Fiction: Lune bleue (terminée)

France, XVII° siècle de notre ère. Dans une petite ville de campagne habite Temari, fille de couturière réputée, âgée d'une dizaine d'années. Sa vie se résumerait au nettoyage de la chambre de ses frères s'il n'y avait pas ce mystérieux hôtel du nom de Lune Bleue, qui concentre tous les plus sombres secrets de cette ville. Un après-midi qu'elle s'attarde devant l'entrée, un drôle d'homme s'approche d'elle et de son amie...
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Rahjenaimar (Féminin), le 17/06/2012
Voilà, je recommence une fiction, que j'avais commencé à écrire il y a un bon moment, et que j'ai entièrement revisitée pour en faire quelque chose de plus abouti. Un premier jet, c'est jamais terrible !
Alors voilà, en espérant que vous apprécierez ce chapitre ! :D




Chapitre 3: Le passé d'Iruka et l'Organisation



Ils se trouvaient dans un petit salon-fumoir aux murs tapissés de vert, avec deux banquettes rembourrées, une cheminée éteinte et deux dizaines de bougies, certaines sur chandeliers et d'autres alignées dans des pots de toutes les tailles sur la table basse et les meubles vernis. Les deux hommes avaient été installés sur des couchettes, leurs plaies bandées, immobiles, tandis que les autres étaient assis sur les sofas.
Ils avaient fait un petit bout de chemin, entassés les uns sur les autres dans la calèche, les deux hommes blessés allongés sur le plancher. Les claquements réguliers des sabots du cheval et du fouet les avaient bercés et avaient fait, seuls, toute la conversation, tandis qu'ils traversaient la campagne en direction d'une grande bâtisse. Temari l'avait mal distinguée dans la nuit. Il fallait dire aussi que ses pensées étaient entièrement tournées vers sa mère et ses deux petits frères, qui devaient se faire un sang d'encre, mais qu'elle ne pouvait pas aller retrouver. Alors, s'inquiéter de l'apparence d'une maison...

La petite blonde fixait celle qui les avait aimablement secourus quand ils étaient sur la route, couverts de poussière, grelottant et espérant qu'un miracle survienne. Ce miracle était arrivé sous l'apparence d'une femme mûre et belle, aux cheveux blonds attachés lâchement dans son dos, séparés en deux queues de cheval, et portant une large veste verte.
Cette femme n'avait pas encore prononcé un mot mais la fillette sentait bien qu'elle était était d'une grande force. Cela se voyait dans ses yeux couleur d'ambre marron clair. Shizune trépignait silencieusement d'impatience : mais qu'est-ce qu'elle attendait pour appeler un médecin et que Iruka soit enfin soigné ? Enfin le silence pesant fut brisé par sa voix profonde :

« Ne vous inquiétez pas pour ces deux-là, ils sont actuellement faibles, mais hors de danger. A part ça, j'aimerais bien savoir ce qu'il s'est passé tout à l'heure... avant que je ne vous pêche au beau milieu des champs. »

Shizune s'apprêtait à répondre mais Hinata la devança. L'enfant avait les yeux rouges et les cheveux en bataille, et sa joue était meurtrie. Elle s'exprima calmement néanmoins, malgré la crainte que lui inspirait le trop grand nombre de visages inconnus au bataillon.

« Hé bien en fait, l'homme aux cheveux longs nous a attaquées, moi et Temari, déclara-t-elle en se désignant elle-même du doigt, puis son amie. On l'accompagnait – enfin, Temari l'accompagnait, et moi, j'accompagnais Temari – lorsqu'il nous a frappées. Ensuite, je ne sais toujours pas comment, Kiba est arrivé pile au bon moment, et l'a attaqué. Mais il s'est blessé à la jambe... »

Les regards coulèrent vers le garçon, installé dans un des sofas. Sa jambe droite était tendue devant lui, le pied jusqu'à la moitié du mollet posé sur des coussins. On avait posé des glaçons enveloppés de tissu sur sa cheville qui avait beaucoup enflé. Son regard exprimait une unique pensée qui pouvait s'exprimer par deux mots : « Bah quoi ? »
Il n'avait pas plus l'air décidé à avouer ouvertement qu'il avait suivi les deux fillettes, parce qu'il s'inquiétait pour elles.

