Fiction: Gaiden

Roman assez violent entre le manga et une dur réalité.
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Croow (Masculin), le 09/08/2011
Que dire a part bonne lecture :)



Chapitre 4: Potence Placide



La Colline aux potences se situait sur la route de Suna - ce qui signifiait Sable, dans un des dialectes à l’origine du Haut Parler. Très poétique, vraiment. Obito aurait sans doute apprécié ce ravissant effet, mais pas Kakashi. Il apprécia en revanche la splendeur funeste de l’échafaud se dressant sur fond de ciel bleu cobalt, silhouette anguleuse surplombant d’un air menaçant la piste.
Les deux garçons avaient été dispensés de leurs exercices du matin - Minato avait lu laborieusement le mot écrit par leurs pères, bougeant les lèvres, hochant la tête çà et là. Une fois sa lecture terminée, il avait soigneusement remis les papiers dans sa poche. Même ici, à Konoha, le papier devenait rapidement aussi précieux que de l’or. Après avoir mis ces deux feuilles en lieu sûr, il avait levé le nez vers l’aube bleue violacée et avait de nouveau hoché la tête.

« Attendez ici », avait-il dit en se dirigeant vers la cabane en pierre penchée qui lui servait de quartiers. Il en était revenu avec une tranche de gros pain azyme, qu’il avait cassé en deux pour en donner une moitié à chacun d’eux.

« Quand ce sera fini, vous émietterez ça sous ses chaussures. Prenez garde à bien faire ce que je vous dis, ou bien vous aurez affaire à moi la semaine prochaine. »

Ils n’avaient pas compris avant d’arriver là-bas, à deux sur le hongre d’Obito. Ils étaient les premiers sur les lieux, deux bonne heures avant tout le monde, quatre avant la pendaison elle-même, aussi la Colline aux potences était elle déserte - hormis les freux et les corbeaux. Il y avait des oiseaux partout. Ils étaient juchés sur la barre dure et saillante qui surplombait la trappe - cette armature de mort. Alignés sur le bord de la plate-forme, ils se bousculaient bruyamment pour prendre place sur l’escalier de bois.

« On laisse les cadavres, murmura Obito. Pour les oiseaux. »

« Montons voir, dit Kakashi. »

Obito le regarda avec dans les yeux ce qui ressemblait à de l’horreur.

« Quoi, là-haut ? Tu penses que… »

Kakashi l’interrompit d’un geste de la main.

« On a des années d’avance. Il ne viendra personne. »

« D’accord. »

Ils montèrent lentement vers le gibet, faisant s’envoler les oiseaux, qui croassaient et décrivaient des cercles comme une foule de civil expropriés en colère. Leurs corps étaient d’un noir implacable et se découpaient sur l’aube pure, dont les lueurs inondaient le ciel du monde de l’intérieur.
Pour la première fois, Kakashi ressentit l’ampleur énorme de sa responsabilité dans cette affaire : ce bois n’avait rien de noble, ne faisait pas parti de la machine terrifiante de la Civilisation, ce n’était là que du pin gauchi issu de la forêt d’en face, maculé de fientes blanches. Tout le bois en était éclaboussé - l’escalier, la rambarde, la plate-forme elle même.
Le garçon se tourna vers Obito avec des yeux alarmés et terrifiés, pour constater que ce dernier le regardait avec la même expression.

« Je peux pas, murmura Obito. Ka‘ , je peux pas regarder. »

Kakashi secoua lentement la tête. Il y avait une leçon à apprendre, il s’en rendait compte, non pas quelque chose de flamboyant, mais quelque chose de vieux et de rouillé, de mal taillé. C’était la raison pour laquelle leurs pères les avaient laissés venir. Et avec son obstination habituelle, son entêtement brouillon, Kakashi en pris mentalement possession.

« Tu le peux, Obito. »

« Je ne fermerai pas l’œil de la nuit, si je regarde. »

« Eh bien ! Tant pis, fit Kakashi, sans bien comprendre quel rapport il y avait entre les deux. »

Obito saisit brusquement la main de Kakashi et le regarda avec des yeux remplis d’un tel martyre muet que les doutes de Kakashi ressurgirent et qu’il regretta avec une montée de nausée d’avoir même pénétré dans les cuisines d’Ichiraku, ce soir là. Son père avait raison. Il valait mieux ne pas savoir. Mieux valait voir chaque femme, chaque homme et chaque enfant que comptait Konoha réduit à l’état de cadavre puant plutôt que ça.
Mais pourtant. Pourtant. Quelle que fût la leçon, quelle que fût cette chose rouillée aux bords tranchants, à demi enterré, il était bien décidé à ne pas la laisser lui échapper.

« Pas la peine de monter, dit Obito. On a tout vu, déjà. »

Kakashi acquiesça à contrecœur, sentant son emprise sur cette chose - quelle qu’elle fût - faiblir. Il savait que Minato les aurait frappés tous deux, les aurait fait ramper avant de les forcer à monter sur la plate-forme, une maudite marche après l’autre… Il leur aurait fait renifler le sang frais, pour qu’il leur remonte dans les narines, le long de la gorge, comme une confiture salée. Minato aurait sans doute fait passer une nouvelle boucle de chanvre au bout de la verge, il leur aurait passé le nœud autour du coup à tour de rôle, il les aurait placés sur la trappe ; et Minato se serait tenu prêt à les frapper une nouvelle fois s’ils avaient pleuré, ou perdu le contrôle de leur vessie. Et leur maître, bien sûr, aurait eu raison.
Pour la première fois de sa vie, Kakashi se surprit à haïr sa propre enfance. Il se mit à appeler de ses souhaits le grand âge.
Il arracha volontairement un éclat de la rambarde et le glissa dans sa poche de chemise, avant de tourner les talons.

« Pourquoi as-tu fait ça ? Demanda Obito. »

Il aurait voulu répondre une fanfaronnade du genre : Oh, ces potences, ça porte bonheur… , mais il ne sut que fixer son compagnon en secouant la tête.

« Pour l’avoir, c’est tout. L’avoir toujours sur moi. »

Ils allèrent s’asseoir à l’écart du gibet et attendirent. Au bout d’une heure environ, les premiers habitants de la ville commencèrent à se réunir, pour la plupart des familles venues a pieds sur les chemins défoncés et des routes bousillées, leur petit déjeuner sous le bras - des bourriches de poissons crus repliés sur une couche de sauce verdâtre. Kakashi sentit son estomac se tordre de faim et se demanda une nouvelle fois, avec désespoir, où étaient l’honneur et la noblesse, dans tout ça. On lui avait appris ces choses-là, et il était à présent contraint à se demander si on lui avait menti tout le long, ou bien s’il s’agissait de trésors enfouis profondément par les sages. Il voulait croire cela, mais il lui semblait qu’Ichiraku, dans son tablier sale, allant et venant dans sa cuisine souterraine et fumante en hélant après les subordonnées, avait plus d’honneur que ça. Il fit jouer entre ses doigts l’écharde arrachée à l’arbre de potence, le cœur malade de perplexité.
Obito était étendu à côté de lui, le visage redevenu impassible.




Toujours assez violent, le prochain chapitre, vous vous en doutez, le sera encore plus avec la pendaison qui arrive.



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