Déjà tant d'années


Fanfiction Naruto écrite par aka oni (Recueil de aka oni)
Publiée le 26/07/2010 sur The Way Of Naruto



Petit one-shot écrit un soir de spleen, après avoir relu de vieilles fanfics dont les auteurs ont disparu du site depuis longtemps. je précise que la fanfic a été écrite en prenant la superbe chanson "Martha" de Tom Waits comme inspiration. Sur ce, bonne lecture et n'oubliez pas de donner votre avis !


Chapitre 1: And I remember quiet evenings, trembling close to you...



Une pluie fine tombait sur le manteau du voyageur, le glaçant jusqu'aux os. Mais il ne semblait pas y prêter attention, déjà trempé qu'il était. Il marchait d'un pas lent, régulier, comme il le faisait depuis une route infinie. Le visage dissimulé sous une capuche informe, la silhouette déformée par le rideau de la pluie glaciale qui tombait sans discontinuer depuis plusieurs heures, le voyageur ressemblait plus à un fantôme qu'autre chose. Puis, sans prévenir, il s'immobilisa à un tournant. Sous ses yeux, sa destination. Une petite ville s'étendait à quelques centaines de mètres.

Le voyageur était quelque peu surpris. D'après ses souvenirs, qui étaient encore plutôt nets, le village était entouré d'une immense forêt. Or, cela faisait bien deux ou trois kilomètres que la forêt s'était arrêtée, laissant place à un paysage boueux et désert. Il n'y avait alors pas prêté attention, perdu dans ses pensées et ses souvenirs. C'était pourtant bien le village qu'il cherchait – enfin, vu la taille, Konoha tenait à présent plus de la ville. Il pouvait voir la grande montagne à laquelle le village était adossé, au loin, avec plusieurs têtes sculptées. Six, compta-t-il. Aucune idée de qui pouvait représenter la sixième, mais cela lui parut peu. Cela faisait tout de même longtemps. Sentant ses bottes s'enfoncer dans le mauvais chemin boueux, l'étranger se dégagea et reprit sa marche vers la porte de la ville, un peu en contrebas.

De porte, elle n'en avait plus que le nom, et certainement pas la fonction. Le voyageur fut, encore une fois, sidéré : les murs n'étaient plus grand-chose d'autre que des ruines. La porte, elle, semblait encore en état de se fermer, mais elle était grande ouverte, sans aucune protection, et à l'aspect du bois et des couches de moisissures successives qui s'empilaient sur les battants, ainsi que de la rouille qui rongeait consciencieusement les immenses gonds, l'étranger devina que la porte n'avait plus été fermée depuis de nombreuses années. Il continua, entrant lentement dans la ville, sur un chemin mal pavé, mais qui était nettement plus agréable que le sentier négligé sur lequel il marchait depuis des jours.

Il finit par s'arrêter au milieu de la voie principale, déserte en cette heure tardive – quoique le temps désastreux y fût sans doute pour plus que l'heure. Il secoua ses mauvaises bottes gorgées d'humidité et prit quelques secondes. Plus de forêt, plus de murs, plus de porte et pas de gardes – ce dernier point n'était pas si dérangeant, il n'avait aucun moyen de prouver qui il était. Il leva la tête et fronça les sourcils. La sixième tête, plus grossièrement taillée que les cinq autres, ne laissait aucun doute sur qui était devenu le sixième Hokage de Konoha ; le masque de Kakashi Hatake était reconnaissable, même mal taillé. Il en fut heureux, mais voir l'état dans lequel étaient laissés les visages taillés des augustes Hokage lui pinça le cœur. Couverts de moisissure, la roche s'était manifestement fendue à plusieurs endroits. Les visages étaient sales, négligés. Le nez du Sandaime était tombé. Il ne pouvait en voir plus d'aussi loin, mais il imaginait bien que des animaux avaient dû s'y installer, et que plusieurs fissures devaient fragiliser la roche. Il secoua la tête d'un air réprobateur. Il dut se rendre à l'évidence ; plus de choses avaient l'air d'avoir changé ici que ce qu'il s'attendait à trouver. Mais ce n'était pas pour rendre visite à des pierres qu'il avait fait un si long voyage.

Sans attendre davantage, le voyageur repartit, frissonnant, comme s'il venait de prendre conscience de la pluie et de ce qu'il était trempé jusqu'aux os. Il accéléra le pas. Il pensait bien se souvenir de l'endroit, mais rien n'était plus comme avant. L'architecture et le plan de Konoha n'avaient pas attendu son retour ; accélérant, trottant puis courant franchement, l'étranger finit par être complètement perdu dans ce dédale de rues et d'immeubles, dédale au sein duquel il avait pourtant grandi, nom de dieu ! Comment pouvait-il se perdre comme un idiot ? Puis, alors qu'il s'arrêtait pour reprendre son souffle, un peu rauque, aussi usé, semblait-il, que ses habits, il reconnut la rue. D'après ses souvenirs, cette rue, c'était où habitait… Puis à gauche, deuxième à droite… Le voyageur crut au miracle en apercevant, coincée entre deux bâtisses grises et impersonnelles, floues sous la bruine, une petite maison en bois, comme au bon vieux temps. Son enthousiasme retrouvé pour un instant, il se dirigea rapidement vers ce qu'il croyait être, enfin, le but de son voyage. L'état de la maisonnette le fit grimacer ; le bois était pourri, la peinture écaillée, les murs sales et délavés. La pluie aurait pu tomber cent ans qu'elle n'aurait pas rendu sa propreté à ces murs. Hésitant, il finit par frapper à la porte. Un, deux, trois coups retentirent avec un son sinistre. Il attendit quelques minutes puis soupira, s'apprêtant à faire demi-tour, quand la porte s'ouvrit à la volée.

