Fiction: Paul Verlaine

Le lycée Paul Verlaine est réputé pour la formation efficace qu'il offre. Mais il est maintenant connu pour une toute autre chose. Il pleuvait, il pleurait. Ils pleuraient de panique, de peur.
Classé: -12I | Tragédie | Mots: 1632 | Comments: 10 | Favs: 6
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Under-my-skin (Féminin), le 09/04/2011




Chapitre 1: Une heure, une minute, une seconde et tout bascule.



"Il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la ville." P. Verlaine

Le vent s'est mis à souffler. Je lève les yeux au ciel grisâtre ; ce vaste couvercle, épais et lourd, semble sur le point de se déchirer, mais fait attendre encore le moment de sa rupture. Depuis plusieurs heures, l'air est chaud et étouffant, si bien que j'ai de la peine à prendre mon souffle. Je vois alors une, puis des striures luisantes lézarder tout ce tableau gris et insipide. Un, puis des éclats de tonnerre emplissent mes oreilles. Le vent va et vient, et toujours plus violent, dissipe tout cet air malsain et lourd qui m'entoure.Le tonnerre gronde de plus belle, fendant de ses éclairs le tableau austère du ciel en colère. Tout s'accélère, vent et tonnerre soufflent et crient de plus belle. Les gouttes froides tombent par centaine, par milliers, par millions, inondant l'asphalte vieille et lasse. Il pleure.

Rien, il n'y a plus rien. Tout ce que j'aperçois, c'est un peu d'herbe détrempée et l'asphalte mouillée. La Nature pleure comme elle a pleuré, comme moi, comme nous tous. L'établissement est désert. C'est une carcasse sans âme, si cris, sans rires ni joie. Je m'écroule le long du portail vert impérial. Des sanglots me secouent alors de part en part. Je pleure comme il pleut, pensant que la peine, comme si elle n'était que crasse, s'en irait avec mes larmes. Mais cette salissure était là, et depuis une semaine, elle ne me quittait plus. Ma mémoire était salie, et cette maudite journée avait entaché ma vie à jamais.

C'était un matin d'avril, je me levai, comme à l'accoutumée, à six heures. Je pris le bus, et encore toute endormie, j'écoutais, un peu absente, mes chansons préférées. Trois de mes amies, Ino, Hana et Anko, que je connaissais depuis quelques années déjà, me rejoignirent dans le bus trente minutes plus tard. Nous discutâmes de choses et d'autres, comme nous en avions l'habitude, riant, insouciantes. Nous vîmes un jeune homme entrer dans le bus et manquer une marche. Il trébucha, ce qui provoqua l'hilarité d'une bonne partie des passagers du véhicule. Ce garçon affichait une mine sombre et étrange, impassible. Jamais je ne l'avais vu sourire. J'avais souvent entendu parler de lui, et jamais pour de nobles raisons.

« C'est Kisame le paumé ahah ! » se moqua une voix féminine.

Je soupirai ; cette voix respirait la méchanceté à tel point que je pouvais en sentir l'odeur. L'homme ne prit pas le peine de répondre et grommela simplement des semblants de jurons inintelligibles.Nous arrivâmes près du lycée et du collège, pour Ino qui y étudiait encore. Elle nous lâcha un « à ce soir » plein d'entrain, avant de se diriger vers son collège. Anko, Hana et moi partîmes en direction du lycée. Anko rejoignit des amies à elle, tandis qu'Hana et moi nous nous rendîmes à la Maison Des Lycéens, petite pièce à l'ambiance chaleureuse où nous avions l'habitude de nous retrouver, nous et nos amis les plus proches. Lorsque la première sonnerie retentit, je me dirigeai vers ma salle de cours, celle qui portait le numéro trois-cent seize, accompagnée de Sakura et Ten Ten, deux amies avec qui j'étais en classe. Nous allions à notre dernière séance de Travaux Personnels Encadrés, une sorte d'exposé oral et écrit qui durait plusieurs mois, et devait être réalisé en groupe. Nous retrouvâmes Temari, la dernière membre de notre groupe, que nous saluâmes avant de partir dans une discussion enjouée à propos de nos week-ends respectifs. Nos deux professeurs nous ouvrirent la porte, firent l'appel et nous commençâmes à régler quelques détails à propos de notre dossier et de nos carnets de bord. L'angoisse et le stress étaient papables dans la salle : c'était effectivement notre dernière séance et nous n'étions pas vraiment au point. Il nous fallait encore régler de nombreux détails.

Soudain, cette journée qui était censée se dérouler comme toutes les autres se transforma en un affreux cauchemar. Je frissonne encore en me rappelant cet instant. Un bruit sourd s'était fait entendre ; tous, nous avions crié, surpris. Après une minute, plus personne ne bougeait, ni ne pipait mot, sous les consignes silencieuses de nos deux professeurs.

Tétanisée, je jetai un coup œil apeuré à mes amies, aux autres, à nos deux professeurs qui avaient l’air aussi effrayé que nous. Madame Yuhi tremblait, monsieur Hatake tentait de rester digne. Il osa à peine se lever pour chuchoter je ne sais quoi à l’oreille d'un groupe d’élèves. Il arriva enfin près de Ten Ten, Sakura, Temari et moi.
« Je vais voir ce qu’il se passe. Je fermerai la porte et reviendrai au plus vite. »
Nous acquiesçâmes. Tous réfugiés sous nos tables, nous attendions, en sueur, que l’annonce tomba. Pour toute réponse, nous entendîmes un nouveau bruit sourd qui nous déchira les oreilles. C’était une détonation. Monsieur Hatake se précipita dans la salle, la refermant à clef derrière lui.
« Un jeune homme armé… dans l’atrium du lycée… »

Je me retins de pleurer à chaudes larmes et d’hurler toute ma peur. À côté de moi, Ten Ten pleurait déjà. Je mis ma main toute tremblante sur son épaule.
« Je ne veux pas mourir, sanglotait-elle.
- On ne mourra pas… hein… les filles ? » murmurai-je, la voix brisée.

Madame Yuhi pleurait, elle aussi. On entendit une nouvelle détonation, et un cri de douleur déchirant. J’eus un haut-le-cœur. Non, nous étions trop jeunes pour mourir. Nous étions des étudiants, nous étions là pour apprendre, pour passer notre bac, pour avoir un métier, pour... Non, les professeurs et membres de l’administration ne venaient ici que pour travailler, pour gagner leur vie… Non, personne ne devait mourir. Je m’écroulai contre les pieds de la table sous laquelle je m’étais recroquevillée, larmoyante. J’avais peur comme jamais. Où était-il ? Qui était-il ? Allait-il nous laisser tranquille ? Irait-il jusqu’au troisième étage ? Que voulait-il ?

Monsieur Hatake tentait de calmer les sanglots convulsifs de madame Yuhi. N’y arrivant résolument pas, il la fit s’asseoir contre le mur, et se dépêcha d’éteindre toutes les lumières de la pièce et d’en fermer les stores.
« Il est encore au rez-de-chaussée, dit-il. Ne faites aucun bruit, si ce n’est murmurer : il ne doit pas savoir qu’il y a quelqu’un dans cette pièce. S’il voit que tout est fermé, il s’en ira probablement. Je vous en conjure, ne faites pas de bruit. »

Nous appliquâmes son conseil immédiatement. J’implorai toutes les déités que je connaissais de nous faire sortir de cette journée, de cette établissement indemnes. Nous n’avions encore rien vécu. J’avais toute ma vie devant moi, j’avais tout à accomplir. J’avais tant de choses à dire ! Je devais dire à tous mes amis que je les aimais sincèrement, que sans eux, ma petite vie aurait été bien morne et insipide. Je devais remercier mes parents et ma famille pour leur éducation, pour leurs soins, pour les valeurs qu’ils m’avaient inculqué. Je devais dire à ma sœur que même si elle me rendait la vie infâme et que je ne pouvais résolument pas la supporter, je l’aimais quand même. Je devais dire à ce jeune homme si mignon dont je ne connaissais que le nom et que j’admirais en secret que je l’aimais, même si je ne lui avais jamais parlé. Je devais finir d’écrire notre recueil de poésie avec Hana, et le publier ! Je devais fonder une famille ! Je devais aimer ! Nous le devions tous. Nous n’avions rien vécu encore. Et quand bien même nous aurions vécu, nous ne méritions pas de mourir ainsi, et maintenant, alors que nous étions tout à fait innocents.

Deux bruits sourds se firent à nouveau entendre. Ils semblaient se rapprocher. Temari cria ; je mis ma main devant sa bouche, l’implorant de se calmer, même si je comprenais son désarroi. Moi-même j’avais envie d’hurler à m’en faire imploser les entrailles. Nous entendîmes des pas se rapprocher, quelqu’un courait. Nous retînmes tous notre respiration, tremblants. Mon cœur battait si fort que je n’entendais bientôt plus les pas de l’intrus. On entendit des coups sur la porte. Je me mordis la main pour ne pas crier. Une voix masculine nous sommait d’ouvrir la porte. Monsieur Hatake se leva, sortit la clef de sa poche.
« Monsieur ! S’écria Sakura; Que faites…
- Je sais ce que je fais »

Il ouvrit. Une trentaine de personnes entra. Nous fûmes affreusement serrés les uns aux autres. Il s’agissait d’un professeur de français et de sa classe qui s’était enfuie du premier étage. Je l’entendais parler avec monsieur Hatake et madame Yuhi.
« Il est au premier disait-il. Il est entré en cent-vingt, il a tiré sur un professeur et plusieurs élèves. C’était terrible, affreux. J’ai évacué ma salle, je ne sais pas ce qu’il en est des autres… J‘espère qu‘ils auront eu la même idée que moi, qu‘ils se sont réfugiés au troisième. »
Quelle horreur. Des sueurs froides me parcoururent l'échine, rien qu'à l'idée morbide de voir cette scène se dérouler sous mes yeux.

Il faisait chaud, l’atmosphère était étouffante. Je n’en pouvais plus de cette angoisse qui me dévorait. Et si nous mourrions ? S’il venait au troisième étage, nous allions mourir ? Qu’est-ce qui l’empêcherait de venir nous trouver ? Je m’adressais à Sakura, Temari et Ten Ten.
« Si on meurt, je veux que vous sachiez que je suis heureuse de vous avoir connu, malgré les galères et les disputes qu’on aura connu… Je vous aime ! »
Je me mis alors à pleurer, trouvant ce petit discours totalement ridicule, mais ne regrettais pas de l’avoir fait. Elles me prirent dans leur bras, mouillant mes épaules de leurs larmes salées.

On entendit les portes de l’ascenseur qui se trouvait non loin de la salle s’ouvrir, et des pas lents, lourds s’approcher. Non, non, non… !



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