Fiction: La force d'une femme, d'une mère. (terminée)

"J'ai un meurtre à commettre avant d'aller dormir.". Tsume, une femme de caractère avec des principes. Tsume, une femme comme les autres, avec un coeur. Tsume, une femme qui est avant tout une mère. Tsume, une mère prête à tout pour ses enfants. Tsume, une mère... Tout simplement.
Classé: -16D | Drame / Tragédie | Mots: 6621 | Comments: 10 | Favs: 11
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Beverlyy (Féminin), le 25/11/2011
Cette fiction est un peu mon grand retour sur le site :)

Ceci est un OS... D'une nuit d'insomnie. Parce-que j'avais envie d'essayer de rédiger quelque chose de poignant, qui enserre le coeur, qui touche notre âme, qui réveille notre force, qui nous pousse au pire... Parce-que ceux qu'on aime peuvent nous faire pousser des ailes... aussi bien que des crocs. En hommage à toutes les mères, puisqu'elles ont toutes la force de soulever des montagnes pour leurs enfants...

Enjoy :)




Chapitre 1: La force d'une femme, d'une mère



J'ai un meurtre à commettre, avant d'aller dormir.

C'est idiot, cela arriverait presque à me faire rire. Cette phrase en elle même est tellement dénuée de sens pour vous, ignorants. Ceux qui n'ont jamais rien vu, ceux qui n'ont jamais rien su... Et ceux qui ont fermé les yeux. Et voila que je finis, à 2h du matin, après avoir remis une dernière fois les coussins du canapé en place, après avoir épousseté les meubles du salon, après avoir éteint toutes les lumières, dans le noir complet. Plus un bruit, plus un souffle. Le seul son que je devine tout en ne le percevant pas d'où je me trouve, est un ronflement. Un ronflement désagréable, un ronflement que je hais entendre, qui me parle et me fait deviner une odeur rance d'alcool bon marché. Ce ronflement, je l'entends toutes les nuits. A côté de mon oreille. Et jusqu'à mes narines, son et odeur me dérangent. Mais cette fois ci, je me le suis jurée, je me le suis murmuré tout bas, encore et encore.

-Tu ne ronfleras plus jamais espèce de connard.

Peu importe ce que j'y laisserai, peu importe ce que je perdrai, je ne le laisserai plus ronfler. Plus jamais. Il dormira. Un très long et infini sommeil où j'aimerai qu'il pourrisse de cauchemars les plus sordides et interminables. Et ce sera en silence. Mais avant cela, il va connaître ma rage. Il va connaître la rage pure et simple. La rage d'une femme qui ne s'est que trop souvent effacée, la rage d'une femme qui lutte pour ce qu'elle a de plus cher, la rage d'une femme qui se battra corps et âme, la fureur, la frénésie d'une femme qui s'apprête à commettre un meurtre.

Je contournai doucement le comptoir. Ce comptoir où étaient rangées les bouteilles de scotch. L'obscurité disparut tout à coup, mon esprit fut limpide. J'avais l'impression d'y voir comme en plein jour. Je revoyais alors cette paire de mains cagneuses attraper une bouteille poussiéreuse et la contempler avec envie. Je distinguais parfaitement son air d'imbécile heureux digne d'un gamin capricieux qui aurait le jouet tant convoité. Et l'image de la bouteille changeait. Prenait une toute autre forme. La forme d'une femme, prisonnière des serres qui la tenaient fermement.

Le couteau glissa lentement. Je m'en saisis, d'une main hésitante. Je sentis les bouts de mes doigts se convulser tandis que ma peau entrait en contact avec le manche froid. La lame brillait dans les ténèbres, renvoyant le peu de lumière qu'émettait le cadran digital de la cuisine. Je fis glisser un doigt le long de la lame et quelques perles écarlates tombèrent sur les carreaux immaculés. Ma poigne perdit de sa vigueur et le couteau tomba à terre, émettant un tintement sonore. Je me précipitai sur l'interrupteur et la pièce s'illumina, le blanc des dalles de faïence prit toute sa brillance et le rouge des éclaboussures tout son éclat. L'arme gisait non loin des billes hémoglobines.

Mais à quoi tu pensais idiote ? Que tu allais le tuer ? Que ce soir c'était la bonne ? Que tu arriverais à tenir dans tes pauvres mains le pieu qui irait loger la mort dans son épouvantable carcasse ?

Oui. C'était ce que je pensais.

Je pris un verre propre dans le cellier et me servis une longe traite de Gin. L'odeur me donna un coup de fouet et j'y trempai mon doigt blessé. Les étincelles de douleur prirent d'assaut la plaie ouverte au contact de l'alcool et je contemplai encore une fois la dague au sol.

Bordel ce que je peux être faible.

Mes larmes roulèrent et vinrent déferler sur l'inox impeccable. Mon reflet lamentable me contemplait d'un air désespéré et j'en eus la nausée. Pitoyable. Le mot résonnait dans ma tête comme une mauvaise évidence. Je vis mes cheveux en épi que des barrettes tentaient de maîtriser sans succès, mes yeux d'un noir de jais dont je ne supportais jamais le regard face à un miroir et mes tatouages d'un écarlate agressif sur mes joues. J'eus même soudainement envie que mes pleurs effacent ces traces en forme de crocs. Ils me dégoûtaient. Et plus mon image sombrait sous une nappe de tristesse, plus les souvenirs revenaient à la surface. Celui de ma jeunesse entre autres.

J'avais toujours été une fille dissipée, téméraire, garçon manqué. On me le rappelait souvent. Les professeurs de mon lycée, mes parents si pompeux, mes amies si condescendantes. Tous autour de moi me le répétaient sans cesse : "Calme-toi Tsume". Mais c'était plus fort que moi. J'ouvrais mon clapet lorsqu'il y avait quelconque injustice ou problème, je m'énervais pour un rien, j'étais prête à en venir aux mains avec n'importe qui. J'étais ce qu'on appelle encore aujourd'hui une impulsive profonde, ou une chieuse tout simplement. Je m'en contentais, je n'avais besoin de rien de plus que moi même. Ou... c'était ce que je pensais. Jusqu'au jour où j'ai croisé le chemin de Masaru Inuzuka.

Je me rappelais parfaitement ce jour de mai. Il faisait doux, un ciel radieux qui annonçait la promesse d'un bel après midi. J'étais arrivée devant le bâtiment du lycée lorsqu'un regard croisa le mien. Profond, sombre... Mystérieux. L'on ne m'avait jamais regardé comme ça. Jamais, pas moi. Pas Tsume et sa coupe de garçon, son jean déchiré et ses lèvres arrogantes agrémentées d'un rouge imposant. Ce genre de regard était réservé aux jolies filles, celles qui minaudaient en me pointant du doigt. Celles qui portaient de petites jupes brodées et de petits rubans dans les cheveux. Non pas une fille de mon gabarit. Sûrement pas. Mais si. Ses iris d'un noir d'encre cherchaient à captiver les miennes et je ne pus me défaire d'une sorte de magnétisme inexplicable. Je feignais l'indifférence, cherchant à l'éviter au maximum. Je pressais le pas, j'allais arriver à la porte d'entrée, l'ouvrir puis m'enfermer, à l'abri de cette attraction sans pareil... Mais je n'en eus pas le temps. Il s'était levé, s'avançait vers moi, la démarche assurée, le torse en avant, le visage fermé mais le regard si ouvert. J'en étais désarmée, moi et mon impulsivité, moi et mon agressivité, il n'en était plus rien. Tout autour de moi n'avait plus aucune espèce d'importance, plus rien n'importait à côté de ses yeux, de cette façon dont il les posait sur moi...Et ses paroles n'en furent que plus belles lorsqu'il me salua.

Il avait été direct, une voix froide et calculatrice. Il savait ce qu'il cherchait, il savait ce qu'il voulait... Moi. Il ne m'avait pas choisi au hasard, il m'avait sondé. Il avait lu en moi ce qu'il voulait lire, il avait décelé ce qu'il désirait et ce qui faisait défaut aux autres. Il m'avait trouvé spéciale. Spéciale... Et je voulais l'être pour lui. Toutes mes convictions de forte femme, toutes mes désillusions sur le monde et l'amour, ce sentiment niais, digne d'une mauvaise série télé, qui ne veut rien dire, qui s'égare en grands discours mais qui, au final, n'est rien de plus que le moyen de tromper la solitude, tout était effacé. Il avait gommé mes plus belles réflexions sur le monde, il ne restait plus qu'un tissage de rêves et d'idées folles. Je m'étais vue, en un seul instant, comme la plus belle et la plus inestimables des femmes du monde. Je m'étais vue comme amoureuse, animée d'un souffle d'espoir insensé, qui m'ouvrait un univers de possibilités infinies où il en était le protagoniste. Je m'étais vue à travers ses yeux, j'avais vu ce que je n'avais jamais vu en 17 années, ce que le miroir omettait de me révéler, ce que le reflet n'exposait pas, ce que l'invisible laissait deviner. Et tous les jours, toutes les heures, toutes les minutes, toutes les secondes, chaque minuscule instant passé à ses côtés, me laissait entrevoir dans l'océan sombre de ses iris, la lumière d'un futur radieux.

Et quel futur. Je changeais. J'entendais partout dire que Tsume maîtrisait ses cheveux indomptables, changeait sa façon de se maquiller, s'habillait de tons pastels et se parait de son plus beau sourire. Le sourire d'une femme qui voyait, touchait, goûtait l'amour. Le sourire qui prenait source sur les lèvres d'un autre, lorsque machinalement, elles s’attiraient pour se rencontrer en un baiser. Dans la salle de permanence, lorsque le bâtiment était vide, les couloirs silencieux, on pouvait entendre mon cœur jouer du bongo, le rythme incessant et effréné des battements faisant écho avec la trotteuse de l'horloge principale. Il était l'ange qui n'avait pas besoin de mot pour m'en inspirer, le magicien qui n'avait de magique que l'accoutumance de ses caresses et le doux philtre en ses lèvres. Et j'oubliais le temps qui passait, le monde qui tournait, les gens qui se pressaient... Je savourais chaque moment comme s'il était le dernier et tant pis si je fermais les yeux, si je renonçais à chaque principe au fil des jours, je me sentais vivante, je me sentais tout autre, je me sentais bien... Juste bien.

Qu'on ne me parle jamais de mariage, ni d'enfants, encore moins de maison ni même de jardin. Qu'on ne me parle jamais d'engagement, de fidélité ou même de pseudo amour qui rimerait avec toujours. Qu'on ne me raconte aucun conte de fées, qu'on ne me serve jamais de jolies romances, qu'on ne me fasse jamais rêver aux plus douces folies, aux plus belles danses. Masaru... Il a tout changé. Il a été l'ouragan qui a tout emporté sur son passage et le cataclysme qui s'est abattu sur mes convictions. Je me suis mise à rêver, aux rêves aussi beaux que fous, ceux qui me mettaient en scène telle la princesse que je n'étais pas, vivant le plus beau des contes, de ceux qui commencent par "il était une fois" et qui se terminent par "ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants". Je reniais en bloc tout ce que j'avais pu dire auparavant, je voulais vivre mon présent et me forger un futur. Et ce fut lorsqu'il me mit la bague au doigt que je pensais mon aventure commencer, de celles d'un amour pur qui ne se finirait jamais.

Il était un mari attentionné, toujours aussi froid mais travailleur. Ouvrier non qualifié, habile de ses mains, loin de réfléchir avant d'agir, il était aussi impulsif que moi en mes premières années. On vivait modestement, petit couple fraîchement marié, fraîchement propriétaires d'une petite maison d'un quartier bourgeois, un jardin à la clé et un couple de bergers allemands. Je laissais mes cheveux pousser, la mode suivre ma volonté d'être épouse, puis mère et vint le jour où je vis mon ventre s'arrondir. J'attendais une fille, une petite fille. J'attendais le fruit, le fruit de notre amour. Masaru, j'attendais un enfant de lui et je voyais, je lisais dans ses yeux, la vague de tendresse que j'avais pu lire le jour de nos vœux, le jour où notre union se scella d'un "je le veux".

Neuf mois d'attente, elle vint au monde. Masaru, comment l'appellerons nous ? J'aime les fleurs, te rappelles-tu le bouquet de notre mariage ? Des lys et des roses rouges... Et tu avais plaisanté sur le rouge de mes lèvres, le rouge qui marqua nos draps de pétales écarlates. Hana. Fleur. Elle s'appellera Hana et sera notre plus belle rose.

Hana... Elle était une fille superbe. Déjà enfant, elle était rayonnante. Ses cheveux bruns et ses yeux aussi noirs que ceux de son père, sa peau blanche et éclatante qui lui donnait l'impression d'émettre un doux halo lumière autour d'elle, ses lèvres naturellement rouges, sanguines... Hana était notre parfaite union. Masaru s'attendrissait, il ne refusait rien à sa fille. Puis, 4 ans après la naissance d'Hana, mon ventre accueillit un deuxième enfant, une deuxième merveille à notre tableau. Un garçon, un petit homme... Il aura la force de caractère de sa mère et le tranchant de son père. Il saura ce qu'il veut, il sera l'épine de la rose, le croc acéré sous la douce lèvre... Kiba.

La naissance de Kiba changea encore la donne. Masaru n'avait plus le même regard. Il sentait que l'instinct paternel allait le pousser à être dur avec son fils, à le guider. Mais je ne m'en faisais pas, je lui faisais confiance... Ou du moins je m'accrochais à son regard, sans pour autant y trouver la moindre lueur d'amour. Le regard éteint, c'est tout ce qu'il restait lorsqu'il me tint la main à la clinique. Un baiser froid et sans saveur, voilà ce qu'il en était le jour de son arrivée. Kiba... Tu n'y étais pour rien. Le pire était à venir et je te maudissais déjà. Une mère lamentable, voilà ce que j'étais. Je pensais ton arrivée digne de celle d'Hana, avec les larmes de joie débordant des yeux de ton père, l'amour inondant notre famille... Mais la source s'était tarie. Et je te fis porter la responsabilité de tout ça, à l'image d'un séisme qui fit écrouler les fondations. Cependant, si tu avais été le séisme, rien n'était encore écroulé, ce fut un simple accident qui fit tout basculer.

Masaru bascula. Dans le vide, puis dans l'alcool. Ouvrier à risque, il chuta du haut d'un toit lors d'un chantier, et eut la jambe cassée. Un coup dur. Il fallait bien payer l'école, Hana avait 13 ans, Kiba 9. Il fallait payer le loyer, la nourriture et tout ça en plus des soins de Masaru. La misère nous guettait, et je dus prendre un boulot supplémentaire... Puis deux. J'abandonnai l'idée de me coiffer le matin, de me vêtir de ton pastel et de parer mon visage d'un sourire amoureux... Plus rien n'en valait la peine. Je partais le tôt le matin, rentrait tard le soir, ne voyait du ciel que le bleu nuit d'une sombre froideur à l'image du regard de Masaru lorsque j'avais le malheur de croiser ses iris au matin. Il me regardait partir, un regard d'impuissance, le regard d'un homme accablé obligé de rester sur le côté, regardant sa femme agir et se démener pour nourrir sa famille. Je posais ma main sur la sienne, comme pour le rassurer, bêtement, maladroitement... Mais c'était tout ce dont j'étais capable. Je n'avais plus les mots, je n'avais pas le regard, je n'avais que les gestes, paradoxalement inutiles.