« Ensuite, poursuivit Hinata, le deuxième monsieur est sorti de nulle part et l'a à peu près maîtrisé. Après ça, comme j'avais peur, je me suis enfuie, mais je suis tombée... Et la mademoiselle m'est tombée dessus. »

Shizune fut reconnaissante à la petite fille de ne pas avoir précisé de quelle manière elle lui était « tombée dessus ».
Kiba, quant à lui, regardait Hinata d'un air éberlué. Comment cette fille réussissait-elle à mémoriser tout ça ? Lui qui avait à peine retenu quel était celui qui les avait sauvés et celui qui avait tenté de les enlever... Temari reprit la parole voyant que son amie gardait la bouche close :

« Kiba et moi on s'est cachés dans les buissons, et alors le méchant type a tiré sur le plus petit... et voilà. Mademoiselle Shizune est arrivée et il lui a murmuré quelque chose avant de mourir. J'parie qu'il lui a dit « Je t'aime ».
- Mais il n'est pas mort ! s'exclama vivement Shizune. Et il m'a juste dit de rattraper le deuxième homme... »

Elle omit de dire qu'il lui avait bien précisé de ne pas alerter la maréchaussée du village.
La grande femme blonde hocha la tête. La fin de l'histoire, elle la connaissait déjà. Pas besoin de s'étendre sur le sujet. Comme elle ne s'était pas présentée, elle se décida à expliquer à ses hôtes qui elle était :

« Très bien. Je me nomme moi-même Tsunade, et je suis experte-médecin depuis vingt ans. »

Ils ouvrirent tous de grands yeux. Elle qui paraissait si jeune avait déjà vingt ans d'expérience dans son métier... Si seulement on pouvait appeler ça un métier : depuis plusieurs siècles déjà, les hommes de l’Église pourchassaient et exécutaient tous ceux qui pratiquaient une activité contre la parole de Dieu. Les sciences et par conséquent la médecine étaient proscrites. Annoncer ouvertement que l'on faisait partie de ces « parjures » était une preuve soit de grande confiance en soi, soit de pure folie. Mais elle ne paraissait pas plus folle que quiconque.

« Et bien vous en faites des têtes ! s'exclama Tsunade avec un sourire. Ce n'est pas aussi incroyable que ça en a l'air ; j'utilise simplement quelques onguents sur mon visage, rien de plus. Je suis plus vieille que j'en ai l'air. »

Elle inspira et reprit plus sérieusement :

« Il faut que vous sachiez que je suis chercheuse et que nombreux sont ceux qui veulent me voir mourir sur le bûcher. En fait, à partir du moment où vous me connaissez, vous êtes plus ou moins en danger. Mais comme je guéris toutes les maladies, et que j'ai empêché plus d'une fois à un vieux prêtre de passer de l'autre côté du miroir, ils me laissent en paix. Du moins pour le moment... »

Un silence grave envahit la pièce. Soudain, faisant sursauter tout le monde, une voix s'éleva d'une des deux couchettes.

« Alors comme ça vous guérissez toutes les maladies ? Étonnant, je pensais que le nombre de malades et d'épidémies augmentait de jours en jours... »

Tsunade se raidit aussitôt, piquée au vif. Shizune se redressa, surprise. Elle se précipita au bord de la couchette sur lequel on avait déposé Iruka et prit sa main entre les siennes. Avec une voix plus ou moins maîtrisée, elle souffla :

« Vous êtes barré ou vous voulez mourir jeune ? Non mais franchement... »

Le jeune homme s'appuya sur le coude pour se relever et s'assit sur le bord de sa couchette. Il balaya la pièce du regard, grimaça lorsque la douleur de son dos se raviva, puis se passa une main sur le visage :

« Hé ben, qu'est-ce que je fais là... ? »

Son expression s'assombrit quand ses yeux se posèrent sur l'homme étendu pas très loin de lui.
Tsunade s'éclaircit la gorge et s'approcha d'Iruka, les bras croisés sur sa poitrine volumineuse. Elle affichait une moue mi-soucieuse – qui devait résulter de son habitude de médecin –, mi-atterrée par ses airs de blanc-bec sûr de lui et par les regards inquiets que lui lançait Shizune. Elle leva les yeux au ciel.