- Qu'est c'vous voulez ? Demanda vulgairement la femme qui venait d'apparaître sur le palier. Négligée, les yeux cernés, la peau fatiguée, elle ne devait pourtant pas avoir plus d'une trentaine d'années. De loin, on lui donnait le double. De près, plus encore.
- Mlle Haruno… habite encore ici ? Interrogea timidement l'étranger, d'une voix fatiguée.
- Haruno… Haruno… Sakura, c'est ça ? Déménagé y'a pas mal d'années, z'avez de la chance que j'm'en souvienne, 'savez ? 'Fin, pauvrette, j'lui ai rach'té une bouchée d'pain, sa baraque, faut dire qu'elle avait pas trop l'choix… 'Tendez, j'ai son adresse quequ'part, enchaîna la femme, avant de rentrer.

L'étranger attendit. Un coup de pot, il fallait bien l'avouer. C'aurait été encore mieux si elle n'avait pas déménagé, enfin…

- Voilà, dit la femme une dizaine de minutes plus tard, minutes que le voyageur avait passées parfaitement immobile, comme une statue, sous la pluie battante, qui se faisait plus forte de seconde en seconde. Tenez, dit-elle en tendant un vieux morceau de papier. 'Tendez, ajouta-t-elle en retirant le papier une seconde après. Z'êtes qui ? Au fait ?
- Un ami d'enfance.
- Ah…

Puis la femme haussa les épaules, remit le papier à l'homme au visage dissimulé et rentra se barricader chez elle. Pas ses oignons. Pas d'ennui.

Le voyageur déchiffra l'adresse. Par chance, il se rappelait être passé par là peu auparavant. Une vingtaine de minutes de marche, à tout casser, qu'il fit rapidement. Oui, c'était bien là. Un grand immeuble grisâtre, semblable à tous ceux qui semblaient avoir poussé dans Konoha comme de la mauvaise herbe. La porte fermait à l'origine à clef, mais cela remontait à bien longtemps et personne ne l'avait réparée. Il consulta le nom des locataires et son doigt s'arrêta sur un nom. "Yoshiko-Haruno, 5ème gauche". Il se dirigea lentement vers l'escalier de béton, gravit lentement les étages, franchissant les dernières marches au ralenti, conscient qu'il touchait au but. Son cœur battait la chamade. Stupide. Mais après tout ce temps. Il s'accorda quelques secondes de plus et poussa la porte de l'étage, avant de se diriger vers celle de gauche. L'intérieur avait des relents d'urine. Presque un cliché, songea-t-il, un sourire désabusé sur son visage. Puis il frappa.

La femme qui ouvrit avait les traits tirés, usés. Sa chevelure, seule, reflétait encore la belle jeune fille qu'avait été Sakura Haruno, fière kunoichi de Konoha. Mais, en regardant de plus près, le rose artificiel ne trompait pas ; mauvaise teinture. Le reste ne faisait même pas illusion de loin ; la femme avait depuis bien longtemps cessé de s'entretenir. Négligée, la clope à la main, les yeux fatigués, cernés, la bouche restée tordue en un rictus fatigué et sarcastique, mal habillée, elle n'avait jeté qu'un vieux peignoir – rose aussi – sur son corps affaissé. Mais après tout, elle avait dépassé la cinquantaine depuis bien longtemps. C'était surtout l'usure, la lassitude extrême qui transpirait littéralement d'elle qui figea le voyageur. Tout mais pas elle ! Les sculptures, les murs, les rues, les forêts, mais, merde, pas elle !

- Ah, merde, reculez, vous allez foutre de l'eau partout ! grogna la vieille femme. Puis, s'intéressant plutôt à l'identité de l'homme qu'à son humidité : et vous êtes ?

Pour toute réponse, le voyageur retira sa capuche, laissant apparaître un homme d'un peu moins de soixante ans, les cheveux blancs, mal rasé, le visage creusé et marqué par les coups durs. Ils restèrent en chiens de faïence pendant quelques temps. Puis, Sakura s'anima.

-… Naruto ?
- Salut, Sakura.

D'un coup, une larme perla aux yeux de la femme. Une gifle monumentale suivit.

