Quand les deux kunoichi arrivèrent à Konoha Chôji les attendait, impatient de voir qui Ino aurait pu convaincre d'effectuer une telle mission. Quand il aperçut les quatre couettes blondes et l'éventail géant de la jeune fille il eut tout d'abord un doute, il se souvenait de Temari comme d'une fille vive, un peu agressive et il lui semblait qu'en ce moment c'était plus de douceur dont aurait besoin son ami mais bon après tout qu'avaient-ils à perdre ? Et puis jusque-là la douceur n'avait que très moyennement réussi. Il l'escorta jusqu'au bureau de l'Hokage aux côtés de son amie puis ils s'éclipsèrent laissant Tsunade, seule avec la ninja de Suna.
-Alors tu as accepté cette mission totalement farfelue, commença la plus âgée.
-Oui.
-J'imagine qu'Ino a dû te mettre la pression en te disant que cette mission était vitale mais j'aimerais tout de même qu'une chose soit bien claire de toi à moi. Il n'y a pratiquement aucune chance que tu réussisses. Ce garçon s'est renfermé et je doute qu'il suffise de lui faire voir du monde pour le délivrer de sa douleur.
-C'est possible. Mais je doute que son cas soit aussi désespéré que vous le dites. Le garçon que j'ai rencontré n'avait pas l'air du genre à s'effondrer pour un rien.
Tsunade l'observa un instant, semblant hésiter à lui dire la vérité. Mais à quoi bon lui dire que le garçon qu'elle avait connu n'était plus que l'ombre de lui-même, que lorsqu'il se réveillait la nuit tout le village entendait ses hurlements, que, pour tout le monde, le nom de Shikamaru Nara n'évoquait plus un adolescent flemmard et incroyablement intelligent mais un jeune homme tourmenté et troublant. Elle le verrait bien assez tôt.
-Je te laisse y aller alors, tu n'auras qu'à lui demander de te montrer le village, tu ne dois plus te souvenir de grand chose depuis ta dernière visite. Sa maison est dans la rue en sortant, la troisième à droite.
-Au revoir Tsunade-sama.
Dehors, le soleil de ce début de printemps chauffait doucement, une légère brise soufflait et tout le monde semblait heureux, un temps idéal pour la jeune fille du désert qui appréciait la douceur de l'air. Impossible d'être malheureux ou contrarié par ce temps. Aussi tenace soit-elle, la tristesse du ninja ne survivrait pas au soleil. Temari prit la direction que lui avait indiquée l'Hokage et arriva rapidement devant une petite bâtisse de pierres grises au nom de "Shikamaru Nara". Effectivement la petite allée qui menait à la maison était recouverte d'herbes folles et des plantes grimpantes avaient commencé à envahir une partie de la façade.
"Bon il faudra penser à remettre tout ça en état."
Elle poussa la barrière, franchit les quelques mètres qui la séparaient du perron et toqua à la porte. Elle reprit, plus fort, en voyant que personne ne répondait mais toujours rien, elle leva la main pour frapper une troisième fois mais une voix dans son dos la fit sursauter.
-Souvent quand les gens ne répondent pas c'est qu'ils ne sont pas là.
Cette voix n'était qu'un souffle, rauque, las et empli d'une horrible douleur. Comment une voix pouvait-elle suffire à abriter toute la douleur du monde ?
L'adolescente se retourna et écarquilla de grands yeux devant le spectacle qu'elle découvrit. Alors c'était "ça" ce dont lui avait parlé Ino, ce contre quoi Tsunade avait voulu la mettre en garde.
"Ça" les vêtements déformés comme si quelqu'un avait tiré dessus pour passer ses nerfs.
"Ça" les épaules basses, la tête rentrée.
"Ça" les joues creuses et les cernes sous les yeux.
"Ça" les yeux noirs comme l'ébène, pareils à deux puits d'une souffrance pure, plus vive que s'il avait été assis sur des charbons ardents et tailladés de toutes parts. Des puits si profonds que Temari faillit y tomber juste en les observant.