« Si vous êtes sorti de votre agonie, je vais pouvoir vous opérer, annonça-t-elle avec ironie. »

Le regard du jeune homme alla de la blonde au corps de l'homme qui l'avait blessé. La mine grave, il déclara :

« Attendez, je ne crois pas que vous vouliez guérir un type de mon espèce...
- Allons donc ! s'exclama Tsunade, moqueuse. Et pourquoi cela ?
- Parce que je faisais partie de la même organisation que cet homme, avant... »

La blonde haussa un sourcil, perplexe. Les trois enfants, serrés les uns contre les autres, échangèrent un regard, tandis que Shizune marquait son incompréhension par un « Hein ? » muet.
Il se tourna vers le sale type au teint de mort et aux longs cheveux noirs. Il le souleva difficilement, lui arrachant un grognement, et montra à tous le marquage qu'il avait dans la nuque. De loin, on aurait dit une bande d'enfants marchant à la queue-leu-leu. De plus près, on distinguait les fines chaînes tendues entre eux qui les entravaient et les maintenaient pris au piège.

« C'est affreux... souffla Shizune. Ne me dites pas que vous...
- Si, j'ai le même sur la clavicule gauche. Et dire que je pensais que tout ça était derrière moi... »

Il tenta instinctivement d'atteindre son tatouage, mais la douleur qui irradiait dans son dos l'empêcha de lever suffisamment le bras. Il grogna, puis demanda :

« Les trois gosses, ils vont bien ? »

Shizune s'écarta pour le laisser voir les enfants, qui l'écoutaient attentivement.

« Bon, bah, j'imagine que je dois tout vous expliquer... ? »

Le regard presque assassin de Tsunade lui répondit.
Pendant ce temps, Temari, de son regard pétillant, convainquit Kiba et Hinata de participer à l'aventure qui se préparait. Shizune fit alors signe à Iruka de tout déballer.

« D'accord, fit le jeune homme. Donc... Il y a deux ans, j'habitais à Paris, et je pensais uniquement à ramasser le plus d'argent possible et à m'envoyer en l'air avec toutes les jolies femmes que je croisais. Un soir, un ami de l'époque m'a dit qu'il pouvait me mettre en relation avec un réseau un peu bizarre et discret qui payait bien ses gars. Ils se faisaient appeler l'Organisation, et je ne savais pas de quoi il était question dans le fond. »

Shizune tenta de masquer sa nervosité en ébouriffant légèrement ses cheveux, ce qui était inutile car ils étaient déjà en bataille après les événements de la journée.

« Enfin voilà, un homme est entré en contact avec moi, assez petit, avec des lunettes rondes sur le nez et des cheveux gris. Il m'a proposé de me faire de l'argent facilement, et comme j'avais tout dépensé en alcool et en femmes, j'ai accepté, avoua-t-il piteusement. Je l'ai suivi dans un quartier où je n'avais jamais mis les pieds. A un moment on est arrivé sur une place noire de monde : il y avait plein de paumés, comme moi, qui arrivaient avec les habitués. Certains se battaient, d'autres étaient complètement ivres, et pourtant on entendait que des rires gras, comme si c'était une grande bande de copains. Du coup, je me suis senti tout de suite comme chez moi... »

Iruka leur révéla alors comment une sorte de « chef » avait fait un discours à la foule.
Il avait grimpé sur le muret de la fontaine au milieu de la place et hélé l'assemblée d'hommes. Lorsque le silence s'abattit, il commença son discours : « Mes chers vieux frères, de la meilleure à la moins bonne place dans votre ville ou campagne, je vous souhaite la bienvenue dans cette opération nocturne. Pour les habitués, je n'ai pas besoin de ré-expliquer, mais certain ne sont sans doute pas accoutumés à ce genre de rafle. »
Iruka, à cet instant, comprit qu'il devait prendre une décision. C'était partir tout de suite ou participer à cette « rafle » dont il ignorait tout. Mais l'alcool lui avait sans doute donné des ailes et poussé vers la curiosité car il n'esquissa pas le moindre mouvement d'hésitation. L'orateur reprit d'une voix qu'il voulait maîtrisée mais sous laquelle on sentait l'excitation : « Donc, comme je le disais, vous allez participer à une chasse de ce vieux quartier pauvre. Tous les marmots, gamins, gosses et fillettes, vous les ramenez ici. Ils seront retirés du trou à rats dans lequel ils vivent et emmenés dans un pensionnat où on s'occupera bien d'eux... Il seront placés sous l’œil de Dieu, et ils apprendront les lettres afin de trouver une bonne place dans la société. Nous leur offrons un avenir ! »