- Ça fait quoi ? Quarante ans ? Quarante-cinq ? Balbutia Naruto.
- Quarante-trois, articula Sakura. Quarante-trois ans que tu t'es barré sans une seule explication. Quarante-trois ans que j'essaie de t'oublier, salopard.
- Je ne sais même pas pourquoi vous ne m'avez pas retrouvé en quatre décennies. Je suis pas si bon que ça.
- Les choses ont pas mal changé, ici, tu as dû t'en rendre compte, non ?
- Ouais. Ouais. On pourrait en parler ? Prendre un café ? Quarante ans de souvenirs, ça vaut bien un café, non ?

Sakura saisit un manteau pendu non loin, aussi usé que celui de Naruto, mais sec.

- Allons-y.

Naruto grimaça en voyant que l'Ichiraku de son enfance était passé d'un restaurant de ramens à une gargote miteuse dans laquelle le café n'était qu'un jus de chaussettes sans saveur, à vingt-neuf ryos la tasse, s'il vous plaît. Néanmoins, et malgré le changement, il n'y avait pas de meilleur endroit. Et là, dans ce quartier devenu mal famé, sous les yeux d'un tenancier fatigué – le propriétaire original était mort vingt-deux ans plus tôt, ce fut la première chose que Naruto apprit –, ils commencèrent à évoquer le passé.

Des heures durant, ils parlèrent, passant le reste de la nuit à refaire ces quarante années, passées en un éclair. Un homme âgé et une femme usée, de presque soixante ans, évoquant une jeunesse disparue qui leur semblait, d'un coup, bien dorée. Ainsi, Naruto apprit que, l'économie étant une arme plus efficace qu'un shuriken, surtout couplée à la politique, les villages ninjas étaient, petit à petit, devenus des villages tout court, et pour certains, des villes. Le déboisement autour de Konoha datait d'une quinzaine d'années, quand le maire de l'époque avait décrété une "campagne de modernisation et de dynamisation de l'économie". Oui, le maire, car, les villages se passant de ninjas, ils se passèrent aussi des Hokage. A la mort de Tsunade, plus vieille et usée qu'elle aimait le faire croire, Kakashi était passé Hokage, sans qu'il ait grand-chose à faire ; plus de guerre, presque plus de missions. On n'avait plus entendu parler d'Orochimaru ou de l'Akatsuki depuis tant d'années que la plupart des jeunes considéraient ces derniers comme des légendes. Kakashi avait finalement été démis de ses fonctions assez rapidement, suite à un vote populaire. Il était mort une poignée d'années auparavant. Dans son lit. Plus d'académie, plus de ninjas. Les anciens ninjas et kunoichi, comme Sakura, incapables d'emprunter un métier dit "normal", s'étaient vu attribuer une petite pension en "récompense de services rendus", et point barre, adieu.

- Et toi, Naruto ? T'étais où ?
- J'ai voyagé.

Le silence s'installa. Rompu par Naruto.

- Hm, alors, t'es mariée, maintenant ?
- Ouais. Pas avec Sasuke, si tu veux savoir, sourit Sakura, un sourire triste et amer, qui n'avait rien d'un vrai sourire. Lui, il s'est barré au pays du sable, je crois. J'ai une lettre de temps à autres. Il n'a jamais vraiment réussi à refaire sa vie, je crois. Rien de spécial. Non, je me suis mariée avec Toshi. Toshi Yoshiko. Un type qui est arrivé après ton départ, ajouta-t-elle devant l'air interrogateur de Naruto. Un type bien. Enfin, la plupart du temps. Quant aux enfants… Elle balaya la question et Naruto comprit qu'il ne fallait pas insister. Et toi ?
- C'est bien que t'aies trouvé quelqu'un pour t'offrir un peu de confort, soupira Naruto. J'ai jamais pu offrir ça à ma femme. Une fille d'un autre pays, ajouta-t-il en voyant l'air interrogateur de Sakura. Elle est morte, il y a une dizaine d'années.

Un silence s'installa à nouveau, la pluie semblant enfin se calmer un peu. Le reniflement du tenancier rompit l'instant. D'un coup, Naruto saisit la main de Sakura.

- Je suppose que nous deux, c'était pas écrit.

Puis Naruto laissa quelques larmes couler sur ses vieilles joues, continuant à évoquer ce qu'étaient devenus leurs anciens compagnons, leurs anciens senseïs, leurs anciens ennemis, leur ancien village, leur ancienne vie. Ils continuèrent à évoquer ensemble, de leur mémoire de déjà vieillards, de déjà vaincus, d'anciennes journées et d'anciennes nuits, à l'époque où ils étaient jeunes, et ensemble, et qu'ils avaient plus de projets que de souvenirs.


Comme dit plus haut, un one-shot écrit alors que deux jours auparavant je n'avais pas la moindre intention de réécrire une fanfic un jour. Peut-être et probablement ma dernière fanfic ; une sorte d'hommage aux auteurs que j'appréciais et qui ont disparu de ce site, un peu avant moi... Quoi qu'il en soit, je ne cracherai pas sur quelques derniers commentaires avant de tourner définitivement la page.