Portsall


Fanfiction Naruto écrite par NeN (Recueil de NeN)
Publiée le 24/05/2014 sur The Way Of Naruto






Chapitre 11: Un peu d'optimisme dans ce monde de brutes



« Qu'est-ce que signifie "apprivoiser" ?

— C'est une chose trop oubliée, dit le renard. Ça signifie "créer des liens"...

— Créer des liens ?

— Bien sûr, dit le renard. Tu n'es encore pour moi qu'un petit garçon tout semblable à cent mille petits garçons. Et je n' ai pas besoin de toi. Et tu n'a pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu'un renard semblable à cent mille renards. Mais, si tu m'apprivoises, nous aurons besoin l'un de l'autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde...

— Je commence à comprendre, dit le petit prince.»



Shikamaru fut réveillé par des coups sourds frappés contre la coque. Comme la défense mal amarrée sur tribord avait passé la nuit à grincer contre le ponton et que l'écoute de foc avait accompagné le vacarme en couinant dans son taquet, Shikamaru conclut qu'il aurait dû apporter des boules Quiès et qu'habiter à bord d'un voilier n'était définitivement pas un mode de vie à la hauteur de ses attentes les plus élémentaires.

Il n'en avait pourtant pas tant que ça : le silence, d'abord ; le calme ensuite, et la possibilité de faire la grasse matinée sans que personne ne vienne le tirer du sommeil en martelant les murs comme un forcené. Autant dire que Portsall ne remplissait pas vraiment les critères.

— Shikamaru ! Debout ! Asuma dit que si t'es pas sur le pont dans dix minutes, j'ai le droit de venir te verser un seau d'eau sur la gueule !

Manquait plus que ça, soupira Shikamaru en s'extirpant de son duvet. Si même le moniteur s'en mêlait… Il mit du temps à retrouver son jean dans le bazar qui encombrait la couchette double qu'il partageait avec Kiba, puis finit par enfiler sa polaire neuve qui avait l'inconvénient de faire trois tailles de trop mais l'avantage d'être plus rapidement repérable que son pull.

Il n'y avait plus que Tayuya à l'intérieur, occupée à verser de l'eau chaude dans une choppe posée en équilibre sur l'évier. Elle en sortit une deuxième quand elle l'aperçut et ils remontèrent ensemble sur le pont en serrant précieusement leurs cafés fumant contre leurs torses. Shikamaru s'étonna de constater qu'ils avaient quitté le port : le bateau remuait à peine plus que lorsqu'ils étaient amarrés.

Il se retourna pour chercher des yeux les hautes digues de Saint Quay Portrieux, mais elles se dissolvaient déjà dans le brouillard caractéristique des chaudes journées ensoleillées. Reconnaissant soudain les balises qu'ils dépassaient à l'instant, Shikamaru remarqua qu'ils revenaient sur leur pas et se souvint seulement maintenant que Saint Quay avait été le point le plus éloigné qu'ils atteindraient cet été-là.

Maintenant, il était temps d'entamer le voyage retour, direction Portsall.

La constatation l'envahit d'une étrange vague de mélancolie et de soulagement. Il se hissa dans le cockpit et se laissa tomber sur un banc en avisant la surface à peine ridée de la mer.

— T'as vu ce vent de folie, lui lança Ino qui rigolait déjà alors qu'il n'était même pas huit heures. Ils disaient 0,5 nœud à la radio, ce matin.

— On va mettre trois ans à arriver au port, maugréa Sasuke en bordant l'écoute du gennaker qu'ils avaient gréé en plus du foc.

— Ce n'est pas un problème, on mouillera en route, assura sereinement Asuma. Ce sera l'occasion de redécouvrir un peu la côte. En attendant, une journée calme nous attend, mais ça ne veut pas dire qu'il faut relâcher votre attention.

— Où est le macareux ? coupa Sakura en regardant soudain de tous les côtés.

— Oh… Il est parti.

Un cri de déception collectif gagna le cockpit, accompagné par la voix sereine du moniteur qui tentait de raisonner les troupes. Oui, ben c'est dommage, mais c'est comme ça. C'était un animal sauvage, après tout. Il est parti retrouver les siens, c'est mieux ainsi…

Shikamaru eut la brève impression qu'il les prenait pour des gamins de cinq ans, puis il avisa Ino et Sakura qui se lamentaient et se dit que finalement, peut-être qu'ils n'en étaient pas si éloignés. A côté de lui, Tayuya fixait l'endroit du roof où l'oiseau avait l'habitude de se tenir et il se demanda si elle n'aurait pas aimé faire comme lui : partir retrouver les siens.

