Il repensa soudain à l’assassinat commis sur le jeune garçon dont nous avons parlé dans le dernier chapitre, deux mois plus tôt. Devant son cortex visuel les images représentant la scène du crime se reformèrent avec une précision mathématique. Il revit le visage surpris, puis effrayé du petit homme lorsque celui-ci reçut inexorablement de la part de son bourreau le coup fatal, celui qui allait lui arracher la vie à jamais.
Un sentiment de satisfaction mêlé à une sensation de gêne envahit alors le meurtrier de la racine de ses cheveux jusqu’aux pieds, allant jusqu’à le faire sourire. Il avait accompli l’horrible, l’acte le plus affreux qu’une créature humaine pût perpétrer, c‘est-à-dire priver de la chance de vivre une personne qui sans doute ne rêvait que d‘une existence sereine. De surcroît, l’être n’était qu’un adolescent, mais ne semblait pas être encore sorti de l’enfance.
Tout à coup, l’homme au visage pâle sentit quelque chose traverser tout son corps. Il ne savait pas de quoi il pouvait bien s’agir, mais ce ne devait pas être quelque chose d’agréable. Et, comme s’il se fût agi d’une évidence, il comprit. Il s’agissait de sa conscience, cette sévère mais juste petite voix dont tous les hommes disposent à la naissance, mais qui devient ce qu’elle peut en fonction de la personne qu’elle habite. Il croyait l’avoir bannie, exilée de son enveloppe charnelle et psychologique. Il prétendait qu’il pouvait vivre sans elle, être sadique et méchant tout son soûl sans qu’elle ne fît son apparition.
Et puis voilà que cette hallucination intérieure refaisait son entrée en scène, le morigénant, l’incitant à réfléchir, le malmenant, lui prenant toute sa tête de même que son énergie.
Il sentit alors à quel point son crime en était un.
Il avait gêné Dieu, tout comme Napoléon Ier l’avait usurpé, selon Victor Hugo, le seul auteur dont il lisait les œuvres sans être rebuté par la suite. Il n’avait payé ce meurtre qu’en partie, avec son séjour en prison et son transfert en section psychiatrie. De plus cette prétendue réinsertion n’avait donné que peu de résultats dont un qui s’apparentait à son homicide, la mort de celle qui l’avait suivi, aidé comme s’il se fût agi de son propre fils. Cette victime possédait une différence capitale avec les autres créatures : il l’aimait, tout simplement.
Il brûlait tout entier pour sa personne, sa personne si forte et si fragile à la fois, comme une branche de cerisier. Son prénom, de toute façon, signifiait « fleur de cerisier ». Ses souvenirs s’aménagèrent dans son âme dépravée et firent place à une jeune femme qui paraissait avoir une vingtaine d’années, les cheveux formant un carré rose, d’un rose frais, naturel, rappelant le printemps. Ses yeux vert turquoise le fixaient, lui, Sasori Akasuna, d’un air mi-malicieux, mi- sérieux.
Et pourtant, elle n’allait pas de main morte envers lui, dès qu’il faisait le gamin capricieux. Elle pouvait être exigeante, autoritaire, voire même violente, cela ne changeait rien. Il l’aimait.
Et voilà qu’à cause de lui, elle était partie pour un autre monde, sans le moindre espoir d’y revenir un jour. Cette vision cruelle le fit frissonner. Qu’allait-il devenir, lui, la créature du diable tant rejetée, mauvaise gale, graine de potence ?
Sur son visage impassible, froid comme la glace, une larme coula. Il la laissa descendre le long de son visage. Pourquoi l’en empêcherait-t-il, puisqu‘il s‘agissait d‘une cruelle et amère vérité ? Elle était morte.
Loin de cet endroit lugubre et obscur, un jeune garçon ressemblant à cet homme coupable et empli de remords marchait à petits pas précipités, animé de colère et de peine, sans savoir où il allait.
Gaara réfléchissait à la réaction de l’individu mystérieux que sa sœur et lui avaient accueilli dans leur modeste logement. Pourquoi l’avait-il traité de créature maléfique ?
Il essaya de se dire que, certainement, cet être humain avait eu peur et avait hurlé, sous l‘effet de la fatigue et de la panique. Que peut-être, il était épuisé au point de se croire dans un autre monde.
« ALLEZ-VOUS FAIRE PENDRE AILLEURS, ESPECES DE SCELERATS ENDURCIS ! », entendit-il, à l’instant même où il cherchait une autre réponse à ses questions.
Il s’arrêta aussitôt, écumant de rage, puis se tourna vers l‘endroit d‘où venaient ces diffamations. Il lui apparut tout à coup que ces cris ne s’adressaient pas à lui, mais à deux jeunes garçons qui s’enfuyaient vers une autre allée.
Le petit rouquin put cependant distinguer leur apparence.
L’un avait des cheveux si blonds, si dorés, à l’identique du soleil, que malgré la nuit il parvenait à en percevoir l’éclat. Il lui semblait que sa personne même formait un astre lumineux, rayonnant d’énergie. Cet aspect était renforcé par le pull orange qui lui tenait lieu de haut.
L’autre, au contraire, brillait par son obscurité. Ses cheveux, d’un noir de jais, accentuaient la pâleur de son teint. Son tee-shirt bleu marine se fondait avec délices dans les clartés du soir. Avant qu’ils eussent disparu, Gaara vit avec une exacte précision à quel point ces deux énergumènes constituaient un parfait oxymore.
Quelques secondes s’écoulèrent, puis un fracas épouvantable se fit entendre. Une horrible mêlée de jurons, de violence physique et de hurlements, voilà de quoi il s’agissait ! Il s’approcha subrepticement de l’origine de ce massacre, puis entendit une voix :
« -Attention, il y en a un troisième !
- La délinquance, voilà un fléau qui se propage ces dernières années. Va –t-on enfin l’arrêter?, répliqua quelqu’un d’autre, sur un ton plaintif.
Gaara comprit. Ces deux êtres, qui lui avaient paru si divins, si irréels tant ils étaient beaux, révélaient sans doute une nature foncièrement méchante, vicieuse et impitoyable, semblable à l’individu qui avait assassiné son frère.
Un homme apparut. Il portait les traits de l’âge, de la maturité à travers ses cheveux gris et ses yeux sombres. On ne pouvait cependant pas voir ses habits, car ils étaient si sombres et si sales qu‘on peinait à en regarder le tissu.
- Qui es-tu?, dit-il d’un ton sévère au jeune garçon, et que fais-tu ici ? J’imagine que tu es leur complice.
Les yeux bleu pâle du rouquin aperçurent les deux présumés criminels attachés par des cordes, que tenait dans ses mains un autre homme.
-Non, répondit la voix claire et froide de Gaara, je suis arrivé ici, en entendant ce bruit assourdissant et j‘ai vu ces garçons. Qu’ont-ils fait ?
-Nous les avions vus en train de rôder aux alentours et nous pensions qu’ils voulaient faire un mauvais coup.
-On connaît leurs frères de toute façon, on sait de quoi ils sont capables, alors pourquoi ne feraient-ils pas le même genre d’horreur ?
-Ne me comparez pas à mon frère ! Je vous en prie, tout mais pas cela !
Celui qui avait prononcé ces supplications était le brun, qui semblait désespéré, comme s’il avait contenu une sorte de souffrance en lui pendant longtemps.
- Vous allez nous pendre pour de vrai ? Pitié, laissez-nous la vie sauve !
Cette fois-ci, c’était son ami qui venait d’hurler. Son cri possédait quelque chose d’émouvant et de comique à la fois, comme s’il se fût agi d’un martyr ou d‘un valet de comédie.
Son compagnon d’infortune se reprit d’un mouvement brusque et lui donna un coup de coude :
-Non, mais regardez-moi cet idiot de village ! La peine de mort est abolie depuis 1981, tu devrais le savoir, Naruto !
