Fiction: La tête dans les étoiles (terminée)

Si vous ne réalisez pas vos rêves, qui le fera à votre place ?
Général | Mots: 1845 | Comments: 0
Version imprimable
Aller au
Nejeri (Féminin), le 08/01/2012
...



Chapitre 1: One-shot



J'ai un pouvoir. Un drôle de pouvoir. Certains l'appellent malédiction, d'autres don : j'ai choisi la deuxième option depuis longtemps déjà. Si je n'ai pas confiance en moi, qui le fera ?
Au fil des jours, des mois, des années, c'est devenu un rêve, mon rêve, comme celui d'autres personnes, c'est devenu mon but, ma raison de vivre.
Je ne suis pas né avec, comme d'autres, j'ai appris à le faire, à le comprendre et à le développer. Mais ça remonte à tellement de temps que j'ai l'impression de l'avoir depuis toujours. Il était là, au fond de moi, et il dormait, n'attendant qu'une étincelle pour se réveiller.

L'étincelle remonte à plusieurs années. Onze, pour être précis. Cette date est ancrée dans ma mémoire, marquée au fer rouge, pour toujours. C'est comme ça.

L'histoire commence un mercredi après-midi pluvieux. Toutes les histoires d'enfance n'ont-elles pas eu lieu ce jour, lorsque l'imagination de l'enfant est décuplée par l'ennui ? La mienne commence ainsi. J'étais... Mais il faut installer les personnages. Ca aide à mettre dans l'ambiance, à préparer le lecteur, à rentrer dans l'histoire. Et puis, je ne crache pas sur un petit retour en arrière, au plus profond de mes souvenirs, à l'époque où je n'étais qu'un garçon comme les autres.

J'étais un écolier solitaire, petit enfant fragile aux courts cheveux bruns et au visage blafard, j'étais un écolier qui vivait à travers les autres, le genre d'enfant qui, assis dans un coin, regarde jouer ses camarades avec une jalousie mêlée d'admiration. Je n'étais pas malheureux, et je ne regrette rien ; j'avais appris à accepter et une fois que quelque chose est défini... plus rien ne peut l'enlever.

Après cette brève présentation, revenons à l'histoire. Un mercredi pluvieux donc... J'étais dans ma période "essai", cette période que traversent tous les enfants et où ils essaient toutes les activités possibles, à la recherche de celle qui les fera vibrer et à laquelle ils consacreront toute leur vie. Passé par la natation, l'escrime, la guitare et la cuisine sans trouver mon domaine de prédilection, j'avais commencé le judo cette année. Justement, aujourd'hui aurais du être un cours de judo comme les autres, et sans l'absence grippale de mon professeur, j'aurais été de quatorze heures à seize heures à abattre mes adversaires sur le tatami. Grippe égale pas de judo, pas de judo égale manque d'activité et manque d'activité égale ennui. Cette équation, j'avais beau n'être qu'en CP, je l'avais calculée et résolue tout seul. Sans en tirer une fierté inconsidérée.

Assis négligemment sur ma chaise, le bras pendant, les jambes croisées, je laissais flotter mon regard sur ma chambre, comme si j'essayais d'en apprendre par coeur chaque relief et chaque ombre.
La fenêtre était fermée, bien sûr, et couverte de longues traînées de pluie ; le vent pluvieux fouettait les branches de l'arbre planté dans la cour, et lors de quelques bourrasques plus puissantes, les feuilles venaient s'aplatir contre le vitre dans un son de lanières de fouet.

Soudain, un bruit faible a retenti derrière le verre : un oiseau se rapprochait dans de larges battements d'ailes, et à chaque mouvement je voyais son oeil noir me fixer de plus en plus près. Les reflets dansant pareils à des flammes se rapprocher, encore et encore, jusqu'à distinguer tous les détails de son plumage brillant.