Si certains avaient des sourires sarcastiques, Iruka avait pourtant cru à ces bonnes paroles. Par la suite, on lui dit que s'ils agissaient de nuit, c'était pour le bien des familles, pour qu'elles ne soient pas déchirées par les adieux et les pleurs.

« J'aurai dû me douter, j'aurai dû comprendre... se maudit le jeune homme. Mais non, comme un bel abruti j'ai participé à cette foutue rafle. Et comme on était bien payés, je suis revenu la fois suivante, et celle d'après... J'ai reçu mon tatouage afin d'avoir accès aux privilèges des habitués – les privilèges étant les femmes de petite vertu. Mais je commençais à trouver bizarre que l'on n'entende plus jamais parler des enfants que l'on enlevait à leurs familles, souffla-t-il. Et j'ai fini par poser la question qui me brûlait les lèvres. »

Tsunade paraissait extrêmement tendue en entendant ce récit. Les coins de sa bouche tressautaient et ses sourcils ne faisaient quasiment plus qu'un tant ils étaient froncés.
Iruka, quant à lui, grimaça en se remémorant les coups assénés sur sa nuque et son ventre après qu'il a eu le malheur de leur demander où disparaissaient de tous ces enfants. Ceux qu'il avait tant de fois retrouvés à la nuit tombée pour effectuer leur boulot, et en qui il pensait avoir trouvé des camarades à son image, s'étaient retournés contre lui en moins d'une minute pour lui faire ravaler sa langue après qu'il a eu le malheur de leur demander leur avis sur la disparition de tous ces enfants.

« La réponse a été forte amicale, reprit-il avec ironie, et on m'a dit que je ne devais pas être trop curieux... Mais je suis curieux par nature, et j'ai fouiné un peu... pour découvrir l'horreur à laquelle je refusais de croire parce que j'y avais participé : tous ces enfants, ces adorables gosses que l'on arrachait à leurs lits, parfois sous le regard impuissant de leurs parents, étaient vendus comme garçon de ferme ou fille de compagnie, échangés comme des marchandises, violentés... Certaines de ces histoires ne sont que rumeurs, mais j'en savais assez pour décider de cesser toute activité. »

Le jeune garde se tut pendant quelques secondes. Ces souvenirs sombres lui faisaient froncer le nez et plisser le front, étirant la cicatrice qui lui barrait le visage à l'horizontale. Il se gratta machinalement la joue du doigt et déclara :

« Je ne les ai pas balancés à la Cavalerie de Paris, parce que je crois que certains membres de l'Organisation sont hauts placés dans la milice et contrôlent une bonne partie des troupes à la cour du Roy, ce qui risquait de compromettre ma fuite si je parlais... Par précaution je n'ai rien dit à personne, j'ai fait mes valises et je me suis installé à la campagne, à une trentaine de lieues de la capitale. Là-bas, j'ai tenté d'oublier. »

Dans le petit salon, il régnait un silence de mort. Les trois enfants osaient à peine respirer, Shizune affichait une expression navrée et Tsunade dardait sur le jeune homme un regard méprisant.
Iruka soupira et acheva ce qu'il avait commencé :