-Au moins cela prouve que JE fais attention à nous deux, à notre vie, tu comprends ?
-Taisez-vous, gibiers de potence, persifla l’homme qui les tenait enserrés, votre comportement est inadmissible, sachant que vous avez déjà un casier judiciaire. A croire que c’est héréditaire, vraiment…
Gaara s’approcha et put observer avec davantage de netteté ses caractéristiques faciales. L’impression qu’il eut de cet individu l’écœura. Celui-ci avait en effet un teint blanchâtre, affreusement blafard, comme s’il sortait d’une longue maladie.
Ses cheveux, attachés en un catogan noir comme l’encre, laissaient apparaître un visage qui ressemblait à s’y méprendre à celui d’un serpent. Il y avait quelque chose de pervers, de sadique qui ressortait de sa personne.
-…Vraiment scandaleux, n’est-ce pas, Kabuto?, lança-t-il avec un air méchant, une petite séance de torture pourrait peut-être les ramener à la raison, qu’en penses-tu ?
Le rouquin était horrifié. Cet homme devait être à coup sûr, un de ces tortionnaires cruels et barbares qui avaient fait fonctionner les camps de concentration.
Une rage empreinte de folie se propagea en lui. Non ! Il ne laisserait pas de tels bourreaux faire leur œuvre de mort ! Il ferait enfin preuve de courage et de générosité dans sa vie, lui, être couard et misanthrope !
Après avoir pris une grande inspiration, il s’exclama :
-Non, ils ne vous ont rien fait ! Laissez-les tranquille, s’il vous plaît, monsieur…
-Orochimaru, coupa l’acolyte du geôlier, il serait peut-être mieux qu’on s’en aille et qu’on les laisse.
-Non, non, rétorqua d’un ton sifflant l’autre, je pense qu’un châtiment ne leur ferait pas de mal. Ils comprendraient enfin qu’en errant dans les rues à cette heure-ci, ils font du tort aux honnêtes gens.
- Mais j’ai peur de la justice, moi !
-Kabuto, puisque je te le dis, tu n’as pas à faire l’effrayé. Quel mal faisons-nous ?
C’en était trop. Gaara prit une profonde inspiration et lança :
- La justice, la justice ! Vous voulez les frapper rien que parce qu’ils se promènent ? Alors qu’il y a bien plus grave ? Vous ne voyez que les légers faits, vous pensez que le monde est parfait ou quoi ? Vous n’êtes qu’un sal…
Il ne put achever sa phrase car l’autre s’était emparé de sa gorge et le tenait avec une force qui contrastait avec son apparente anémie.
- Qui es-tu, petit con, hein, pour me traiter de tous les noms ? Tu vas dès lors rejoindre ces deux vauriens car je ne doute pas une seule seconde de que tu en sois un.
Il lui adressa un soufflet puis le lia aux deux martyrs avec le reste de la corde.
Le rouquin au regard de glace sentit qu’il était dans de beaux draps, à présent.
-Aide-moi, Kabuto, à transporter ces mollassons ! » ordonna d’une voix maléfique l’homme, qui se révélait vraiment machiavélique.
Shikamaru et Temari se trouvaient dans un café, essayant de trouver un peu de repos. Ils avaient cherché dans tout le quartier le petit lutin, et ne l’avaient point trouvé.
« -Il est fort possible qu’il se soit égaré, disait le premier, qui tentait désespérément de trouver un peu de repos.
-Puisque je dis qu’il a dû se faire enlever, répondait en sanglotant la jeune femme, mon petit Gaara, mon petit ange démon !
Elle pleura de plus belle. Shikamaru grommela :
-Pourquoi tout me retombe dessus ?
Le pire dans toute cette affaire, c’était le fait que toute la faute lui incombait. S’il n’avait pas insulté le jeune garçon, peut-être n’en seraient-ils pas là ?
Alors? Qu'en pensez-vous? Oro est il vraiment sadique?
:)