Un corbeau. L'animal qui deviendra mon fétiche, l'oiseau qui deviendra mon emblème, par sa beauté, sa liberté et ses plumes noires.
Il a fait un dernier mouvement d'aile et s'est posé sur une branche, s'abritant sous les feuilles protectrices de l'arbre. C'est étrange, je ressens encore aujourd'hui l'impression désagréable que cet oiseau me regardait. Pas moi en tant que point, ni moi en tant que direction, non, moi en tant qu'être humain. Que c'était pour moi qu'il avait parcouru tout ce chemin sous la pluie, pour me transmettre un message. Ce message, il l'a mis dans son œil. Et peu à peu, ce qu'il voulait me transmettre a contaminé tout son corps jusqu'à embraser son plumage. Je suis resté ébahi, les yeux grands ouverts, sans parvenir à déceler le message que contenait l'oiseau.

Et j'ai compris. En une seconde. En une seconde, ma vie a basculé. En une seconde, j'ai su pourquoi l'oiseau était venu ce jour-là exposer son plumage mouillé à mes yeux. J'ai compris le message qu'il transportait. J'ai compris d'un coup, et j'ai eu l'impression que mon cerveau n'arrivait pas à contenir l'explosion qui venait d'arriver.

J'ai fait rouler ma chaise jusqu'à mon cartable, un vieux sac carré noir et bleu, rapiécé et usé, et j'en ai extirpé ma trousse. Des stylos mâchouillés tenaient compagnie à un tube de colle et une paire de ciseaux. J'ai farfouillé avec excitation jusqu'à tomber sur mon crayon, un simple HB mal taillé. Encore quelques secondes et j'ai trouvé ma gomme.

Je me suis placé devant l'animal, papier sur les genoux et instruments dans l'autre. L'oiseau m'a contemplé une seconde, et satisfait de s'être fait comprendre, il s'est immobilisé.

J'ai fait rouler ma chaise jusqu'à mon cartable, un vieux sac carré noir et bleu, rapiécé et usé, et j'en ai extirpé ma trousse. Des stylos mâchouillés tenaient compagnie à un tube de colle et une paire de ciseaux. J'ai farfouillé avec excitation jusqu'à tomber sur mon crayon, un simple HB mal taillé. Encore quelques secondes et j'ai trouvé ma gomme.

Je me suis placé devant l'animal, papier sur les genoux et instruments dans l'autre. L'oiseau m'a contemplé une seconde, et satisfait de s'être fait comprendre, il s'est immobilisé.

Une seconde, je suis resté interdit devant ce que j'allais essayer. Je me suis senti comme quand on s'apprête à faire quelque chose de dangereux : on a peur, on tremble, on a envie de reculer mais l'adrénaline est plus forte. Il y a quelque chose d'invisible et silencieux qui vous pousse à le faire.
J'ai contemplé un instant le corps en son entier du corbeau. J'ai ressenti à pleine puissance l'impression d'être sur une corde raide. Tendue au-dessus du vide.

Puis toute peur m'a quitté, j'ai posé le crayon sur le papier avec un étrange sentiment d'habitude. Et la mine s'est mis à esquisser les traits du corbeau à toute vitesse. Chaque fois que je relevais la tête, pour vérifier la place d'une ombre ou la courbure d'une plume, il était là, ses yeux noirs vides de toute émotion. Ce jour-là, je suis restée longtemps, recroquevillé sur ma feuille de papier. Mais combien de temps, je n'en sais rien.

C'est comme ça que tout a commencé. Quand j'ai montré mon dessin à ma mère, elle a poussé un cri, très fort : puis elle est restée un instant en suspens, et elle m'a serré dans ses bras. Dans son sourire et même dans tout son visage, j'ai vu une fierté que j'aurais tout donné pour retrouver. Tout.

A l'école, j'ai arrêté de m'ennuyer. Dès que j'avais un instant de libre, je me plongeais sur mon carnet à dessin, et j'esquissais, je croquais, je dessinais, je gribouillais, je représentais, je recopiais, bref je laissais mon imagination guider mon crayon sur la feuille.

Je suis devenu collégien, puis lycéen ; dans un lycée artistique bien sûr. Une fois bachelier, une mention bien en poche, je me suis attaqué à plus grand. Une école immense, magnifique, grande, à la hauteur de mon ambition. J'y suis arrivé, après de longs mois d'efforts et de sueur. Je suis devenu un excellent dessinateur.

Je n'ai plus jamais revu le corbeau.




Deux ans plus tard, dans une exposition d'art, 16e arrondissement de Paris.