« Mais ils ont rapidement quitté Paris parce qu'ils avaient trop fait parler d'eux, et les enfants restant étaient désormais surprotégés. Ils ont pratiqué leur terrible rafle dans les villages alentours, pour ne pas risquer de prendre du retard sur les demandes d'acheteurs... Et bien sûr ils sont arrivés dans celui où je m'étais installé. Comme je savais qu'ils me reconnaîtraient, je suis parti. J'ai voyagé plus rapidement que l'Organisation, et enfin j'ai atteint une ville suffisamment éloignée de la capitale pour qu'on n'y connaisse pas l'Organisation et suffisamment grande pour qu'on ne se pose pas trop de questions concernant un voyageur seul et sans bagages. Cette petite ville où vous habitez tous, dit-il en désignant l'ensemble de la pièce d'un geste du bras. Je me suis engagé dans la maréchaussée afin de me fondre dans la masse... Et c'est là que j'ai découvert que j'avaistout faux et qu'ils étaient plus malins, plus discrets et plus prévoyants que moi : un des petits sous-fifres de l'Organisation en fait partie. »

Il regarda Shizune dans les yeux et expliqua :

« Celui pout qui j'exécute ses quatre volontés. Il m'a menacé de prévenir les autres de ma fuite. Il s'appelle Mizuki... Ce n'était pas une affaire d'argent, comme vous le pensiez, mais de vie ou de mort... Il est heureusement trop idiot et trop imbu de lui-même pour se priver d'un moyen de faire-valoir son autorité, c'est pour cela que je suis encore ici. »

Il fit une toute petite pause et dit à l'intention de Kiba :

« J'imagine que tu n'as pas toujours vécu en ville puisque tu avais l'air d'avoir eu vent de ce commerce d'enfants quand tu as voulu secourir tes deux amies... C'est bien, tu as beaucoup plus d'honneur que moi. »

Troublée, Shizune demanda, la voix tremblante :

« Pourquoi ne pas avoir fui à nouveau ?
- Comment ça, pourquoi ? s'exclama le jeune homme, surpris. Parce que si je faisais quoi que ce soit qui allait contre son intérêt, Mizuki risquait de lancer toute la maréchaussée contre moi, et je me serais retrouvé derrière les barreaux pour attendre qu'on me conduise à la corde ? »

La brune ne posa pas d'autres questions.

Au fur et à mesure que le récit avançait, la belle Tsunade avait eu l'air de plus en plus contrarié. Debout près de la porte, elle serrait les poings de toutes ses forces pour maîtriser la colère sourde qui montait du fond de ses entrailles. Elle se mordit la lèvre jusqu'au sang pour rester maître de ses émotions et, quand elle se calma enfin, déclara :

«  ... Bien. Restez calme, je vais pratiquer l'opération dont vous avez besoin.
- Comment... Quoi ? murmura le brun avec incrédulité. Vous voulez toujours me soigner, après tout ce que je vous ai dit ? Mais... Mais je ne le mérite pas ! Je préfère mourir plutôt que de vivre avec toute... toute cette honte ! »

La doctoresse, qui était de dos afin de se pencher sur les différents produits dont elle aurait besoin sans que l'on puisse voir ses manipulations, pivota sur elle-même, silencieuse et glaciale. Elle avança vers Iruka et, sans un mot, le gifla.
Les enfants et Shizune en demeurèrent bouche bée. Sous leur regard abasourdi, Tsunade prit l'ex-policier par le col de son vêtement en loques et s'écria :

«  Écoute-moi bien, petit abruti ignorant ! Ceux avec qui tu faisais tes foutues rafles de merde, ces bâtards immondes qui enlèvent des enfants, qui les arrachent à ceux qui les aiment, ils m'ont aussi retiré mon petit frère ! Mon petit frère ! Et mon fiancé, qui vivait avec nous et qui a tenté de les en empêcher, tu sais ce qu'ils lui ont fait, hein ?! Ils l'ont massacré sous mes yeux ! »

Elle se tut un instant, les yeux larmoyants, pour reprendre le contrôle de sa voix qui vacillait, puis déglutit. Elle reprit, fulminante :

« Quand tu as su la vérité, tu as décidé de tout laisser tomber, c'est pour ça que je ne te tuerai pas. Mais tous ces gamins auxquels tu as pourri la vie, tu leur dois bien de vivre pour eux, pour qu'au moins le fric puant que tu as gagné grâce à eux et qui t'a entretenu serve à autre chose qu'à te laisser crever la conscience tranquille !! »

