Fiction: Comment refuser une invitation avec élégance ? (terminée)

On a tous été contraints à jouer les faux-derches à un moment ou un autre de notre vie. Avouez qu’il serait absolument improductif - et passablement déplacé - de dire à son amie : « Ta robe te grossit terriblement, je trouve ! » Ou a un bon copain qui a oublié de se brosser les dents : « Dis donc, vieux, qu’est-ce que tu trouillotes du bec ! » Lorsque Kurenai essaie d’affronter sournoisement une situation délicate, ça donne ça !
Humour | Mots: 1043 | Comments: 15 | Favs: 18
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Capricieuse (Féminin), le 16/06/2010
BOUH !
(Ce hurlement terrifiant a été sponsorisé par L’Union Nationale des Cardiologues de France)




Chapitre 1: Comment refuser une invitation avec élégance ?



« Oui, promis, je t’appelle si je change d’avis. Ciao. »

Horreur ! J’ai été conviée à un dîner, un soir de la semaine prochaine, chez cette chère Hanoko.

Où est le problème, me direz-vous ?

Alors voilà ! Premièrement, Hanoko a la fâcheuse habitude de servir une cuisine extrêmement abjecte. Si, si ! Prenons l’exemple de ses fameuses "bouchées de foie à la provençale". Bien, comment vous les décrire ? A première vue, on aurait juré du caca de lapin en marmelade. Mais ça croque sous les dents et empeste le goudron.

Pourquoi je ne le lui fais pas remarquer ?

Honnêtement, je me vois mal critiquer sa "soupe aux tripes de veau". Imaginons :
« Eh, dis-moi, Hanoko ! Ces abats immondes qui flottent dans cette eau graisseuse, ça se mange ? »

La nourriture, c’est une chose. Il faut voir les gens qu’elle invite chez elle ! Ça me fait penser à ce que disait ce bon vieux Jules : « Il y a des personnes si ennuyeuses qu’elles vous font perdre une journée en cinq minutes » C’est exactement ça ! Ses amis sont toutes sortes de zozos caractériels et paranoïaques.

D’ailleurs, j’ai passé en revue cette bande de casse-pieds :

Essai de typologie de la tribu des emmerdeurs

1) Les empêcheurs de tourner en rond.
2) Les fumeurs.
3) Les non-fumeurs.
4) Les intarissables bavards.
5) Ceux qui ont toujours raison même quand ils ont tort, mais qui n’ont, paraît-il, jamais tort.
6) Les gens de certitude qui parlent en proverbes, maximes, adages, clichés et poncifs.
7) Les béni-oui-oui et les avocats du diable.
8) Ceux qui chialent et qui se plaignent de tout, tout le temps. (Variante : celles)
9) Les contradicteurs maladifs et systématiques.
10) Tous les autres.

Bref, cette chère Hanoko est le genre de personne à fuir impérativement.

Oui, vraiment facile à dire !

Je réfléchis un instant. Comment me soustraire à la corvée ? J’avais une alternative. Soit, en toute franchise, lâcher un subtil :
« Merci pour ton invitation, Hanoko, mais il est purement et simplement hors de question que je vienne. Vous êtes sinistres, toi et ton cher mari. Votre table est à gerber. Les amis que vous m’imposez sont en général détestables, ils se disputent ouvertement en public et me prennent comme témoin de leurs scènes de ménage. Va te faire voir. »

Mais sérieusement, où est l’élégance là-dedans ? Où est le savoir-vivre, le savoir-faire, la petite touche d’hypocrisie indispensable à toute relation entre gens civilisés ?

Alors, est-ce que je dois choisir la franchise blessante ou l’hypocrisie bienveillante ?

Je penche pour la seconde option.

On sait bien que sans hypocrisie, la vie serait proprement (ou salement) invivable. Voyons les choses en face ! On a tous été contraints à jouer les faux-derches à un moment ou un autre de notre vie. Avouez qu’il serait absolument improductif - et passablement déplacé - de dire à son amie : « Ta robe te grossit terriblement, je trouve ! » Ou a un bon copain qui a oublié de se brosser les dents : « Dis donc, vieux, qu’est-ce que tu trouillotes du bec ! »

En extrapolant à peine, je peux même ajouter que les sournois sont à la société ce que le vin blanc est au filet de maquereau ! Indispensables !

Non, je ne suis pas pessimiste, ni atrabilaire, ni broyeuse de noir, ni défaitiste, ni maussade, ni neurasthénique ou même tout bonnement sombre. Je suis juste réaliste.

Vous ne me croyez pas ?

Quelques scénarios-catastrophes rapidement effleurés

A la maison :
« Chéri, comment tu trouves ma nouvelle coiffure ?
- Absolument atroce, mon chaton. On dirait que tu as passé la nuit dans un moule à gaufres. »

A la campagne :
« Oh ! Comment arrivez-vous à vivre dans cette ignoble odeur de fumier ? »

A l’hôpital :
« Dites, docteur, c’est grave ?
- Bah, on verra bien à l’autopsie. »

Au cimetière :
« Mais ça fait des lustres que je rêve que ce salopard attitré crève ! »

Pas besoin d’aller plus loin. Vous mesurez mieux l’ampleur du désastre si chacun commençait à dire à l’autre ses quatre vérités (et encore, s’il n’y en a que quatre, ça reste dans le domaine du décent) en le regardant droit dans les yeux avec un ravissant sourire pour mieux faire passer la purge.

L’atmosphère deviendrait vite irrespirable, la vie invivable et la mort immortable. Ce serait terrible !

A ce moment, ma conscience décida de me livrer bataille :
« Voilà, c’est décidé, je passe en mode faux-cul. Oui, c’est ça ! Je l’appelle et m’invente une excuse !
- Et si ça la vexe, tu y as pensé ?
- Oh, et puis, je m’en tape !
- Hum, c’est mal de mentir.
- C’est bon, ça n’a jamais tué personne !
- Hanoko est ton amie.
- Et ?
- Traîtresse.
- Chut ! »

Soudainement, des dizaines d’idées surgirent dans mon esprit :
« Oh, ce jour là, c’est vraiment pas de chance ! J’allais justement rendre visite à Gaï ! »

Ce serait encore mieux si j’y ajoutais :
« C’est un de ces raseurs, je ne te dis pas ! »

Pourquoi pas :
« Mon grand-oncle Ferdinand est atrocement malade, je ne peux pas l’abandonner, ne serait-ce qu’une soirée ! » (Information invérifiable puisque le grand-oncle Ferdinand n’existe pas.)

Ou alors :
« J’attends un appel urgent de Polynésie ! Oui, je sais, il faudrait que je pense à acheter un répondeur ! »

Sinon, je pourrais toujours tenter le :
« C’est Ramadan, je ne peux pas venir. Quoi, tu ne savais pas que je me suis convertie à l’Islam ? Je t’en parlerai un jour, c’est super... »

Parfait, parfait. Maintenant, il suffit que je passe ce foutu coup de fil et paf ! Invitation annulée !


Une semaine plus tard...

« Ding dong !
- Kurenai ! Oh, tu n’imagines pas à quel point je suis contente de te voir !
- Hum, moi de même, Hanoko.
- Aujourd’hui, je vais te surprendre ! J’ai préparé... »

Merde ! Qu’est-ce que je peux être lâche ! Mais qu’est-ce que je peux être lâche !

Même mentir, je n’ai pas su le faire !




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