Mais qui était ce jeune homme qui respirait la douleur ? Où était passé l'enfant rieur au regard blasé mais vif ?
-Shikamaru Nara ? C'est vraiment toi ?
-Mais qui veux-tu que ce soit, Temari ? Et que fais-tu ici ?
Cette voix basse et rauque Temari l'avait déjà entendue, sur Gaara à l'époque où il ne parlait presque jamais. Quand il lui arrivait de prononcer quelques mots c'était sur ce ton, sa voix brisée par un silence maintenu trop longtemps.
-Je suis là en tant qu'ambassadrice de Suna, je dois discuter des relations inter-nations avec ton Hokage mais comme elle est occupée aujourd'hui je voulais revisiter Konoha et j'ai pensé à toi puisque tu t'en étais chargé une fois.
-Trouve quelqu'un d'autre.
À ces mots la colère s'empara de la kunoichi. Elle avait le chemin depuis Suna pour cet imbécile et il ne voulait pas y mettre du sien ? Mais personne ne lui demandait son avis. Un instant l'idée de lui asséner un bon coup sur le crâne l'effleura mais à quoi bon, ça n'aurait sans doute pas beaucoup d'effet.
-Figure-toi que les autres sont en mission ou en train de s'entraîner et là tout de suite tu ne m'as pas l'air très occupé alors tu vas me faire le plaisir de bien vouloir me montrer ce foutu village avant que je ne m'énerve.
Son vis à vis passa devant elle sans même prendre la peine de répondre et après avoir tourné la clef dans la serrure il entra et referma doucement derrière lui.
À l'intérieur, Shikamaru s'était adossé à la porte. Il faudrait qu'il aille protester auprès de Tsunade, Temari était évidemment sensée lui parler et lui compter à son tour la beauté du monde qui l'entourait, lui dire qu'Asuma n'aurait jamais voulu que son élève préféré réagisse ainsi. Mais quand comprendraient-ils enfin que si Shikamaru agissait de cette façon ce n'était pas pour Asuma mais pour lui, qu'il préférait se couper des autres parce que tout ici lui rappelait son sensei. Qu'il aimerait juste qu'on cesse de le regarder, qu'on cesse de se soucier de lui et qu'il puisse vivre tranquillement dans la mémoire de son maître. Et dans sa culpabilité, car c'était bien sa faute si Asuma était mort autant que celle de l'homme qui l'avait pris dans sa malédiction et enfoncé cette lance dans son propre corps.
Comme toujours, la pensée de cet instant lui fit l'effet d'un coup violent dans le dos, il tomba à genoux sous la douleur, incapable de respirer. Enfin la crise passa et la douleur physique disparut. Mais la douleur mentale avait redoublée aussi s'obligea-t-il à penser à autre chose. Comme cette fille dont il sentait encore la présence derrière la porte. Cela faisait plus d'un mois, se souciait-on encore assez de lui pour dépêcher un ninja de Suna ? Non il était plus probable que sa mission soit réelle et qu'elle en profite pour en mener une autre en même temps. Mais alors n'était-il pas en train de l'empêcher d'agir, et après ça l'autre grand-mère ne le lâcherait plus. Se relevant tant bien que mal, Shikamaru ouvrit la porte, se retrouvant face à face avec une Temari qui n'avait toujours pas bougé.
-Allez viens.
Il la conduisit au lieu le plus proche, l'unité médicale. La journée était calme et il n'y avait pas grand-chose à y voir aussi ressortirent-ils rapidement. Shikamaru conduisit l'ambassadrice parmi des ruelles très peu fréquentées auxquelles elle n'aurait jamais accordées d'importance seule, lui désignant parfois du doigt des petites places ou des bâtiments importants pour le village. Le jeune homme ne s'exprimait que par des mots pourtant à chaque minute cela semblait de plus en plus dur. Une dizaine de minutes plus tard alors qu'il ouvrait la bouche, sans doute pour commenter la fontaine de marbre sur laquelle de nombreux noms étaient gravés il s'effondra, toussant horriblement.