- Magnifique ! Du pur néo-surréalisme !
- Une griffe, mon cher... Fantastique... Du grand post-classique !
- Et un zeste de raphaëlisme !
Les compliments fusaient à travers la salle, proférés pour la plupart par une grande majorité de bourgeois, costume chic, chaussures à trois chiffres et lourde mallette de cuir. Ils étaient légion, dans la pièce surchauffée, ces hommes entre deux âges venus assouvir leur appétit d'art et briller en société.
- Ah, Courenbette ! Je désespérais de vous voir nous rejoindre ! Vous êtes finalement venu ? s'exclama un de ces gens, accompagné d'un autre acheteur qui lui ressemblait ressemblait étrangement. Les deux hommes accueillirent leur ami avec bienveillance, et leur conversation s'orienta vers le mystérieux peintre de l'exposition où ils se trouvaient actuellement.
- Orboxaï, c'est ça ? Quel drôle de pseudonyme, on dirait un anagramme. On m'a dit qu'il est grand, blond, les yeux bleus, une cicatrice sur le bras !
- Ah non, c'est un petit roux aux yeux gris, rétorqua le deuxième.
- Et moi, je pensais qu'il était châtain, les yeux verts !
Discutant avec véhémence sur l'identité du dessinateur, le trio quitta la salle, la laissant pour vide ; il y avait trois autres pièces qui composaient la galerie, et cette catégorie de riches détestaient perdre leur temps.

Mais la salle n'était pas vide. Dans un coin, il demeurait un tout jeune homme, qui n'était, contrairement aux trois autres, pas venu pour acheter. On lui aurait donné une vingtaine d'années à tout casser. Raide comme la justice, il se tenait debout, ses mèches noires contrastant avec son visage blafard, deux perles bleu nuit lui servaient de pupilles.

Le tableau qu'il contemplait représentait un oiseau noir en plein vol, les ailes déployées. La toile était d'une qualité rare, chaque reflet des plumes de l'oiseau était reproduit à la perfection, chaque trait était comme animé d'une volonté propre, et l'image dans son ensemble sentait vouloir se détacher de la feuille.

Au coin inférieur droit, quelques lettres pâlissaient légèrement, sept pour être précis : Orboxaï, écrit en lettres gothiques, d'un noir parfait. L'écriture avait quelque chose de sauvage dans cette signature, la même impression qui se détachait du dessin, un sentiment de perfection absolue.

Cet Orboxai, le jeune homme le connaissait, très bien même. Il savait quel anagramme composait l'étrange surnom de l'artiste, il savait quel animal avait inspiré la toile, et il connaissait même, détail qui avait échappé à une grande majorité de la population, la signification précise du petit trait qui enserrait les trois lettres, comme une sorte de filet.

Un oiseau. Un oiseau en plein vol, ses longues ailes largement étendues, tout son corps tendu à l'extrême par la concentration de l'exercice. Le dessin d'un oiseau étendu répété tant et tant de fois qu'il s'était réduit à un simple trait, un trait qui pourtant était remarquablement placé. Un corbeau,songea le jeune homme. Un corbeau, comme l'oiseau qu'il avait rencontré ce jour-là. Un corbeau, comme la petite broche accrochée à sa chemise. Un corbeau.

Satisfait de ce qu'il avait vu, le brun quitta la salle, sans se préoccuper des acheteurs potentiels revenus dans la salle, le carnet de chèque dans la main, à la recherche d'un négociateur qui leur permettrait d'entrer en possession d'une de ces merveilles. Mais ils ne trouvèrent personne, ne prêtant aucune attention au maigre jeune homme dans un coin.

Et, sans que personne ne le retienne ou ne l'apostrophe par son nom, Orboxai, l'homme au corbeau, le dessinateur, le jeune prodige, quitta la salle en souriant.



N'hésitez pas à commenter ou à me MP si il y a encore des points obscurs dans cette sombre histoire pour le moins ténébreuse... Il fait très noir ici vous ne trouvez pas ?



Chapitres: [ 1 ] Chapitre Suivante »



Veuillez vous identifier ou vous inscrire:
Pseudo: Mot de Passe: