Croow (Masculin), le 11/08/2011 Que dire a part bonne lecture :)
Chapitre 5: Pendaison Exhibitionniste
Finalement, ce ne fut pas une telle histoire, et Kakashi en fut heureux. On amena Ichiraku dans un chariot découvert, mais seul son gabarit permettait de le reconnaître. On lui avait bandé les yeux au moyen d’un large tissu noir qui lui tombait devant le visage. Quelques-uns lancèrent des pierres, mais la plupart poursuivirent leur repas tout en regardant.
Un ninja que Kakashi ne connaissait que de vue (il se réjouissait que son père n’ait pas été désigné par la pierre noire) mena le gras cuisinier en haut des marches, avec précaution. Deux gardes ninjas avaient pris les devants et se tenaient de par et d’autre de la trappe. Lorsque Ichiraku et le ninja atteignirent la plate-forme, l’homme balança la corde par-dessus la hampe, puis la passa autour du cou du cuisinier, laissant glisser le nœud jusqu’à ce qu’il soit juste au-dessus de son oreille gauche. Les oiseaux s’étaient tous envolés, mais Kakashi savait qu’ils attendaient leur heure.
Ses paroles portaient loin, sa voix était empreinte d’une dignité étrange, en dépit de l’étoffe qui lui masquait les lèvres et étouffait sa réponse. Le tissu tremblotait légèrement dans la douce brise qui s’était levée.
« Je n’ai pas oublié le visage de mon père. Il m’a accompagné tout du long. »
Kakashi lança un regard acéré à la foule et ce qu’il vit le perturba - était-ce un élan de compassion ? De l’admiration, peut-être ? Il faudrait qu’il demande à son père. Lorsqu’on donne aux traîtres le nom du héros (ou aux héros le nom de traîtres, se dit-il avec son air sombre habituel), c’était le signe que les ténèbres étaient là. Les ténèbres, en effet. Il regrettait de ne pas mieux comprendre. Son esprit revint soudain sur Minato et sur le pain qu’il leur avait donné. Il ressentit du mépris : le jour viendrait où Minato serait son serviteur. Peut-être pas celui d’Obito. Peut-être Obito resterait-il sous le feu stable de son maître, pour ne devenir qu’un civil ou un marchand (voir infiniment pire : un diplomate parfumé, badinant dans les antichambres ou scrutant des boules de cristal d’opérette pour leurrer des Kages gâteux), mais lui non. Il le savait. Il était fait pour les grands espaces et les longues chevauchées. Que cela lui sembla ou non un bonne destinée, voilà qui plus tard le ferait beaucoup réfléchir, dans ses heures de solitude.
« Kakashi ? »
« Je suis là. »
Il prit la main d’Obito, et leurs doigts se serrèrent comme un verrou de fer.
« Les chefs d’accusation sont : meurtre et sédition, dit le ninja. Vous avez trahi le blanc et la population, je vous remets au noir, à jamais. »
Un murmure passa sur la foule, ainsi que quelques protestations.
« Je n’ai jamais… »
« Tu raconteras ton histoire aux enfers, misérable, dit celui qui donna la mort a Ichiraku, avant de tirer d’un coup sec sur le levier, de ses deux mains gantées de noir. »
La trappe s’ouvrit. Ichiraku piqua vers le bas, essayant toujours de parler. Jamais Kakashi ne devait oublier cette vision. Le cuisinier s’enfonça en essayant toujours de parler. Et où devait-il finir la dernière phrase qu’il avait commencé sur cette terre ? Ses paroles furent closes par le fracas que ferait une pomme de pin qui explose dans le brasier, par une noire nuit d’hiver.
Mais il trouva qu’on en faisait finalement toute une affaire. Les jambes du cuisinier battirent l’air une fois, formant un grand Y. La foule lâcha un sifflet de satisfaction. Les gardes ninjas abandonnèrent leur pose militaire et se mirent nonchalamment à tout ranger. Le ninja gantelet redescendit lentement les marches, monta en selle et s’éloigna, traçant dans le vif d’un troupeau de pique-niqueurs, cravachant au passage quelques-uns des lambins, les faisant détaler.
Après quoi la foule se dispersa rapidement, et, quelques quarante minutes plus tard, les deux garçons se retrouvèrent seuls sur la petite colline qu’ils avaient choisi pour assister à l’exécution. Les oiseaux étaient de retour, pour inspecter leur nouvelle prise. L’un d’eux se posa sur l’épaule de Ichiraku avec bonhomie et entreprit de piquer du bec l’anneau brillant que le cuisinier portait depuis toujours a l’oreille droite.
« On ne dirait pas du tout que c’est lui, dit Obito. »
« Oh si, c’est bien lui, répondit Kakashi avec assurance, tandis qu’ils se dirigeaient vers la potence, leur pain à la main. »
Obito paraissait confus.
Ils s’arrêtèrent sous la hampe et levèrent les yeux vers le cadavre qui pendait en tournant. Obito tendit le bras pour toucher d’un air méfiant l’une des chevilles poilues. Le corps se remit à se balancer.
Puis, sans perdre de temps, ils émiettèrent grossièrement le pain et le dispersèrent sous les pieds suspendus. Tandis qu’ils quittaient les lieux, Kakashi se retourna, une seule fois. À présent, il y avait des milliers d’oiseaux. Le pain était donc symbolique - il le perçut obscurément.
Kakashi ne fut pas choqué, même si pour sa part il n’avait pas particulièrement apprécié la scène. Mais il entrevoyait qu’il pouvait comprendre ce que ressentait Obito. Peut-être ne finirait-il pas en diplomate, après tout, malgré ses blagues et ses bons mots faciles.
« Je ne sais pas si c’était bien, mais en tout cas c’était quelque chose. Ça c’est sûr. »
La terre ne tomba pas aux mains de Danzô avant cinq années, mais entre-temps Kakashi était devenu un ninja confirmé et gradé, son père était mort, lui-même était un matricide… et le monde avait changé.
L’heure des grands espaces et des longues chevauchées était venue.