auparavant.

- J'ai fait trop d'erreurs, avais-je continué dans le plus douloureux des silences. Sasuke regardait toujours dehors sans vraiment voir le dernier ciel bleu de son existence, et mon cœur souffrait. Je ne pense même pas te mériter encore. Je ne te mériterai jamais.
- Tu n'es pas le seul à avoir fait des erreurs, avait-il dit dans un soupire, le ton de voix calme et ennuyé comme s'il n'était pas en ce moment-même à quelques jours de la toute fin. J'admirais comment il était devant la mort. J'admirais comment il restait digne et confiant.
- Non. Mais les miennes sont pires que tout.
- ...
- Il n'empêche que j'aurais aimé que ça se passe autrement.

Sasuke avait tourné la tête avant la fin de ma phrase.

Depuis longtemps, j'avais l'impression de revoir les yeux noirs qui me manquaient tant. Depuis une décennie, j'avais la sensation de reconnaître les pupilles autrefois illuminées par sa personnalité, par lui, par ses sentiments, par son amour pour moi.

Mon cœur avait flanché, trébuché, s'était cassé la gueule violemment.

- À chaque fois qu'on marche dans la mauvaise direction, et qu'on finit par se perdre, on se demande ce qui serait arrivé si quelqu'un nous avait montré le chemin. On souhaite tout effacer et recommencer. Mais laisse-moi te dire quelque chose, Naruto, m'expliquait-il tout doucement en baissant les yeux sur mon thorax. La vie n'est pas faite comme ça.
- On fait une erreur et on assume, je sais.
- Non...

J'affichais la plus confuse des expressions. S'il m'avait vu, il aurait ri. Ou souri. Un petit sourire tout petit et empreint du sarcasme, de l'arrogance, de l'amusement dont il était le maître. Le bon vieux Sasuke était de retour, celui que j'avais envie de cogner parce qu'il se moquait de moi à chaque occasion. Celui-là aussi que j'avais envie d'embrasser pour oublier toutes mes fautes commises.

- Il faut apprendre à vivre avec.

Je serrais les poings. Il avait gémi, et j'avais réalisé que ses doigts étaient toujours prisonniers des miens. Je les avais embrassés tendrement en m'excusant, et il avait ricané tout bas.

Je m'étais penché ensuite, et avais déposé un chaste baiser sur son front.

- Ça me plaît autant de t'embrasser sur le front, avais-je chuchoté et j'espérais qu'il se souviendrait que c'était ce qu'il m'avait lui-même dit il y a quelques années.

Quand je m'étais rendu compte que je ne pouvais plus me relever, j'avais aussi réalisé que c'était parce qu'il avait passé ses bras mous autour de ma nuque. Il souriait. Son regard suivait le mien. J'étais certain qu'il me voyait ne serait-ce qu'un peu. Une image floue et lointaine. C'était peut-être ce que j'étais, après tout.

- C'est franchement mieux qu'une partie de jambes en l'air, tu ne trouves pas ? avait-il murmuré à mon oreille.

J'avais dit oui de la tête. Ma bouche s'était posée sur sa gorge. J'avais déposé plusieurs petits baisers sur sa peau, son visage, ses joues, son nez. Je m'étais assis au bord du lit, j'étais penché sur lui, je l'aimais, je le lui montrais enfin.

- Je ne veux pas que tu partes.
- Je suis là.
- J'ai tant besoin de toi...

Et ces derniers mots ont résonné dans ma tête pendant une semaine où je m'étais isolé chez moi à pleurer la misérable vie que j'avais, à pleurer la perte de Sasuke. J'étais certain qu'il allait mourir, qu'on allait me l'enlever. Mais je pleurais aussi parce que je l'avais déjà perdu, depuis plusieurs années.

C'est là que le miracle s'est produit.

Tsunade était venue me voir pour me tirer de mon cocon sombre et sale qu'était mon appartement, et m'avait annoncé avec joie et fierté que l'équipe des plus compétents médecins de Konoha avait trouvé la façon de sauver Sasuke. À l'époque, la science n'était pas assez avancée et les Uchiwa atteints de cette maladie mourraient. Mais aujourd'hui, c'était différent. Aujourd'hui, Sasuke allait vivre.

Je m'étais précipité à l'hôpital et, en entrant, en voyant que Sasuke avait repris des couleurs, en voyant que le processus de sa guérison allait plus vite que tout ce que j'avais pu espérer, j'avais senti mon cœur faire un bond énorme dans ma poitrine. Il était debout de dos à moi, face à la fenêtre. Il avait les bras levés, comme s'il essayait de s'envoler. La fenêtre était immense derrière lui, la lumière était magique, sa silhouette ombragée était magnifique.

Je m'étais approché, haletant d'avoir couru. J'avais passé mes bras autour de sa taille par en arrière. Il n'avait même pas sursauté. Il avait juste posé ses bras sur les miens. Mon visage avait plongé dans son cou alors qu'il se laissait aller contre moi. Son doux parfum m'avait envahi, avait remis de l'ordre dans ma tête et mes sens. Il était mon seul et unique remède.

- Tu vas vivre, Sasuke. Tu vas vivre !
- Oui, avait-il répondu.

Je l'avais retourné, assoiffé de lui, de son corps, de sa peau, de tout ce qu'il avait, ce qu'il était. Je l'avais soulevé, passant ses jambes autour de mon bassin, et en enserrant ses bras autour de ma tête, il m'avait embrassé. Je lui avais rendu avec passion ce baiser qui m'eut ramené à la vie, et j'avais ensuite embrassé sa poitrine, sa gorge, son cou, ses épaules, tout ce que j'avais à portée de main.

- Tu pensais que j'allais céder aussi facilement ?

J'avais arrêté tout mouvement, avais relevé la tête.

Il souriait. Il me voyait. C'était obligé. Tout ce que je voyais dans ses yeux. Toutes ces lueurs que je voyais briller. Je resserrais la prise de mes bras autour de sa taille.

- Je t'aime, avais-je soufflé suivi d'un sourire sincère.

Quelques semaines sont passées, et il était rayonnant de vie et de force, si bien que quand je faisais des bêtises qu'il n'appréciait pas, je me retrouvais enfoncé dans le mur de la maison voisine. J'avais retrouvé ma source d'équilibre. J'avais retrouvé ce dont j'avais besoin pour redevenir le Naruto Uzumaki que tout le monde connaissait. J'avais même refusé l'offre d'Hokage que Tsunade m'avait offert. Je préférais continuer mes missions en duo avec Sasuke. J'aimais trop passer une nuit torride sous une tente avec lui pour aller m'asseoir derrière un bureau à remplir de la paperasse.

Quinze ans maintenant. Mon fils ne me déteste pas. Il vient de passer Genin. Je suis fier de lui. Je suis fier de moi.

Et comme qui dirait, tout est bien qui fini bien.



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