A condition de savoir où aller, bien sûr.

— Bon, vous allez pas pleurer toute la journée, coupa Asuma. Comme je disais, il faut rester attentif sur un bateau même si le temps paraît…

— Et le HMS, il est où ? l'interrompit Naruto en se tordant le coup pour observer leur sillage.

— Loin devant, Gai les a réveillés à six heures du matin, répondit Ino en scrutant l'horizon à son tour. T'as pas entendu le clairon ?

— J'ai cru que c'était un paquebot qui arrivait au port.

— Y'à pas de paquebots, à Saint Quay Portrieux…

— Ah, commence pas, Sasuke !

— Pourquoi ils sont partis si tôt ?

— Gai voulait les emmener voir un archipel plus loin avant de nous rejoindre au mouillage…

Asuma sembla se demander si ça valait vraiment le coup de tenter de parler pour la troisième fois, puis il croisa le regard d'Ino qui l'observait et eut un sourire. Il se pencha alors pour prendre la défense décorée d'un visage et la balança négligemment par-dessus son épaule. Ino mit un instant à comprendre :

— Un homme à la mer !

— Hein ? Quoi ?

— Killian est tombé à l'eau ! Action ! Moteur ! Demi-tour !

Kiba bouscula Tayuya lorsqu'il grimpa sur le pont en toute hâte ; le café renversé dégoulina le long de la coque sous un flot d'injures que personne n'écouta. Shikamaru se souleva de son banc pour se laisser retomber sur celui d'en face, prêt à repêcher la bouée lorsqu'ils l'auraient rattrapée.

Il était trop tôt pour lui demander d'aller courir sur le pont avec les autres.

______


Hormis la petite feinte de leur moniteur en début de matinée, la journée s'écoula étonnamment tranquillement. La faiblesse du vent ralentissait tout, depuis l'allure du navire jusqu'à l'écoulement des heures, et tous les moyens furent bon pour trouver de quoi s'occuper.

— Et là ?

Ino se mit à loucher en retroussant son nez. Pensifs, Sakura et Naruto l'observèrent en se caressant le menton, mais ce fut la voix exaspérée de Sasuke qui répondit :

— Un phoque atteint de strabisme ?

Kiba plongea dans son verre de jus d'orange pour étouffer son rire tandis qu'Ino s'offusquait. En même temps, elle l'avait cherché, et puis c'était vrai que la comparaison était tentante.

— Shikamaru, tu crois que je vois pas ton petit sourire moqueur ?

— Hein, tu me parles ? sursauta-t-il en s'efforçant de retrouver son air flegmatique.

Comme il ne suffisait malheureusement pas de se payer sa tête pour qu'Ino la mette en sourdine, elle commença une nouvelle imitation et Shikamaru prit la poudre d'escampette en allant imiter Tayuya et piquer un somme sur le pont. Le bercement des vagues et la caresse du soleil l'endormirent en quelques minutes.

Il fut réveillé dans l'après-midi par Kiba qui secouait son pied : debout le phoque, on fait une prise de coffre. Shikamaru les rejoignit dans le cockpit en se demandant s'il s'agissait là d'une reconstitution de Pirates des Caraïbes, puis on lui expliqua ce qu'il avait raté en ronflant comme un bienheureux : un coffre, c'est une bouée reliée au sol par une chaîne. Ça sert à s'amarrer hors d'un port quand il n'y a pas trop de fond.

— On va s'échouer, informa Asuma alors qu'ils faisaient cap vers une petite bouée jaune. Ça veut dire qu'on va se fixer au coffre et attendre que la marée descende. On va mettre les béquilles.

— Des béquilles ? A un bateau ?

— Ce sont des espèces de pieds en bois qu'on fixe à la coque pour que le voilier reste droit quand il n'y a plus d'eau. Elles sont sous les banquettes, allez les chercher…

Kiba et Tayuya descendirent accomplir la mission ; Shikamaru s'apprêtait à leur prêter main forte quand Asuma lui mit un manche à balai dans les bras en lui demandant d'attraper la bouée dès qu'ils seraient assez près.

— Et c'est pas un manche à balai, c'est une gaffe, rectifia-t-il en le poussant sur le pont. Y'à un crochet au bout, je te laisse deviner à quoi il sert.