-Shikamaru !? Shikamaru ça va ?
La jeune fille s'agenouilla à ses côtés et le prit par les épaules pour l'obliger à lui faire face. Elle appuya en plusieurs points de son dos et da sa gorge et la toux se calma. Le malade leva vers elle un regard reconnaissant.
-C'est ta voix, quand on n'a pas parlé depuis longtemps on ne peut pas essayer de s'y remettre comme ça, d'un coup. Maintenant il va falloir que tu te taises, on passera à l'unité médicale tout à l'heure, ils ont peut-être quelque chose qui pourra accélérer le retour à la normale.
L'autre ouvrit la bouche comme pour protester mais une main fine se posa sur ses lèvres.
-Mais c'est pas vrai tu fais vraiment tout pour me contredire, s'énerva la jeune fille ! Je t'ai dit de ne pas parler. Reste tranquille une minute.
Sous le regard intrigué de son compagnon elle posa la paume de son autre main sur le front du garçon, se concentra quelques secondes et prononça quelques mots qu'il ne saisit pas. Tout à coup une étrange connexion se forma entre eux et la voix de Temari résonna dans sa tête.
"Maintenant on peut parler comme ça. C'est une technique très utilisée à Suna, elle permet de communiquer par la pensée. Quand tu veux me dire quelque chose pense très fort à ces mots et puis imagine que tu les recouvres de chakra, ensuite trace un pont entre toi et moi et fais passer ces mots par ce pont. Au début ça a l'air compliqué mais avec un peu d'expérience c'est très simple."
Shikamaru sembla se concentrer puis ouvrit de grands yeux résignés.
-Mais si, vas-y, réessaye tu vas y arriver, fit la kunoichi en se relevant.
Elle lui tendit la main pour qu'il en fasse autant et quand les doigts du garçon touchèrent les siens elle fut surprise de leur froideur.
La fin de la journée se passa tranquillement, à l'heure du dîner Shikamaru annonça à Temari qu'il allait rentrer, elle avait tout vu. La jeune fille hocha la tête avant de prendre un visage interrogateur.
-Qu'est-ce qu'il y a ? fit son guide.
-Ce n'est rien. Juste que je ne sais pas... où je dois dormir. Il faut que je retourne voir Tsunade-sama.
-À cette heure la vieille est rentrée chez elle.
-Ah. Eh bien je suppose que je vais demander à Ino ou Sakura de m'héberger pour cette nuit.
Elle tourna les talons mais la voix du garçon dans sa tête l'arrêta.
-Je te préviens, si tu ronfles, que tu remues trop ou que tu parles dans ton sommeil je te fous à la porte, maintenant viens j'ai pas que ça à faire.
L'adolescente se retourna stupéfaite, essayait-il de se montrer ... gentil ? De se rattraper de l'avoir si mal traitée en début de journée ou le remerciait-il pour son aide ? Sans qu'elle sache pourquoi cela lui fit chaud au cœur et elle emboîta le pas du jeune shinobi le cœur plus léger.
Pourquoi avait-il fait ça ? Maintenant cette fille allait croire qu'i l'invitait à lui tenir compagnie, qu'il l'appréciait. "Parce que ce n'est pas le cas ? " murmura une partie de sa conscience ? " "Bien-sûr que non, fit l'autre." "D'accord je note, tu n'as pas pris de plaisir cet après-midi, ce n'était que du boulot et tu ne t'es pas senti vivre d'avantage que depuis un mois. Ah et j'ajoute que tu ne trouves pas qu'elle est devenue beaucoup plus belle que depuis votre dernière rencontre." Shikamaru rougit légèrement en se rendant compte que c'était lui qui venait de penser ça. Et sentir la chaleur lui monter au visage lui fit un drôle d'effet.
-Galère, murmura-t-il pour la première fois depuis plus d'un mois.
bon encore un chapitre où il ne se passe pas grand chose et sans vraie émotion, les choses devraient s'accélérer dans le prochain