Iruka grimaça. Se faire soulever aussi brusquement par une femme était une expérience déroutante, se faire hurler dessus également, d'autant plus que la balle dans son dos qui s'appliquait à le brûler de l'intérieur ne l'aidait pas à se concentrer. Il comprenait cette femme. La détresse de ses iris, il l'avait vue sur bien d'autres visages. Des mères, des pères, des frères et sœurs, impuissants face à l'horreur qui les accablait.
Quelque chose en lui se brisa, immédiatement remplacé par une détermination nouvelle. Il leva son bras valide et la posa sur l'épaule de la doctoresse, qu'il serrait de toute la force de ses cinq doigts.

« Je sais, souffla-t-il, compatissant. J'ai perdu des gens de ma famille, moi aussi. Si un jour je retrouvais leur assassin, je n'hésiterais pas une seconde, je ferais tout pour me venger. Je suis désolé, je n'ai pas pensé, égoïstement, que vous pouviez ressentir la même chose. Merci de me sauver la vie. En échange, je vous promets d'abattre le sommet de l'Organisation.
- Je devrais te croire d'après toi ?
- Nous avons le même but dans la vie, à présent, répondit-il avec un sourire. »

Tsunade prit une grande bouffée d'air qui ressemblait de très près à un soupir de résignation. Convaincue, elle reposa le pauvre jeune homme sur son lit et déclara, comme si rien ne s'était passé, même si à présent l'atmosphère était bien plus chaleureuse :

« Bon, je vais mettre en ordre la pièce d'à côté. Par contre je suis à cours d'anesthésiant, je suis désolée mais vous devrez subir l'intervention éveillé. Enfin j'imagine que la douleur vous fera reperdre connaissance dès le début... »

Temari vit distinctement, grâce à ses yeux perçants, la bouteille bleutée marquée des mots Opium, Jusquiame, Mandragore et Ciguë - des composants célèbres des anesthésiants courants - disparaître dans la poche de la veste verte de la femme médecin, et encore à moitié remplie. Mais elle s'abstint de tout commentaire, estimant que ce monsieur Iruka, tout honnête et protecteur qu'il pût être avec eux, avait bien mérité une petite punition pour ce qu'il avait fait avant. Même Dieu serait d'accord avec elle : il faut souffrir pour abjurer ses péchés. Pour une fois qu'elle était d'accord avec la parole de Dieu...
Elle-même avait vu plusieurs petites filles des campagnes, avec qui elle avait sympathisé, venir dans le village pour le marché et la foire aux épices, et ces petites filles n'étaient jamais revenues. Elle avaient disparu en pleine nuit, exactement comme le jeune monsieur l'avait raconté, et cela ne pouvait pas être une coïncidence. Les affiches signalant leurs disparitions avaient été recouvertes par d'autres, des filles et des garçons, et ça n'en finissait plus. C'est pourquoi elle voulait aussi que quelqu'un paye pour ça, même si c'était celui qui les avait sauvés, elle, Hinata et Kiba.

Shizune aida Iruka à se mettre debout et à marcher vers l'autre salle. Quand la porte se referma, les trois enfants se retrouvèrent seuls.

« Béh, j'sais pas pour vous, mais moi j'dis qu'on est sacrément dans la mélasse ! fit Kiba.
- Moi je me demande comment mon père va apprendre que j'ai passé la nuit avec la fille d'une couturière, un paysan, une femme médecin, une jeune femme vendeuse dans une boutique où la propriétaire fait d'autres activités plus que louches et un monsieur ancien kidnappeur d'enfants.
- Mais qu'est-ce que vous racontez ?! s'exclama Temari, un sourire aux lèvres. C'est l'aventure la plus excitante que vous avez jamais connue et vous êtes en train de cracher dessus ?
- Ah, pardon, mais je n'ai pas dit ça ! protesta Hinata dont les yeux brillaient d'impatience.
- Téh, moi j'vais pas laisser deux mam'zelles comme vous plonger dans c't'histoire toutes seules ! »

Ils échangèrent un grand sourire de complicité. Une voix surmonta soudain dans leur dos, les faisant sursauter :

« Vous êtes qui, vous, au juste ? »




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