Comme la bouée était équipée d'un anneau, Shikamaru fit le lien assez rapidement. Ça ne suffit cependant pas à rendre la manœuvre plus aisée et ils durent recommencer trois fois l'approche avant qu'il parvienne à accrocher le coffre avec sa gaffe, allongé de tout son long sur le pont pour tendre le bras le plus loin possible.

— Je l'ai, je l'ai !

— Pas trop tôt. Maintenant l'amarre, vite !

— Quelle amarre ?

— T'as pas préparé d'amarre ? Tu pensais le retenir comment, le bateau, avec les dents ?

Shikamaru grogna qu'il n'en savait rien, après tout il n'avait jamais fait de coffrage de sa vie et encore moins quand le mot impliquait une bouée et une gaffe. Au prix d'efforts insoutenables, ils amarrèrent enfin le Big Red Boat et il put s'affaler en soufflant sur le pont. Il avait fait son quart d'heure sportif de la journée.

— Et maintenant ?

— On attend que la marée descende en regardant le paysage.

Les stagiaires se tournèrent vers la côte qui les entourait. Ils s'étaient amarrés dans une large baie qui précédait l'embouchure d'un chenal, entre deux pans de terre recouverts de forêt. Sur les hauteurs, trois petites maisons aux toits d'ardoise s'alignaient les unes derrière les autres à l'ombre d'un phare massif.

La masse vert émeraude des pins s'éclaircissait au fur et à mesure qu'apparaissait le granit du rivage, ondoyant doucement sous la brise et chatoyant à la lueur des rayons du soleil. Au ras de l'eau, une longue jetée de pierre longeait les éboulis pour venir s'interrompre entre deux vagues ; partout, le sel faisait briller la roche et scintiller les ardoises.

Le paysage était effectivement admirable et il les tint en silence pendant un certain temps. Quelques bouées flottaient doucement sur le plan d'eau devant eux, parfois reliées à des barques de pêche laissées à l'abandon. La plus proche d'entre elles fut bientôt rejointe par le HMS Adventure qui réussit sa manœuvre du premier coup.

— Gaara est plus doué que toi avec une gaffe, fit remarquer Ino alors que l'équipage d'en face enlevait ses gilets de sauvetage.

— Dites, m'sieur, puisqu'on est à l'arrêt, on peut se baigner ? demanda Naruto.

L'approbation d'Asuma réjouit Naruto, Kiba, Sakura et Ino qui s'empressèrent d'aller mettre leurs maillots. Tenten, Kankurô et Hinata firent de même en face et une bataille navale s'engagea bientôt entre les deux voiliers.

Le combat pris des proportions dantesques lorsque Gai et Kakashi se joignirent aux baigneurs et que depuis leurs bateaux respectifs, Asuma et Kurenai commencèrent à les viser avec les tuyaux d'arrosage. Prudemment en retrait sur les roofs, les autres observèrent le tableau en se demandant ce qu'il prenait aux moniteurs pour qu'ils deviennent soudain aussi dérangés que leurs stagiaires.

La marée descendit doucement. Les béquilles du Big Red Boat finirent par se stabiliser au sol et Shikamaru s'amusa de voir apparaître peu à peu le relief sous-marin sous forme de monticules d'algues pustuleuses et de coquillages nacrés. Il vit encore un crabe passer sous leur coque, puis le sol fut suffisamment découvert pour envisager y poser le pied sans prendre l'eau.

Ce fut Tayuya qui s'y risqua la première ; ils eurent droit à une fournée de ses jurons les plus inventifs lorsque sa jambe s'enfonça dans la vase jusqu'au genou. Littéralement mort de rire, Kiba vint la tirer par le bras en profitant de l'occasion pour la charrier au passage et ne vit pas venir le croche-patte vengeur qui l'envoya tête la première dans les algues.

Déjà fatigué, Shikamaru descendit à son tour et avança précautionneusement sur la grève, les semelles de ses bottes émettant des bruits de succion peu ragoûtants à chaque pas. Kiba proposa d'aller rejoindre la jetée qui longeait la côte et ils se mirent en route d'un même ensemble.

Sasuke les distança en prenant un autre chemin à travers les flaques grouillantes de puces de mer et Shikamaru chercha à éviter les amas d'algues tout en observant du coin de l'œil Tayuya qui faisait pareil trois mètres devant lui.