Un mois, le premier mois, le plus dur des huit. Le plus long, le plus tortueux, où il faut prendre ses marques, adopter le rythme et suivre la cadence. J'étais décidé à ne pas laisser tomber ma famille, peu importe les sacrifices. Je sacrifiais l'amour de Masaru, le privilège de voir grandir mes enfants, la coquetterie de pouvoir être encore un peu séduisante. Je perdais pied et devais jongler avec trois emplois à la sauvette mais je savais, en mon cœur, que je n'avais ni le choix ni la lâcheté suffisante pour abandonner. Mes principes et mes convictions passés reprenaient le dessus, à mesure que je voyais le conte de fées se prolonger au delà des enfants. La suite n'était plus du tout de l'ordre de la féérie et les désillusions revenaient à la charge dans mon esprit, comme un vieux film en noir et blanc oublié depuis belle lurette. Mais je rejetais ces idées en bloc, niant l'évidence, rêvant encore d'un espoir fou que tout pourrait s'arranger... Je croyais bêtement que l'amour était plus fort que les épreuves de la vie. Qu'avec un peu de courage, on remontait la pente aussi facilement qu'on pouvait la descendre. Mais Masaru ne partageait pas cet optimisme, et dégringolait de plus belle. De bouteille en bouteille, ne marchant plus droit, de cognant à tous les murs, ne tenant plus debout, il s'écroulait dans le salon le soir, un verre à moitié vide en main d'un whisky fort et bon marché. Je rentrais et demandais impunément à ma fille de m'aider à le soulever. Je n'avais plus la force, ni la motivation... Et ma fille, mon rayon de soleil, me lançait un regard dont son père avait eu le secret lorsque l'on s'est connu, ce regard qui veut tout dire en se passant des phrases les plus longues et construites. Ma petite Hana... Elle me réchauffait le cœur lorsqu'au contact de Masaru, il tendait plutôt à se glacer. Elle était si vive d'esprit, elle comprenait si rapidement que je doutais encore de son jeune âge... Je voyais en elle l'ange qu'était autrefois son père.

Et je me laissais faire, lorsque comateux, il voulait satisfaire ses besoins primaires. Plus aucune flamme ne m'animait, je sentais quelques secousses, quelques vibrations et entendait son long râle guttural quelques minutes après. Aucun amour, aucune tendresse, rien de plus qu'un baiser aux vapeurs écœurantes de whisky auquel je ne voulu même pas donner de réponse. Je me souvins qu'il me tourna le dos puis se retourna, l'air hébété, se fendit un sourire et dit d'une voix aussi faible que nasillarde :

-Tu es laide Tsume, vraiment laide.

Mes lèvres avaient tremblé cette nuit là, comme pour vouloir expulser un cri de dégoût et de rage, un cri de douleur et de haine, une longue plainte stridente et intense... Mais rien ne put sortir, excepté un flot de larmes silencieuses. Je me levai, me dirigeai vers la chambre d'Hana et Kiba et entrouvrais la porte de façon à ne pas les réveiller. Je les observais dormir, durant une heure, voire deux, peu importe. Ils étaient comme deux anges, deux anges endormis qui ne comprennent pas encore la dureté de l'existence, deux anges aussi ignorants que la plus amoureuse des femmes, aussi ignorants que pouvait l'être Tsume.

L'amour, à l'instar de la vie, est loin d'être un long fleuve tranquille. Et Masaru n'était pas du genre à laisser couler tranquillement le liquide de la bouteille... Il y allait cul sec. Si bien que les mois passaient et y allait de leurs lots de saouleries permanentes. Masaru buvait le matin, le midi ainsi que le soir, devenait agressif, allait vite, passait rapidement de la fessée à la baffe et c'était Kiba qui en faisait les frais. Indiscipliné, ne supportant pas l'autorité paternelle, Kiba ne voulait en aucun cas donner satisfaction à obéir à l'homme qui levait la main sur lui. Il fut un jour où Masaru voulut frapper Kiba simplement pour passer le temps et savourer pleinement la force herculéenne que l'alcool suscitait chez lui. Je ne pouvais pas le laisser faire, le laisser aplatir sa paume sur la joue de mon fils... Lui que je pensais responsable du revirement d'émotions chez l'homme que j'aimais, il n'avait jamais rien fait, jamais rien engendré... Il n'y avait que moi, pitoyable femme amoureuse qui commençait à ouvrir les yeux, à entrevoir le danger...

Je m’interposai. Il leva la main, et s'arrêta net. Clignant des yeux, l'air hagard, il plongea ses iris de jais dans les miennes, mais l'attraction du passé ne prenait plus sur mes pupilles. Il se fendit un sourire cruel et sa main siffla l'air. Kiba hurla et ma joue, aussi bien que mes tympans s'en souvint. Je lus la peur dans les yeux de mon fils, sentit la violente sensation de brûlure sur mon visage à mesure que le sang affluait pour sustenter le choc. En un instant, la partie droite de mon visage passa du rouge au violacé et je fermai les yeux quelques instants comme pour m'imaginer que la douleur n'était pas réelle. C'était dans ma tête, et je me devais de me le répéter pour ne pas fondre en larmes. Mais alors que je sentis mes paupières se convulser légèrement, le rire nasillard entrecoupé de hoquets gras de Masaru stoppa toute envie de sanglots. Mes yeux se rouvrirent et firent face à cet homme devenu difforme, défiguré par les années, le nez rouge, aussi grossier et pitoyable qu'un clown malfaisant dont les rictus dévoilaient une lignée de dents jaunes et pointues. Il s'affala de nouveau dans son fauteuil, son ventre ressortant en un bourrelet disgracieux et attrapa son verre de scotch sur la table basse. La flasque était pratiquement vide. Mon regard faisait des va-et-vient entre la flasque et ses yeux. Il capta mes iris de ses globes floués par l’ivresse. Ce n’est que lorsque ma main agrippa avec force le goulot de verre et qu’elle le leva en l’air qu’il comprit réellement ce qui se passait. Une étincelle, un éclatement sonore, quelques gouttelettes de sang, puis un flot plus imposant qui s’écoula de l’oreille vers le bas de la nuque. Masaru avait mit sa main à son oreille et me lança un regard meurtrier, remplit de la haine la plus basse et la plus virulente du monde. Je pris un torchon sur le buffet et le lui lançai. Il n’avait pas détourné le regard et Kiba observait la scène, apeuré. J’ouvris la bouche et les mots sortirent, froids et mécaniques.

-Ne me lève plus jamais la main dessus... Ou je te tue.

Le peu de temps passé à la maison me poussait à éviter tout contact avec Masaru. Je me rapprochais de plus en plus de mon fils et sentait que Masaru voulait me concurrencer en se rapprochant d'Hana. Le petit jeu de rivalité d'un couple brisé passait par les enfants et le match était équitable. Kiba me parlait de l'école, de sa grande sœur, des jeux et de ses copains et cela me suffisait à me sentir proche de lui. Il regardait toujours ma joue droite d'un air triste et se sentait coupable d'avoir laissé sa mère prendre la gifle qu'elle n'avait pas méritée. Et lorsque cela arrivait, je m'empressais de l'enlacer contre mon cœur comme le plus précieux des trésors... Ou plutôt une partie de ce trésor. J'observais avec impuissance Hana, ma fille si dévouée et serviable, aux prises de Masaru, lisant le journal avec lui, lui apportant ses infâmes bouteilles d'alcool ou s'enfermant dans sa chambre à faire Dieu seul sait quoi. Je n’avais pas le temps d’y songer d’avantage qu’il fallait que j’aille travailler pour payer le loyer ou une énième facture. Masaru en était à la fin de son huitième mois et n’avait toujours pas reprit contact avec son employeur. Il était bien trop occupé à être bourré pour ça. Mais il allait bien falloir qu’il reprenne le boulot et alors, tout s’arrangerait. Il lâcherait Hana et la bouteille par la même occasion. Et... tout ira mieux, comme avant...

Espoir niais. Je savais très bien que rien ne se passerait comme prévu. Après tout, j’avais rêvé mon avenir en voyageant à travers ses promesses les plus folles, ses promesses qui ne tenaient qu’en un seul regard... Mais le rêve ne durait qu’un temps et s’était plutôt transformé en cauchemar. Et j’étais bête d’espérer encore, bête de n’avoir qu’un œil ouvert et l’autre à demi-clos, bête de m’accrocher à des souvenirs d’amour alors qu’il ne me restait plus que la haine d’un ivrogne. J’étais bête d’y croire... Ou plutôt bête de vouloir y croire.

Alors qu’un soir je finissais plus tôt que prévu, je m’engageai en mon fort intérieur à préparer un bon dîner de famille comme il n’y en avait pas eu depuis un long moment. Je pris le courrier, entrai et me figeai en sentant une odeur alléchante flotter dans l’air. Une odeur de ragoût tout juste préparé qui provenait de la cuisine. Je longeai le couloir et arrivai devant l’encadrement de la porte. Hana se tenait là, du haut de ses 14 ans, vêtue d’une jupe plissée, d’un chemisier en dentelle légère et d’un tablier brodé. Habillée d’une façon atypique pour une petite fille. Elle tourna la tête tout en continuant de remuer le contenu de la marmite et me lança un regard froid. Je pouvais supporter les regards glacés de Masaru autant de fois qu’il le fallait, jusqu’à ce que mon cœur gèle mais il suffisait d’un regard d’Hana pour que le blizzard s’empare de tout mon être. Mes yeux ne supportaient même pas d’affronter les siens et je tournai les talons pour me retrouver face au salon et à Masaru, enfoncé dans son siège à me faire un sourire sarcastique en agitant son verre. Mon attention se reporta sur le courrier. Il n’y avait que les habituelles factures, électricité, loyer... et une lettre du notaire. Impossible de la manquer. Grande, carrée et frappée d’un sceau de cire rouge. Mes doigts tremblèrent et je voyais Masaru arquer un sourcil. Je me repris et décachetai l’enveloppe d’un coup sec, en en arrachant un morceau au passage. La lettre était brève, simple et directe. Un nom, une phrase de condoléances, une annonce d’héritage, un chiffre à plusieurs zéros.

Sur le coup, j’avais senti mon cœur s’effriter, le sol s’effondrer sous mes pieds et mon esprit partir ailleurs. La lettre avait glissée sous mes doigts et rejoint le sol dans un bruissement presque inaudible et une grosse main rugueuse vint la cueillir et me sortir de mes pensées. Masaru avait le papier en main et je n’eus même pas la force de répliquer. Je me servis un verre de scotch et y trempa mes lèvres, avant de pousser le verre, écœurée. Mon regard était perdu dans le vide et je contemplais, d’un air hagard, le grain de café abandonné sur la table basse. La voix de Masaru me ramena à la réalité.

-Enfin claquée cette vieille peau ? Pas mal le pactole qu’elle t’a laissé. J’vais pouvoir me passer de boulot.

Cette vieille peau... C’était ma mère. Elle ne m’a jamais aimé, jamais porté dans son cœur. Mais j’étais sa seule héritière. Le jour de mon mariage avec Masaru, elle m’avait regardée comme si je ne valais même pas sa présence...Alors j’ai su qu’elle n’aurait jamais de paroles plus sympathiques à mon égard qu’un simple « Félicitations ». Je ne l’avais pas revue depuis... Mais c’était ma mère. Ma mère... Et il se permettait de me railler... Ce porc gras sevré au whisky... Cet empafé incapable de vivre sans un verre d’alcool... Il avait osé... Osé... Il avait... Osé.

400 000. C’était le chiffre inscrit sur le papier. Le chèque était arrivé une semaine plus tard. Et disparu le jour même de son arrivée. Masaru avait dû attendre le facteur tandis que je travaillais pour le subtiliser et à mon retour, il avait affiché un air vainqueur en sirotant un bon cognac sorti d’on ne sait où et en dégustant le plat de lasagnes qu’Hana avait préparé. Il l’avait gratifié d’une tape sur les fesses et je vis Kiba regarder son père d’un air mauvais entre deux bouchées. Hana s’empressa de ranger les casseroles sans dire un mot. L’atmosphère était lourde, et pas seulement entre nous deux. Non. Masaru trafiquait quelque chose... C’était évident... Et je le sus... Et je le sais... Puisque ce fut aujourd’hui.

Ce matin, cela faisait une semaine que le chèque avait disparu. Masaru n’avait jamais eu un air aussi satisfait et moi la rage qui me nouait la gorge. Mais Kiba ne me parlait qu’évasivement et affichait l’air sombre de celui qui en sait beaucoup trop. A force de nuits blanches, il me fallait la vérité. Quelque chose tourmentait mon fils et le quelque chose tenait en un mot : Masaru. J’avais alors décidé de ne pas aller travailler aujourd’hui. Ce n’était pas une journée qui allait me porter préjudice et mon fils passait avant mon rôle de vache à whisky pour cet espèce de salaud. J’étais donc partie pour accompagner mon fils de 10 ans au collège ou du moins, l’accompagner dans un coin tranquille. Un café du centre ville où les cappuccinos étaient excellents selon les dires. Et je me retrouvais devant mon fils de 10 ans, aux cheveux en bataille, le regard fuyant, buvant son cappuccino à petites gorgées. Maladroitement, j’essayais de capter son attention d’un raclement de gorge discret où d’un air attendrissant, mais rien n’y fit. Il fallait que je me jette à l’eau.

-Kiba...
-T’as remarqué hein ?
-Je...
-Maman. Que signifient tes tatouages sur tes joues ?

Que dire à mon fils ? Que c’est parce-que mon père me battait ? Qu’il me giflait tous les jours ? Qu’il détestait regarder mon visage ? Que c’était le symbole de toute la souffrance que mon visage a porté ? Mon fils de 10 ans... Non... Je ne pouvais pas.

-C’est un symbole de force mon chéri. Ces crocs rouges symbolisent ma force. Tu sais comment tu t’appelles non ? Kiba. Ça veut dire crocs. Tu es une partie de ma force aussi tu comprends ?
-Maman... Si je te dis tout, je pourrais aussi me faire faire les mêmes crocs sur les joues ? Je veux être fort... Pour protéger Hana.

Hana... Pourquoi ne m’avais-tu rien dit ? Tu as cru les mensonges de Masaru toi aussi... Les mêmes qu’il me glissait avec de simples regards. Et à mesure que Kiba parlait, mon cœur explosait dans ma poitrine. Une heure à discuter, une heure où je sentais mes tempes tambourinant mon esprit, mes doigts se crispant autour de ma tasse brûlante, mes dents agrippant ma lèvre inférieure pour la mordiller nerveusement. Il me fallait les mots d’Hana. Ses mots. Il me fallait son explication... Il me fallait la preuve que Masaru... que Masaru...

En début d’après-midi, j’étais passée au lycée d’Hana pour la récupérer à la sortie de ses cours. Lorsqu’elle me vit, son visage s’assombrit et elle avança à contrecœur pour venir à ma rencontre. Je ne pus même pas prendre l’initiative de la prendre dans mes bras tant son air m’effrayait. Elle n’avait pas les yeux d’une fille de 14 ans... Elle avait le regard lourd, trop lourd. Lourd de larmes qui ne veulent pas couler, lourd de souffrances qui ne veulent pas s’exprimer, lourd de secrets inavoués. Mais ça allait prendre fin, je l’avais juré à la minute où Kiba m’avait tout dévoilé. Mais je voulais sa version... La sienne. Coûte que coûte.

-Hana, je suis au courant.
-Tu es au... courant ?
-Pour Papa. Je sais ce qu’il se passe.
-Comment tu...?
-Kiba.
-...Oh non...

Une perle translucide se forma et roula le long de sa joue laissant une trace humide de son passage, bientôt suivi par une multitude d’opales étincelantes qui dégringolèrent tour à tour.

-Hana... Je suis ta maman, je suis... ta maman. La personne qui sera toujours là pour toi, quoi que tu aies fait, quoi que tu aies dit. Je veux juste connaître la vérité... S’il te plait... Je t’en prie...

Les larmes se bousculèrent à mesure que les mots sortaient de ma bouche et je fus obligée de lâcher lourd fardeau de tristesse le long de mon visage. Hana, pourquoi fallait-il que tu comprennes tout trop vite ? Que tu grandisses trop vite ? Hana... Elle avait... La voix pleine de sanglots lors de ses aveux.

-Papa... Il m’a... Il m’a dit que tu étais une... Une...
-...Salope ?
-O...Oui... Mais je... Enfin... Je lui ai dit que ce n’était pas vrai et il m’a dit que... que c’est toi... qui lui avait cassé la jambe... Que tu étais dangereuse et que tu le frappais... Que tu voulais le...le tuer.

Masaru... Qu’est-ce que tu as raconté à Hana...? J’avais l’estomac noué, la gorge sèche, vide de larmes...

-Alors il m’a dit... De... De bien regarder... Et j’ai vu... Lorsque tu as... avec la flasque...

La flasque... Alors Hana avait vu ça aussi... Et elle a dû penser que...

-Donc j’ai cru Papa... Mais... Je l’ai cru mais... Il m’a dit... Qu’à cause de ça... Il se sentait mal et qu’il... Avait besoin... De sa fille chérie pour... Aller mieux...
-Aller... mieux ?
-Il... Il a dit que... Que je devais... Dans la chambre avec lui... Enlever ma...
-Hana.

Ce n’était pas plus un ordre qu’une demande. Kiba avait dit vrai. Comment avait-il pu... Faire ça à Hana...? Et tandis que nos larmes coulaient en cadence, je serrais ma fille contre moi comme je ne l’avais jamais fait auparavant.

-C’est fini Hana... C’est fini...
-Maman... Maman... C’est mal, j’ai mal agi... Maman... Je suis...
-Tu es Hana... Tu es ma merveilleuse petite fille et... tout est fini à présent... Papa ne te fera plus jamais ça, plus jamais...

Et alors que mes larmes s’abattait sur les longs cheveux bruns d’Hana, mon regard se fit glacial, déterminé, comme il ne l’eut jamais été...

-Plus jamais.

Masaru allait payer... Il allait payer pour ça... Mais aussi pour toute sa conduite... Pour les gifles envers Kiba, pour les humiliations, pour ses promesses qu’il n’aura jamais tenues et pour le viol d’Hana. Il allait comprendre...

Le soir au dîner, l’ambiance était plus détendue, à la grande surprise de Masaru qui ne comprit pas pourquoi un tel changement. Mais j’avais prévu le coup et lui avait acheté une bonne bouteille de whisky pur malt à une brique la bouteille. Méfiant, il finit par céder, croyant aux bonnes grâces d’une femme qui avait enfin compris la leçon. Il s’était installé dans son fauteuil, un verre à la main, le sourire en coin du goret satisfait d’un bon plat bien gras et d’un excellent verre d’alcool. Je vins m’asseoir près de lui, cherchant à capter son regard comme pour engager la conversation que nous n’avions jamais eue... Celle où il était question de mots et non plus de langage du cœur.

-Qu’est-ce ‘tu m’veux ?
-Discuter.
-Pourquoi j’discuterai avec toi Tsume ? Tu m’as payé une bouteille c’est que t’as envie que je sois saoul pour pas faire l’impasse sur ton physique de merde c’est ça hein ?

En cet instant, tout, absolument tout lui avait inspiré de la haine et du dégoût. Quand bien même ses yeux étaient les mêmes, ils ne reflétaient plus rien, le trou noir, vide, béant, à l’instar de tout son être. Il était une coquille vide, une enveloppe usée par le temps qui a laissé sa lettre s’échapper. Il n’était plus Masaru... Il était... Ni plus ni moins qu’un détritus.

-Pourquoi tu m’as aimé Masaru ?
-Moi ? Aimé ? Pfffah ! Laisse-moi rire, t’étais laide ! Même à l’époque t’étais laide ! Je voulais juste une petite bonniche qui se prenne pas la tête, et t’étais là ! Franchement ! J’croyais qu’t’en avais dans la cervelle, mais en plus d’être moche, t’es vraiment bien conne Tsume !

Il émit un rot bruyant et se tapa le ventre avant de poursuivre.

-Et même si avant j’étais un mec plutôt cool, tu crois vraiment que j’aurais accepté d’bosser dans ce truc minable rien qu’pour toi et les gosses ? C’est bien la seule chose que t’ai réussi, les gosses. Et encore, y’a qu’Hana qui sert à quelque chose !

L’entendre parler d’Hana m’avait donné la nausée. Sur le coup, je voulu vomir à ses pieds. Je l’imaginais dans la chambre du haut avec ma fille... En train de lui demander de retirer sa culotte pour qu’il puisse regarder de plus près et « s’amuser »... Plus jamais... Je m’étais promis sur ma tête que plus jamais...

-Masaru espèce de salopard ! Comment tu as pu faire ça à Hana !?
-Pfffaah comme j’disais, ‘faut bien qu’elle me serve. Et Hana c’une bonne fille, bien comme sa mère. Une bonne conne, sauf qu’elle est jolie, elle tient ça de moi, laidron va.

Il plongea son regard dans le mien et émit un rire guttural.

-Hahaha ma pauvre Tsume, tu comptes faire quoi ? Appeler les flics ? M’envoyer en taule ? Et t’élèves les gosses avec quoi ? Que dalle ! Oublie pas que j’ai le précieux chèque et que... Non oh, au fait, les tunes sont sur mon compte ! Alors tu vois ? T’es cernée. Oh et merci pour le whisky. Il a dû te coûter la peau du cul, mais vu la graisse que t’as sur les fesses, ça a dû aller pour toi.

Et il s’était levé, avait prit la bouteille d’une main, son verre de l’autre et avait disparu en haut de l’escalier.

Mon reflet sur le comptoir en inox me sortir de mon introspection. Peu importe les larmes, mes crocs étaient toujours là, agressifs et écarlates. Symbole de ma force... de ma force...

Cette phrase résonnait, accrochée à mon esprit. Et la dague, encore au sol, me narguait, me désignait comme incapable. Je revoyais les larmes d’Hana, le visage de Kiba... Mes enfants... Et cet homme. Cet homme que j’ai cru... Que j’ai aimé, que j’aurai suivi au bout du monde. Cet homme malfaisant... Cet homme qui a ruiné ma vie... Notre vie... Et le poignard arriva comme par magie entre mes doigts dont le sang encore frais inondait le bout de mes ongles.

Je montai les escaliers, un a un. Doucement, furtivement. La porte donnant sur la chambre de Kiba et Hana était ouverte. Un dernier coup d’œil à mes anges endormis, et je m’apprêtai à mettre un terme à tout ça. Plus jamais ils n’auraient à souffrir... Plus jamais. Et l’antre des rêves se referma.

Le bout du couloir, j’entendis distinctement le ronflement. Gras, devinant une haleine putride, un ronflement hideux... Son ronflement. Plus jamais je ne le supporterai près de moi, plus jamais je ne verrai son sourire sarcastique dessiner une ligne jaunâtre et striée qui me nargue. Plus jamais... Non plus jamais il ne se réveillera.

Je serrai le poignard et pénétrai sans bruit dans la pièce. Il était là... L’homme que j’avais aimé... qui m’avait fait rêver, et à qui j’allais offrir un sommeil éternel. Qu’il puisse pourrir le ventre plein d’alcool et l’esprit plein de tourments. Je montai sur le lit, il émit un grognement ensommeillé. Je voulais qu’il se réveille... Qu’il sente l’acier en plein cœur comme le mal qu’il a implanté en mon âme. Je voulais qu’il crève... crève... qu’il crève conscient.

-Crève...
-Geuh... Tsu...
-CREEEEEEEEEEEEEEEEEEEEVE !

La lame s’abattit d’un coup en sa poitrine et un spasme violent lui secoua tout le corps. Masaru laissa échapper un filet de sang qui coula le long de sa bouche et il voulut faire un mouvement lorsque, extirpant rapidement mon arme, je vis son regard malhonnête, le même regard noir qu’il m’adressa le jour où la flasque s’était abattue sur son oreille. Le poignard retomba sur l’œil droit encore ouvert de Masaru qui fixait quelques secondes auparavant le mien et sa bouche s’ouvrit et se tortilla comme pour extirper un long cri de douleur qui se mua en un immonde bruit de déglutition. L’œil laissa pleuvoir des larmes ensanglantées alors que la paupière, impuissante, ne pouvait refermer l’infâme plaie béante. Toute une partie de son visage n’était plus qu’un immonde masque coagulable et poisseux inondant ses cheveux hirsutes. Son œil valide étincelait du faible rayon de lune qui transparaissait à travers la vitre, me suppliant du regard.

-Si seulement tu m’avais laissé rêver... Tu m’as endormi, ta plus grosse erreur a été de me réveiller... Masaru...

Un dernier coup sec en pleine gorge et un craquement de la trachée s’ajouta le son d’une ingurgitation qui me donna la nausée. Après quelques secondes, l’œil encore valide se figea dans son orbite et la paupière tomba, précipitamment, comme le rideau sur une mauvaise pièce de théâtre.

Pour moi aussi, c’était la fin de la pièce. Je lâchai le manche, laissant l’acier en plein milieu de la gorge de Masaru et m’allongea à la place libre du lit. Je sentais mon cœur battre comme il n’avait jamais battu. L’adrénaline comme aucun amour passionnel n’aurait pu m’en insuffler. Pas même son regard, ses baisers ou ses humiliations. La seule force, la vraie force, ce sont ces deux crocs, ces deux petits crocs, ces deux anges... Hana et Kiba. Je leur ferai tatouer la même force pour qu’ils comprennent... qu’ils comprennent que dans la vie, rien n’est insurmontable, rien n’a plus de force qu’une mère qui se bat pour son enfant.


Je m’appelle Tsume, et mon souhait le plus cher, celui de me réveiller, vient d’être exaucé.
Maintenant, je peux aller me coucher.




OS un peu long mais que j'ai écris avec toutes mes tripes :) On va dire que c'est une volonté de faire un écrit poignant et un petit retour sur l'espace fic'.

Merci à tout ceux qui ont prit le temps de le lire et tout ceux qui suivent mes autres fictions !




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