Elle était différente aujourd'hui. Moins agressive, moins sur ses gardes. La preuve, elle ne cherchait même pas à se débarrasser de Naruto qui vint se joindre à leur petite randonnée en les saoulant de "Wouah c'est trop beau là-bas !", de "Vous pensez qu'on peut s'enfoncer dans la vase comme dans des sables mouvants ?" et de "A votre avis, pourquoi le ciel est bleu ?"

Elle avançait simplement, les mains dans les poches d'un sweat-shirt brun qu'il ne l'avait encore jamais vue porter, ses cheveux s'emmêlant dans les plis de sa capuche. La vase qui maculait la jambe droite de son jean commençait déjà à sécher et elle ne prêtait pas attention à celle qui recouvrait peu à peu ses vieilles tennis.

Kiba avait accéléré le pas pour marcher à sa hauteur et malgré les deux mètres de distance, Shikamaru entendit distinctement ce qu'il lui demanda :

— Tu crois pas que tu devrais lui en parler ? A Sasuke ?

— Hein ? Pour quoi faire ?

— J'sais pas, après tout ça le concerne…

La suite fut rendue inaudible par un coup de vent intempestif, mais Shikamaru avait lui aussi commencé à allonger l'allure pour se joindre à l'échange sans se gêner :

— Perso, j'pense que tu devrais le faire. Il a besoin de ça pour se sortir de sa bulle d'ado que personne ne comprend.

Un double regard interloqué accueillit son opinion. Shikamaru se résolut à expliquer que sur un bateau, il était un peu trop facile d'intercepter des conversations qui n'étaient pas destinées à tout le monde. Mais qu'ils se rassurent, il ne les avait entendus qu'une seule fois. Le reste restait à l'abri derrière le mur de leurs mystères.

— T'es vraiment pas gêné, constata Kiba.

— Oh, et Ino aussi était là ce soir-là…

La nouvelle rembrunit davantage Tayuya qui affichait déjà un air grognon de mauvais augure. Kiba le vit mais passa outre lorsque Naruto vint leur rappeler sa présence d'un : "C'est quoi cette histoire ? J'ai cru entendre le nom de Sasuke."

Ils se résolurent à dévoiler l'histoire à une quatrième personne et bientôt, ils se tournèrent tous machinalement vers la silhouette de Sasuke au bout de la jetée qu'ils atteignaient tout juste.

— Con comme il est, il pourrait réagir de façon totalement inattendue, fit remarquer Kiba.

— Mais attends, c'est important qu'il sache la vérité ! Son frère n'est pas celui qu'il croyait être, ça va changer sa vie.

— Justement, ça va peut-être trop la changer, marmonna Tayuya. Backfi… Itachi était peut-être pas le meurtrier qu'il imaginait, mais il était bel et bien hors-la-loi, même si c'était pour des idéaux défendables. Sasuke peut soit se rebeller contre sa propre famille qui a causé la perte de son frère, soit contre la société d'une manière générale pour avoir agi contre l'intérêt de ses citoyens. Dans les deux cas, c'est pas très positif.

— Y'a une troisième option, rétorqua Naruto. Il peut décider de faire en sorte qu'une histoire pareille ne se reproduise pas et reprendre la suite de son frère sans répéter ses erreurs.

— La seule erreur qu'a commise Itachi a été de vouloir faire confiance à sa famille jusqu'au bout.

— Non. C'était de ne pas avoir essayé de la changer.

Tayuya ouvrit la bouche pour le remballer : après tout, qu'est-ce qu'il savait du fonctionnement d'Itachi ? Puis elle réalisa qu'il avait raison. Itachi avait pris le parti d'aussitôt s'éloigner au lieu de participer de toute sa puissance à la confrontation. Qu'en serait-il s'il avait choisi de faire face ?

Serait-il encore en vie ?

— S'il l'a pas fait, c'était sans doute parce que c'était perdu d'avance, argumenta Shikamaru.

— Ou qu'il s'inquiétait de ce qui pouvait arriver à son petit frère si les choses tournaient mal, répliqua Naruto.

La phrase marqua un second point. Il y eut un silence.

— Itachi était seul, reprit Naruto. Sasuke ne l'est plus. Il fera pas les mêmes choix et s'il s'égare dans la mauvaise direction, il y aura toujours des gens pour le remettre dans le droit chemin avec des coups de pied au cul en prime.

— T'es sûr de toi ? insista Shikamaru.

— Ouais.

Tayuya laissa échapper un soupir et se releva péniblement, faisant craquer ses membres ankylosés. Finalement, ils s'en remettaient tous à Naruto… Ce mec était bizarre. Comment faisait-il pour attirer ainsi la confiance ?

— Okay, j'ai compris, marmonna-t-elle.

Ils la regardèrent fourrer les mains dans ses poches et s'éloigner en shootant au passage dans un malheureux coquillage innocent. Elle remonta la jetée jusqu'à son extrémité, puis s'assit à côté de Sasuke qui avait posé son bras sur sa jambe repliée. Leurs silhouettes se fondaient dans l'arrière-plan qui s'étendait par-delà les blocs de granit, brouillé par la lumière dorée qu'accrochaient une série de nuages de glace.

L'attention de Shikamaru fut attirée par le ciré jaune de Temari qui traversait la grève dans leur direction et il se détacha du groupe d'observation silencieuse pour aller à sa rencontre. Elle avait mis ses bottes et mangeait une barre de céréales aux raisins tout en marchant ; elle lui tendit la moitié qui restait lorsqu'il l'eût rejointe.

— T'en veux ?

Il prit une bouchée avant de lui rendre le reste qu'elle engloutit tout en observant les deux silhouettes assises au bout de la jetée, puis les spectateurs installé cent mètres plus loin.

— Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda-t-elle en froissant le papier de la barre de céréales entre ses doigts.

— C'est une longue histoire. On va faire un tour ?

Elle opina et ils partirent côte à côte en direction de la pointe rocheuse qui s'affaissait dans la vase, à la lisière des premières vagues. Le chemin tracé par l'empreinte parallèle de leurs pas s'allongea au fil du récit de Shikamaru qu'il essaya pourtant de rendre le plus concis possible. Mais c'était la première fois qu'il avait l'occasion d'exprimer à haute voix toutes ces pensées qui s'accumulaient dans son esprit depuis le début du stage et Temari l'écoutait avec une attention muette qui l'incita à ne s'interrompre qu'une fois arrivés près de l'eau.

Ce qu'il avait clandestinement entendu, ce qu'il avait évoqué de front avec Tayuya, ce qu'il avait appris de plus, les conclusions qu'il en faisait et les théories qui en découlaient : tout y était passé et maintenant, Temari le regardait de ses yeux vert forêt en formulant mentalement une question qui, il le pressentait, n'avait rien à voir avec Tayuya, Kiba, Sasuke, Itachi ou quiconque d'autre que lui-même.

— T'as quel âge ?

Shikamaru scruta le moindre trait de son visage pour comprendre quel était le fil de la réflexion qui avait amenée l'interrogation, mais rien ne filtrait, alors il répondit :

— Quinze ans.

Elle hocha imperceptiblement la tête, ajoutant simplement :

— Tu les fais pas.

Il comprit alors ce qui lui avait traversé l'esprit et s'étonna de ne pas avoir saisi la subtilité plus vite.

— Deux cent points de quotient intellectuel, expliqua-t-il.

Sa bouche s'entrouvrit, ses yeux s'écarquillèrent et ses sourcils disparurent sous sa frange ébouriffée par le vent. Deux cent, est-ce que c'était vraiment possible ? N'était-il pas en train de se foutre de sa gueule ? Puis elle se reprit, réfléchit, dit alors :

— Je comprends mieux comment t'as pu me battre aux échecs.

Il eut un sourire machinal. C'était vrai qu'elle aussi, c'était une tacticienne. Au sommet de la pointe qui surplombait le paysage, le phare s'alluma et ses éclats blancs balayèrent l'horizon avec une régularité rigoureuse. Le ciel dénué de tout nuage se teintait de bleu sombre et le reflet de la lune se fit plus nette sur la surface à peine ridée de la mer qu'encadraient les deux pans de côte.

Shikamaru se dit que c'était le moment idéal pour commencer une histoire. Juste assez cliché, pas suffisamment pour en rougir plus tard ; l'heure parfaite, le lieu rêvé. Le phare scintillait, trois éclats blancs toutes les six secondes, et plus loin la lueur rouge d'une tourelle bâbord se joignit au tableau.

La nuit les enveloppa peu à peu, amenant avec elle un vent froid qui les fit instinctivement se rapprocher l'un de l'autre. Ils s'aperçurent que la marée montait lorsqu'elle vint lécher le bout de leurs bottes : il était temps de rentrer. Est-ce que c'était le moment de lui prendre la main ? Est-ce que c'était le moment de l'embrasser ? Est-ce que c'était ce qu'elle attendait ?

Voilà bien des questions auxquelles toutes ses analyses ne pouvaient répondre.

— Tiens, dit soudain Temari. C'est Neji et Hinata.

Shikamaru avait sursauté au son de sa voix et il mit un instant avant de repérer le duo qui rejoignait aussi le HMS Adventure, plus loin sur la grève. Il les observa un instant en effleurant son nez qui le brûlait, puis demanda :

— Comment ça se passe entre eux, à bord ?

— C'est bizarre. D'un côté ils semblent tout faire pour être ensemble le plus possible, et de l'autres ils sont plus détendus lorsqu'ils sont séparés.

Shikamaru garda le silence quelques secondes, puis observa :

— Comme toi et Gaara.

— Je fais rien pour être avec Gaara, contredit vivement Temari.

— Mais tu le cherches des yeux dès qu'il n'est pas dans les parages. C'est ça, l'instinct fraternel ?

La bouche entrouverte de Temari ne laissait plus filtrer le moindre son. La question semblait la prendre au corps. Ils avaient inconsciemment ralenti l'allure pour retarder au maximum le moment où ils atteindraient le voilier qui les attendait près de son coffrage échoué sur la vase.

— La famille, c'est sacré, dit soudain Temari. Ce sont les seuls liens éternels qui existent au monde. Même si on a du mal, on peut rien y faire, le même sang coule dans nos veines. Alors si ces deux-là essaient de retrouver ce lien qui les unis, je comprends très bien pourquoi – et j'vois parfaitement à quel point c'est difficile.

Est-ce que c'était vrai ? se demanda Shikamaru qui n'avait jamais eu de frères et sœurs. Est-ce qu'on pouvait souhaiter continuer à entretenir des relations envers et contre tout, simplement parce qu'on vient du même ventre ? Comment s'expliquait cette volonté ?

Décidément, il devait se résoudre à accepter qu'il y ait encore un certain nombre de choses sur terre qui échappaient aux lois de la logique. Ils étaient finalement arrivés au pied de la coque recouverte d'algues du HMS Adventure et le contournèrent pour atteindre un accès facile tandis qu'au-dessus de leurs têtes, la rumeur des conversations se mêlait au bruit des casseroles que l'on dérange.

Temari grimpa la première le long de la béquille de bois, puis se pencha pour l'aider à monter. Shikamaru se hissa sur le trépied, sa main dans la sienne, puis soudain tira sur son bras pour la faire se pencher davantage. Leurs lèvres se rencontrèrent juste comme ça, tout simplement sous le ciel assombri, et la sensation de sa peau contre la sienne le fit se sentir plus vivant qu'il ne l'avait jamais été.

Le contact n'avait duré que quelques vertigineuses secondes : déjà Temari s'était détachée, il voyait ses yeux grands ouverts le regarder en premier plan de cette voûte piquetée d'étoiles qui surplombaient leurs têtes. Son cœur battait à toute allure et il crut qu'elle allait le lâcher et le laisser retomber dans la vase, mais elle se redressa en l'entraînant avec elle et il put mettre pied sur le pont sain et sauf.

Elle se détourna aussitôt pour rejoindre l'habitacle, mais il avait déjà intercepté ce frémissement au coin de sa bouche qui lui laissait tout à espérer.

Une déclaration l'accueillit lorsqu'il passa à son tour la tête dans l'encadrement de la descente :

— Très bien, distribution générale de Biafine ! Vous avez tous brûlés comme des beefsteaks aujourd'hui.

______


Kiba et Tayuya. Ses sujets d'étude préférés.

Shikamaru les avait suivis lorsqu'il avait fallu rapporter les casseroles qu'ils avaient transbordées d'un bateau à l'autre pour faire le dîner et la flemme l'avait choppé au vol avant qu'il ne se résolve à escalader à nouveau les béquilles pour retourner sur le HMS Adventure. Il serait bien resté là-bas, mais la surpopulation du voilier l'épuisait et son nez recouvert d'une épaisse couche de Biafine le décrédibilisait un peu trop pour pouvoir discuter avec Temari.

Alors il restait là, affalé sur une banquette à regarder les deux autres faire l'inventaire de l'infirmerie qu'ils avaient déballée sur la table en discutant d'il ne savait quoi.

— T'as une mère qu'est restée, elle. Prends c'que t'as et fais avec. Pauvre con.

— Putain, t'as encore moins de tact que moi…

Il y avait définitivement quelque chose de changé en Tayuya, observa Shikamaru. C'était comme si elle avait été jusqu'à présent un ballon d'eau trop rempli qui s'était enfin crevé. Et puis, il n'y avait qu'à voir cette distance que Kiba avait tenté d'amoindrir tout au long du stage et qui n'était plus réduite qu'à quelques centimètres de circonstance.

Elle s'asseyait à côté de lui, ni trop près, ni trop loin, et elle restait là, simplement.

— Et donc, il a dit quoi ?

— Au début, il m'a pas crue. Et puis après, il est allé se défouler sur un tas d'algues, ça a duré des heures.

— Et t'es restée là tout ce temps ?

— Je fumais, précisa-t-elle.

Kiba hocha la tête comme si ne pas penser à cette explication avait été insensé de sa part, puis réclama la suite de l'histoire tout en triant les compresses par ordre croissant.

— Et donc après, une fois qu'il a bien massacré ce pauvre tas d'algues qui n'avait rien demandé ?

— Il s'est cassé la gueule. C'était très drôle à voir. Puis il est resté là où il s'est ramassé, vautré dans les rochers. Alors j'suis retournée le voir…

— Comment il a pris tout ça, au final ?

— J'sais pas. Plutôt bien, je crois. Il m'a saoulé avec des questions sur son frère. Et comment il était, et qu'est-ce qu'il faisait, est-ce qu'il parlait de lui… Un vrai chieur, ce mec. J'ai du mal à croire qu'ils sont de la même famille.

— Les membres d'une même famille sont pas obligés de se ressembler, fit remarquer Shikamaru depuis sa banquette.

Les deux autres le regardèrent par-dessus le couvercle ouvert de la boîte à pharmacie : ils avaient complètement oublié qu'il écoutait. Tayuya haussa les épaules et retourna à ses boîtes de Doliprane.

— Parlant de membres de la même famille, se souvint-elle alors en ricanant, c'était quoi cette tronche que tu tirais tout à l'heure avec Hinata ?

— Quelle tronche ? s'offusqua Kiba qui s'était violemment empourpré. J'étais totalement normal !

— Comme c'est meugnon… Gueule de clown est sous le charme…

Kiba rougit davantage, protesta de plus belle. Il était pas du tout sous le charme, il l'appréciait juste, rien que ça… Après tout, elle est trop craquante, non ? Même elle arrivait pas à la repousser quand elle s'approchait avec un tube de Biafine !

Tayuya fut bien forcée d'admettre qu'il avait raison. Mais c'était un cas à part, qu'on ne s'y trompe pas ! Hinata était la seule stagiaire à ne pas faire chier le monde, c'était uniquement pour ça qu'elle se laissait faire !

— Oh là là, vous êtes amoureux de la même fille, ironisa placidement Shikamaru. On est en plein dans l'épisode le plus pourri d'une série américaine à deux balles.

— Tu peux parler, toi, renchérit Tayuya alors que Kiba s'étranglait dans son indignation. Tu crois qu'on t'as pas vu venir avec l'autre furie ?

Oups, touché coulé. Changeons vite de sujet avant que ça ne dégénère :

— Mais c'est vrai qu'Hinata est la seule fille tranquille du groupe, ça fait du bien. J'comprend que t'aies envie de la protéger, Kiba. Même si elle a l'air plus sensible au charme de Naruto qu'au tien.

Kiba s'apprêta à contester encore une fois, mais Tayuya le fit avant lui tout en enroulant une bande pharmaceutique autour de son poing.

— J'veux casser aucun délire, mais à mon avis, en dépit des apparences, Hinata a besoin de personne. C'est un oiseau autonome qui attend juste qu'on l'autorise à s'envoler.

La fin de sa phrase fut couverte par le hurlement de rire qu'émit Kiba : le caïd était poète ! On aura décidément tout vu dans ce stage ! Il se prit la bande pharmaceutique dans la figure et Shikamaru le laissa s'en dépêtrer en ressassant la dernière phrase. Pas con, la racaille. C'était bel et bien ce qu'essayaient de faire ces deux Hyûga si énigmatiques : se détacher l'un de l'autre pour pouvoir prendre leur envol.

Il était à peine parvenu à cette conclusion que Kiba s'exclamait soudain, la bande encore dans les mains :

— Tu m’as menti, Tayuya !

Elle sursauta : il souriait de toutes ses dents.

— Tout le monde veut qu’on lui montre qu’il existe. Si on se sent transparent, on n’éprouve que du vide. Etre ignoré est la pire des choses, hein, caïd ? Tu l’avais compris, et tu l’utilisais pour te venger des autres, en bloc. J’ai raison, pas vrai ?

Shikamaru se demanda une seconde comment ils arrivaient à passer ainsi du coq à l'âne sans en être plus perturbés que ça. Etait-il le seul à avoir entendu parler d'éléments de transitions dans un discours ?

— Me venger des autres ?... Non mais pas du tout, tu délires. Je les ignore simplement parce que je m'en fous trop pour autre chose.

— Que dalle, insista Kiba, balayant de ces simples mots les dernières défenses qui s'interposaient entre la Tayuya qui évoluait au grand jour et celle qu'elle était au fond. C'est juste que t'as la trouille de t'y attacher.

Oh oh, songea Shikamaru en observant le visage décomposé de la jeune fille. On dirait bien un strike. Oui, ces deux-là étaient définitivement ses sujets d'étude favoris.

— Faut être complètement con pour s'attacher aux gens sans réfléchir !

— Sur ce point, j'suis assez d'accord : j'ai été complètement con de m'attacher à toi, faut croire.

Nouvelle fléchette plantée en plein dans la cible. Tayuya ouvrait des yeux de plus en plus déboussolés. Visiblement, elle comprenait de moins en moins ce qui se passait dans la tête de ce crétin impulsif.

— Mais ça veut pas dire que ça vaut pas le coup, poursuivait Kiba comme s'il ne venait pas de lâcher une véritable bombe atomique. On a tout à gagner à se rapprocher des autres.

Tayuya secouait le menton, loin d'être convaincue. Shikamaru perdit le fil un instant, puis le rattrapa au moment où elle prononça les paroles sans doute les plus sincères de toutes celles qu'elle avait pu déjà proférer devant eux :

— Mais… Pour obtenir quelque chose, il faut toujours renoncer à quelque chose d'autre. C'est la règle la plus élémentaire de ce monde.

Le visage de Kiba n'exprima rien d'autre qu'une surprise la plus totale pendant deux secondes, puis il s'exclama :

— FAUX ! T'as jamais lu Fullmetal Alchemist ?

— Fullmetal quoi ?

— La grande conclusion de cette série, c'est qu'en cherchant bien, y a toujours moyen de rendre plus que ce qu'on a reçu. Ça vaut pour tout le reste. T'es pas obligée de renoncer au ketchup quand tu veux aussi de la moutarde.

— T'es trop con, c'est pas général du tout ! T'es bien forcé de laisser tomber tes plans de vacances pour choisir d'aller à un stage de voile !

— Ça s'appelle faire des concessions. C'est la preuve que t'as une liberté.

Tayuya ouvrit à nouveau la bouche mais resta muette, soudain assaillie par une pensée que Shikamaru devina aisément : eh oui, être libre, c'est avoir le choix. Pas si con, la gueule de clown. Même si ça changeait pas le fond du problème…

— La liberté est vachement limitée, alors, répliqua Tayuya en se reprenant. Ça veut dire qu'elle se définit par tout ce qui est interdit.

— Y'à pas de lumière sans ombre, balança Kiba avec emphase.

Décidément, c'était soirée philo ce soir, constata placidement Shikamaru. Trop l'éclate. Peut-être aurait-il dû aller faire la vaisselle avec les autres dans le HMS Adventure. Mais comme le sujet l'intéressait malgré tout, il écouta la suite de la conversation avec la même attention soigneusement dissimulée sous un air endormi.

— Donc tu vois, si tu pars de ce principe, plus rien n'est quantifiable. Tu donnes, tu reçois, tu choisis sans savoir ce que ça vaut, sans savoir ce que ça coûte. Si ça se trouve, tu te feras baiser sur un coup, et puis pour l'autre on te couvrira d'or.

Kiba sourit à nouveau alors qu'il remettait les compresses à leur place dans la pharmacie.

— Et à force, c'est obligé qu'il y ait plus de lumière que d'ombre.

Enfin un peu d'optimisme dans ce monde de brutes.

Shikamaru en bailla d'émotion.